29 mai 2018

Borg/McEnroe

Un match. Deux volcans. L'un en sommeil, l'autre en éruption. Borg est à cran depuis son plus jeune âge mais un coach l'a repéré et pris sous son aile, alors qu'il était encore adolescent, réussissant à canaliser sa rage intérieure et à le cadrer pour qu'il garde son sang froid sur les courts de tennis. Il est depuis devenu une machine à gagner, froide et sans émotion, surnommée l'Iceborg du circuit ATP. De l'autre côté du filet : le tempétueux McEnroe. Celui-ci a toujours été très con et n'a jamais su gérer ses émotions, enchaînant les coups de sang sur terre battue comme sur surface dure. En 1980, l'un est la grande vedette du tennis, une légende vivante ayant déjà tout remporté et sur le point d'enchaîner un cinquième titre consécutif à Wimbledon ; l'autre est une star montante, au style totalement opposé, et constitue le dernier obstacle sur la route du suédois vers un nouveau trophée sur le gazon londonien. Pour son premier long métrage, Janus Metz Pedersen essaie de dépeindre la rivalité entre les deux tennismen et se lance dans le lourd défi que représente la mise en scène de l'un des matchs les plus mémorables de l'Histoire de ce sport, la finale de Wimbledon de 1980 (1-6, 7-5, 6-3, 6-7 (16-18), 8-6 en faveur de Björn Borg).




Force est de constater que le réalisateur danois est beaucoup plus intéressé par Björn Borg que par son adversaire américain. Les scènes consacrées à nous dépeindre le mal être du suédois sont les moins ratées du lot. Borg, incarné par le méconnu et pas désagréable Sverrir Gudnason, est à un moment charnière de sa carrière et peine à retrouver la motivation : on le voit traîner comme une âme en peine dans les rues de Monaco, à la recherche d'un coin tranquille, où il ne sera pas reconnu et harcelé par des fans, dans une ambiance silencieuse, comme étouffée par le poids de son encombrante célébrité. Cette courte scène est le meilleur moment d'un film qui, malgré le manque d'intérêt du versant McEnroe (Shia LaBeouf, très sérieux, n'y est pour rien) et la lourdeur de certains flashbacks répétitifs et inutiles sur les débuts des deux joueurs, se laisse suivre sans trop souffrir. C'est d'une platitude extrême mais "ça se mate", comme on dit. On attend aussi le fameux match...




Hélas, les choses se gâtent totalement quand la finale tant attendue commence enfin ! Le réalisateur sabote son propre film, se casse méchamment les dents. Alors que la tension devrait être à son comble, rien ne se passe. Au-delà de la reconstitution maniaque de l'événement, le match en lui-même fait franchement peine à voir. Les échanges sont surdécoupés, pour quelques images presque ridicules de tocard glissant sur le gazon ou amorçant des coups illisibles. Nous ne comprenons rien à ce qui se passe. Aucune sensation, rien, désespérément rien. Même le fameux tie-break interminable ne donne lieu à aucun frisson. C'est foiré de A à Z. Face à un si pénible spectacle, on se demande pourquoi Janus Metz Pedersen n'a pas tout simplement repassé les images télévisées du match. Frustrés, les plus curieux iront voir ça sur YouTube, les autres, comme moi, pourront couper net et attendre de voir du vrai bon tennis. En l'état, Borg/McEnroe vient compléter la triste liste des films de sports à éviter.




P.S. Borg/McEnroe a été récompensé de deux Guldbagge Awards (pour la performance de Stellan Skarsgård dans le rôle du coach de Björn Borg, et ses effets spéciaux), l'équivalent suédois des Oscars : l'occasion de constater qu'il existe des récompenses bien plus laides que les César, jugez du peu.


Borg/McEnroe de Janus Metz Pedersen avec Sverrir Gudnason et Shia LaBeouf (2017)

25 mai 2018

Une place au soleil

On lit parfois au sujet de ce film qu'il présente un duo de stars au faîte de sa beauté et de la grâce, bon, soit, mais aussi de la sensualité. Je ne partage pas vraiment cette vision. Certes Monty Clift perdit un peu de sa superbe, sans rien perdre de son talent, quelques années après le tournage d'Une place au soleil, suite à un grave accident de voiture qui le défigura et dont il ne réchappa que grâce à Elizabeth Taylor elle-même, dont la maison se trouvait juste à côté des lieux. Mais, pour ce qui est de Liz Taylor, elle est ô combien plus irrésistible ailleurs que devant la caméra de Georges Stevens. Il suffit de citer, parmi les nombreux films où elle est renversante, Soudain l'été dernier, un de ces titres dont elle partagea à nouveau l'affiche avec son grand ami et quasi-amant Montgomery. Et si l'on pense à la belle scène de baiser du film, sur le balcon d'une fête mondaine, elle marque moins par sa sensualité que par l'étrange façon dont Stevens la filme : le bas des visages, les bouches, sont à demi voilées par les épaules prises en amorce, au point que l'essentiel, l'instant fatidique de cette relation qui doit rester secrète, les lèvres qui s'embrassent, n'apparaît pas à l'écran. Mais nul doute que cette scène, portée par la mémorable musique de Franz Waxman, a déjà été commentée mille fois.




Ma remarque au sujet de la toute relative sensualité de ce film ne lui enlève rien. Son intérêt n'est pas tant là, à mes yeux, ni vraiment dans la dénonciation, elle aussi plutôt modeste, du rêve américain (le titre en dit plus long là-dessus que le film lui-même), que dans le terrible dilemme qui déchire son personnage principal d'abord, puis celui, non moins terrible, qui, malgré la décision de justice finale (il faut bien que morale se fasse), aurait dû déchirer le jury du tribunal et torture, quoi qu'il en soit, le spectateur. L'histoire, pour la résumer très vite, est celle de George Eastman (Montgomery Clift), jeune fils de parents pauvres, qui traverse le pays pour se rendre dans l'usine de son oncle, magnat de l'industrie, afin de solliciter de sa bienveillance une place tout en bas de l'échelle. Sitôt fait, George s'éprend d'une petite ouvrière, Alice (Shelley Winters), en dépit des règles de l'entreprise qui veulent qu'aucun couple ne s'y crée. L'idylle est bientôt consommée et la jeune Alice tombe enceinte. Seule ombre au tableau : George, entretemps, est tombé sous le charme d'Angela Vickers (Elizabeth Taylor), belle héritière de la bonne société, qui en pince aussi pour lui, et dont la main lui offrirait au surplus ce que promet le titre du film.




Tiraillé entre sa sympathie pour Alice qui, pauvre et sans soutien, bientôt fille-mère vouée au déshonneur, compte absolument sur lui, et sa passion irrépressible pour la belle Angela, George passe ses nuits et ses jours à chercher une issue à cette situation impossible, prostré dans ses pensées, toujours ailleurs, triste, "blue" comme le qualifie Angela. La solution qui s'offre à lui : se débarrasser d'Alice, laquelle, sous le poids du désespoir, menace de tout révéler de leur liaison et de son comportement, pour aller batifoler avec Angela. La manœuvre consiste, et c'est là que je révèle forcément des éléments-clés de l'intrigue, à inviter Alice pour une balade en barque sur un lac peu fréquenté pour la foutre à l'eau, sachant qu'elle ne sait pas nager, ni vu ni connu. Au moment fatal cependant, George, qui reste un bon bougre, hésite, puis renonce à ce projet funeste. Mais Alice s'agace, s'emporte, se lève et fait tanguer l'embarcation qui finit par se retourner. Les deux amants sont à l'eau. Plan suivant : George sort du lac, trempé, traverse la forêt, tombe sur un groupe de campeurs qui plus tard le confondront, et regagne la demeure des Vickers en attendant que la police vienne lui mettre le grappin dessus.




Durant son procès, George assure qu'il avait renoncé à commettre son forfait, qu'il n'y est pour rien dans le chavirement de la barque - ça, nous l'avons vu - et qu'une fois à l'eau, il a essayé de rejoindre Alice pour l'aider, mais trop tard, elle avait déjà sombré - or ça, nous ne l'avons pas vu... Nous en sommes réduits à sa parole, comme les jurés et le juge du tribunal qui s'efforcent de démêler le vrai du faux. Si George n'a pas vraiment essayé de repêcher Alice, il est à tout le moins coupable de non-assistance à personne en danger. Ce qui ne mérite probablement pas la peine de mort. Quoi qu'il en soit, qu'il ait tenté de sauver Alice des eaux ou pas, George n'est pas coupable d'homicide volontaire. Nous le savons. Mais il reste coupable de mise en danger de mort avec préméditation. C'est un peu comme mettre un pote qui souffre de vertige et ne sait pas nager debout sur le parapet au-dessus des chutes du Niagara et voir ce qui se passe, les mains dans les poches.




George n'a pas tué Alice mais il a souhaité sa mort, l'a organisée. Il a, en tout cas, réuni toutes les conditions de sa disparition. La question qui me taraude, face à ce cas, c'est ce qu'en auraient fait les précogs de Précrime. Agatha, Terrence et Philippe auraient-ils fait condamner par avance George Eastman, qui a prémédité son crime, l'a fomenté et quasiment réalisé. Le meurtre, tel que préparé, a finalement lieu, et la victime est morte. Mais au dernier instant, le libre-arbitre fait son œuvre, et si tout s'est déroulé comme il l'avait imaginé, avec le résultat terrible qu'il espérait, George n'est pas directement coupable de meurtre. Dans un crossover d'Une place au soleil et Minority Report, y'aurait-il rapport minoritaire ?  Comment réagira Tom Cruise ? A-t-il vu ce film ? Qu'en a-t-il pensé ? Ces questions me bouffent. Help.


Une place au soleil de George Stevens avec Montgomery Clift, Elizabeth Taylor, Shelley Winters et Raymond Burr (1951)

22 mai 2018

Outland

Adolescent, je feuilletais régulièrement le Mad-Movies numéro 100 qui comprenait un long dossier spécial consacré aux "100 meilleurs films fantastiques" selon la rédaction du magazine. Je consultais ce dossier avec amour et même avec sérieux, en notant les films déjà vus et en retenant bien les noms de ceux que je souhaitais voir au plus vite. Parmi ces 100 films, figuraient quelques titres étonnants, moins évidents, des invités surprises pourrait-on dire. Je cite, la plupart de mémoire : La Grande Menace de Jack Gold, Wolfen de Michael Wadleigh, Les Clowns tueurs venus d'ailleurs de Stephen Chiodo, C'était demain de Nicholas Meyer, L'Amour avec des gants de Maurizio Nichetti, Appel d'urgence de Steve de Jarnatt, Truly, Madly, Deeply d'Anthony Minghella ou encore Messe Noire d'Eric Wetson.




Depuis, j'ai pu découvrir quelques-uns de ces films et j'avoue avoir souvent été déçu tant mon attente et mes espoirs étaient peut-être devenus trop grands au fil du temps. Pourtant, Appel d'Urgence est un petit "post-nuke" au charme réel, Wolfen est un film de loup-garou urbain au scénario inspiré et Messe Noire est une série b qui contient quelques fulgurances gores marquantes et originales. Malgré tout, force est de reconnaître qu'aux côtés des chefs-d'oeuvre de John Carpenter, Tobe Hooper, Steven Spielberg ou William Friedkin, ces films demeurent d'une importance bien plus modeste. Mais c'était aussi le charme de ce dossier spécial, Mad-Movies y avait mêlé avec malice des incontournables, des classiques et, évidemment, des absents de marque qui, à l'époque, avaient fait jaser. Et son intérêt résidait principalement dans ces titres plus obscurs qui titillaient forcément la curiosité de par leur présence aux côtés de grands films mieux connus, à la notoriété solidement établie.




Parmi ces films, il y avait aussi Outland de Peter Hyams, un titre qui m'intriguait tout particulièrement en raison de l'image qui accompagnait l'article : un astronaute en pleine crise de panique coincé dans son scaphandre. Cette image est issue de la première scène du film, qui nous présente une équipe de mineurs au travail sur Io, satellite de Jupiter exploité pour son minerai. Un incident incompréhensible survient alors : l'un des ouvriers se met à halluciner, perce volontairement sa combinaison et meurt à la dérive dans l'espace, après que sa tête a explosé dans un effet spécial digne du final de Total Recall. Bien décidé à comprendre ces incidents qui se répètent sur Io, un marshal fédéral (Sean Connery !) mène l'enquête, quitte à mettre sa propre vie en danger. Il lèvera peu à peu le voile sur un trafic de drogue parfaitement organisé et même encouragé par la grande entreprise gérant les exploitations minières, dans le but de décupler la productivité des ouvriers.




Vous l'aurez peut-être deviné à travers mon résumé de l'histoire : Outland est un véritable western spatial autour d'une vraie figure de shérif incarné par un très bon Sean Connery. A l'orée des années 80, Peter Hyams voulait réaliser un western mais, le genre étant passé de mode, les producteurs lui ont fait "tut tut tut". Il a ainsi simplement délocalisé son histoire, de l'Ouest jusqu'aux confins du système solaire, sur une minuscule planète, Io, qui devait même donner son joli nom au film. Le scénario signé Peter Hyams s'inspire d'ailleurs nettement du fameux film de Fred Zinneman, Le Train Sifflera Trois Fois. On y retrouve également un shérif seul contre tous devant faire face à la corruption et à la lâcheté ambiante. Si le film de Zinneman était une dénonciation déguisée du maccarthysme, Outland s'avère être une critique bien sentie du capitalisme à tout rompre et pointe du doigt les méthodes inhumaines d'une sorte de multinationale futuriste obnubilée par le profit.




Bien que la direction artistique d'Outland soit bonne et que le film ait une certaine allure, il faut reconnaître qu'il a aujourd'hui un peu vieilli. L'alternance entre des scènes d'incidents causées par la drogue et celles nous montrant l'avancement de l'enquête du marshall est un peu répétitive dans la plus grande partie du film. Le dernier tiers manque de rythme et peine malheureusement à maintenir l'attention. En fin de compte, le film de Peter Hyams trouve surtout son intérêt dans le beau personnage auquel Sean Connery parvient à donner vie, un homme qui a atterri là, au fin fond de l'univers, par dénigrement, désireux de prouver qu'il vaut mieux que ça en allant au bout de ses convictions. La plus belle scène du film est celle où, en lent travelling avant cadrant le visage de l'acteur, Sean Connery exprime sa volonté de faire ses preuves, de donner un sens à sa présence sur Io. La relation d'amitié et de confiance que son personnage construit peu à peu avec sa seule aide dans la station minière, la docteure jouée par une excellente Frances Sternhagen, est l'autre point fort du film. Quelques répliques teintées d'humour et une progression lente vers cette belle amitié nous font croire et nous attacher à ce duo original. Face à eux, Peter Boyle campe parfaitement un imbuvable homme de pouvoir, orchestrant sans aucun scrupule le trafic, et ses confrontations avec Sean Connery donnent toujours lieu à des scènes réussies.




Hélas, malgré des acteurs impeccables et toutes ces autres qualités bien réelles qui font de lui un film au demeurant sympathique, Outland m'a encore laissé un léger goût d'inachevé, moi qui voulais une nouvelle fois découvrir une véritable pépite sous-estimée du cinéma de genre. Ma quête des autres films non vus de la fameuse liste de Mad-Movies n'est pas terminée pour autant et j'ai par exemple toujours aussi hâte de découvrir Le Cercle infernal de Richard Loncraine dont l'aperçu présent dans le numéro spécial, une Mia Farrow effrayée en pleine séance de spiritisme, m'a toujours titillé...


Outland de Peter Hyams avec Sean Connery, Frances Sternhagen et Peter Boyle (1981)

20 mai 2018

The Girl With All the Gifts

Dans le catégorie encore très en vogue des films de zombies post-apocalyptiques, The Girl With All the Gifts fait partie du haut du panier. Et pourtant, nous n'en avons quasiment pas entendu parler. En France, le film est sorti dans l'anonymat le plus complet en été 2017 alors qu'il était depuis longtemps disponible par des voies alternatives. Pourquoi a-t-il eu droit à un si triste traitement ? Difficile de l'expliquer. Il y a peut-être déjà un problème malheureux avec le titre : The Girl With All the Gifts. Admettons que ça n'est pas très vendeur ni très parlant. En français, c'est devenu "The Last Girl - Celle qui a tous les dons" et ça n'est pas beaucoup mieux. Alors évidemment, c'est mieux qu'un "Apocalypse Zombie 2052" bis ou un truc du genre, mais ça reste un mauvais choix de titre, qui semble condamner le film à passer incognito. Les affiches et autres visuels de promotion qui accompagnent le film sont également très peu éclairants et engageants. On ne sait pas à quoi on a affaire et cela ne donne pas spécialement envie de s'y intéresser. Bref, niveau comm', l’œuvre du réalisateur Colm McCarthy et de son scénariste Mike Carey (également auteur du livre) a sans doute manqué le coche. Et c'est bien dommage, car The Girl With All the Gifts aurait mérité un bien meilleur sort.





En sous-sol de ce qui semble être une base militaire, des gosses en tenues de taulard oranges sont maintenus en cellule et traités comme les plus dangereux des prisonniers. Quand ils sont amenés à sortir pour aller dans une salle de classe situées quelques mètres plus loin, des militaires les tiennent en joue, les placent dans des fauteuils roulants et les attachent de la tête au pied, comme s'ils étaient des petits Hannibal Lecter à surveiller de près. Nous comprenons ensuite qu'ils sont les derniers espoirs d'une humanité foudroyée par un virus qui a transformé tout le monde en zombie du genre vorace et véloce. Ces enfants sont la deuxième génération de zombies : toujours dotés d'un appétit terrible pour la chair humaine, ils sont néanmoins capables de se maîtriser et semblent doter de capacités intellectuelles exceptionnelles. Ils sont soumis aux expériences du Dr Caldwell (Glenn Close), qui essaie de trouver un remède au virus, et ils suivent les cours de l'institutrice, Mme Justineau (Gemma Arterton, l'instit de rêve...), particulièrement fascinée par la petite Mélanie, l'une des gosses du groupe. Quand la base militaire est envahie par les zombies, la gamine, l'institutrice, la docteur et le sergent Parks (Paddy Considine) sont contraints à fuir.




La première partie du film, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'on quitte la base, est de loin la plus intrigante et réussie. Les premières scènes parviennent aisément à éveiller notre curiosité tandis que le réalisateur fait preuve d'un certain talent pour nous révéler peu à peu où nous sommes et dans quel univers se place son œuvre. L'invasion de la base par les zombies déchaînés donne lieu à une scène à l'efficacité indéniable dans laquelle Colm McCarthy fait un usage malin de la profondeur de champ. Le cinéaste s'était fait la main sur de nombreuses séries télé, parmi lesquelles Peaky Blinders et Black Mirror, et s'avère habile avec sa caméra. Le casting fait également plaisir à voir. La gamine vedette, Sennia Nanua, dégage quelque chose d'assez troublant. Glenn Close, depuis toujours abonnée aux rôles de peau de vache du fait de sa tronche désagréable, est impec en chercheuse prête à tout pour trouver un vaccin au terrible virus. Paddy Considine est toujours mieux devant que derrière une caméra, comme l'a prouvé son triste Tyrannosaur. Quant à Gemma Arterton, elle est the girl with all the gifs animés tant c'est un bonheur de voir cette gentille dame évoluer à l'écran : même sous un gros pull en laine et sans aucun artifice, l'actrice britannique déploie un sex appeal désarmant.





Si le scénario nous réserve certes assez peu de surprises, il arrive néanmoins à se différencier habilement de la masse des post-apo horrifiques qui se sont répandus sur nos écrans ces dernières années. La transformation en zombie est ici due à une mystérieuse maladie fongique. Dans les rues ravagées de Londres, envahies par une végétation luxuriante, les rescapés découvrent ainsi des branches, champignons et cosses s'échapper d'amoncellements de corps putréfiés de zombies. La BT Tower de la capitale anglaise est recouverte de cette flore étrange et nous offre l'image la plus marquante d'un film qui contient quelques belles trouvailles. La scène où le groupe de survivants doit progresser lentement au milieu d'une foule de zombies amorphes, pour ne pas se faire remarquer, est un moment fort. Les effets spéciaux sont très soignées et sont même assez bluffants compte tenu du maigre budget de cette production. La photographie du film est un autre atout remarquable : des couleurs vives mettent en évidence la campagne britannique et la verdure londonienne, cela rompt intelligemment avec les fades standards du genre, sombres et gris. Le film s’essouffle quelque peu dans sa dernière partie et paraît ne plus trop savoir où nous emmener mais, malgré cela, The Girl With All the Gifts est bien plus malin que la moyenne et saura à coup sûr contenter les amateurs du genre. 


The Girl With All the Gifts (The Last Girl : Celle qui a tous les dons) de Colm McCarthy avec Sennia Nanua, Gemma Arterton, Glenn Close et Paddy Considine (2017)

15 mai 2018

Kodachrome

Une création originale Netflix. Toujours un beau moment de rigolade ! Elizabeth Olsen déclarait lors d'une récente interview que la plateforme VOD devait servir à "mettre en lumière et donner une chance à des films issus du cinéma indépendant". La bonne blague... Kodachrome est un étron indé comme il en sort en pagaille, au cinéma, en VOD ou ailleurs. Le très mauvais épisode d'une série télé qu'on stopperait net, sans se poser de question. Un tel film met donc encore à mal la crédibilité de Netflix que l'on aimerait effectivement pouvoir considérer comme un distributeur nécessaire, participant effectivement à offrir une plus large audience à des propositions risquées et surprenantes. On est bien loin du compte. Le bilan est à ce jour très négatif et ce minable Kodachrome en est une nouvelle preuve affligeante. Mark Paso signe ici son deuxième long métrage et ne nous donne guère envie de nous intéresser à son premier, pourtant auréolé d'une assez bonne réputation, ni de lui jeter quelques pièces si nous le croisions un triste jour au coin d'une rue. Il met en image le plus platement du monde un scénario qui aurait mérité d'être jeté au feu, un scénar d'outre-tombe qui s'appuie sur un article du New York Times consacré à l'arrêt définitif du développement des pellicules Kodachrome paru en 2009. Passionnant.




Ed Harris incarne Benjamin Ryder, un photographe de renom atteint d'un cancer du colon en phase terminale. N'ayant plus que quelques semaines à vivre, il demande à son fils Matt (Jason Sudeikis), par l'intermédiaire de son infirmière (Elizabeth Olsen), de l'accompagner jusqu'au dernier laboratoire traitant encore le film Kodachrome, au fin fond du Kansas, afin d'y faire développer de vieilles pellicules. En très mauvais termes avec son père, qu'il n'a pas vu depuis plus de 10 ans, Matt refuse mordicus de faire le voyage. Mais la charmante infirmière insiste, trouve un stratagème et, après un quart d'heure d'hésitation au suspense insoutenable, Jason Sudeikis accepte, la mort dans l'âme, bien décidé à profiter du voyage pour envoyer chier son vieux père à la moindre occasion. Et nous voilà partis pour un road trip de la pire espèce aux côtés de trois personnages dont on aimerait voir la route coupée nette par un camion-citerne lancé à pleine vitesse. Hélas... Tout est cousu de fil blanc, du début à la fin, et le film ne surprend strictement jamais. Oui, Ed Harris et Jason Sudeikis finiront par se rabibocher avant la mort du premier. Oui, Jason Sudeikis réussira à s'envoyer Elizabeth Olsen avant qu'ils se fâchent pour mieux se remettre ensemble à la toute fin. Un programme putride et trop bien connu, suivi à la lettre par Mark "Old El" Paso.




Tout est à chier là-dedans. On se demande bien ce que le pauvre Ed Harris vient foutre là. Il pète la forme, ça se voit, il a le regard vif et le poil soyeux, il n'est pas crédible une seconde en vieux malade aux portes du trépas. Il est pathétique à plus d'une reprise, notamment quand il sort de grands discours moisis, l'un sur le fait que tous les vrais artistes sont soit des connards, des dépressifs, des drogués ou que sais-je (ceci pour se justifier d'être lui-même une ordure) ; l'autre sur la photographie et la nécessité de capturer le temps qui passe blablablabla. Quel poète, quel philosophe... Elizabeth Olsen montre quant à elle toutes les limites de son acting misérable, on croirait une zonarde de sitcom qui a eu pour seules profs de comédie Jennifer Aniston et ses petites sœurs jumelles camées. Elle singe chacune des pires postures et des intonations ridicules de la star de Friends. Et quand elle copie également son look et son style vestimentaire, à savoir ce long tie and dye qui traîne, ce débardeur blanc un peu lâche et ces seins qui pointent, elle achève de nous exaspérer. Mais le pire élément de ce trio de malheur est évidemment le si pénible Jason Sudeikis. Avec lui, c'est viscéral. Je ne peux pas. Depuis le premier regard... Je n'aime pas sa tronche. Il me sort par les yeux. Il roule tout le temps des mécaniques, se prenant pour un bogoss, c'est insupportable. Ici, il joue un agent de label musical, sur la sellette, à la recherche de nouveaux talents. Sur le point de se faire virer au début du film, où les emmerdes lui tombent sur le coin de la gueule en cascade, il demande à son patron pour lui rappeler sa valeur : "Et cette cassette de démo de Coldplay que je vous ai passée en 99 et que vous n'avez pas daigné écouter ?", "Et ce groupe, nommé Arcade Fire d'après mes souvenirs, que j'avais vu en live et que je vous avez conseillé en 2001 ?". Le gars est visiblement très fier d'avoir repéré avant tout le monde les plus gros groupes de merde actuels, le premier polluant toutes nos ondes radio, le second ayant accéléré la mort du rock indé. Joli.




Question musique, le moment le plus douloureux du film survient sans doute dans la chambre d'adolescent de Jason Sudoku, où l'un de mes groupes fétiches se voit traîné dans la boue par le simple fait d'être cité dans un tel immondice. Sudeikis et Olsen échange sur la musique, la véto-pour-vieux inspectant le bac à vinyles du tocard-en-chef (il faut croire qu'à 15 ans, notre mélomane de pacotille s'était déjà mis au microsillon, mais bien sûr...). "Pearl Jam, Nirvana, Radiohead... tu étais un ado torturé ?" demande la jeune femme, avec un ton insupportable de psychiatre inquiète. Quelques minutes plus tard, Sudeikis se veut séducteur et s'impose l'idiot défi consistant à tenter de deviner ce qu'Olsen écoutait dans sa jeunesse. Il cite de la chienlit pour la provoquer, en lui suggérant qu'elle devait écouter des trucs "mainstream" (rappelons qu'il est super bien placé pour se montrer condescendant, lui qui regrette des guignols comme Coldplay et Arcade Fire, c'est un expert en la matière). Avec une moue boudeuse qui pourrait rendre violent n'importe qui, Olsen fait la maligne en lui répondant "Tututut, moi j'adulais les Smiths, les Pixies... ça c'était mon truc, ma came". Faux pas notable pour Sudoku. Dans son élan, Olsen continue à fouiller le bac à vinyles et en sort un disque de Galaxie 500, This is Our Music. Bonne pioche, crevarde. "Oh, Galaxie 500..." dit-elle, et Sudeikis d'ajouter simplement "Obscur...". Qui a écrit ces dialogues ?! Puis la zonarde met un morceau au hasard. Quelle souffrance ! Dean, colle un procès à tous ces cons !




Un peu plus tard, les trois clowns diaboliques vont assister au concert d'un groupe que Sudeikis espère faire signer sur son label : les Spare Sevens, ou les Seven-Up, ou les Seven Plaies d’Égypte, bref, je ne sais plus, un nom à la con en tout cas. Le groupe est infâme, jouant une mélasse à gerber à un public en transe, une musique de stade de bas étage, vraisemblablement inspirée par les pires hymnes miteux d'Arcade Fire. La foule tend des briquets solennellement, Sudeikis et Olsen se regardent le sourire aux lèvres, en lâchant un commentaire puant tout en dodelinant de la tête en rythme. "Ils sont bons hein ?", "Ouais ils sont bons"... Un supplice. Plus tard, nous verrons Sudeikis et Olsen chanter du +LĪVE+ à tue-tête, un groupe ultra ringard mais qu'il est désormais trop cool de kiffer, au second degré. A ce moment-là, le film creuse encore davantage, on a vraiment envie de se tirer une balle. Le passage chez le frère d'Ed Harris s'éloigne de la scène musicale mais atteint aussi un autre abîme dans l'horreur. Également en froid avec son cadet, le vieux Edgar Harris ne trouve rien de mieux à faire que de lui révéler, en plein repas dominical, qu'il s'est tapé sa bonne femme, sous les yeux éberlués de celle-ci, ne démentant guère l'énormité des propos tenus. "Et elle en redemandait, la salope...", précise le réalisateur de Pollock, habitué à se servir de son cobra comme d'un pinceau inspiré. Juste après, Sudeikis, au bon goût de brebis, faisant la vaisselle à l'écart, sort alors le seul dialogue un peu censé du lot "Le fait de crever bientôt ne donne pas tous les droits à ce vieil enfoiré ! Il est encore plus con qu'avant, lui qui a toujours été un déchet humain. J'ai honte d'être issu de ses vieilles couilles, elles ont fait tant de dégât...". Charmant... Ed Harris essaie ensuite lamentablement de sauver les meubles en déclarant "Rooooooh, mais c'était pour le charrier, c'est tout !". Trop tard, son frère est déjà sorti de table, il se tient debout, dehors, devant sa grande baraque, les mains sur les hanches, contemplant l'horizon, essayant de digérer tout ça. J'ai eu la même réaction après m'être enfilé cette saloperie de film. J'suis sorti, j'ai pris l'air, j'ai essayé de décompresser, de penser à autre chose. L'effet Netflix quoi.


Kodachrome de Mark Paso avec Jason Sudeikis, Ed Harris et Elizabeth Olsen (2018)

12 mai 2018

Black Panther

En 2017, l'industrie cinématographique hollywoodienne était bouleversée par le succès retentissant de Wonder Woman, le premier film de super-héros consacré à une femme et réalisé par une femme, à savoir Gad Galot et Patrick Jenkins. Tout le monde était sur le cul ! Les stars les plus progressistes d'Hollywood, avec à leur tête Jessica Chastain, soutenaient aveuglément le film et en assuraient une promotion d'enfer sur les réseaux sociaux. Un an plus tard rebelote avec Black Panther, une nouvelle révolution : le dix-huitième film de l'univers cinématographique Marvel s'intéresse à un super-héros noir ! Il défraie la chronique en amassant plus d'un milliard de dollars de recette à travers le monde en un temps record. Un phénomène... Là encore, le gratin hollywoodien est mobilisé, des places sont achetées pour être redistribuées aux plus défavorisés et ainsi permettre à tous d'aller voir le blockbuster de Ryan Coogler. Tu parles d'un cadeau !




A l'image de Wonder Woman, Black Panther est une merde comme les autres, un symptôme supplémentaire du stade terminal du cinéma de divertissement américain, tout juste capable d'enchaîner les films de super-héros et d'entasser les super-héros dans les films, pour faire du blé. Ces succès viennent régulièrement relancer une machine qui n'est hélas pas près de s'arrêter. Le pire, c'est que la critique s'y met parfois aussi, en saluant tel ou tel film qui ne vaut pourtant pas mieux que les autres. Black Panther a été salué pour son scénario shakespearien, parce qu'il est écrit dans la langue de Shakespeare et parce qu'il essaie péniblement de nous narrer une histoire de famille, de pouvoir. Je n'y ai pas compris grand chose, ou peut-être n'y avait-il justement rien à comprendre. J'ai toujours l'impression de voir exactement la même saloperie que d'habitude, avec des tocards en collants qui se tapent dessus, qui passent à travers les balles des pauvres humains se mettant sur leur chemin et tombant comme des mouches. En voici tout de même les grandes lignes pour que vous soyez, vous aussi, dans le coup : il existerait donc un pays en Afrique nommé le Wakanda qui détiendrait une matière magique, le vibranium, issue d'une météorite ancestrale. Pour ne pas avoir d'emmerde, le Wakanda a choisi de cacher ce vibraminum et de se faire passer pour aussi peu développé que ses voisins. Mais cette matière attire les convoitises de gens mal intentionnés auxquels devra barrer la route le prince T'Challa aka La Panthère Noire, un super-héros qui, une fois son costume en vibranium enfilé, est doté des pouvoirs suivants : sens aiguisés, faible appétit, force et agilité accrues, acrobate et gymnaste d'exception, intelligence proche du génie civil, sans parler de ses bottes supersoniques, de sa combinaison d'invincibilité et de ses griffes acérées... Voilà, c'est à peu près tout ce que j'ai pigé.




Le film est construit de petites scènes et de plans brefs qui s'enchaînent toujours très vite, pour ne pas ennuyer le spectateur. Parmi les scènes un peu plus longues, et donc plus importantes peut-être, notons celle où, afin de prouver qu'il peut reprendre le trône de son pays, notre héros doit affronter un gars très costaud lors d'une cérémonie débile. De nombreux spectateurs juchés sur une colline les regardent se battre dans un fleuve, près d'une cascade. L'ambiance est d'abord des plus festives, tout le monde danse, applaudit et tape sur des tam-tams dans un délire abominable. Mais, progressivement, l'atmosphère s'assombrit, car le combat se fait plus indécis et l'on se met à craindre pour la Panthère Noire, ici sans son costard. Le public jusque-là très excité se calme peu à peu, chacun pose les mains sur les hanches, l'air dubitatif ou grimaçant, visiblement inquiet de la tournure des événements. Ça dure 15 bonnes minutes, soit plus de 10% de la durée totale de ce si long métrage, et c'est filmé avec les pieds, comme toutes les autres scènes d'action, un vrai supplice. Black Panther finit par prendre le dessus sur son adversaire gras et poilu grâce à cette prise d'immobilisation que m'administrait parfois mon frère Glue 3, trop influencé par l'émission Les SuperStars du Catch qui passait jadis sur Canal. T'challa peut donc être roi et nous sommes franchement ravis pour lui.




Black Panther est visuellement si laid que je n'ai pas réussi à saisir toutes les subtilités scénaristiques, trop obnubilé par les images qui m'agressaient les yeux. L'action se déroulant pour une bonne partie au Wakanda, ce pays imaginaire d'Afrique, des éléments archaïques sont mêlés à des ustensiles et autres véhicules futuristes. Des couleurs flashys, très kitschs, ainsi que des détails tribaux sont introduits par petites touches bien visibles dans le décor habituel des films de ce genre. Le résultat à l'écran est une bouillie indigeste qui atteint presque un niveau de comique involontaire étonnant. C'est à pleurer... D'autres détails sont assez amusants. Pour se prouver les uns aux autres qu'ils sont bel et bien originaires du pays magique, les personnages se montrent tour à tour l'intérieur de la bouche, en tirant sur leur lèvre inférieur où apparaît une sorte de code-barres bleuté et fluorescent... Imaginez les moins chanceux qui ont des vieux chicots jaunes et tordus... Bien heureusement, même le vilain a une dentition impeccable. C'est d'un ridicule ! Déjà ringard et hideux à sa sortie, Black Panther ne risque pas de s'améliorer avec l'âge, comme tous ces films-là...




Les acteurs sont d'un sérieux assommant, à commencer par Daniel Kaluuya, déjà vu dans Get Out. Son truc, c'est de jouer sans cligner des yeux. Peut-être espère-t-il ainsi nous faire saisir l'importance de ce qui se joue sous nos yeux, la gravité des différentes situations et le sérieux des dialogues que l'on doit se farcir. En fait, chaque acteur black un peu à la mode a eu son petit rôle, on retrouve ainsi la jolie Lupita Nyong'o et le navrant Michael B. Jordan. Un mot sur ce dernier : si cet acteur a le même nom que His Airness, il n'a rien de son talent, à part si le fait de jouer constipé est considéré comme tel. Il était déjà l'acteur principal du film breakthrough de Ryan Coogler, le très mauvais et particulièrement racoleur Fruitvale Station, Grand Prix à Sundance en 2013 (lol). Michael B. Jordan incarne ici le super-vilain, Erik Killmonger. A en croire les observateurs les plus avertis, la grande intelligence de ce film est d'avoir fait de l'antagoniste un noir également, mais un noir qui a été abandonné par ses parents et qui a dû grandir seul dans un quartier défavorisé, ce qui l'a donc rendu méchant. Le héros a quant à lui pu grandir auprès des siens, dans son pays, il est resté bon. Black Panther nous apprend que la méchanceté n'est pas innée, elle peut être le fruit du milieu dans lequel on a grandi. 200 ans de recherche en biologie évolutive sont ainsi résumés en un film. On applaudit des deux pieds Ryan Coogler et toute son équipe.




Bientôt au programme : des suites en pagaille, des spin-off à tire-larigot, des crossovers en guise de cerise sur le gâteau, des prequels pour essayer de relancer le bousin, et des reboots quand le filon sera définitivement épuisé... Et ça sera sans nous ! Les revues spécialisées dans le 7ème Art qui se respectent ne devraient pas parler de tout ça. Nous non plus, mais c'est trop tard, tant pis. Je finirai tout de même par un conseil utile : je vous recommande les céréales "Ka'ré fourrés chocolat noisette" de la marque Grillon d'or. Et je vous suggère de les manger immédiatement après les avoir mis dans le lait, sans trop attendre qu'ils ramollissent. Ils sont délicieux... 


Black Panther de Ryan Coogler avec Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Andy Serkis et Lupita Nyong'o (2018)

10 mai 2018

Game Night

Jason Bateman et Rachel McAdams forment un couple accro aux jeux et à l'esprit de compétition terriblement bien affûté dans Game Night. Ils organisent tous les vendredis des soirées jeux et y invitent quelques couples d'amis. Jeux de plateau, d'adresse, de mimes, de rôles, tout y passe dans une joyeuse ambiance. Un beau soir, le frère plein aux as de Jason Bateman leur propose un jeu de rôles grandeur nature, une murder party qui consistera à retrouver les personnes qui l'ont enlevé. Evidemment, rien ne se passe tout à fait comme prévu et la petite bande se retrouve impliquée dans une sordide affaire... Version comique de The Game de David Fincher, dans lequel un Michael Douglas à cran devait supporter le scénario machiavélique inventé par son petit frère Sean Penn, Game Night joue également sur le malentendu possible entre le jeu de rôles et la réalité. Ici, c'est surtout l'occasion d'aligner les gags et les vannes et, si l'on se tord rarement de rire, on regarde tout cela plutôt amusé. Car le film est ludique et vraiment bien rythmé, on ne s'ennuie pas. Tous les personnages apportent leur petit lot de drôlerie et aucun n'est méprisable comme c'est trop souvent le cas dans les comédies actuelles.




On avait rarement vu Jason Bateman aussi agréable au cinéma, dans un rôle pourtant très simple auquel il apporte quelques petits détails comiques. Mais la vraie attraction du film est sa compagne à l'écran, la délicieuse Rachel McAdams, toujours aussi ravissante et très régulièrement drôle. L'actrice canadienne devrait plus souvent jouer dans des comédies légères de ce genre, ça lui va bien ! Jason Bateman et elle incarnent un couple plutôt attachant. Les autres personnages aussi sont assez plaisants, en particulier le crétin de base qui a toujours un temps de retard (chouette scène de soudoiement par l'argent). Mais le personnage le plus réussi du lot est clairement leur voisin flic campé par l'étonnant Jesse Plemons : un type assez flippant, qui observe de près l'activité d'un couple qui, auparavant, l'invitait à ses soirées et l'a mis de côté depuis que sa femme l'a quitté. Il a une façon de parler, très lente et sérieuse, qui prête à rire et l'acteur ne dévie jamais de cette ligne, chacune de ses apparitions apporte un vrai plus. Les réalisateurs l'ont d'ailleurs bien compris puisqu'ils consacrent entièrement à son personnage le générique final.




Alors certes, on peut regretter une ou deux scènes d'action un brin trop longues auxquelles la deuxième partie laisse une place trop importante (le début est plus réussi). On pourrait aussi rappeler amicalement au scénariste qu'il ne suffit pas d'enchaîner les références cinématographiques dans les dialogues pour faire mouche : bien que certains clins d’œil et namedropping soient effectivement bien vus et plutôt marrants, quelques uns sont trop forcés et n'ont pas l'effet escompté. Mais ces défauts ne suffisent pas à entamer le petit plaisir ressenti devant ce sympathique spectacle qui nous réserve quelques situations cocasses, que l'on aurait parfois souhaité voir être poussées encore plus loin. Le film de Jonathan Goldstein et John Francis Daley vaut donc bien mieux que son hideuse affiche. Le genre de petit film dont on attend rien du tout et qui s'avère divertissant et sympathique, porté par des acteurs qui, eux aussi, ont l'air de bien s'amuser. Une bonne surprise.


Game Night de Jonathan Goldstein et John Francis Daley avec Rachel McAdams, Jason Bateman, Jesse Plemons et Kyle Chandler (2018)

8 mai 2018

Dracula

Je crois que l'on peut s'accorder sur ce point : le meilleur du Dracula de Tod Browning réside dans sa première partie. Au début du film, Renfield (Dwight Frye) entre en Transylvanie et passe d'une calèche à l'autre pour débusquer le château du comte Dracula, au grand effarement des paysans du coin qui redoutent ce lieu maudit, particulièrement à l'approche de la nuit, tandis que les loups hurlent alentour. Le périple du jeune Renfield, convoqué par le comte pour une affaire immobilière censée les conduire par bateau, dès le lendemain, à Londres, où Dracula souhaite acquérir un ancien cloître, finit par toucher au but. S'introduisant dans une ruine monumentale, le jeune homme voit finalement apparaître, en haut des escaliers, son hôte, un Dracula (Bela Lugosi) tout en regard fixe, éclairé et appuyé, inquiétant mais somme toute accueillant. Après signature des actes d'achat, Renfield est conduit dans ses appartements. Alors, une énorme chauve-souris (le comte, métamorphosé) apparaît à la fenêtre de sa chambre et, usant d'un étrange pouvoir, le fait tomber inconscient. Les trois succubes toutes en voiles blancs de Dracula s'approchent du garçon avant de reculer devant le nuage de fumée qui pénètre par la porte-fenêtre et annonce l'arrivée du maître ayant recouvré forme humaine. C'est un ballet que nous offre Tod Browning, annoncé par Le Lac des cygnes en générique d'ouverture, et c'est Dracula lui-même qui se chargera de mordre son hôte pour le placer sous son emprise. Dans la séquence suivante, à bord du navire pour l'Angleterre, Renfield, passé de l'autre côté, réveille son maître qui reposait en sa terre, dans une caisse, à fond de cale. Le comte Dracula est prêt à commettre un massacre.




Ce qui me fascine dans cette introduction, c'est la façon dont chaque élément qui compose le film s'articule aux autres. C'est une affaire de jointure. Tod Browning accorde une place bien définie, permise par un montage assez lent, à chaque plan, qui se retrouve comme détaché des autres par le temps long qui lui est accordé, afin qu'il puisse exister plus pleinement, et paradoxalement s'articuler mieux au plan suivant, sans rien lui céder. C'est vrai aussi des sons. Juste avant que le comte Dracula n'apparaisse en haut des marches de son vieux palais, Renfield se tourne vers une fenêtre et on entend des chauves-souris, puis, au plan suivant, ce son a disparu. Ce n'est pas bien logique, mais ce son a eu son temps et ne sera pas prolongé sur une durée qui diluerait sa présence. On dirait que le montage et le mixage font un effort de prononciation, d'articulation, détachant les images et les sons comme on détache les syllabes pour mieux les faire entendre.




Or, il s'agit du premier film parlant de Tod Browning. Or aussi, nous sommes, tout au long de cette longue séquence au château, dans le domaine du comte Dracula, qui semble s'être réveillé, au début du film, d'un sommeil millénaire, et qui est encore quelque peu engourdi probablement. Qui, surtout, parle un anglais des Carpates. Aussi Bela Lugosi (dont le nom appelle lui-même à être prononcé en séparant les phonèmes, tel Gandalf prononçant le mot elfique pour "ami" dans le premier film de la trilogie du Seigneur des anneaux : "Me-llon") détache-t-il avec emphase chaque syllabe prononcée, comme quand il dit à Renfield, avant de quitter la chambre qu'il lui a réservée, qu'il espère cette suite suffisamment "com-for-ta-ble" pour son invité. Revenant peu après sous forme de chauve-souris à la fenêtre de Renfield, métamorphose réitérée plusieurs fois ensuite, notamment au balcon de Mina, le vampire ailé, effets spéciaux rudimentaires obligent, vole comme il parle, rame l'air noir avec ses ailes lourdes, dans un mouvement lent, aussi décomposé que le découpage du film et que les mots articulés par sa vedette.




Plus loin, le comte Dracula, bien réveillé par le festin réalisé à peu de frais sur le pont du navire qui l'a conduit sur les terres de Shakespeare, parle avec beaucoup plus de fluidité, de rapidité, par exemple quand il discute avec Harker, Mina et Lucy dans les loges d'un théâtre. Mais un des notables anglais pure souche qui, autour de la figure de Van Helsing, s'inquiète de cet étrange personnage, évoque le seigneur des Carpates en prononçant "Nos...feratu", séparant les deux parties de ce nom démoniaque comme si le maître vampire avait dores et déjà contaminé les terres conquises, de sa seule diction. Malheureusement, en gagnant l'Angleterre, le montage, à l'image du personnage éponyme, perd beaucoup de cette articulation délectable, et, s'il reste fameux, le film s'en ressent un peu. Restent tout de même quelques sons qui, eux aussi, se détachent de l'image, la précèdent et annoncent le pire : je songe à ce rire maléfique de Renfield devenu vampire.




Un mot d'ailleurs à son sujet. Renfield, contrairement à son maître, parle à toute allure. Cet écart de langage est peut-être le meilleur signe de son défaut d'allégeance, puisque l'humain résiste en lui et le pousse à mener double-jeu, quitte à sombrer dans la folie. La folie de son rire. C'est un rire, mais qui sonne comme une complainte tragique. On l'entend d'abord, puis le montage lui articule le sourire terrible de l'acteur Dwight Frye, dont le nom, avec son assonance qui résonne comme une suite de cris, à l'inverse de celui de Bela Lugosi, appelle à être prononcé à toute allure, pour n'entendre plus que le "Fright" final. Dwight Fright. Qui pour un peu volerait la vedette à Lugosi dans ce rôle de serviteur malade, tiraillé entre son humanité et sa soif irrépressible de sang. Cette dualité, présente chez Dracula lui-même au temps de Murnau, qui manque sans doute au personnage de Nosferatu tel qu'incarné par Lugosi, ou plus tard par Christopher Lee, et qui sera de retour, bien plus tard, dans le pathétique et magnifique vampire épuisé porté par Klaus Kinski chez Werner Herzog, passe, chez Tod Browning, par le triste Renfield.


Dracula de Tod Browning avec Bela Lugosi, Dwight Frye, Helen Chandler et Edward Van Sloan (1931)

6 mai 2018

Jalouse

En regardant vite l'affiche, que voit-on ? Karin Viard. Et le titre, Jalouse. Quand on a un peu de bouteille en tant que cinéphile, ça fait tilt tout de suite, on se dit qu'on va se retrouver devant une comédie. Et si on est un peu con, comme oim, on se convainc que cette comédie sera potentiellement sympathique. C'est l'erreur que j'ai faite. Tout de même, face au générique d'ouverture, j'étais crispé, figé, l'oeil écartelé, les doigts entortillés dans les cordes de ma balançoire. Extrêmement nanti, je vis à Paris dans un appartement loué par mes parents : j'ai tellement d'espace dans mon salon de 198 m2 que j'ai demandé à papa, Raphaël E., philosophe et écumeur des plateaux tv, de m'installer une balançoire en plein milieu de la pièce, sur laquelle je me balance devant des films téléchargés, entre deux jets de pavés dans des flics au sein du cortège de tête lors des manifestations qui agitent la capitale.




Quand le film est bon, je me balance si fort (pour augmenter les sensations) que je suis à deux doigts de m'éclater la tronche au plafond. Là, je n'étais pas si enthousiaste. Et j'ai carrément arrêté l'effort quand j'ai découvert le nom des deux réalisateurs : David et Jonathan Foenkinos. L’œuvre de ces gens m'évoque une intense puanteur, une chose qui pue la mort, ça sent l'horreur. Il y a l’œuvre écrite, d'encre et de papier, de l'un des deux frangins, je ne sais plus lequel, Jonathan je crois, qui m'évoque le fumet stagnant au fond de la cabine d'un trois mâts dont tout l'équipage serait pestiféré et qui pourrirait sous un soleil de plomb, coincé au milieu de vents contraires. Ce type est tout de même publié par de grandes maisons, chez monsieur Gallimard Gaston, monsieur Grasset Bernard ou madame Flam Marion. Pourtant, son écriture est à la littérature ce que le dernier pet millénaire jailli de l'anus débouché à coups de pioche d'Ötzi, l'homme de Hauslabjoch, la momie congelée et déshydratée depuis l'ère jurassique retrouvée récemment sur les contreforts des Alpes cul par-dessus tête, est à l'archéologie. Ma phrase n'est peut-être pas très claire, mais je me comprends. L’œuvre littéraire de Foenkinos #1 fouette l'outre-monde. Puis, le nez déjà bouché, on constate que les frères se sont mis au cinoche, alors qu'ils n'avaient déjà rien à foutre dans le milieu scriptural. Et ils écrivent évidemment leurs films, des films qui arrachent, qui renèguent la merde.




Et ce film ne fait pas exception. Il s'agit encore d'une pseudo-comédie française jamais marrante qui se complaît dans le déprimant le plus total et met en scène une galerie de personnages immondes, de raclures totales, d'enfoirés géants, de saloperies humaines incroyables, à commencer par le personnage principal, cette femme mûre qui n'est pas juste jalouse de sa jolie fille mais qui est littéralement imbuvable avec tout le monde, son ex-mari, sa meilleure amie, la fille de sa meilleure amie, ses collègues de boulot, son supérieur et compagnie, bien entourée par tous les autres personnages ou presque, également odieux ou débiles, chacun leur tour. Mais le plus beau c'est que non content d'écrire des personnages fumeux et un scénario faisandé par des surlignages psychologiques méritant l'exil, les Foenkinos sont les metteurs en scène de leurs monceaux de bêtise, ils tiennent la caméra à deux, et ils sont là aussi zélés. Je ne garderai qu'un souvenir de leur cinéma : ce plan où Karin Viard, esseulée après avoir fait chier le monde entier, est au téléphone dans une rue déserte, et la caméra de reculer très lentement, trop lentement (on sent venir le coup de génie), jusqu'au terme du travelling arrière, après cinq minutes de suspense, où l'on aperçoit l'enseigne de la boutique devant laquelle l'actrice se tient, et qui affiche quelque chose comme : "Le silence de la rue", ou autre débilité du genre. On imagine d'ici les frères Foenkinos fiers comme tout de ce coup de massue filmique. Arrêtez-vous s'il vous plaît, messieurs. Disparaissez dans l'anonymat. Foutez-nous la paix. Vieillissez en silence. Plus de vagues. Vos gueules.


Jalouse de David et Jonathan Foenkinos avec Karin Viard, Anaïs Demoustier, Anne Dorval et Bruno Todeschini (2017)

4 mai 2018

Baywatch : Alerte à Malibu

A court d'inspiration, Hollywood recycle désormais aussi les séries télé les plus improbables. C'est donc au tour d'Alerte à Malibu de faire l'objet d'une adaptation. A la manière de 21 Jump Street, mais avec infiniment moins de réussite, Alerte à Malibu passe à la moulinette de la comédie américaine actuelle héritée de la clique Apatow avec un habitué du genre à la baguette, Seth Gordon. On a donc droit à un humour outrancier qui fait parfois mouche mais qui nécessite des acteurs solides pour tenir la durée d'un long métrage. C'était le cas dans le précédemment cité 21 Jump Street, où Jonah Hill et Channing Tatum, épaulés par quelques bons seconds rôles comme Ice Cube, parvenaient à nous faire marrer assez régulièrement. Ici, l'acteur vedette n'est autre que The Rock. On sait la star bodybuildée capable de belles mais rares saillies comiques dans les Fast & Furious, nous l'avons déjà vu, à la hauteur, aux côtés de Mark Wahlberg et Will Ferrell dans The Other Guys d'Adam McKay. Son potentiel comique est réel, mais il n'est franchement pas suffisant pour porter un film à lui seul.




Il faut dire que Dwayne Johnson n'est pas spécialement bien entouré là-dedans. Zac Efron est tout simplement hideux avec son corps flippant taillé en salle de musculation. Le casting féminin a quant à lui uniquement été choisi pour son allure en maillot de bain (Alexandra DaDDario et Kelly Rohrbach) et n'apporte rien de plus. Seul l'inconnu au bataillon Jon Bass se démène pour nous dérider et son personnage s'avère être le plus débile du lot. Pour le reste, l'intention, celle de faire une comédie d'action dans la lignée des films de Schwarzy de la grande époque, n'est pas mauvaise, mais l'ensemble est trop mal écrit. Les personnages de meufs sont insipides, les mecs sont attendus et les méchants sont ultra chiants. Même les inévitables caméos (Pamela Anderson, David Hasselhoff) sont ratés et il n'y a rien de très sexy au programme. Le pire étant les CGIs, dignes d'un nanar d'RTL9, notamment lors de la séquence où l'équipe va sauver un bateau en feu. C'est tellement laid... En plus, c'est long. Baywatch dure 2 heures et on vous recommande vraiment de les passer à faire autre chose.


Baywatch : Alerte à Malibu de Seth Gordon avec Dwayne Johnson, Zac Efron, Alexandra Daddario, Priyanka Chopra et Kelly Rohrbach (2017)