30 octobre 2018

Let's Scare Jessica to Death

"Let's Scare Jessica To Death", ça claque comme titre, non ? Foutons la trouille à Jessica ! Un peu moins... Heureusement, personne n'a eu la mauvaise idée de traduire ce titre en français. Reste à savoir si ce film a déjà été distribué dans nos contrées, ce qui n'est pas sûr du tout, mais c'est un autre sujet... En tout cas, aucun personnage ne prononce cette phrase durant les 88 petites minutes que dure ce film datant de 1971, devenu culte bien que resté relativement obscur. Nous le devons à John D. Hancock, un réalisateur qui n'a rien signé d'autre de très notable (à l'exception peut-être de Bang the Drum Slowly, sorti deux ans plus tard et ayant alors participé à la reconnaissance de Robert De Niro, méconnaissable dans la peau d'un joueur de baseball mentalement diminué) et s'est consacré à la mise en scène pour le théâtre après de multiples déboires avec les grands studios hollywoodiens (c'est notamment lui qui devait initialement réaliser la première suite des Dents de la Mer avant d'abandonner face à la bêtise des producteurs). Mais revenons à Jessica...





C'est dans un vieux corbillard d'occasion conduit par son mari que la jolie Jessica revient d'un long internement en hôpital psychiatrique pour dépression nerveuse. Direction le Connecticut et, plus exactement, une vieille maison isolée, au milieu des vergers et entourée de cours d'eau, fraîchement acquise par son homme. Une fois arrivés à la ferme, ils font la rencontre d'Emily, une jeune femme rousse plutôt accueillante qui, leur dit-elle, s'était permise de prendre possession des lieux, les ayant trouvés vides, mais prête à plier ses bagages. Jugée très sympathique et de bonne compagnie, Emily est invitée à rester vivre avec le couple et un autre ami. Rapidement, Jessica est témoin d'étranges apparitions, elle en fait part à son époux qui se met progressivement à douter de son état de santé...





A partir d'un pitch a priori assez classique de film de maison hantée, Let's Scare Jessica to Death ne prend jamais tout à fait cette direction-là. Dès les toutes premières minutes, nous doutons nous aussi de l'état de santé mental de la perturbée Jessica. Est-elle vraiment remise, elle dont le plus grand hobby consiste tout de même à aller décalquer méticuleusement les plus belles pierres tombales des cimetières qu'elle croise sur son chemin ? A-t-elle des visions ? S'agit-il de fantômes, de morts-vivants, de vampires ou, tout simplement, de nouveaux voisins un brin flippants (nous sommes à la campagne) ? Et d'où viennent ces voix qu'elle entend régulièrement ? Sur un rythme assez lent, propice à installer une atmosphère glauque à souhait, le cinéaste entretient le doute jusqu'au bout et, malgré cette indécision, son film garde une bonne tenue, ne perd pas notre intérêt et ne donne jamais l'air de jouer facilement avec nos nerfs.





John D. Hancock laisse beaucoup à notre imagination, reste dans le non-dit, se consacrant pleinement à dresser le portrait psychologique de son personnage principal, incarné avec talent par Zohra Lampert, quitte à nous enfermer avec elle dans une chambre bien sombre pour nous permettre d'assister à une crise d'angoisse douloureuse lors d'une scène qui n'a rien de réellement impressionnant mais qui captive paradoxalement par le calme, voire la douceur, avec laquelle elle est filmée. Malgré tout, l'ambiance est assez noire, lourde, bizarre. Des observateurs ont souligné les similitudes avec la nouvelle de Le Fanu Carmilla, dont le film serait une adaptation déguisée. Ce n'est qu'à la toute fin que le réalisateur révèle toutes ses cartes, lors d'une conclusion qui ne manque pas de nous glacer le sang et vient assurer la place de Let's Scare Jessica to Death aux panthéons des belles curiosités et autres pépites au doux parfum des seventies que se doit d'avoir vu l'amateur de cinéma fantastique.


Let's Scare Jessica to Death de John D. Hancock avec Zohra Lampert, Barton Heyman, Mariclare Costello et Gretchen Corbett (1971)

27 octobre 2018

Tout l'argent du monde

Je lis ici ou là qu'il a été reproché à Ridley Scott d'avoir réalisé un film "sans âme". N'est-ce pas là le propre des films du cinéaste britannique depuis plus de trente ans ? Alors certes, Tout l'argent du monde n'est franchement pas près d'être un grand film, mais c'est sans doute ce que Ridley Scott a fait de mieux depuis... depuis belle lurette ! Vous aurez compris qu'il s'agit là d'un compliment à relativiser étant donné l'amour que je porte pour la filmographie du bonhomme, à qui l'ont doit surtout de sacrées purges et notamment la mise à mort définitive de la saga Alien. Il nous raconte ici l'histoire vraie du kidnapping de John Paul Getty III, petit-fils d'un magnat du pétrole multimilliardaire, survenu à Rome en 1973. Le hic : le vieux Getty (Christopher Plummer), qui gère son immense fortune d'une main de fer et qui a des putains de mines antipersonnel dans les poches, ne veut pas débourser un seul centime pour récupérer le gosse ! Il va donc être confronté à la ténacité de la maman, incarnée par une très chouette Michelle Williams, bientôt épaulée par un négociant du milliardaire, Fletcher Chace, joué par Marky "Mark" Wahlberg.




Dans une interview accordée au JDD, Ridley Scott a affirmé : « Au-delà du fait divers, cette histoire possède tous les ingrédients d'une tragédie moderne. C'est un drame shakespearien qui soulève de nombreuses questions philosophiques sur le pouvoir, la filiation et surtout la puissance corrosive de l'oseille. » En effet. En voyant son film, on se dit qu'entre les mains d'un Sidney Lumet de la belle époque, d'un cinéaste de cette trempe en pleine possession de ses moyens, on aurait pu avoir droit à un vrai classique, aussi haletant que passionnant. On en est donc bien loin. Mais soulignons tout de même que le père Scott s'avère un brin plus inspiré quand il filme cette histoire que lorsqu'il nous sert des préquels honteux d'Alien (je l'ai toujours en travers...).




Son dernier film se mate sans trop de souci. Ses acteurs y sont pour beaucoup, à commencer par l'excellente Michelle Williams, dont le jeu échappe aux clichés redoutés et qui parvient à donner vie à un personnage intéressant. Mark Wahlberg n'est quant à lui pas folichon là-dedans, mais il fait sagement le taff et il a droit à son petit moment de gloire quand il dit ses quatre vérités au vieux milliardaire. Celui-ci a donc été campé, au pied levé, par le fringant Christopher Plummer, impeccable et régulièrement glaçant dans un rôle en or massif. On ne peut pas s'empêcher de se dire que c'est sans doute une très bonne chose qu'il ait eu à remplacer Kevin Spacey, car ce dernier aurait sans doute beaucoup plus cabotiner (sans parler des couches de maquillage nécessaires pour le vieillir). Notons aussi un étonnant Romain Duris : sa présence pourrait prêter à sourire puisque l'acteur français a été engagé pour incarner un kidnappeur italien, mais son personnage ambivalent constitue l'un des points forts du film. Il amène une touche d'humour et de légèreté bienvenue. Bien ouèj Duris !




Pour le reste : R-Scott est en roues libres. Aucun effort particulier, rien à signaler. Vite fait, pas si mal fait (pour une fois). Il a dû laisser le taff à sa seconde équipe et venir chécker le boulot accompli une fois par quinzaine pour mieux consacrer ses forces restantes à imaginer une nouvelle suite à Alien et ainsi continuer son saccage de la saga, ce à quoi il a vraisemblablement décidé de consacrer ses derniers jours (ma rancune est tenace !). La photographie étonne par moments, avec cette teinte sépia assez moche, au début du film, lors de quelques scènes d'intérieur, comme pour nous rappeler que l'histoire se déroule bien dans le passé. La BO (les Stones, les Zombies) vient également renforcer cet effet. C'est pas finaud du tout mais c'est efficace. C'est signé Scott quoi.




On suit ça sans déplaisir, parfois d'un seul œil, je dois le reconnaître, car c'est long, ça dure trop longtemps, ça dépasse les 2 plombes, pas de beaucoup, mais ça les dépasse, j'ai vérifié et, surtout, je l'ai senti ! Le film a toutefois le bon goût de nous quitter en beauté : par un ultime gros plan sur Michelle Williams, confrontée à une sculpture à l'effigie du milliardaire fraîchement décédé. L'actrice met le paquet, elle nous sort la total : menton grelottant, regard mystifié, elle ne laisse pas indifférent. Elle nous rappelle une dernière fois que c'est bien elle le principal intérêt du film, et le petit bout de femme tenace qu'elle a su faire exister malgré un scénario paresseux. En bref, on tient là un film du dimanche soir tout à fait passable, que je me suis autorisé à regarder un mardi...


Tout l'argent du monde de Ridley Scott avec Michelle Williams, Mark Wahlberg et Christopher Plummer (2017)

26 octobre 2018

Garde alternée

Quel étrange film... Bon. D'abord on s'attend à une pure comédie, mais en réalité le film s'ouvre par des scènes plutôt lourdes, où Valérie Bonneton découvre que son mari, Didier Bourdon, la trompe depuis quelques mois avec Isabelle Carré. Je nomme les actrices et les acteurs au lieu des personnages, vous aurez compris. Je n'ai aucun souvenir des prénoms de ces personnages, tout le monde s'en fout. Excédée, Bonneton met son mari Bourdon, prof de littérature à la fac, au pied du mur devant tout un amphi. Ensuite, ça se déride un peu, mais on ricane quatre ou cinq fois maximum, grâce à une poignée de répliques qui font mouche, bien aidées par la tension qui s'empare du spectateur et lui provoque des spasmes nerveux incontrôlables. Mais surtout, le postulat de départ tire sur la corde de la crédibilité, puisqu'il faut bien accepter l'idée que Didier Bourdon dans ce film est irrésistible et subit les assauts répétés et insistants de toute la gent féminine comme de toute la gent masculine, sans que jamais rien, en dehors de sa beauté physique (l'éventuel côté brillant ou éloquent du prof émérite étant à oublier), n'explique la fascination et l'adoration qu'il suscite. Il est même assez puant, notamment avec son ami homo, interprété par Laurent Stocker, dernier vampire sociétaire de la Comédie Française. Dieu sait qu'on a une immense sympathie pour Didier Bourdon, mais de là à voir en lui un Dom Juan des années 2010, il y a quelques kilomètres (150³°°°km env.). Ce postulat de départ, qu'il convient d'épouser sous peine de passer à côté du film, nous amène tout droit vers de bien étranges scènes. 




En gros, l'épouse, Bonneton, professeur de violon, et la maîtresse, Carré, libraire, se disputent bec et ongle Didier Bourdon. La femme légitime, mise en échec, prétend alors qu'elle n'a plus de libido et qu'elle se fout que son mari tire ailleurs. Le propre père de Bonneton (Jackie Berroyer, un vrai tombeur lui aussi) trompe sa mère (Hélène Vincent) depuis des décennies, dans le plumard de toutes les femmes du quartier, avec le consentement tacite de sa chère et tendre. En fait, le film présente le couple comme obligatoirement voué à l'adultère et l'homme comme obligatoirement plié aux caprices anarchiques de son membre viril. Bonneton en a bien conscience, et n'a semble-t-il plus beaucoup de passion pour son homme après 15 ans de mariage, mais elle tient à garder un père à la maison pour ses enfants. Elle propose donc à la maîtresse une garde alternée de Bourdon : une semaine chez l'une, une semaine chez l'autre. En réalité, ce n'est qu'une manœuvre. Elle veut récupérer son mari. Et vu que la maîtresse est raide dingue de ce dernier, les deux femmes se livrent une guerre sans pitié pour l'obtenir.




Ce qui pousse les concurrentes à un comportement qui laisse songeur. On reste pantois, par exemple, quand Valérie Bonneton se trémousse et prend des poses ultra suggestives en lingerie fine devant sa propre maman improvisée photographe pour ensuite faire triquer son mari en lui envoyant ces images par texto, pimentées par quelques phrases comme "Je t'embrasse sur la raie. Sur ta petite raie" (sic).  Et cela fonctionne à ravir puisque le soir même Bourdon regagne ses pénates, laissant ses gosses dans les pattes de sa maîtresse pour s'envoyer en l'air avec son officielle, dans la chambre de leur petit garçon. L'étonnement redouble quand Isabelle Carré décide de passer toute sa semaine de "garde" à pomper Bourdon pour le décharger totalement afin qu'il ne touche plus sa femme la semaine suivante. Elle programme le réveil à 2h et à 4h du matin, avec une alarme nommée "PIPE" (sic encore) et se met à sucer Didier Bourdon. Elle le réveille deux fois par nuit, complètement dans le gaz, pour le pépom. Et rebelote chaque nuit. A la moindre occasion, dans la journée, elle le suce aussi. Y compris un dernier coup juste avant qu'il change de domicile, sur le pas de la porte. Je précise que je n'invente strictement rien.




A la fin du film, les deux prétendantes, devenues très proches (elles prennent leur bain ensemble), viennent à bout du plus si fringant Didier Bourdon, qui n'en peut plus de faire l'aller-retour entre les deux baraques et de se faire littéralement vidanger à chaque voyage. Le pauvre homme, toujours aussi ventripotent mais dont les noyaux sont secs comme l'amadou et dont le petit quinquin pompe trop de sang à longueur de journée pour permettre à son cœur et à son ciboulot de s'alimenter convenablement, fait un AVC sous les yeux de ses deux groupies incrédules et mortes de rire. La fin ne laissera pas de nous surprendre une fois de plus puisqu'on retrouve les deux ex-rivales ravies de partager une maison de vacances dans le Lubéron avec leur Didier Bourdon devenu un légume. Le film se termine quand Bourdon, sans raison, allongé sur une bouée dans la piscine, chope de nouveau le marbre, sous l'oeil réjoui de Bonneton et Carré, qui semblent soulagées que son calibre marche encore, car c'est bien l'essentiel, et c'est effectivement à l'extraordinaire pouvoir d'attraction de sa bite que se résume exclusivement ce bon vieux Didier Bourdon dans ce film dont on ressort différent.


Garde alternée d'Alexandra Leclère avec Didier Bourdon, Valérie Bonneton, Isabelle Carré, Laurent Stocker et Michel Vuillermoz, Hélène Vincent et Jackie Berroyer (2018)

23 octobre 2018

First Reformed

On le croyait cinématographiquement mort, perdu à jamais, fini, fumé, complètement foutu... et le voilà qu'il nous revient en pleine forme ! Vraisemblablement très inspiré par son sujet, Paul Schrader signe en effet son grand retour avec First Reformed, un film qui, hélas, demeurera invisible dans nos salles malgré l'accueil chaleureux qui lui a été réservé outre-Atlantique et lors du Festival de Venise où il figurait en compétition. Également auteur du scénario, Paul Schrader renoue avec ses thèmes favoris : le terrorisme, le radicalisme et l'autodestruction, le christianisme, l'Amérique et ce monde de merde, corrompu jusqu'à la moelle, dans lequel nous vivons. C'est du lourd ! Le type est remonté à bloc et il a quelques comptes à régler !


Il a même perdu du poids !

Il était agréable pour moi de découvrir ce film sans rien savoir du pitch, je vais donc essayer de faire très simple car j'ai déjà mis dans le coma quelqu'un qui m'était proche en le lui racontant trop en détails... Ethan Hawke est le révérend d'une petite église protestante nommée First Reformed (d'où le titre, devenu par chez nous, pour les besoins de la triste sortie vidéo, l'ultra lourdingue Sur le chemin de la rédemption) qui va bientôt fêter ses 250 ans (l'église, pas Hawke, qui a toujours l'air d'en avoir 20 !). C'est un homme d'apparence solide mais, en vérité, au bord de la dépression. Pour se donner du pep's, il se met à tenir un journal, tel un bon curé de campagne, où il couche noir sur blanc ses pensées sordides.


Ethan Hawke reconnaîtra après le tournage "ne pas [s']être senti super à l'aise dans les oripeaux du révérend", soulignant "une sensation de gêne au niveau de la glotte".

On apprend que notre saint homme a perdu son fils en Irak après l'avoir incité à s'engager sous les drapeaux, son mariage n'y a pas survécu, et c'est depuis lors qu'il s'est réfugié dans la foi. Celle-ci se verra lourdement remise en question après le suicide du mari d'une de ses fidèles. Ce dernier, activiste écologique et adepte de la collapsologie, était pourtant sur le point de devenir papa mais il ne souhaitait pas éduquer un enfant dans un monde aussi pourri. Les belles paroles du révérend, prononcées lors d'une chouette scène de discussion et d'échanges de points de vue, n'y ont rien fait : il a choisi de se tuer et ainsi d'ébranler encore davantage les croyances du révérend...


Ethan Hawke ne se sent pas à l'aise non plus sous le lampadaire flippant d'Amanda Seyfried.

Dès la première image, on sent que Paul Schrader est plus inspiré qu'il ne l'a été depuis peut-être plus de 20 ans ! Je précise que je ne me suis pas amusé à regarder tous ses derniers films pour m'en assurer (je suis blogueur ciné mais faut pas pousser), je m'appuie simplement sur sa filmographie et la réputation de ses dernières créations (j'ai également subi de plein fouet The Canyons, c'était rude ; et mon acolyte s'est tapé La Sentinelle, ce qui n'est pas rien !). Bref, rien à voir avec ces égarements ici, le vieux bonhomme est sur le coup !


Un véritable camaïeu inspiré au dirlo photo par toutes les nuances de couleurs présentes dans les yeux anxieux de l'immense Hawke.

Générique classe et minimaliste. Typo élégante. Choix du format académique (1,375:1 pour les connaisseurs). Ouverture par un lent travelling avant vers le porche de la fameuse église, suivi de quelques plans aux cadres propres et travaillés sur la bâtisse. Tout cela intrigue immédiatement et installe d'emblée l'ambiance. Les mouvements de caméra seront ici très rares (4 ou 5 à vue de nez), Paul Schrader opte pour un rythme assez lent et des plans fixes, laissant ses acteurs habiter l'image, à commencer par Ethan Hawke.


L'expression d'Hawke ne trompe pas : l'haleine de sa collègue n'est pas de la première fraîcheur.

Et quel acteur, quel mec ! Malgré sa beauté encore une fois irradiante, le playboy d'Austin (Texas) est tout à fait crédible et même bluffant dans le rôle de ce révérend en pleine crise de foi. Lui aussi a l'air très concerné et impliqué par le projet, n'hésitant pas à s'enlaidir pour le rôle, à jouer sans maquillage, à paraître plus vieux, à dissimuler ses formes si avantageuses qui lui ont autrefois valu le surnom de "The Body" (au même titre qu'Elle Macpherson et Jamie Lee Curtis). Mais rien n'y fait, il est toujours beau comme un cœur, trimbale une classe de dingue sous sa chasuble et je compte bien participer activement à la campagne #UnOscarPourHawke !


Un plan que Paul Schrader avouera "avoir seulement torché pour la bande-annonce et le dossier de presse".

Malgré le lumineux Hawke, le style du film est assez austère et si Paul Schrader apparaît parfois un peu coincé par son dispositif, il parvient tout de même à lui donner vie et à nous maintenir en alerte grâce à un scénario intelligent qui remet à jour ses problématiques habituelles. Par deux fois, il sort habilement de sa petite mécanique, d'abord lors d'une scène assez osée où de beaux et simples effets spéciaux sont à l'honneur, actant un moment décisif entre le révérend et sa fidèle, puis lors du final, qui progresse lentement vers un vrai suspense digne du plus tendu des thrillers. On comprend alors que le cinéaste a atteint son but. Il nous laisse pantelant sur notre fauteuil après un dernier plan réussi où il a l'audace de choisir la voie de l'optimisme et de l'Amour. La conclusion idéale d'un film coup de poing en forme de retour fracassant. 


First Reformed (Sur le chemin de la rédemption) de Paul Schrader avec Ethan Hawke (2018)

19 octobre 2018

Un hold-up extraordinaire

Dans ce film méconnu, une scène m'a plu. Pour résumer ce qui semble y conduire, Michael Caine souhaite dérober une statue chinoise très précieuse chez un particulier riche et féru de sécurité. Pour ce faire, il se paie la complicité de Shirley MacLaine, qui s'avère ressembler comme deux gouttes d'eau à la statue. Qui est-elle, comment font-ils connaissance et de quelle façon finissent-ils par collaborer, je suis incapable de vous le dire, car j'ai raté le début du film (et j'ai décroché avant la fin). Mais j'ai vu la scène du braquage proprement dite. Pour ce moment-clé, Shirley MacLaine a quitté le costume extrême-oriental qu'elle portait et a aussi quitté le propriétaire de la statue qu'elle retenait ailleurs pour permettre à Michael Caine de commettre son larcin. Elle revient vers ce dernier - qui a déjà écarté les barreaux du sommet de la cloche sans barreaux mais farcie de capteurs infrarouges sous laquelle repose la statue. Elle le rejoint débarrassée de sa perruque, portant une coupe au carré, un pull et un pantalon moulants. Ce retour n'était pas prévu mais s'avère payant puisqu'elle se propose, étant fine et souple, de se faufiler entre les barreaux pour entrer dans la cage par le sommet et faire passer à Caine la statue tant convoitée.




Au-delà de la sensualité de ces exercices de gymnastique réalisés par l'incroyable Shirley MacLaine pour entrer dans la cage sans réveiller le système d'alarme qui protège la statue en apparence offerte au toucher (sensualité et Shirley MacLaine rimant bien ensemble, que l'on se souvienne de son numéro de danse sur une rampe d'escaliers dans Artistes et modèles de Frank Tashlin, ou de cette scène, dans Sept fois femme de Vittorio De Sica, où elle lit un poème de T.S. Eliot en tenue d'Eve face à deux prétendants hallucinés dans une chambre d'hôtel), au-delà donc de ce qui n'est déjà pas négligeable, la scène est belle en cela qu'on y voit Shirley MacLaine s'emprisonner pour offrir à celui qu'elle aime son double sculpté. C'est le buste antique statufié qui quitte la cage dorée et son modèle qui se retrouve enfermée. Shirley MacLaine est là, debout, immobile, sous sa cloche invisible, œuvre d'art, et Michael Caine, la statue dans les bras, l'observe, tel un Pygmalion cambrioleur dont le souhait, la prière à Vénus, pour se réaliser, doit en passer par une métamorphose redoublée, de la femme vers la statue et retour. Car la voyant là, droite comme un i, prisonnière, magnifique, Caine lui avoue l'aimer, et de voir Shirley sortir de la cage les bras ouverts à grand renfort de cris d'alarme... La suite ? Après ça, peu importe.


Un Hold-up extraordinaire de Ronald Neame avec Shirley MacLaine et Michael Caine (1966)

16 octobre 2018

Jessie

Il y a des films après lesquels j'ai besoin de me réconcilier avec le cinéma. Il y en a d'autres après lesquels je dois aussi me réconcilier avec l'humanité toute entière. Jessie (Gerald's Game, en vo) fait partie de ceux-là. Il s'agit d'une adaptation signée Mike Flanagan du roman éponyme de Stephen King. Le pire, c'est qu'on ne peut pas vraiment jeter la pierre à Mike Flanagan, ce réalisateur américain spécialisé dans l'horreur qui a actuellement le vent en poupe : ses films sont de plus en plus appréciés et il vient de sortir une série très bien accueillie sur la toile, The Haunting of Hill House. Le gars fait le taff en y apportant une certaine application. Le souci, c'est qu'il met en image une histoire putride sortie tout droit d'un cerveau malade qui ne sait plus quoi inventer de moche et de tordu pour se faire remarquer et contenter ses lecteurs.




On suit donc les mésaventures de Jessie (Carla Gugino), une pauvre femme qui se retrouve coincée seule dans une baraque isolée après avoir été menottée à une tête de lit lors d'un jeu amoureux initié par son con de mari (Bruce Greenwood) qui n'a rien trouvé de mieux à faire que de nous taper une crise cardiaque en pleine dispute conjugale (la dame n'était finalement pas si open à toutes les dérives de son conjoint). Pour compléter le tableau, un clébard inquiétant et amateur de chair plus ou moins fraîche s'invite à la fête... A partir de cette situation, qui se met en place très vite, Mike Flanagan faisant également preuve d'efficacité, on doit donc subir la longue bataille psychologique de Jessie, accompagnée de son lot d'hallucinations, qui discute tour à tour avec son double ou le fantôme de son mari. La première l'encourage à s'en sortir tandis que le second lui rabâche toujours les mêmes conneries démotivantes. Des flashbacks se font de plus en plus envahissants et viennent contrarier le côté très simpliste et minimaliste de ce qui aurait pu se présenter comme un nouveau film de survie miteux au pitch tenant sur un post-it.




Une psychologie de comptoir essaie donc d'enrichir le background sordide de notre triste héroïne, dont on apprend qu'elle n'a peut-être pas fini par hasard avec un type aux fantasmes sexuels légèrement déviants (les schémas classiques du King...). Une scène choc, particulièrement gore et dégoûtante, qui a fait beaucoup causer sur les réseaux sociaux (buzz réussi, bien joué), ouvre la dernière partie du film avec la libération de Jessie, contrainte à s'auto-mutiler salement pour s'extirper de là. Enfin, un dernier retournement de situation grotesque permet de voir tout cet immondice sous un autre angle qui n'a hélas rien de plus malin et qui atteste simplement d'une volonté néfaste de toujours faire pire et plus horrible, Stephen King nous apprenant, encore une fois, que les monstres existent bel et bien. Houlala, dans quel monde affreux vivons-nous. Un monde où nous pouvons effectivement voir de tels films !




Bref, vous l'aurez compris : rien de neuf sous le soleil. Aurais-je pu aimer cette bobine horrifique particulièrement tendue si je l'avais découverte adolescent ? C'est parfois la question que je me pose face à de tels festivals d'horreur tortueuse. Mais non, je ne crois pas, oh que non. Faut dire que ça manque un peu de subtilité et de mystère, tout ça. Sans parler de style... Stephen King devrait vraiment se foutre au vert. Il a suffisamment donné. Je ne lui laisserai pas la garde de mes neveux. Et Mike Flanagan se met encore davantage hors-jeu à mes yeux, lui dont le film breakthrough, The Mirror (aka Oculus), le seul que j'avais eu la curiosité de m'envoyer jusque-là, ne m'avait pas convaincu et donnait déjà dans la surenchère horrifique de bas étage. Espérons que sa série, adaptation de Shirley Jackson et donc plutôt tournée vers l'horreur gothique, soit d'une autre eau...


Jessie (Gerald's Game) de Mike Flanagan avec Carla Gugino et Bruce Greenwood (2018)

13 octobre 2018

Welcome Back

Suite à un Jerry Maguire qui l'avait propulsé sur la A-List d'Hollywood, Cameron Crowe avait mis le monde à ses pieds en mettant en boite Presque Célèbre, un film quasi-autobiographique sur un apprenti journaliste musical dans les années 70 qui avait l'opportunité de suivre un groupe de rock lors d'une tournée évidemment très sex, drugs & rock'n roll et tous les clichés qui l'accompagnent... En somme, un film facile et facilement devenu culte pour quelques illuminés car surfant sur cette fameuse nostalgie de ces années idéalisées à outrance par notre génération. Depuis, Crowe surfe sur la vague de cet improbable double succès pour réaliser des films sans intérêt ou des films de commande, ou les deux à la fois. Il existe des fans de ce réalisateur, ils sont peu nombreux, mais solidaires entre eux et véhéments. Heureusement pour le cinéma Cameron Crowe n'est pas très productif et il n'a réalisé que quatre autres longs métrages depuis son grand succès de l'An 2000. Welcome Back (Aloha en version originale) est donc le dernier en date et il s'apparente bien à une tentative de la part de Cameron Crowe de réaliser un retour fracassant parmi l'élite avec un casting 4 étoiles et une histoire pleine d'amour, d'émotions et de bons sentiments.




Ayant travaillé et retravaillé son script pendant près de cinq années avant de le porter à l'écran, on s'attendait à ce que Cameron Crowe nous livre quelque chose de solide, évidemment parce que ce genre de films, la comédie romantique, a besoin d'un scénario en béton armé et d'acteurs talentueux et convaincants pour captiver les spectateurs. Malheureusement pour lui, c'est totalement raté, l'histoire partant en couille dès la première minute pour continuer dans des spirales de goofs et de contre-sens, à tel point que même les exécutifs de chez Sony avaient déjà des gros doubt. Les acteurs sont en roue libre, ils ont surtout l'air d'être en vacances, profitant d'Hawaï au maximum. C'est dommage car ce sont des personnes a priori sympathiques avec la plupart desquelles on voudrait bien passer une soirée à se fendre la tronche (ou autre, s'il s'agit de Rachel McAdams...). Malgré tout, faire reposer une grosse partie de la réussite de son film sur le sex-appeal supposé irrésistible de Bradley Cooper, au point de le rendre si séduisant qu'il ne faut que quelques heures à Emma Stone pour avoir envie de faire "guili-guili" avec lui, c'est quand même risqué et couillu. Quand on sait que le rôle principal devait initialement être joué par Ben Stiller, on se dit tout de même qu'il y a du mieux...




Bradley Cooper incarne ici un dénommé Brian Gilcrest, j'ai même retenu le nom (c'est facile, on dirait une marque de rasoirs), les autres personnages le répètent très souvent, comme pour le faire exister. Brian Gilcrest est une sorte d'ancien militaire multi-décoré dont le travail consiste désormais à faire le lien entre des sociétés privées et l'armée pour négocier quelques contrats juteux et entuber de pauvres gens. Il se rend à Hawaï pour convaincre les autochtones de se faire doublement endoffer : ils doivent accepter de céder une partie de leur territoire pour construire une nouvelle rampe de lancements pour satellites et, en plus, assurer  la bénédiction traditionnelle de l'endroit choisi. Pour remplir cette passionnante mission, Brian Gilcrest est épaulé par une militaire nommée Ng (?) campée par Emma Stone. Le choix de cette actrice est une preuve évidente de l'invalidité du projet puisqu'elle est censée jouer un personnage 1/4 chinois, 1/4 hawaïen (ce qu'elle répète une dizaine de fois dans le film), Crowe pensait peut-être que son exophtalmie allait donner le change. Bref.




Ng n'approuve guère la démarche cynique et dénuée d'éthique de son collègue. La mission de Gilcrest est également compliquée par ses retrouvailles avec son ancienne petite amie, Tracy (Rachel McAdams, dont la première apparition en petite robe d'été constitue le meilleur moment du film), désormais maman de deux enfants de 10 et 12 ans et mariée à un pilote d'avion taciturne (le toujours très mauvais John Krasinski). Grâce à un retournement de situation totalement attendu par quiconque a déjà subi une romcom hollywoodienne, Gilcrest saborde le projet (qui s'avère être une base de lancement de satellites dotés de têtes nucléaires dirigées tout droit vers les ennemis de l'Amérique financée par Bill Murray qui joue un milliardaire à la gâchette facile) au dernier moment et retrouve l'admiration de la jeune militaire qui en pince pour lui. Bisous bisous partout, et ils vécurent heureux blablabla. Voilà je vous ai épargné 1h45 de perte de votre vie. Ne me remerciez pas.




Pour finir, dernière remarque sur le "titre" français : on passe donc de Aloha à Welcome Back. On est vraiment tenté de se demander ce qui est passé par la tête du distributeur français pour en venir à une décision aussi bête. Bien que ce soit un grand classique en France (ce site en recense un certain nombre), retitrer ainsi en anglais ce film déjà mauvais, c'est comme frapper un homme à terre : c'est mesquin et lâche en plus d'être idiot. Et ça n'a aucun intérêt. C'est aussi une marque probable de l'intérêt et de l'espoir que le distributeur montrait pour ce film qu'il a directement sorti en VOD sans passer par la case cinéma. Cameron Crowe continue son petit bonhomme de chemin. Qu'il marche à l'ombre et loin de nous !


Welcome Back de Cameron Crowe avec Bradley Cooper, Emma Stone, Rachel McAdams, John Krasinski, Bill Murray, Alec Baldwin... (2015)

9 octobre 2018

Master & Commander : de l'autre côté du monde

Figure de style qu'on emploie trop peu dans ces pages : la question rhétorique ouverte. La voici : citez-nous un autre film d'aventure, de guerre, d'époque et d'amitié qui se déroule pendant 2h20 sur un bateau en pleine mer et où tout se passe à merveille. On attend... Cherchez pas vous ne trouverez pas. Et c'est pour cela qu'on aime tant Master & Commander de Peter Weir, qui transforma l'essai à la perfection. On sent le poète cinématographe habité par son projet, de la première à la dernière minute. On voit bien qu'il a choisi sa star et qu'il lui fait confiance, qu'il lui a laissé les clés du camion les yeux fermés. Russell Crowe était alors fraîchement auréolé de deux César du meilleur acteur, dans Gladiator et Un homme d'exception, deux films où il joue respectivement un homme d'exception et un gladiateur. Bizarrement, honteusement dirons-nous, il n'a rien reçu pour son rôle de Jack la Teucha dans le chef-d’œuvre de Peter Weir, alors que le rôle comme le film sont infiniment supérieurs à ceux qui lui ont valu la gloire.





A ses côtés, Paul Bettany, second couteau, qui s'y connaissait déjà en matière de bateau et de pêche en haute mer puisqu'il s'était fait remarquer dans le milieu en attrapant dans ses filets Jennifer Connelly. Et puis, en guise de moussaillons, toute une bande d'acteurs inconnus voués à jouer les jaunasses (terme qui à l'époque du film nous a habités, et a marqué notre été 2003 : on passait notre temps à traiter tout le monde de jaunasses).




Ce film a une histoire : celle des turpitudes de son auteur, l'australopithèque Peter Weir. Après le succès de The Truman Show, assis sur le toit du monde, Tupper Weir décide de se lancer à l'assaut d'un grand film d'aventure(s), auquel il songeait de longue date et qu'il mettra une demi-décade à concrétiser. A sa sortie, le film jouit d'un beau succès critique mais ne fonctionne qu'à moitié dans les salles, ce qui plongera le cinéaste dans une longue période de déprime, lui donnant un look étonnant de véritable vache maigre (quelques photos morbides en témoignent), et lui fera abandonner l'idée de clore sa trilogie maritime par deux autres films. On a tous dans notre entourage un grand-père qui fond en larmes à l'évocation d'une anecdote douloureuse (souvent liée à la guerre de 14). Pour Peter Weir, trois mots suffisent : "Master", "&", "Commander". Prononcez un seul de ces mots, même en plein photocall, et le maestro se vide d'un océan de larmes amères et salées sur le tapis rouge.




Et pourtant, quel diable de film ! Tout y est. Le frisson, l'émotion, le spectacle, le suspense, les sentiments, la nature. Non seulement Peter Weir s'y entend pour tourner de belles scènes de batailles navales, opposant le navire de Jack la Chance à un bateau de guerre français fantomatique, en pleines guerres napoléoniennes, et pour dépeindre toute l'ambiance du milieu nautique, mais il réussit en outre à peindre de beaux personnages et de grandes amitiés, quitte à s'épancher sur le personnage touchant du médecin de bord et naturaliste Stephen Maturin incarné par Paul Bettany. On aimerait que les scènes où ce dernier dialogue avec son capitaine et ami Jack, relation complexe construite avec une grande finesse, durent encore plus longtemps, tout comme celles où il transmet sa passion pour la nature au jeune lieutenant manchot Blakeney (Max Pirkis) et le conduit sur les îles Galapagos dans une parenthèse enchantée du film. On sent d'ailleurs que Peter Weir, sans rien sacrifier à la superbe et au charme animal de son personnage principal, ce fameux Jack la Chatte hanté par l'héritage de Nelson, par la rage de vaincre, et par une autre science que celle de son alter ego à lunettes, puisque la sienne est toute militaire, a un grand faible pour l'élégance du gentleman anglais natif de Las Vegas, aka Bettany, et pour son personnage de pacifiste raffiné, cultivé, sensible.




Sans doute tient-on là le meilleur film de Peter Weir, dont la filmographie est cependant à revoir à la hausse. Master & Commander nous met en apesanteur, nous plonge profondément à fond de cale dans une atmosphère que l'on ne voudrait quitter pour rien au monde. On a le sentiment d'y être, et on oublie tous les efforts consentis par la production pour reconstituer l'époque. Certains sites référencent méticuleusement les petites erreurs historiques accumulées par Peter Weir (et à la vérité par tout metteur en scène s'attaquant à une période historique, et notamment ces pans de l'Histoire avec un grand H qui ont leur niche de passionnés fêlés), mais autant vous le dire tout de suite : rien à foutre. L'effet de réalité et la richesse romanesque du film font de Master & Commander une œuvre intemporelle, un modèle du genre, atypique. Tout en ressemblant à ce qu'on nous avait vendu, un film grand spectacle, épique, porté par une vedette au sommet dans le rôle d'un héros classique, l’œuvre de Weir échappe aux étiquettes et, par la qualité des personnages qu'il met en scène, par les thèmes abordés, par le soin accordé aux détails et la beauté qui s'en dégage, se perche bien au-dessus de la mêlée. Le film est sorti au cœur de l'hiver 2003. L'été de la même année sortait en fanfare Pirates des Caraïbes, premier du nom, avec le succès que l'on sait. Peter Weir a donc dû se résoudre à avorter sa trilogie quand une franchise sans âme s'apprêtait à inonder tous les étés suivants sous les eaux saumâtres d'une bouffonnerie infâme et merdique orchestrée par une star de pacotille. On a choisi notre camp. Sur le plan du film de bateau, mais bien au-delà aussi. 2003, année charnière. Love, Peter.


Master & Commander de Peter Weir avec Russell Crowe, Paul Bettany et Max Pirkis (2003)

6 octobre 2018

Leave no trace

Il y aurait un jeu de mots tout trouvé à faire avec le titre, mais il serait un peu cruel. Car certes, Leave no trace ne laissera pas une marque indélébile dans cette année de cinéma, ni même dans ma semaine, mais il ne m'a pas pour autant fait passer une mauvaise soirée ! Le nouveau film de Debra Granik, qui s'était déjà faite remarquer en 2010 pour Winter's Bone, a bénéficié d'un excellent accueil à Sundance et fait partie des rares à avoir une approbation des critiques à 100% sur Rotten Tomatoes, au même titre que des classiques comme Paddington 2 et Chocolat (avec Omar Sy !), pour vous donner une idée. Leave no trace, dont le titre n'a vraisemblablement pas su être traduit pour sa sortie française, est l'adaptation d'un bouquin de Peter Rock intitulé L'Abandon paru en 2009. Au bout de quelques minutes, l'histoire m'étant étrangement familière, je me suis souvenu avoir lu ce livre dont la lecture ne m'avait pas vraiment marqué, sans être désagréable.


Rien de tel qu'un petit moment de lecture sous la pluie. 

Le tronc d'arbre symbolise le fossé entre la fille et la civilisation...

On suit donc un père (Ben Foster) et sa fille (Thomasin McKenzie), âgée de 15 ans, qui vivent clandestinement dans les forêts bordant Portland, Oregon (place forte de la zik et du ciné indé US). Ils restent à l'écart d'une société avec laquelle ils évitent tout contact, jusqu'au jour où, évidemment, on leur met le grappin dessus et où ils sont plus ou moins forcés de retourner à la civilisation. Après un temps d'observation, histoire de s'assurer qu'il n'y a pas d'inceste ou quoi que ce soit de glauque là-dedans, les services sociaux les installent dans une petite baraque en périphérie, permettant au père de trouver un job dans l'exploitation forestière et incitant sa fille à aller au collège. Définitivement inadapté à la société, le père, dont on peut comprendre qu'il est un vétéran de la guerre d'Irak, veuf de surcroît, décide de repartir vivre au grand air avec sa gamine.


2 mois d'arrêt pour Ben Foster suite à cette scène réalisée sans trucage et décrite, selon ses propres termes, comme "la plus difficile à tourner de toute sa putain de carrière" (sic)  

P'tit-déj frugal... 

Quand on est malgré soi un abonné du bitume, que l'on passe ses semaines dans les tristes bureaux de tours grises sans âme ou dans les couloirs souterrains dégueulasses du métro parisien, à des années lumière de la nature et de toute verdure, voir un tel film peut peut-être apparaître comme un événement exceptionnel et salvateur, un sacré bol d'air frais, une belle respiration, aussi nécessaire que bienfaitrice. Les critiques américaines, qui ont couvert ce film d'éloges, comme en attestent ces phrases dithyrambiques copiées sur l'affiche US, ont peut-être besoin de se mettre au vert. Mais on peut aussi les comprendre : un tel film, avec sa nature omniprésente, son rythme très doux et son regard délicat porté sur ses personnages, passe sans souci pour une vraie curiosité et une pure merveille entre un Batman vs Superman et un Equalizer 2 ! Manque de pot, en ce qui me concerne, je vis dans les bois, je dors à la belle étoile, je bois l'eau de pluie, je me nourris de vieilles racines et, quand je regarde un flm, j'évite désormais comme la peste les pires saloperies US.


 Thomasin McKenzie est la révélation du film.

Ben Foster n'a pas fermé l’œil de la nuit et avouera plus tard en interview qu'il s'agissait "du tournage le plus difficile de toute sa putain de carrière" (sic)

Malgré tout, cela ne m'empêche pas d'avoir conscience des modestes qualités de l’œuvre trop modeste de la si modeste Debra Granik, qui est une sorte de sous-Kelly Reichardt, réalisatrice autrement plus importante du cinéma indé américain qui s'intéresse elle aussi aux marginaux et adore les espaces verts. Debra Granik joue sa petite musique sans faire de vague, de façon très simple, plutôt intelligemment, en évitant tout pathos et en filmant tout ça comme si c'était franchement pas grand chose, et c'est ce que devient son film : une petite chose mignonne et gentille mais inoffensive et presque insignifiante. C'est aussi ce qui fait son charme, paradoxalement. L'aspect le plus réussi est le portrait de cette adolescente curieuse, désireuse de s'épanouir, quitte à rompre le lien sacré qui l'unit à son paternel. L'actrice est très bien et la cinéaste la filme avec une certaine sensibilité. On ne trouve pas ça ridicule quand la gamine s'émerveille de la découverte d'un élevage de lapins ou d'une ruche d'abeilles, cela compte au contraire parmi les meilleurs moments.


Le regard-caméra de X-tro le lapin n'a pas pu être évité... 

Aucune abeille n'a été blessée durant le tournage.

La plus belle scène du film ne concerne toutefois ni la gamine ni son père. Elle survient dans la dernière partie, quand le père et la gamine ont temporairement trouvé résidence dans un mobil-home au sein d'une petite communauté de marginaux fort sympathiques et accueillants. Il s'agit d'une très belle parenthèse musicale durant laquelle Debra Granik filme le plus simplement du monde un vieil homme qui chante, accompagné de sa guitare et d'une amie gratteuse. Il s'agit en fait de Michael Hurley, un folkeux digne du plus grand respect, qui pousse la chansonnette depuis plus de 50 ans et qui joue ici une des plus jolies chansons de son riche répertoire, "O my stars" (sortie en 1980 sur l'album Snockgrass). J'étais agréablement surpris par ces minutes de flottement, hommage amplement mérité à cet artiste discret. Ne serait-ce que pour ça, Leave no trace mérite d'exister.


 Michael Hurley (à doite), accompagné par Marisa Anderson (à vérifier)

On s'éclate comme on peut sans wifi...

C'est quand le film se consacre à nous dépeindre la (sur)vie des deux personnages dans la nature qu'il s'avère le moins intéressant. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas venus là pour voir ça et, surtout, parce qu'on l'a déjà vu des milliards de fois ailleurs... Qu'il est compliqué de faire du feu quand tout est trempé. Comme il est important de mettre tout à l'abri quand la pluie recommence à tomber. Qu'il est bon de manger des vieilles conserves de flageolets mijotés au réchaud après avoir passé toute la journée à se les geler. Qu'il est nécessaire de se coller l'un à l'autre pour se réchauffer quand on a choisi de passer la nuit dans un tronc d'arbre en forêt par -15°C... Merci des tuyaux Debra, en ce qui me concerne, je reste chez moi bien au chaud pour mater ton petit film sympa en m'envoyant une bonne grosse pizza base crème fraîche.


Leave no trace de Debra Granik avec Ben Foster et Thomasin McKenzie (2018)