29 décembre 2015

Le Labyrinthe / Le Labyrinthe : Terre brûlée

Douze jeunes hommes en colère se réveillent au sortir d'un traou. Parmi eux, une jeune femme. De quoi égayer les soirées à la prairie des filtres. Cette prairie que surplombent les immenses murs d'un labyrinthe, d'où le titre français, très éclairant quoique différent du titre original : Wes Ball. Le film est tiré d'une saga para-littéraire pour mômes qui a fait tout un foin outre-manche, à l'image de Harry Potter et les boucliers de Quetzacoatl, de Hunger Games et les boucliers de Tecucitzecatl, ou encore Divergente et les boucliers de Popocatepetl. Et comme dans tous ces romans-fleuves pour adolescents, on retrouve ici le fameux panel de jeunes trous du cul du tiéquard, à savoir le pequenaud à lunettes, le gros lard rose bonbon à binocles, le rouquemoute fumier à monocle, la tancharde semi-aveugle à triple foyers et à triple bonnets, le chinois aux cheveux pelliculeux qui porte des lentilles de contact, et le black qui n'a aucune de sorte de problème de vue. Tout ce beau petit monde, pas malin pour un sou, doit se dépêtrer d'une situation impossible : ici, un traou (ce n'était pas une faute de frappe).


Le fameux traou dont sort le blanc-bec au début du film. Trop évidente relecture de la célèbre expression "sortir du placard"... Entouré de tout un troupeau d'adolescents aveugles et boutonneux, notre héros chope illico un gros braquo.

Le héros (un acteur physiquement désagréable, si ce n'est honteux) sort de ce fameux traou dès la première seconde du film, et se découvre entouré par tous les autres binoclards qui crèchent déjà parmi les filtres depuis des mois. Là où n'importe qui se transformerait en moulin à paroles et retrouverait ses cinq ans d'âge mental, ne cessant d'interroger tout le monde : "Qui ? Quand ? Comment ? Quoi ? Pourquoi ? D'où ? Jure ?", notre jeune enflure accepte sa nouvelle vie sans broncher, trouvant simplement ses nouveaux potes assez peu loquaces, et ne cessant par conséquent de se répéter à lui-même "Passe-moi le cendar, je te refile les corbacs..." Ce manque total de curiosité de la part du bouffon en tête d'affiche est pratique pour maintenir le suspense, mais d'une incohérence qui fait grimper la rage chez le spectateur. Une raison de plus de haïr tous ces personnages d'enfants de salauds ultra-stéréotypés et vides de tout. On décoche un premier sourire à la fin du film quand le mec tout à gauche sur l'affiche se fait enfin ratiboiser la tronche (qu'il avait déjà bien éclatée de base).


Complètement ignorée par tous les mâles qui l'entourent (le virus ne les a pas transformés en zombis mais tout de même en vieux moines zens et eunuques), la seule fille de la bande finira par les [Spoiler]trahir[Spoiler].

Dans le deuxième film, rebelote. Tous les défauts sont de retour. Les producteurs et le réalisateur, Maze Runner, ont misé sur le vieillissement de leur public en faisant de leur film de SF un zombie flick soft. Au-delà du labyrinthe, une horde de zombacs a envahi le monde suite à un virus d'origine inconnue. Et la bande des têtes brûlées, recherchée par les autorités car immunisée contre le fléau, fout les voiles dans la nature à la recherche d'une nouvelle place de la daurade où couler de beaux jours. Seul passage du film un peu étonnant, qui sort des sentiers rebattus, cette scène, au début, où le héros prend une douche après avoir mangé un kebab et découvre qu'il a ses règles. Ceci étant dit, grâce à un rythme soutenu, le téléspectateur traverse le film comme une goule assoiffée. De belles images servent cette suite, allaitante et lovelace. Hypermarché.


Le Labyrinthe / Le Labyrinthe : Terre brûlée de Maze Runner avec Dylan O'Brien et Kaya Scoladerio (2014/2015)

25 décembre 2015

Les 101 dalmatiens

En ce jour de Joël (que nous vous souhaitons noyeux ! - logiquement cette première phrase vient de vous flinguer la fête), M6, la chaîne de télévision, qui ma foi existe encore, a décidé de diffuser le remake live des 101 dalmatiens de Walt Disney, réalisé en 1996 par Stephen Herek, deuxième du nom, le fils (Herek's son). Ce film, c'était le "grand come-back" de Glenn Close, au même titre que tous les films tournés par Glenn Close, actrice au parcours chaotique qui, disparaissant des salles de cinéma entre chaque film tourné, n'a cessé de "revenir" à l'écran. Glenn Close incarne ici Cruella d'Enfer, une stricte ordure humaine qui ne songe qu'à une chose : désosser 101 petits clébards innocents tachetés de black pour s'en faire un pur blouson. Glenn Close porte le film, il faut bien le dire, sur ses épaules (voir l'affiche), malgré la présence du plus fringuant Jeff Daniels au casting. Capable de déformer sa tronche dans tous les sens, plus qu'aucun animatronics ou autre dessin à main levée, l'actrice a décidé que c'était le moment ou jamais de cabotiner. Résultat électrifiant.


Sur le plateau, en bleu de travail, Glenn Close, interviewée pour les besoins du making-of par le patron de Diaphana, Mouss Diouphana, répond à la question : "Pourquoi ce film ?" en exhibant son chèque de paie. La même honnêteté, et la même longévité, qu'Harrison Ford, qui invoquait les mêmes arguments tout récemment pour expliquer son retour dans la saga Star Wars.

Je suis triste cependant, en ce jour de réveillon, car M6 a décidé de diffuser la version grand public montée par les studios Disney. Je vous recommande de tout cœur le DVD du film aux éditions Diaphana, dont les bonus soumettent à notre curiosité les deux autres versions de la fin du film, signées de A à Z par Stephen Herek : l'une ultra positive, l'autre ultra négative. La première est une variante d'une séquence bel et bien présente mais fort édulcorée dans le film tel qu'il a été diffusé aujourd'hui sur la sixième chienne, qui se situe juste avant le moment où les deux sbires de Cruella, Horace et Jaspert (ce dernier incarné par un Hugh Laurie loin de s'imaginer qu'il deviendrait bientôt un sex symbol), se font rôtir les burnes sur une clôture électrique. Dans la mouture originale de cette scène, prévue pour conclure le film, les gentils (les dalmatiens et Jeff Daniels, qui deux ans plus tôt était déjà toiletteur pour chiens dans Dumb and Dumber, chef-d’œuvre des frères Farrelly sur le point, d'après mes sources, de détrôner Vertigo en tête du palmarès du célèbre British Film Institute), gagnent, haut la main, large. C'est même un over happy end puisque le film se clôture sur une scène hilarante où Cruella d'Enfer, après avoir reçu coups de sabots sur targeons d'ailes de poulets dans la gueule au sein de la ferme où elle cherche les dalmatiens (le règne animal s'étant coalisé pour lui foutre la rouste), subit in fine les assauts déments du gros porc concupiscent dont elle a tiré le berlingot, malencontreusement confondu à travers un tas de paille avec la queue d'un des clébards traqués. Glenn Close est plus que jamais survoltée dans ces quelques minutes de cinéma underground où un goret enragé, le cousin dégénéré de Babe, crédité au générique de fin comme "Zgeg le cochon devenu acteur porno", la lui fait à l'envers sous les yeux ébahis de tous les bestiaux de la ferme. 


Jolie scène où Jeff Daniels joue à Earthworm Jim PC sous le regard bienveillant de son dalmatien, Davy Croquette.

Dans la deuxième fin alternative, c'est au contraire Cruella qui marque les trois points. Rien de visuellement traumatisant ni de gore dans cette version-là. A condition toutefois de ne pas du tout aimer les animaux. En effet, Cruella finit ici par mettre la main sur chacun des 101 chiots des quais (elle n'en loupe pas un), et les dépèce un à un sous l'objectif un brin complaisant de Stephen Herek, avant de les coudre tête-bêche, pour finir reine du défilé, pavoisant sur le podium avec son manteau de poils ras, toute de chiens morts vêtue. Gênant. Peut-être vous dites-vous que, tout compte fait, la version plus connue du film est encore la plus adaptée à un public enfantin. Certes, mais c'est faire fi de la cruauté inhérente aux contes merveilleux, et fermer les yeux sur l'audace délirante d'un authentique jobard du cinéma en la personne de Stephen Herek, fan incorrigible du cinéaste belge Jean-Louis Le Tacon, comme le prouvent ces deux fins originales qui réunissent l'amour du porc et la fascination pour le massacre animal qui font la richesse de Cochon qui s'en dédit, documentaire tétanisant s'il en est. Mais soit. Je peux comprendre. Chacun son délire. Et pour ceux qui veulent se perdre parmi les dalmatiens en ce 25 décembre, bouffer 250 minutes de ienchs et faire des rêves en noir et blanc jusqu'au nouvel an, le film est suivi des 102 dalmatiens, avec notre Gérard Depardieu national dans le rôle de Cruella d'Enfer. Exit Glenn Close. Cruella recherche cette fois-ci un clebs de plus, le cent-deuxième du titre, pour compléter sa tenue et agrémenter le manteau de ses rêves d'un slip XXL.


Les 101 dalmatiens de Stephen Herek avec Glenn Close, Jeff Daniels et Hugh Laurie (1996)

20 décembre 2015

Mustang

D'abord le titre. Quand on entend Mustang on pense tout de suite à la fameuse marque de guitare. Puis on se souvient que tout le monde n'est pas aussi pointu que nous en matière de zique, et que l'association la plus commune dans la majorité des cerveaux humains est sans doute celle avec le fameux cheval du même nom. Devant le film, on se dit "Non, cela doit être plus malin que cela". Peut-être qu'une Ford Mustang va heurter tout le casting d'un seul coup (un strike) et justifier le titre ? Eh bien non, nous n'aurons pas cette chance. Le titre du film est bel et bien une référence quasi directe au cheval. Quasi si on retire l'aspect guitare, auquel on pense évidemment en premier. Ce groupe de filles, cette sororité visible sur l'affiche (ÉQUIVOQUE !...), toujours filmée en plan large, cheveux au vent, toute entière contenue dans le cadre, pendant les quinze premières minutes, est bel et bien associée à un troupeau de chevals. 




Ce film sur la condition des femmes en Turquie associe donc la femme à un cheval. Nous, ça nous gêne. Apparemment c'est passé, comme une lettre à la poste, puisque le film a été salué unanimement (à l'exclusion de tous ceux qui ont un peu de goût et de jugeote). Ce film franco-turc-allemand a été le candidat pressenti pour le si désiré Oscar du Meilleur Film Étranger de ces trois pays. Les Turcs ont finalement cherché deux secondes et trouvé un meilleur film dans leur cheptel. Les Allemands n'étaient pas intéressés outre-mesure. Et ce sont donc ces cons de français qui ont choisi de le proposer pour la statuette en marbre. Quelle belle destinée pour ce film apatride. Avouons-le tout net, c'est une bestiole à Oscars. Sujet grave, sujet lourd. Traité avec gravité, traité avec lourdeur. Des jeunes actrices accessibles, impliquées, formant une belle fratrie. Trois idées de mise en scène qui se foutent la race (dont celle des chevaux). Bref, toutes les cases sont cochées pour être un prétendant sérieux aux Césars, aux Oscar, dans toutes ces cérémonies de merde.




Un passage du film nous a gênés. Et ici nous nous mettons en mode Rivette qui assassine Truman Kapot dans l'un des épisodes les plus sanguinolents de la critique française. Contexte : deux jeunes filles vont faire des courses à Auchan avec leur paternel et l'une des deux filles (qui a 16 ans et ne rêve que d'une chose, qui peut mesurer une vingtaine de centimètres quand on a de la chance et qu'on a du sang sub-tropical) décide de rester dans la bagnole. Sur le parking rôde un clodo torse poil, taillé comme CR9 (Il Phénoméno, double-ballon d'or, double vainqueur de la coupe du monde, nemesis et meilleur ami de Zizou, amateur de hot-dogs). La jeune fille rameute le jeune clodo en lui montrant qu'elle ne porte pas de sous-vêtements et que les préliminaires seront inutiles pour que le passage soit doux, agréable, optimal. Ni une ni deux, la petite sœur fout le camp et laisse l'arrière du van aux exploits de son aînée. La caméra hypocrite de Deniz Gamze suit alors la gamine dans son errance sur le parking et un suspense s'instaure quant à savoir si le papa va débouler le caddy plein à craquer avant que le coït soit fini et promettre ainsi à sa progéniture une raclée du tonnerre. Quand le père se ramène, la caméra le suit jusqu'à l'ouverture de la porte du van. Point culminant du suspense puisque nous ne savons pas si le clodo a fait son affaire et pu s'en aller discrètement. Aucun indice ne nous a été donné. Pour un film qui s'indigne de la condition des femmes, qui veut pointer du doigt leur statut de femmes-objets impuissantes subissant le diktat d'une société rétrograde et patriarcale, il est d'assez mauvais goût, nous semble-t-il, après avoir associé les femmes à un haras, d'instaurer un suspense aussi facile, forçant le spectateur à espérer le pire. Moyen moyen Deniz Bergkampz...


Mustang de Deniz Gamze Ergüven avec Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu (2015)

15 décembre 2015

American Ultra

Qu'ont-ils voulu faire ? Mais qu'ont-ils voulu faire ? C'est la question qu'on se pose pendant les vingt premières minutes, avant de baisser les armes et de laisser le film mourir en silence, seulement accrochés de temps à autres par la silhouette de Kristen Stewart. Déjà, nous, on s'attendait plutôt à une comédie du genre Apatow. Donc on s'attendait à rire. Puis une illumination nous a fait comprendre qu'il s'agissait d'un stoner movie. Un de ces films qui misent tout sur l'état de défonce avancé de sa poignée de spectateurs. Il faut à tout prix voir ça complètement foncedé. Or, nous étions clean, propres comme un sou neuf, lucides, pas un gramme de substance pathogène dans notre sang, seulement des tas de Cheerios pour remplacer nos globules blancs (déficience en fer oblige). Cet état de salubrité publique nous a amenés à être extrêmement choqués durant ces scènes d'action très nombreuses qui se veulent extrêmement violentes et sanglantes. Pourquoi ? S'agit-il là encore d'un spectacle susceptible de faire triper des gens déjà bien entamés ? Nous n'avons pas compris. Voir un crâne s'éclater contre un mur et de grosses gerbes de sang fuser de tous côtés ne nous fait pas rire, ni d'Eve ni d'Adam. Ultime remarque : c'est environ la quatrième collaboration en date de Jesse Eisenberg et Kristen Stewart, deux acteurs que l'on a connus plus inspirés dans leurs choix de carrière. Que s'imaginent-ils ? Peut-être croient-ils former l'équivalent contemporain de Bogart/Chazal... Ce n'est pas le cas ! Grosse, grosse, grosse incompréhension sur ce film.




American Ultra de Nima Nourizadeh avec Jesse Eisenberg et Kristen Stewart (2015)

6 décembre 2015

Slow West

S'il ne dure que 80 minutes, Slow West, premier long métrage de John Maclean, porte toutefois bien son titre car c'est sur un rythme particulièrement tranquille que nous traversons les paysages magnifiques de la Nouvelle-Zélande, faisant office de Far West, aux côtés des deux protagonistes qu'il met en scène. Le premier, Jay (Kodi Smit-McPhee), est un jeune homme venu d’Écosse, parti en Amérique pour retrouver son grand amour. Le second, Silas (Michael Fassbender), est un vieux loup solitaire imperturbable, qui prend le garçon sous son aile et dont on découvre progressivement les réelles motivations. Le scénario, également signé Maclean, est d'une simplicité absolue et c'est ici une qualité. De courts flashbacks nous révèlent progressivement les liens qui unissaient notre jeune et frêle héros à sa dulcinée, et la raison du départ précipité de celle-ci, accompagnée de son père, vers l'Amérique. Des chasseurs de primes, menés par une tronche désormais familière, Ben Mendelsohn (croisé dans Animal Kingdom, Lost River, Prédictions...), viendront traquer, à distance, notre duo.




On craint un peu, durant les premières minutes du film, d'avoir affaire à la première œuvre d'un débutant appliqué, soigneux, prenant vraisemblablement beaucoup de plaisir à réaliser son petit western, quitte à oublier le notre et à se regarder faire. Mais progressivement, cette assez désagréable impression se dissipe quasi totalement et nous finissons par cerner les humbles et nobles ambitions de John Maclean. Salué au festival de Sundance, l'apprenti réalisateur réussit haut la main sa curieuse reconversion après avoir commencé sa carrière dans la musique, comme membre fondateur du groupe écossais The Beta Band.




La Nouvelle-Zélande, au potentiel cinégénique bien connu, est très joliment filmée et passe sans problème pour cet Ouest américain dont le cinéaste a pris plaisir à s'accaparer tous les codes. Nos deux hommes parcourent des décors sublimes et semblent toujours passer un peu après qu'un drame historique s'y soit déroulée. Les indiens sont déjà des fantômes que l'on a pratiquement tous chassés, des ombres que l'on devine à peine, des silhouettes courant à travers des forêts riches en légendes. Au début du film, notre jeune héros, d'abord perdu dans une épaisse fumée blanche et peu à peu recouvert d'une poudre grisâtre à l'origine inconnue, finit par sillonner les restes d'un camp indien réduit en cendres, lors d'une scène captivante, à l'ambiance funèbre et flottante très réussie.




Très vite, le jeune Jay devra se familiariser avec les dures lois de l'Ouest que son protecteur Silas connaît par cœur. Michael Fassbender apporte tout son charisme et sa présence physique à ce personnage de chasseur de primes endurci dont le passé et l'histoire personnelle n'ont guère besoin d'être vraiment étoffés pour exister à l'écran. Après ça, on aimerait drôlement revoir Michael Fassbender dans un western ! Rien à reprocher non plus à la prestation de l'australien Kodi Smit-McPhee, dont les traits et le regard lunaire siéent parfaitement à ce personnage romantique, seulement guidé par l'espoir de retrouver l'être aimé.




Les rencontres sont rares mais toujours marquantes. Jay croisera la route d'un personnage étonnant, un allemand plongé dans la rédaction d'une étude sur la disparition de la culture indienne, partageant son accent, son prénom et son attitude de documentariste passionné et humaniste avec le grand cinéaste teuton, Werner Herzog. Avec ce très joli clin d’œil, John Maclean ne pouvait que m'apparaître encore plus sympathique ! Les échanges de coups de feu sont toujours très brefs, souvent fatals ; John Maclean ne fait preuve d'aucune fascination pour la violence, bien au contraire. Le froid inventaire final des cadavres tombés durant le film laisse même une drôle d'impression quant à la futilité de toutes ces morts. Le dernier quart d'heure nous réserve une longue fusillade dont la conclusion, particulièrement cruelle, ne rend que plus remarquable ce personnage de jeune garçon obnubilé par sa quête amoureuse et installe définitivement Slow West parmi les belles petites découvertes cinématographiques de l'année.


Slow West de John Maclean avec Kodi Smit-McPhee, Michael Fassbender, Ben Mendelsohn et Caren Pistorius (2015)

3 décembre 2015

Crime in the Streets

Ce film oublié de Don Siegel mérite que l’on y revienne. Ne vous fiez pas à l’affiche, intégralement mensongère. Elle représente une scène que vous ne verrez jamais dans le film, et la phrase d’accroche (« How can you tell them to be good when their girl friends like them better when they’re bad !… ») est non seulement stupide mais littéralement contraire à tout ce que montre et dit Don Siegel. Prévenons d’emblée les fans de l’inspecteur Harry, nous sommes ici aux antipodes de la série menée par un Eastwood grinçant qui contourne les lois pour faire régner la sienne. Pour situer un peu, l’ouverture du film (qui date de 1956), préfigure celle de West Side Story (tourné cinq ans plus tard). On y voit deux bandes de jeunes qui s’affrontent dans une rue déserte à coups de bâtons et de couteaux. L’une de ces bandes est menée par John Cassavetes, qui tient le premier rôle du film. La façon dont les mauvais garçons prennent possession des lieux en sautant silencieusement par-dessus un mur, leur progression dans la rue vers la troupe ennemie, filmée via une série de gros plans sur leurs mains armées (ils battent le rythme avec leurs armes comme les Jets claqueront des doigts), et le départ soudain d’un air de jazz quand le premier coup est donné, laissent penser que Robert Wise et Jerome Robbins ont pu apprécier le film à sa sortie et s’en souvenir au moment de mettre en boîte la première séquence de leur comédie musicale.





Mais très vite le film s’éloigne de toute fresque chorégraphique entre troupes d’adolescents belliqueux pour réduire son décor à une rue, puis, peu à peu, à une seule impasse, qui s'enfonce perpendiculairement à la rue et au plan du décor, digne de celle qui sert de décor principal à The Set-Up (sinon en termes de temps passé, du moins en matière d’impact sur la mémoire du spectateur), autre film, cette fois antérieur (1949), signé Robert Wise, qui peut-être inspira, en premier, Don Siegel. La belle scène d’introduction, avec sa guerre des gangs sans préambule, n’était qu’un prétexte : après la bataille, la bande menée par le jeune Frankie Dane (Cassavetes) se défoule sur un prisonnier de guerre dans la fameuse impasse, mais un voisin les surprend et va prévenir la police, qui débarque chez l’un des coupables et le conduit en prison. Pour se venger, Frankie, meneur d’hommes enragé, décide de tuer le délateur, avec la complicité de deux de ses complices, Lou (Mark Rydell), grand échalas rieur, et Angelo « Baby » Gioia (Sal Mineo), l’éternel Platon poupain de La Fureur de vivre.





Et non seulement le film ne fera pas le récit d’un conflit ouvert entre deux groupes de jeunes gens désœuvrés et violents, mais il ne sera pas non plus, ou pas vraiment, le film noir qu’il annonce ensuite. Resserré sur une quasi unité de temps et de lieu, basé sur de nombreux dialogues sur fond de jazz angoissé, parfois proche en cela de l'ambiance commune à ces quelques films basés sur les pièces de Tennessee Williams (Un Tramway nommé désir, Soudain l'été dernier, La nuit de l'iguane, ...), Crime in The Streets se focalise sur un personnage, celui de Frankie. Le jeune et fringuant John Cassavetes est à la limite de jouer à côté tout au long du film (à quel point notre connaissance de sa vraie personnalité fait-elle inconsciemment blocage quand on le voit interpréter un gamin mutique et plein de haine ?), sauf que ce jeu, que l'on pourrait qualifier, en étant vache, d’inconfortable, sert à merveille son personnage de jeune homme à part, déconnecté des autres, prisonnier d’une seule attitude et d’un seul sentiment (sa colère et sa soif de vengeance). Un peu d’ailleurs comme dans Rosemary’s Baby, où Cassavetes, qui joue moins pour Polanski que pour financer la pénible production, longue de quatre ans, du génial Faces, semble toujours avoir la tête ailleurs, posture idéale pour interpréter un soi-disant mari modèle, acteur à la vie comme à la scène, prêt sous de faux airs bien sympathiques à vendre sa femme et son fils à des voisins diaboliques.




Siegel fait le portrait d’un jeune type abandonné par un père violent, qui a grandi dans une piaule minable, n’a vu sa mère que par intermittences avant et après des journées de travail exténuantes, et que la naissance d’un petit frère né d’un autre père a contribué à refermer sur lui-même, dans un refus d’être aimé ou seulement effleuré, et une volonté d’en découdre coûte que coûte, au moindre prétexte. Le film ne dit donc rien d’exceptionnel, mais il le dit avec intelligence. Notamment dans un beau dialogue qui oppose Ben Wagner (James Whitmore), un éducateur de rue (Whitmore aura en quelque sorte joué son propre contrechamp presque 40 ans plus tard dans Les Évadés - souvenez-vous, le petit vieux, gérant de la bibliothèque, qui finit par sortir de taule et se crucifie aux poutres de sa chambre d'hôtel), au père barman du petit Angelo, qui ne comprend pas que son fils s’encanaille avec des brutes et ne voit plus qu’une solution pour l’en empêcher : lui taper dessus. Les mots prononcés par James Whitmore sont bien pesés (Reginald Rose, auteur du script, a aussi écrit celui de 12 hommes en colère, et on ne peut guère s’en étonner), ils font du bien à entendre, rappelant l’absurdité de systématiquement envoyer les très jeunes en prison, lieu idéal du repli sur soi et de la propulsion accélérée dans une spirale de violence, mais surtout l’importance de parler, plus difficile mais indispensable, d’écouter la jeunesse en colère. Siegel filme son dialogue très simplement, avec juste ce qu’il faut de mise en scène pour le mettre comme en relief sans l'écraser : en gros plans, poussés contre les bords du cadre, les visages des deux personnages sont tournés l'un vers l’autre, quitte à buter contre le cadre et contre un interlocuteur qui ne l'est pas moins, buté. Ils se parlent et s’écoutent, au risque de cogner "la tête dans le mur", pour reprendre une expression utilisée un peu plus tard par l’éducateur dans un autre discours tenu cette fois-ci directement au premier intéressé, le fameux Frankie, celui dont le repaire est une impasse.





L’une des forces du film est de constamment rappeler qu’un seul soutien ne suffit pas. Le beau discours que l’éducateur tient à Frankie n’est pas suffisant : Frankie ne répond pas et rentre chez lui, toujours décidé à s’en prendre au mouchard qui habite au-dessus. Le regard porté par la charmante jeune fille du quartier sur Frankie, perché sur son petit balcon métallique (autre écho par anticipation à West Side Story, mais doublement inversé puisque c'est le garçon qui est au balcon et que la tentative amoureuse est niée d'emblée) ne change rien non plus (contrairement à ce que l’affiche veut vendre...). Il faudra oser jeter un regard ou tendre l'oreille vers cette jeunesse (c'est ce que montrent les deux plans tout en profondeur de champ dont j'ai réuni les photogrammes plus haut, où le voisin surprend les violences des petites frappes dans l'impasse et où le frère entend l'élaboration du plan meurtrier de ses aînés), puis oser parler enfin, et si la police se contente d'enfermer, alors se tourner vers de mieux intentionnés qui feront l'effort d'écouter et de parler, à leur tour, aux premiers concernés. Il faudra tout ça mais plus encore, et pas qu’une fois, un soutien répété de chacun. Quitte à ce que le résultat ne vienne qu’au prix d’une véritable mise en danger, et c’est le soutien peut-être le plus essentiel, un proche, le petit frère, qui s'y colle. Mais même après tout cela, quand le problème semble réglé, Frankie a encore la tentation de fuir, de se dérober, de s'en retourner seul, et il faut un énième bras tendu de l’éducateur pour le rattraper in extremis : pas d’épiphanie miraculeuse, pas de retournement définitif. Le film fait le détail d’un travail pénible, constant, d’une attention permanente, d’efforts sans relâche, répétés, pour que quelque chose tienne ce gamin, et il le fait avec une simplicité désarmante.




Voici un film qu’il est réconfortant de découvrir ou de revoir par les temps qui courent. Nous avons réagi de façon brusque et triviale aux attentats du 7 janvier par un bref édito qui n’exprimait pas beaucoup plus qu’un profond dégoût pour ce qui venait de se passer, citant les mots de Warren Oates à défaut d’autres. Nous savions pertinemment que ce n’était pas la réponse la plus intelligente que nous pouvions apporter mais nous avons voulu opposer des mots et des images (une réplique cinglante et le visage fermé, sombre, hébété, de Warren Oates) à un événement dont les rares images, elles aussi agrémentées de répliques voulues définitives, constituaient pour nous et pour chacun une terrible agression, quitte à le faire dans la précipitation. En vérité, les candidats à la fameuse shit list sont beaucoup plus nombreux que ça, et se sont empressés de pointer le bout de leur nez depuis le 7 janvier, et de nouveau depuis le 13 novembre. Et c’est dans ce contexte, où l’on juge et condamne à tour de bras, où l’on envoie des enfants au commissariat, où d'autres sont condamnés à six mois de prison ferme pour avoir tagué une croix gammée, où l'on perquisitionne au petit bonheur la chance, assigne à résidence à l'emporte-pièce, garde-à-vue sur commande, où l'on parle de recruter 5000 policiers et passe sous silence l'éducation, où les médias les plus voyants et les plus bruyants se repaissent de tout cela en charognards, qu’il est bon de découvrir ou de revoir Crime in the Streets.


Crime in the Streets de Don Siegel avec John Cassavetes, Sal Mineo, Mark Rydell et James Whitmore (1956)