Mille fois évoqué, jamais critiqué. Jusqu'à aujourd'hui... Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet fait partie de ces serpents de mer insaisissables que nous avons souhaité placarder au mur des dizaines et des dizaines de fois sans jamais sauter le pas. C'était jamais le bon soir pour vider un sac si plein à ras bord de ressentiment et, disons-le très simplement, de haine. Ces sentiments-là, on essaie de les chasser quand ils se pointent, comme tout bon citoyen européen. Mais là il faut mettre des mots sur ces émotions qui nous assaillent quand on prononce les mots "petits", "mouchoirs", "Guillaume" ou encore "Canet". Il faut appeler un chat un chat, et mettre toute cette bile noir sur blanc. Sauf que la question demeure, et qu'elle est double : comment peut-on concentrer autant de merde en 2h34 de film, et comment, en réponse, parvenir à concentrer toute la chaux que le film a accumulé en nous depuis trois ans maintenant afin de la déverser dans un seul article (et pire, dans les 140 caractères permis par Twitter pour faire l'annonce de cet article) ? On ignore comment c'est possible, mais on tente le coup, histoire de se sentir un peu plus légers demain matin au moment de planter nos louches dans nos bols de Weetabix. Juste un mot sur les Weetabix en passant, ces plaques de blé complet compacté, ces petits pavés de foin séché, concentré et pressurisé : si un jour nous était confiée l'occasion d'échanger quelques paroles avec le dénommé Guillaume Canet, nos mots seraient aussi secs, cassants et peu digestes qu'un paquet de Weetabix oublié au soleil sur l'asphalte du parking d'un vieux Lidl désaffecté en plein mois de juillet, ce fameux jour où il a fallu abandonner une provision pour pouvoir fermer le coffre.
Par où commencer ? Peut-être par le commencement. Le film s'ouvre, rappelez-vous, par un véritable plan-séquence de haute volée qui suit Jean Dujardin (Ludo dans le film), en boîte avec son ami Gilles Lellouche (zéro dans la vie), où il enchaîne les mojitos jusqu'au petit matin, drague trois pétasses, se pisse sur les bottes, fait deux pas chassés sur le dancefloor puis, la caméra toujours collée à ses épaules de brocard, titubant vers la sortie, portable à la main, dit "A demain !" au videur - et faut-il être paumé pour sortir ça en sortant de boîte à 6h du matin - avant de rejoindre son scooter, frêle deux roues qu'il chevauche laborieusement tout en continuant à dodeliner des hanches... et le fameux Ludo de s'éloigner à toute berzingue, tandis que les pulsations sonores de la boîte de nuit s'estompent et que le bruit strident de sa vespa au pot trafiqué nous perfore les tympans (l'acteur en rajoute une couche en imitant les accélérations de son moteur avec des bruits de bouche qui produisent sur son visage un rictus à la fois benêt et démoniaque ; il pousse aussi des cris de supporter dans un Paris encore endormi, meuglant au rythme de Seven Nation Army des White Stripes en tendant son poing aux quelques boulangers déjà sur le pied de guerre), jusqu'à ce qu'au détour d'un croisement basique au possible (deux routes qui se croisent perpendiculairement), mais venu à point nommé, un six tonnes (dont le chauffeur sort lui aussi vraisemblablement de boîte de nuit, puisqu'il conduit également à toute allure et une sandale dehors en chantant la même chanson célèbre) éjecte notre homme hors du plan et le condamne au hors-champ à une vitesse supersonique (il n'est pas impossible que les habitants de Mars, s'ils existent, aient vu l'événement pratiquement en simultané tant sa vitesse est fulgurante - ceci expliquerait a fortiori le silence de plomb qui continue d'émaner de Mars, dont on comprend qu'elle soit "not interested").
La phrase ci-dessus, qui mesure bien ses six pieds de long, vous paraît peut-être un poil lourde, mais elle est là pour prouver à Canet qu'on peut tous en faire autant. Avec un peu de patience et en plaçant les articulations au bon endroit tout en déguisant plus ou moins la technique (chez nous, une simple question de ponctuation), on peut faire une phrase-séquence, dite "phrase-paraphet" en littérature, sans le moindre souci ! On sent que Guillaume Canet a tourné ce plan-séquence avec un œil rivé sur la définition la plus minimale possible de la mention "plan-séquence" dans Le Petit Robert 2004, comme le médiocre acteur autoproclamé réalisateur, cinéaste, auteur même, qu'il est, en quête de reconnaissance et sûr d'obtenir ses galons de metteur en scène génial par un soi-disant morceau de bravoure, en l’occurrence ce triste plan-séquence de pure épate ne réclamant qu'une longue coordination, quelques techniciens collaboratifs et une poignée de biffetons mal dépensés (sans oublier un routier frais et dispo, et c'est peut-être ce qui suscite le plus d'admiration chez nous). La scène ne nous a tiré qu'un rire franc et massif, à la manière d'un autre accident de scooter dans un autre film français réalisé par un autre nullard, à savoir celui de Julie Ferrier dans Paris de Klapisch. Dès l'ouverture de son grand œuvre définitif sur le thème de l'amitié, Canet nous montre tout l'amour qu'il a pour ses personnages, de la pure et simple chair à canon destinée au pare-buffle d'un camion tel qu'on n'en croise que dans certains bleds perdus de l'Arizona. C'est une chance qu'on ait pouffé lors de cet épisode immanquable de "Paf le iench", car le reste du film nous a déprimés pour des semaines. Après cet éclat inaugural, nous sommes restés collés au fond du canapé avec un dégoût ultime pour tout ce qui allait s'étaler à l'écran pendant les deux heures et trente minutes (...) à venir.
Le don de Canet c'est de parvenir à nous rendre détestables des gens qui nous sont d'habitude tout acquis. En l'occurrence on parle uniquement de François Cluzet, déjà sali par son implication dans Ne le dis à personne, le précédent Canet. Dans Les Petits mouchoirs on a envie de l'étrangler, de lui tordre le cou, comme à tous les autres acteurs en présence, sauf que pour Cluzet cette envie est née devant les films de Canet et s'est à chaque fois éteinte avec (même si elle a tendance à se repointer en douce quand l'acteur, en interview, qualifie son jeune ami de "meilleur réalisateur du monde"), alors qu'elle était déjà bien installée et a tranquillement perduré en ce qui concerne tous les autres membres du casting. Tous ces gens, les Dujardin, Lellouche, Cotillard, Magimel, Lafitte, Bonneton, Arbillot et compagnie, qui se présentent avec ce film et tant d'autres comme les jeunes pousses du cinéma français, les jeunes artistes en merde du nouveau millénaire, les étendards de toute une génération, méritent de se réveiller chaque matin face à un cobra venimeux tenu difficilement par un marabout africain fatigué et en manque de sommeil, sur le point de piquer du nez. Ils incarnent tous - sauf Dujardin qui joue le cadavre exquis de l'affaire, véritable prétexte aux superbes vacances de ses meilleurs amis - de purs sacs à merde, des nids d'inhumanité et de connerie qui nous font regretter la genèse du soleil. Cluzet est clairement le connard en chef de la bande, qui traite avec mépris et insultes son meilleur ami homosexuel, maltraite ses enfants, malmène des animaux, hurle sur ses camarades, défonce des cloisons à coups de tête, dédaigne sa femme et ne respecte aucune règle du bien vivre ensemble. Son personnage est une enflure absolue, et tous les autres, qui ne valent guère plus cher, gravitent autour comme autant de vermisseaux misérables et d'ascaris lumbricoides aimantés par la pourriture et le mal. Ce qui n'a pas empêché la France de se rendre en masses dans les salles pour assister à ce sous-feuilleton tv choral empesté d'idées marécageuses, de personnages infects, de sentiments médiocres, le tout enveloppé dans une mise en scène sordide qui nous fait revoir avec amertume ce jour sombre où un homme des cavernes s'est levé le cul en disant à ses potes : "On sort de la routine, on va tenter un truc !"
Il est des films qui permettent de faire le tri dans son entourage. Nous espérons de tout cœur que celui-ci n'en fasse pas partie, sans quoi c'en serait fini de la vie sédentaire, des espaces urbains et des salles des fêtes ; l'humain s'en retournerait à une existence solitaire et nomade faite de cueillette, de chasse et de pêche, ainsi que de projets sur le très court terme. Depuis ce film, Guillaume Canet n'a cessé d'évoluer sur tapis rouge. On lui a ouvert les portes de Cannes et celles de l'Amérique. James Gray l'a accueilli chez lui, a partagé son pain avec lui. James Caan lui a obéi en acceptant de foutre le feu à sa carrière pour un second rôle minable dans Blood Ties. Le réalisateur frenchy promu artiste international est reçu sur tous les plateaux télé français tel le messie. Si Canet venait à caner, sa place au panthéon est toute réservée. Pire que tout, il existe un coffret dvd "Guillaume Canet". Avec Les Petits choirmous, cet individu a pourtant commis l'un des pires crimes cinématographiques qui soient. Un "phénomène" selon la presse, ou plutôt un monument érigé à la beaufferie, la profession de foi d'une génération maudite et éternellement salie, le manifeste d'une bande d'acteurs qui s'est insolemment installée au cœur de la maison du cinéma français, s'est essuyé les pieds sur le tapis et n'est pas près de rendre les clés, pire, qui a érigé la complaisance, l'auto-satisfaction, le mépris des autres et la lourdeur en principes.
Les Petits mouchoirs de Guillaume Canet avec François Cluzet, Gilles Lellouche, Jean Dujardin, Marion Cotillard, Pascale Arbillot, Benoît Magimel, Laurent Lafitte, Valérie Bonneton et Mathieu Chédid (2010)