A l'heure où un certain nombre de critiques, de presse comme de radio, s'emploient à dédaigner ou à balayer d'un revers de main injuste le nouveau film de Lucas Belvaux, ce film que nous trouvons remarquable, Thomazinette (invité régulier du blog) et moi-même avons décidé de le défendre et de dire tout le bien commun que nous en pensons.
38 témoins s'ouvre par de longs plans très beaux et déjà captivants sur un gigantesque porte-conteneurs escorté par deux remorqueurs et progressant sur la mer du Havre. La caméra de Belvaux filme en plan d'ensemble cette lourde industrie et sa marche tranquille, puis s'attarde sur les grues du port encore lumineux avant de nous transporter par un enchaînement de plans fixes dans une rue déserte, la nuit, puis vers un détail sur le trottoir, une tache sombre et liquide, avant que ne nous surprenne brutalement un plan toujours aussi silencieux et déserté sur le corps d'une femme allongée dans le hall sombre d'un immeuble, couchée dans une flaque de sang. La police arrive, les ambulances à leur suite, le corps est emporté et peut alors commencer le récit de ce film librement adapté des événement survenus en 1964 dans un quartier du Queens à New-York, où une jeune femme, Kitty Genovese, avait été assassinée par un homme sous les fenêtres de ses voisins, témoins immobiles du crime supportant les cris de la victime sans réagir.
A l'instar semble-t-il du roman de Didier Decoin (
Est-ce ainsi que les femmes meurent ?), qui se basait déjà sur ce fait sordide et que le film prend pour support, Lucas Belvaux s'intéresse à la vie des témoins du crime après le crime, quand il n'y a plus rien à faire, quand l'action est passée et qu'il ne reste plus qu'à exister, pour soi et avec les autres, malgré ce qui vient d'arriver. Le cinéaste achève ainsi le travail de distanciation vis-à-vis de l'action entamé dans
Rapt, son précédent film, qui décrivait d'un côté les conditions de détention de la victime, et de l'autre les prises de positions de ses proches et collaborateurs, en les détachant d'une action (l'enlèvement d'un homme de pouvoir par un commando exigeant rançon) sur laquelle ils n'avaient aucune prise concrète, impuissants à entrer dans la scène du rapt et contraints à rester cloîtrés dans leur rôle de purs spectateurs témoins. Désormais l'action est complètement évacuée du film, qui arrive lui-même après la bataille, à l'image du personnage de Louise (Sophie Quinton), qui rentre au petit matin d'un voyage d'affaires en Chine et qui retrouve Pierre (Yvan Attal), son compagnon resté au Havre, en même temps qu'elle découvre le décor du meurtre avec ses vastes taches de sang recouvertes de sable, qui s'est déroulé sous ses fenêtres quelques heures plus tôt et dont elle apprendra plus tard que Pierre y a assisté sans agir, comme du reste 37 autres témoins muets.
Le cinéma de Lucas Belvaux montait régulièrement en puissance après la trilogie
Un couple épatant,
Cavale,
Après la vie, avec
La Raison du plus faible puis avec le fameux
Rapt, et cette progression exponentielle n'est pas démentie par
38 témoins, le nouveau brillant long métrage du réalisateur belge. On y retrouve donc Yvan Attal dans le rôle principal d'un film de fait divers que l'on pourrait qualifier de polar ou plutôt de thriller psychologique sombre absolument focalisé sur l'humain. Point de véritable action à l'horizon puisqu'elle est immédiatement évacuée par le cinéaste, et de fait point de véritable dénouement à espérer - l'enquête n'intéressant pas le moins du monde Lucas Belvaux - sinon en ce qui concerne la volonté du personnage d'Yvan Attal de retrouver le sommeil afin de paradoxalement se réveiller d'une nuit sans fin, mais aussi concernant la possibilité même du couple qu'il forme avec Louise, union lourdement compromise après que Pierre a laissé mourir une femme par lâcheté et l'a d'abord caché à sa compagne comme aux autorités. C'est donc la torture psychologique subie par le témoin coupable et ses relations à l'autre que Lucas Belvaux prend immédiatement pour cibles, et si les protagonistes du film peuvent d'abord passer pour des personnages-idées, représentations dépersonnifiées censées correspondre aux profils-types bien étiquetés d'un film à thèse basé sur un drame exemplaire, il s'avère très vite qu'il n'en est rien et que ce sont bel et bien des personnes que nous avons sous les yeux, prises dans une histoire singulière loin des bassesses du tract ou de la pure démonstration socio-psychologique.
Le film s'extirpe du piège des personnages-idées grâce entre autres à des acteurs excellents et parfaitement dirigés par le cinéaste : Yvan Attal et Sophie Quinton bien sûr, mais aussi Didier Sandre dans le rôle du procureur, que l'on est ravi de retrouver longtemps après l'avoir apprécié dans Conte d'Automne, et même Nicole Garcia, qui incarne une journaliste du Havre Libre. Le talent des comédiens sauve souvent les scènes de l'éternel reproche du "trop écrit". Exemplairement quand le procureur expose ses théories et ses raisons pour ne pas souhaiter poursuivre en justice les 38 témoins coupables de non-assistance à personne en danger. Mieux encore dans cette séquence cruciale où Pierre s'assied face à sa femme endormie, en pleine nuit, pour faire des aveux qui n'en sont pas, puisqu'il se confesse à quelqu'un qui précisément ne l'entend pas. Les répliques du personnage sont alors un peu trop "littéraires" (quand le personnage parle de ce cri qui "traverse le béton, les murs, les volets, mes mains aussi, qui broie mon cerveau comme une balle" - retranscription de mémoire et sans promesse d'exactitude), mais le jeu de l'acteur fait oublier cette littérarité et confère aux dialogues une crédibilité suffisante pour que tout cela paraisse finalement très juste. D'autant que le personnage semble être du genre plutôt taiseux et qu'il a mûri cet aveu des heures durant dans son esprit, ce qui explique l'analyse assez précise et sincère qu'il porte sur son non-geste. Quant aux formules de roman qu'il emploie pour décrire sa douleur, ce ne sont jamais que celles que nous employons tous au quotidien pour raconter notre propre histoire, piochant très naturellement dans les textes littéraires ou dans les films pour revivre ou réécrire le cours de nos vies. On se plaint suffisamment, et à juste titre, de ces mauvais films qui nous présentent des personnages inconséquents qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive, font des choix aberrants et ne savent s'exprimer qu'en monosyllabes, pour se réjouir enfin d'un tel scénario qui soumet à notre regard des caractères simplement réfléchis, sensés, capables de penser sur eux-mêmes et de verbaliser par instants leur vérité. Reste, il est vrai, que beaucoup de choses passent par les dialogues, donnant parfois le sentiment que le film s'écrit plus qu'il ne se filme et pallie à un déficit de mise en scène par un verbiage trop explicite.
Sauf que Belvaux fait quand même montre d'une maîtrise assez exceptionnelle dans le traitement de son sujet. Son style de plus en plus direct, incisif, serein et intelligent fait systématiquement mouche sans faire d'éclats inutiles, avec une efficacité redoutable et une économie de moyens appelée par une précision sans faille, comme en témoigne l'ouverture du film, mise en condition impeccable et sorte de programme qui annonce la tonalité de l’œuvre, tout en retenue et en tension sourde. Le cinéaste installe une ambiance bien particulière, tranquille et pesante à la fois, et son film progresse sur une ligne droite sans dérèglements stricts, avec seulement quelques creux de vagues (les scènes qui se déroulent dans le port industriel) et, en contrepoint, des instants prégnants particulièrement saisissants, comme celui où Pierre prend sa femme dans ses bras faute de pouvoir parler et avouer ce qu'elle sait déjà, ou comme la fin du film, magistrale, centrée sur cette idée géniale de la reconstitution du meurtre organisée par la PJ, qui évite le sempiternel flash-back de la plus digne et pertinente des façons, nous faisant re-parcourir la scène (moins celle du crime que celle du délit, celle des témoins qui ont entendu, vu et qui n'ont pas bronché) sans nous la montrer, puisqu'elle appartient à un instant T irrécupérable. Loin de tout racolage ou de tout sensationnalisme gratuit, Belvaux prend son parti de la réalité propre à tout fait divers : contrairement à ce que prétendent les journalistes, ces derniers sont bien en peine de nous faire "vivre" ou "revivre" le drame, et nulle image n'en reste que celles que les photographes (de presse ou des équipes de criminologie) peuvent éventuellement faire d'un cadavre après-coup. Le cinéaste fait ladite photo au début de son film, avec ce plan fixe sur le corps allongé dans le sang, puis il ne filmera jamais la scène invisible, se limitant avec une grande intelligence à la faire raconter par la journaliste qui croit la voir en observant un bout de trottoir et qui se contente en réalité de l'inventer, au point de gêner Louise qui l'interrompt dans son récit morbide. Et se limitant aussi, donc, à la fin, à cette reconstitution hasardeuse qu'en font les policiers et dont nous ne voyons quasiment rien sinon l'expression des témoins (passés : les voisins, Yvan Attal, Natacha Régnier, etc. ; et présents : la journaliste, le procureur), et qui nous donne en revanche à entendre l'écho du cri atroce que simule une policière pour tenter de reproduire celui de la victime. Il ne reste aucune image de la scène et le cinéaste n'en fabriquera pas, maintenu dans une rigueur intellectuelle et narrative sans concession, resserrant toute son attention sur le seul écho de ce cri qui déchire autant la nuit que les gros plans de visages des témoins dans une scène extrêmement puissante cinématographiquement, qui prend littéralement aux tripes par le seul usage discordant qui est fait d'un son anachronique posé sur des regards aveugles.
Le film donne à réfléchir sur des idées passionnantes et foisonnantes qui émanent directement de sa mise en scène, Belvaux accédant ainsi à un stade de raffinement sans doute jamais atteint auparavant dans sa carrière. L'histoire et le traitement qu'il en fait regorgent de questions posées par la spatialité, qui lancent autant de sondes de l'âme humaine. Le dispositif du film, une espèce de mélange improbable entre Fenêtre sur cour et 12 Hommes en colère appliqué à une seule et même rue d'un quartier du Havre, sert de terreau au questionnement de la place des cinq sens en politique, et du rôle tenu par chacun d'eux. Le film sillonne la démarcation que l'on fait d'habitude entre les sens dits "nobles", la vue et l'ouïe (ceux dont se sert un témoin), et les sens "bestiaux", le toucher, l'odorat et le goût. On peut aussi dire que les deux premiers sont des sens publics et les autres des sens privés. Or Belvaux montre des chocs et des télescopages entre ces deux catégories de sens, qui passent par toutes ces fenêtres et la position de spectateur que prennent les voisins les uns vis-à-vis des autres, chacun se regardant en chien de faïence d'un regard de méduse à vous paralyser ; mais aussi par la très belle scène en voiture où Louise exhorte Pierre à se confier, lui disant à plusieurs reprises : "Ne me touche pas ! Regarde-moi ! Parle-moi !", et où, aveugle et muet, il ne peut rien faire d'autre que la prendre dans ses bras, comme pour réparer à posteriori le geste qu'il aurait dû faire au moment du meurtre. Et, lors de la scène finale, Louise ne peut viscéralement plus toucher Pierre, qui devient un corps étranger, sale, souillé. Aucun des voisins-témoins de la rue ne se touchent entre eux quand ils se rencontrent. Ont-ils "senti" l'impérieuse nécessité d'intervenir avec son corps, de se frotter au crime au moment où il avait lieu ? Et s'ils l'ont senti, comment ont-ils pu ne pas y réagir ? Chacun de ces trente-huit témoins est comme une ouïe et une vue atrophiée et son inscription charnelle flotte entre un espace privé qui n'existe plus (puisque tout se sait et tout se voit), et un espace public qui n'existe pas encore, car rien n'est initié en commun, ni pendant ni après le crime. Lucas Belvaux s'intéresse et nous intéresse à cette façon indifférente qu'a chacun des sens de nous ouvrir au monde ou de nous en protéger.
Le film traite aussi de la façon dont chaque personnage est "rejeté sur soi et donc en quelque sorte rejeté du monde"*. Le monde, la scène du monde, la scène du crime, est un lieu vide et inaccessible dès le départ, dès le moment où personne n'y réagit ; le cri de la victime est un cri sans voix (d'où l'idée de ne faire entendre ce cri que lors de la reconstitution des faits, et de le faire entendre comme sorti de nulle part), une interpellation sans réponse, qui pénètre pourtant chacun des témoins au point de les racrapoter sur eux-mêmes, dans leur douleur égoïste. Tous les voisins qui fleurissent le lieu du crime et y déposent des bougies se rachètent une intégrité et une cohérence personnelle, agissent dans un pur quant à soi, d'eux-mêmes à eux-mêmes, sans autre souci que de se blanchir. La journaliste va prévenir le couple du brûlot accusateur qu'elle publiera le lendemain pour ne pas s'en vouloir, pour être en paix avec elle-même. Elle reproche d'ailleurs à Louise la même attitude dans une démonstration de culot inouïe puisque c'est le seul personnage à ne pas agir dans ce sens. Encore que la jeune femme semble souffrir le comportement de son compagnon moins pour ce qu'il représente en tant que tel que parce qu'elle s'identifie à la victime, autre charmante jeune femme rentrant seule chez elle la nuit, et parce qu'elle prend conscience qu'elle aurait pu être à sa place, et qu'alors son propre fiancé ne l'aurait peut-être pas aidée. Quand elle s'approche de la scène du crime, Louise est prise d'un malaise, défaille, et s'appuie au pilonne exactement comme l'a fait la jeune fille assassinée avant de succomber dans le hall de son immeuble, quand soudain une voisine vient lui porter secours, secours qu'elle refuse avec violence, comme pour accuser les témoins d'agir trop tard. Pierre quant à lui se veut pénitent, "le pénitent, le pénitent, le pénitent est humble, il s'agenouille, à genoux !" Il veut encaisser pour retrouver une épaisseur à travers le regard de la justice, défait qu'il est par sa lâcheté. Le personnage en appelle précisément au regard de la justice pour qu'il se substitue à son propre regard qu'il ne supporte plus, lui qui se voit observé en permanence par un voisin étrange, posté face à sa fenêtre et le dévisageant sans broncher. Cette apparition peut être perçue de manière réaliste : ce voisin aux mœurs particulières harcèle Pierre pour qu'il n'avoue pas ; ou sous un angle plus fantastique, peut-être inspiré du
Locataire de Polanski, incarnation de l’œil qui était dans la tombe et qui regardait Caïn. Pierre voudrait en somme être libéré de ce regard, ou du futur et inévitable regard-juge de sa femme, par un jugement extérieur qui le soulagerait enfin. Il est donc impressionnant de voir chacun continuer à se déplacer avec sa fenêtre double-vitrage devant lui hors de son appartement, de les voir chercher le contact des autres et du monde en titubant. Belvaux, qui a l'habitude de montrer de belles actions (sinon dans l'intention du moins dans la réalisation) initiées à plusieurs, un kidnapping bien ficelé, un braquage lancé confiant à la gueule du monde, montre ici le négatif quotidien des entreprises communes exceptionnelles : comment elles sont souvent, et banalement, avortées, rétractées.
Sur ce point la critique des Cahiers du Cinéma (entre autres…) est un peu bâclée, qui s'attriste que le film invite le spectateur à se poser la question "Qu'aurais-je fait ?". Alors que pendant la totalité du film on nous montre des gens qui se posent exactement cette question-là, la question de l'intégrité et de la cohérence personnelle, du repli dans la volonté d'être en paix avec soi-même et du marasme absolu dans lequel une telle attitude, généralisée, plonge la ville du Havre. Le film n'invite pas à se poser cette question, il invite à se poser toutes les questions sauf celle-là… C'est pour démontrer l'inanité et le problème moral d'une telle question qu'on fait un film sur la non-assistance à personne en danger. En entretien Lucas Belvaux rectifie et dit que la question qui se pose n'est pas celle-là mais "Que fallait-il faire ?", et il est triste qu'il ait à le préciser tant son film parle pour lui. 38 témoins nous pose la question de la possibilité de vivre en n'ayant rien fait au moment où il fallait agir, de la potentielle persistance du regard amoureux porté par une femme sur un homme qui n'a rien fait pour en sauver une autre qui aurait pu être elle. A ce titre la toute fin du film aurait pu rester dans la suggestion - à l'image de ces espèces de champ-contrechamp dos-à-dos où Pierre et Louise sont assis sur le même canapé sans se regarder, filmés l'un après l'autre ensemble bien que séparés par un abîme - en montrant Louise plus que jamais distante de Pierre et quittant la pièce pour marquer leur désunion finale. La voir prendre sa valise dans la minute et quitter les lieux fait perdre en crédibilité au personnage, même si après un récit si finement et intelligemment mené, c'est un moindre mal.
Sans compter que le film nous offre un ultime plaisir dans l'invitation à réfléchir en exposant le conflit entre le pardon et la justice, entre l'amour et le jugement. Il est audacieux de réhabiliter le jugement dans les relations d'homme à homme, contre l'hypocrisie qui voudrait qu'on respecte, c'est-à-dire qu'on ignore, les décisions et valeurs de l'autre. Le film retourne la phrase de Spinoza : "Je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n'ai voulu que les comprendre", pour affirmer la nécessité de juger ce qui est de toute façon incompréhensible et incommunicable. Et la situation se complique quand le jugement vient tuer l'amour. Comment faire quand on sait qu'il faut juger plutôt qu'ignorer, et quand on espère néanmoins que l'amour saura surmonter ce jugement (parce qu'un regard peut aussi porter de l'amour). C'est tout le dilemme du très beau personnage de Louise, impressionnant de finesse, très réussi, qui sert de pivot narratif au spectateur du film et à Lucas Belvaux lui-même, le cinéaste faisant preuve de la même finesse dans le portrait de ce personnage et dans la direction de l'actrice qui l'incarne que dans la mise en scène générale de son œuvre, accomplissant ainsi un film ô combien réussi et précieux. Belvaux poursuit l'édification d'une œuvre cohérente, riche et tenue qui nous le rend aussi passionnant que sympathique. Cet homme est intelligent et il réalise des films réfléchis dans lesquels il parle intelligemment pour rendre les gens eux-mêmes plus intelligents. Il offre à son public de belles opportunités de penser, sans les prendre de haut, avec une lisibilité intellectuelle très noble, loin de toute arrogance ou obscurité, privilégiant un profond travail de regard et de mise en scène infiniment riche de sens. Qu'il en soit remercié et dûment félicité.
* "Toutes les théories qui nient que les sens soient capables de nous donner le monde refusent de reconnaître la vision pour le plus noble et le plus parfait de nos sens et lui substituent le toucher ou le goût qui sont bien les sens les plus privés, ceux dans lesquels le corps se sent surtout lui-même en percevant un objet. Tous les penseurs qui nient la réalité du monde extérieur approuveraient Lucrèce qui disait : « Car le toucher, rien que le toucher (par tout ce que les hommes nomment sacré) est l’essence de toutes nos sensations corporelles ». (…)
Cet argument ne peut se fonder que sur les expériences sensorielles dans lesquelles le corps est nettement rejeté sur soi et donc en quelque sorte rejeté du monde où il se meut normalement. Plus la sensation interne est forte, plus l’argument devient plausible. Descartes suit le même raisonnement : « Le seul mouvement dont une épée coupe quelque partie de notre peau nous fait sentir de la douleur, sans nous faire savoir pour cela quel est le mouvement ou la figure de cette épée (…)»" - Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne.
38 témoins de Lucas Belvaux avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia et Didier Sandre (2012)