Cory Richards est un beau blond. A l'âge de 29 ans, en 2011, il est devenu le premier américain à réussir l'ascension hivernale d'un sommet de plus de 8000 mètres. Autant dire qu'il ne devait pas faire chaud là-haut, d'où le titre de ce court-métrage de 20 minutes en forme de journal de bord où notre homme se demande régulièrement ce qu'il fout là et se plaint du froid. "What the fuck am I doing here ?" sont les premiers mots qu'il prononce, d'une voix étonnamment fluette, désagréable à l'oreille. Il est alors filmé en selfie, déjà, de nuit, sous sa tente North Face. Pourquoi préciser la marque de la tente ? Parce que c'est ce qu'il y a de plus net à l'image, ce qui ressort le plus, en lettres blanches fluorescentes, tandis que tout le reste est à moitié flou et plongé dans l'obscurité.
Cory Richards est sponsorisé par North Face, ce qui doit expliquer pourquoi le logo de la marque est toujours présent dans un coin du cadre. C'est qu'il y a besoin d'argent pour espérer finir dans le Guinness Book et accomplir une telle prouesse.
Cold a des allures de found footage, ces films d'horreur pour la plupart aussi laids que mauvais qui nous dépeignent, via une vidéo retrouvée sur les lieux ou un autre subterfuge, les mésaventures de jeunes crétins perdus dans une forêt hantée par une sorcière ou dans un immeuble barcelonais infesté de zombies. Sauf qu'ici tout s'est plutôt bien passé, le record est tombé, nonobstant quelques nuits passées à -40°C et une très (très) grosse frayeur. Car Cory Richards et ses deux compagnons d'infortune, un italien et un pakistanais qui sont présentés comme de purs et simples étrangers, ont miraculeusement survécu à une avalanche qui les a surpris (ce sont pourtant des choses qui arrivent) à la descente du Gasherbrum II. C'est le moment fort de ce court métrage. Et c'est carrément dingue d'avoir pu capturer de telles images. Et pourtant...
Cory Richards et son co-réalisateur Anson Fogel, celui qui a été choisi pour monter les heures de péloches ramenées d'Himalaya, se foirent alors complètement. Le nuage de neige dégringole dans un plan furtif auquel succède un cut brutal. On nous glisse alors des photos de notre héros, enfant, c'était déjà un beau bébé, et adolescent, un charme ravageur. Puis nous voyons celle que l'on devine être sa compagne, une asio-américaine, ce qui rend leur couple d'autant plus joli.
Littéralement radieuse, puisque surexposée dans un halo de lumière, elle minaude, sourit de toutes ses dents à la caméra, fixant l'objectif d'un regard tendre, amoureux, puis nous adresse un baiser. Nous sommes dans la tête de Cory Richards,
face à une plate illustration, à l'esthétique publicitaire ignoble, de ce qui est supposé défiler sous nos yeux lors de ces moments où l'on flirte avec la mort. Un moment particulièrement douloureux pour nous aussi. On se croirait devant un POV. Et un POV en pleine avalanche, j'avoue que je n'y aurai pas pensé. C'est rude.
Après l'avalanche, quand ils refont surface dans la blancheur omniprésente, ils semblent surpris de se découvrir tous les trois encore en vie. Cory Richards retourne alors rapidement la caméra vers le sujet qui l'intéresse le plus, lui-même. Il se filme en pleurs, dans un état second, difficile à définir.
On dirait qu'il surjoue, mais... c'est impossible. On ne doit pas pouvoir penser à son image pendant un moment comme celui-là, non ? Drôle de type... Au même moment, il se prend également en photo. Il pense à immortaliser cet instant, le visage grimaçant, le regard halluciné, ne se doutant pas encore que son cliché fera la une du National Geographic, lui ouvrira les portes du célèbre média américain, et fera de lui une star. Personnellement, j'ai l'impression de voir un fox terrier saisi en pleine battue dans la neige, pas vous ?
Alors oui, je le reconnais, à force de les voir greloter à l'écran, se geler les miches comme pas deux dans leurs tenues de cosmonautes, des glaçons qui pendouillent de leurs narines et une fumée de tour aéroréfrigérante de centrale nucléaire qui s'échappe d'eux à chaque expiration, on ressentirait presque un peu le froid, nous aussi. On se les caillerait presque avec eux ! Et on est frappé, il est vrai, par ces plans furtifs sur un cadavre devenu bleu-vert, momifié par le froid, gisant au pied du sommet et croisé par hasard. Mais à part ça... Cold est un film de montagne de l'ère Instagram. D'ailleurs, dernier fait d'arme en date de notre ami Cory Richards : il a voulu envoyer un snapchat sur le sommet de l'Everest. Au moment d'ouvrir l'application, son téléphone est resté sur le carreau. "C'était la plus tragique ironie de toute l'expédition", commente-t-il. Ah ça, je veux bien le croire... On a déjà l'air con quand, à 30 ans passés, on se prend en snapchat, alors j'ose même pas imaginer quand on pense à faire ça sur le toit du monde et qu'en plus notre mobile nous lâche... Bien fait !
Les meilleures biographies de Cory Richards font de lui un aventurier, un explorateur, un grand alpiniste, ce qu'il est sans doute, d'une certaine façon. Il a en tout cas trouvé sa voie en devenant un photographe, mais pas n'importe quel photographe, un photographe de l'impossible, spécialisé dans les aventures ultimes, les conditions extrêmes. Si vous avez des clichés à prendre d'une expédition périlleuse au bout du monde, il est l'homme qu'il vous faut ! Cory Richards est un self made man, avec un parcours atypique, un véritable écorché vif, qui s'est retrouvé dans la rue à 13 ans, a été alcoolo, dépressif, camé, tout ce que vous voulez. N'empêche qu'il présente bien. Quelque part entre le viking et le surfeur californien. C'est parfait pour vendre des montres et des combinaisons de ski. Pour donner des conférences sur le dépassement de soi, sur l'importance d'aller au-delà de ses limites. Bref, Cory Richards est un beau blond. Mais c'est vraiment pas mon genre, vous l'aurez compris.
Cold de Cory Richards et Anson Fogel avec Cory Richards, Simone Moro, et Denis Urubko (2011)