C'est un des premiers films que je vais voir à la fois à reculons et en cavalant. À reculons parce que j'avais vu les deux derniers films de Manoj Nellyatyu Shyamalan, et en cavalant parce qu'il restait deux minutes à mon chrono avant le début de la séance. Dès les premières minutes, avec l'appui de la musique si caractéristique de James Newton Howard, on sait que Manoj est revenu à ses amours d'antan, c'est à dire à un cinéma franchement ancré dans son genre, très simple et très codé, qui sait regarder dans son dos tout en gardant les mains sur le guidon, même si du coup il a les pieds dans les rayons. En d'autres termes moins cyclistes, Shyamalan tâche de placer son film dans la lignée des œuvres classiques du cinéma fantastique des années 50 et 60 en n'omettant pas de mettre au goût du jour les paraboles politiques indispensables au genre pour se concentrer sur une préoccupation bien d'aujourd'hui : l'écologie.
À grand renfort de sujets d'actualité, comme la disparition des abeilles qui faisait encore la une du NouvelObs.com la semaine dernière, ou le terrorisme devenu le mobile envisagé en priorité en cas de grands accidents aux États-Unis (Shyamalan utilise d'ailleurs à souhait toute l'imagerie du 11 septembre), M. Nellyattu nous raconte ici comment la nature, les arbres, l'herbe, les buissons et consorts, vont changer biologiquement pour se venger du mal que leur font les hommes. Et très tôt dans le film, une fois écartée l'hypothèse chère aux protagonistes et finalement si pratique de la perfide attaque terroriste, on saura de quoi il retourne : la nature réagit et pousse les hommes au suicide en guise de représailles. À noter la volonté pour M. Night de se débarrasser de sa vieille habitude du misérable twist final au profit d'un simple soubresaut ultime du type "c'est pas vraiment fini !", ce qui cependant ne l'empêchera pas de rater complètement la fin de son film, suivez mon doigt qui pointe d'un air vengeur les cinq dernières minutes du film dont on se serait très bien passé. Conjuguant une terreur invisible et purement fantastique, issue d'un élément banal du quotidien et ayant pour aboutissement une mort toujours hors-champ provoquée par le bruissement du vent dans les feuilles (éléments fondateurs du récit directement inspirés des
Oiseaux d'Hitchcock), à la barbarie sanglante digne d'un Sam Peckinpah orchestrée à travers d'obscurs volets clos par des Américains typés du sud armés jusqu'aux dents et protégeant la sacro-sainte propriété privée en ouvrant le feu à bout portant sur la jeunesse de leur pays, Shyamalan...
Wow wow wow. Vous y avez cru ? Vous avez cru à un grand film ? Vous avez cru à une critique organisée, intelligente, bien ficelée, avec un plan, des sous-parties, une réflexion et un cheminement de pensée ? Vous y avez vraiment cru ? Non, soyons sérieux. C'est une critique à l'image du film. Une annonce de plan mais pas l'ombre d'un développement. Y'a bien une introduction mais y'a pas de grands chapitres. Vous trouverez bien des mots mais ils n'auront aucun sens mis bout à bout. Trouvez la majuscule mais cherchez encore le point final. Neyallitu Shyamalan, qui était encore chez moi hier soir pour faire un piccolo foot devant Pays-bas/Italie et qui a fini rétamé sur le canapé, ça reste un pote, un type pour qui j'ai une grande sympathie, vous l'aurez constaté, j'ai essayé de faire deux chapitres qui se tiennent, mais ça reste une embuscade, au fond ça reste un type qui a des défauts, comme tout le monde. Son film, comme cette critique, part d'une idée audacieuse, fait montre d'un certain courage, d'une grande ambition, y'a comme un grand potentiel là-dedans, mais derrière y'a rien de concret, des occasions ratées, des rencontres manquées, des lapins posés à des rendez-vous fixés. C'est pas un film de merde, c'est un film complètement raté, qui aurait pu mais qui n'a pas... Tout ce qu'on est persuadé de voir venir à l'écran n'y est pas. Tout ce que Shyamalan installe, il l'oublie et passe à la suite. En clair, on n'a rien de ce qu'on est en droit d'attendre. Et au final on se dit que c'est pas plus mal, qu'il évite les poncifs et autres passages obligés. Mais après coup, on se rend compte qu'en fait y'a rien du tout à l'image sinon un message de paix, d'amour, de gentillesse, un message pour le tri des déchets. Ce film ce sera mon screensaver et rien d'autre.
Manoj garde le mérite d'avoir un potentiel de départ, aussi inexploité soit-il. Il a le mérite de porter la responsabilité de son film sur ses seules épaules puisqu'il l'a écrit, produit et bien sûr réalisé. Il a le mérite aussi d'oser réaliser un film dans la lignée des œuvres dont il s'inspire sans en être un vulgaire pastiche, et d'oser mettre en scène un scénario désarmant de naïveté, du genre qui depuis
Les Oiseaux ou
Duel ne dépasse normalement plus le stade du brouillon. Avec le postulat de filmer des suicides spontanés et de créer la terreur à partir d'un courant d'air, Nellyattu (natif de Pondicherry) a la volonté et l'honorable prétention de faire des images. En l'occurrence, pas de veine, ça ne fonctionne pas toujours, et surtout pas quand on filme un long métrage en 2008 comme on filmait un épisode des
Envahisseurs pour la télé y'a 40 ans. En effet, soucieux d'épurer son style entre trois ou quatre ralentis de mauvais goût, Shyamalan n'a gardé que l'ossature, le moignon de sa mise en scène. C'est idem pour le scénario du reste, les idées de départ sont bonnes mais à l'arrivée elles sont mal ou pas du tout exploitées. Par exemple il rend les personnages amorphes et inhumains, incapables de communiquer ou d'exprimer quoi que ce soit à partir de l'instant où ils ont inhalé la toxine dégagée par les plantes tueuses, si bien que lorsque les personnages se suicident ils ne sont déjà plus humains, ils se tuent machinalement sans exprimer la moindre douleur, ce sont des morts qui se tuent, et du même coup on n'éprouve pas la moindre compassion pour ces morts suicidés, ces "morts en permission" comme disait Lénine. L'idée, servie entre parenthèses par des acteurs un peu à côté de la plaque mis au service de personnages toujours en décalage, ne tient pas vraiment debout : les plantes sont supposées détraquer un truc dans le cerveau qui nous retient d'accomplir des actions nocives pour nous-mêmes, sauf qu'au lieu de ça les gens s'immobilisent et cherchent à se tuer. Or, alors qu'ils ont perdu toute réactivité, transformés en corps sans vie, ils sont néanmoins capables d'organiser leur mort de façon très réfléchie : un tel qui se tire une balle dans la tête, tel autre qui va provoquer des tigres pour qu'ils le dévorent, ou, cerise sur le gâteau, ce type qui allume une tondeuse et va se coucher sur son trajet pour se faire ratiboiser le scalp. Tout cela n'a aucun sens et confine malheureusement au risible. Difficile de savoir comment Shyamalan aurait pu trouver une meilleure idée allant dans ce sens tout en restant original. Le cinéaste a dû se poser cette même question et il n'est manifestement pas ressorti vainqueur de ce débat avec lui-même. Idem quand il a fallu finir le film, Shyamalan choisissant de célébrer l'amour de son couple vedette dans une marche de l'un vers l'autre bravant le vent empoisonné... Tout est ainsi inachevé, hormis les deux globes oculaires fantasmagoriques de Zooey Deschanel, qui contiennent la galaxie d'Orion toute entière, celle que Will Smith cherchait pendant des heures dans
MIB et
MIIB. Un mot sur Marky Marc Wahlberg : présent. Y'a pas à dire il est là, il a taffé, il a pointé. Il est au générique de début et on le retrouve pour celui de la fin, il s'est pas barré entre-temps. On notera la présence de John Leguizamo (en Français dans le texte "Jean le Légumineux") dans un excellent
supporting role de prof de mathématiques et de gymnastique, bougrement intelligent et putain de bon en sport.
À la sortie de la salle on ne peut que se réjouir de savoir que Manoj M. Night Shyamalan continue son petit bonhomme de chemin, et on est plutôt satisfait qu'il soit seul au volant de son véhicule infernal, dont lui seul dicte la route. On ne sait pas où il va, on sait seulement quand il s'arrêtera, à l'âge de 80 ou 83 balais, l'espérance de vie moyenne d'un natif de Pondicherry né en 1970.
À noter que
The Happening (Phenomenon en Français), est le nouveau porte-drapeau de cette vague moderne de films en -ing, comme
The Changeling de Clint Eastwood,
The Shining de Stanley Kubrick
, Lord of the Ring de Peter Jackson,
The Fellowship of the Ring de Peter Jacskon aussi,
The Return of the King également de Peter Jackson,
The Thing de John Carpenter,
Trainspotting de Danny "The Dog" Boyle, ou
The Lion King de Walter "Don Bluth" Disney.
En conclusion on pourra dire que non content d'avoir filmé des petits hommes verts dans
Signs, Shyamalan est désormais devenu lui-même un vert, nul doute qu'il votera Dominique Voynet plutôt que Barak O'Bama aux prochaines élections Américaines, même s'il aura bien du mal à la trouver sur la liste électorale des 46ème présidentielles qui auront lieu sur le sol Américain dans les prochains mois. Shyamalan s'accapare aux États-Unis le rôle de Nic' Hulot en espérant mettre son petit grain de sel dans les programmes électoraux. Son grenelle de l'environnement à lui c'est son script. Marcus Wahlberg, qui avait ouvertement soutenu Bush en jouant dans
Les Rois du désert, se retrouve bien dans la merde.
Phénomènes de M. Night Shyamalan avec Mark Wahlberg, Zooey Deschanel et John Leguizamo (2008)