
L'année finit sur une déception. le dernier film de David Cronenberg présentait pourtant quelques éléments alléchants : un duo d'acteurs mâles intéressant et surtout un sujet en or, la relation conflictuelle entre Jung et Freud, et celle, "dangereuse", unissant Jung à une de ses patientes. Sujet d'autant plus prometteur que traité par un cinéaste de la chair. Cronenberg allait-il mêler ses obsessions matérielles et charnelles à des concepts psychanalytiques ? C'était toute la question. Inutile de tourner autour du pot : il ne fait rien de tout cela.

Le duo d'acteurs d'abord : même s'ils proposent quelque chose de correct et si Viggo Mortensen lâche le registre du héros taciturne et violent que lui avait jusqu'ici octroyé Cronenberg, on est déçu par la platitude des interactions entre les deux grands personnages. Interprété par un Michael Fassbender tout en moustaches, Carl Jung, bien qu'opposant résistance à Freud, apparaît comme un disciple un peu falot et hébété. Quant à Freud, c'est une caricature du célèbre psychanalyste, le cigare toujours vissé au bec, les sourcils broussailleux, la voix grave et l'air du parrain à qui on ne la fait pas. Pourtant Dieu sait qu'entre l'aura et la densité des caractères originaux et la potentielle présence des deux comédiens, il y avait de quoi remplir les plans d'une tension électrique palpable lors de chaque rencontre et de chaque conflit. Concernant Keira Knigthley, elle nous fait un festival de ganaches insupportable et assez hallucinant. Il faut la voir dans la première scène, où elle incarne certes une malade mentale, mais où elle distord son visage au-delà de l'imaginable, allongeant son menton déjà complètement pas normal et tendant ses dents du bas un mètre en avant, faisant passer la reine alien du film de James Cameron pour Miss Monde. L'actrice, ici plus maigre que jamais (si, c'est possible) et plus zarb que toute autre, confine de plus en plus au freak de cirque sans pareil. Quant à son (sur)jeu, passons...

L'intrigue se résume à une évocation vulgarisée des principaux concepts psychanalytiques et des points d'achoppement entre Jung et Freud, dont les théories sont balayées en surface par les dialogues mais ne participent d'aucun enjeu ni narratif, ni figuratif, ni cinématographique. Cronenberg se contente de nous titiller avec trois scènes récitées d'interprétations de rêves où les deux chantres de la psychanalyse se livrent à des analyses de comptoir. Il se permet aussi de jouer vite fait bien fait avec des symboles vieux comme Freud et sans impact aucun qui réduisent la profondeur des sujets abordés par les protagonistes à du menu fretin : quand les deux adversaires, anciens maître et disciple, évoquent le fait de tuer le père, Jung lance quelques pointes à Freud qui aussitôt défaille et fait une attaque... Dans une des nombreuses séquences où Jung donne la fessée à sa maîtresse pour la faire jouir, scènes éminemment physiques où on attendait Cronenberg au tournant, le cinéaste se contente de filmer la patiente, apprentie psychanalyste qui prône la destruction du Moi dans la quête du plaisir sexuel, se regardant dans le miroir... Sans parler des très nombreuses scènes sans intérêt qui rallongent ce film déjà bavard, qu'il s'agisse des lectures en voix off des lettres que s'écrivent les personnages ou des nombreuses promenades en bateau, entrecoupées des rares transes psychotiques de Knightley, sans relief ou simplement agaçantes à cause de la tronche impossible de l'actrice.

Si la relation entre Jung et Freud est platement racontée, il en est de même pour celle qui unit Jung à sa patiente, Sabina Spilrein, et qui donne son titre au film. Pourtant, là encore, c'était l'occasion d'embrayer sur les enjeux mêmes du traitement psychanalytique, notamment avec la question de la relation médecin-patient et du transfert, mais la théorie est à peine survolée et ne prend pas corps dans l'histoire. On se retrouve avec une espèce de romance dont l'enjeu principal se résume au cas de conscience du mari qui trompe sa femme avec une autre. Le sujet de la déontologie est à peine abordé, les méthodes de la psychanalyse sont vaguement questionnées voire vite évacuées, comme quand, après seulement deux minutes et trois déboîtements de façade, la patiente Spilrein déballe les moindres détails inavouables de sa névrose, bref, tout en reste à un niveau très superficiel. Pour peu qu'on s'intéresse tant soit peu à la psychanalyse le film se regarde parce qu'on est dans l'attente qu'il nous en dise un peu plus et qu'il se charge en intensité au fur et à mesure de sa progression, mais rien ne prend et on s'endort en regrettant que Cronenberg n'ait pas pris son sujet à bras-le-corps, quitte à faire un film plus compliqué et au risque de réaliser une œuvre difficile en traitant profondément et sérieusement ses questions. A l'image, on a quelque chose de propret mais on ne peut que se rendre à l'évidence : le cinéaste n'a jamais su travailler la chair de son film, il n'y a rien là-dedans, l'histoire se suit sans irriter mais dans une triste indifférence.
A Dangerous Method de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Michael Fassbender et Keira Knightley (2011)
A Dangerous Method de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Michael Fassbender et Keira Knightley (2011)