On connaît tous cette histoire grâce au film culte de David Cronenberg. Un brillant scientifique met au point une machine servant à la téléportation. Lors d'un essai, une mouche tape l'incruste et ce qui devait s'imposer comme la plus belle invention de l'homme depuis la roue vire au fiasco complet. C'est à l'écrivain et agent secret français George Langelaan que l'on doit cette chic idée qui a donc fait l'objet de deux adaptations cinématographiques à succès. J'ai tardivement découvert la première, sortie en 1958 et réalisée par un tâcheron notoire en la personne de Kurt Neumann, réintitulée par chez nous La Mouche noire. Si ce premier film n'atteint jamais l'intensité dramaturgique de celui de Cronenberg et scotchera forcément moins le spectateur à son fauteuil, il vaut tout de même largement le coup d’œil et constitue peut-être un jalon dans le cinéma fantastique et de science fiction. Il nous propose en effet un traitement adulte de cette histoire pourtant, ma foi, assez rocambolesque. Nous sommes à la fin des fifties et l'on s'éloigne des châteaux gothiques, des décors anciens ou futuristes, des monstres géants ou des soucoupes volantes pour découvrir la maison très banale d'une petite famille qui l'est tout autant avec, en son sous-sol, le laboratoire d'un scientifique qui n'est guère un savant fou excentrique mais un père bien trop absorbé par sa tâche. Ainsi, mine de rien, le film de Neumann atteste d'une approche assez nouvelle pour l'époque, avec la mise en place d'un environnement des plus familiers et la recherche d'un certain réalisme, une démarche qui fait très bon ménage avec le charme suranné propre au cinéma de SF des années 50. En outre, le personnage le plus important et le plus fort du lot est une femme, l'épouse du scientifique campée avec conviction par Patricia Owens, un fait assez rare, me semble-t-il, à cette période.
Quand on voit ce film aujourd'hui, on est aussi très agréablement surpris par la manière délicate avec laquelle nous est progressivement amenée cette drôle d'histoire. La première scène intrigue immédiatement puisque l'on arrive d'emblée sur les lieux de ce qui ressemble à un crime sordide : lors de sa ronde, le veilleur de nuit d'une usine voit une femme prendre la fuite devant un corps écrasé par une énorme presse hydraulique. Bizarre bizarre... Suite à cela, il y a bien une demi heure d'exposition très plaisante avant que l'on entre pour de bon dans le vif du sujet. Durant cette première partie, on comprend notamment les liens qui unissent les différents personnages et donc tous les enjeux du scénario, présentés avec une clarté, une efficacité et une simplicité admirables. Le beau-frère d'une femme éplorée (la pauvre, elle vient d'aider son mari à moitié transformé en mouche à se donner la mort !) arrive à son chevet pour écouter son témoignage aux côtés d'un inspecteur qui devra juger de l'authenticité et de la crédibilité de son récit. Ce beau-frère, au rôle finalement très passif (jusqu'au final où il agit, un peu par hasard, en véritable héros), est incarné par Vincent Price, un acteur mythique du cinéma d'horreur, au flegme imperturbale et à la voix reconnaissable entre mille, que l'on est toujours heureux de retrouver. De par sa bienveillance infaillible et sa diligence extrême à l'égard de sa belle-sœur devenue veuve, on comprend qu'il éprouve pour elle des sentiments amoureux jusque-là contenus, il fera donc tout son possible pour l'aider. Le cœur du film, c'est-à-dire le récit des événements passés, raconté du point de vue de l'épouse du scientifique, prend donc la forme d'un long flashback, dans lequel nous rentrons avec volupté.
Quand on voit ce film aujourd'hui, on est aussi très agréablement surpris par la manière délicate avec laquelle nous est progressivement amenée cette drôle d'histoire. La première scène intrigue immédiatement puisque l'on arrive d'emblée sur les lieux de ce qui ressemble à un crime sordide : lors de sa ronde, le veilleur de nuit d'une usine voit une femme prendre la fuite devant un corps écrasé par une énorme presse hydraulique. Bizarre bizarre... Suite à cela, il y a bien une demi heure d'exposition très plaisante avant que l'on entre pour de bon dans le vif du sujet. Durant cette première partie, on comprend notamment les liens qui unissent les différents personnages et donc tous les enjeux du scénario, présentés avec une clarté, une efficacité et une simplicité admirables. Le beau-frère d'une femme éplorée (la pauvre, elle vient d'aider son mari à moitié transformé en mouche à se donner la mort !) arrive à son chevet pour écouter son témoignage aux côtés d'un inspecteur qui devra juger de l'authenticité et de la crédibilité de son récit. Ce beau-frère, au rôle finalement très passif (jusqu'au final où il agit, un peu par hasard, en véritable héros), est incarné par Vincent Price, un acteur mythique du cinéma d'horreur, au flegme imperturbale et à la voix reconnaissable entre mille, que l'on est toujours heureux de retrouver. De par sa bienveillance infaillible et sa diligence extrême à l'égard de sa belle-sœur devenue veuve, on comprend qu'il éprouve pour elle des sentiments amoureux jusque-là contenus, il fera donc tout son possible pour l'aider. Le cœur du film, c'est-à-dire le récit des événements passés, raconté du point de vue de l'épouse du scientifique, prend donc la forme d'un long flashback, dans lequel nous rentrons avec volupté.
Au-delà de sa construction si patiente et intelligente, La Mouche noire réserve aussi quelques belles idées qui font encore et toujours leur petit effet. A la différence de David Cronenberg, dont la démarche est à rapprocher de celle également adoptée par John Carpenter pour cet autre remake-supérieur-à-l'original qui a marqué le cinéma d'horreur des années 80 et au-delà (à savoir, The Thing), Kurt Neumann mise pratiquement tout sur la suggestion. Notre scientifique passe presque tout le film le visage dissimulé derrière un drap noir et la main rangée dans la poche de son ample blouse. Les bruits de succion répugnants qu'il émet lorsqu'il dévore le contenu des plateaux repas que lui descend sa femme nous laissent imaginer son triste état. L'une des meilleures scènes est celle de la téléportation du chat : pas encore tout à fait au point, la machine fait tout simplement disparaître l'animal, volatilisé dans les limbes ou une dimension parallèle, nous ne pouvons que le supposer, puisque nous n'en entendons plus que des miaulements lointains qui ne manquent pas de nous glacer le sang... Là encore, par un simple motif sonore, Neumann parvient à susciter bien plus d'effroi que par n'importe quelle image choquante ou autre effet. On apprécie aussi cette unique image qui épouse la vue subjective, et donc kaléidoscopique, du savant : celui-ci regarde, impuissant, son épouse démultipliée pousser un cri d'horreur à la vue de sa tête de mouche, enfin révélée au spectateur par le contrechamp qui suit ce fort bel effet.
Les différences avec le remake de Cronenberg sont légion et il serait fastidieux et inutile d'en faire l'énumération. L'une des principales est que la mouche et le scientifique ne fusionnent pas mais se mélangent et continuent à vivre séparément, collant ainsi de plus près à la nouvelle de Langelaan. Nous passons donc une bonne partie du film à la recherche d'une fameuse mouche à tête blanche, que le gamin aurait aperçue plus d'une fois dans la maison et en-dehors, et qui pourrait peut-être permettre à son papa de retrouver son état normal. Vain espoir... Si je parle de cette différence avec La Mouche de 1986, c'est parce qu'elle aboutit au point culminant dans l'horreur et la cruauté atteinte en 1958. Je fais évidemment allusion à la toute fin et à cette pure vision de cauchemar où nous découvrons une mouche à tête d'homme, captive d'une toile d'araignée et sur le point d'être dévorée, émettant des cris stridents et pitoyables mais à peine audibles, implorant pour qu'on lui vienne en aide. Ça fait froid dans le dos ! La Mouche noire se termine, si l'on peut dire, en beauté et fait bel et bien partie de ces véritables pépites du cinéma de SF des années 50, à même de procurer un plaisir sans équivalent aux amateurs du genre.
Les différences avec le remake de Cronenberg sont légion et il serait fastidieux et inutile d'en faire l'énumération. L'une des principales est que la mouche et le scientifique ne fusionnent pas mais se mélangent et continuent à vivre séparément, collant ainsi de plus près à la nouvelle de Langelaan. Nous passons donc une bonne partie du film à la recherche d'une fameuse mouche à tête blanche, que le gamin aurait aperçue plus d'une fois dans la maison et en-dehors, et qui pourrait peut-être permettre à son papa de retrouver son état normal. Vain espoir... Si je parle de cette différence avec La Mouche de 1986, c'est parce qu'elle aboutit au point culminant dans l'horreur et la cruauté atteinte en 1958. Je fais évidemment allusion à la toute fin et à cette pure vision de cauchemar où nous découvrons une mouche à tête d'homme, captive d'une toile d'araignée et sur le point d'être dévorée, émettant des cris stridents et pitoyables mais à peine audibles, implorant pour qu'on lui vienne en aide. Ça fait froid dans le dos ! La Mouche noire se termine, si l'on peut dire, en beauté et fait bel et bien partie de ces véritables pépites du cinéma de SF des années 50, à même de procurer un plaisir sans équivalent aux amateurs du genre.
La Mouche noire (The Fly) de Kurt Neumann avec Patricia Owens, Vincent Price, David Hedison et Herbert Marshall (1958)