Audrey Rose est peut-être loin d'être le film le plus recommandable de la si longue et hétéroclite filmographie de Robert Wise mais il est, à coup sûr, l'un des plus étranges. Il ne s'agit pas non plus d'une pépite oubliée du cinéma fantastique des années 70 et, à sa sortie, il semble avoir souffert d'être dans l'ombre de L'Exorciste, ce qui est somme toute logique, même si les deux films ont finalement très peu à voir. Découvert aujourd'hui, et sorti de ce contexte défavorable, Audrey Rose est pourtant une vraie curiosité qui mérite amplement le détour. Après s'être essayé à pratiquement tous les domaines, Bob Wise signe ici une œuvre apparaissant longtemps inclassable, naviguant et hésitant entre les genres, prenant des bifurcations inattendues, et dont il faut attendre la dernière scène pour être fixé et la ranger définitivement dans la catégorie du drame familial qui tache et cloue même sur place par la franchise de son fin mot.
Audrey Rose est constitué de deux parties bien distinctes. La première, plus conventionnelle, est illuminée par le talent d'Anthony Hopkins, un acteur dont je n'ai guère l'habitude de dire beaucoup de bien, mais qui est ici irréprochable dans un rôle pourtant compliqué. Nous devons en effet absolument croire en ce père en détresse, persuadé d'avoir trouvé en la petite Ivy, une new-yorkaise de 11 ans, la réincarnation de sa fille, Audrey Rose, décédée dans un tragique accident de voiture (scène d'ouverture glaçante). La précision du jeu de l'acteur, conjuguée à la maîtrise du cinéaste, nous permettent d'accepter ce scénario qui aurait pu, entre d'autres mains, aboutir à un insupportable mélo hollywoodien. Bien qu'il soit difficile à cerner, il se dégage du film une sincérité rare qui maintient alerte et finit par emporter l'adhésion. Audrey Rose est portée par la conviction sans faille d'un cinéaste bien décidé à donner vie au scénario étonnant écrit par Frank De Felitta, fidèlement adapté de son propre livre et de son vécu personnel.
Dans cette première partie, les scènes de crise, où la pauvre gamine revit en cauchemar la mort de son ancêtre, s'enchaînent et s'avèrent toutes assez efficaces, surtout la première, alors que le ridicule tend à chaque fois les bras au réalisateur. C'est dans ces moments-là que l'on reconnaît le savoir-faire de Robert Wise et que l'on peut également penser au classique de William Friedkin sorti 4 ans plus tôt. Cette fillette de bonne famille, s'agitant sur son lit en proie à des souffrances inconsolables et bientôt appelée à subir quelques tests pour déterminer l'origine de son mal (surtout une longue séance d'hypnose, qui clôt quasiment le film, et donne lieu à une scène tendue et très réussie), rappelle inévitablement la petite Reagan possédée. Mais Robert Wise parvient néanmoins à maintenir ses distances et la relation entre les deux films est en réalité très mince et ponctuelle, presque accidentelle. En outre, jamais Audrey Rose n'entre dans l'horreur et seulement par deux fois nous sommes à la lisière du fantastique, mais jamais nous n'y pénétrons véritablement. C'est une porte qui semble s'ouvrir toute seule comme dans un bon vieux film de maison hantée jusqu'à ce que l'on se rende compte que c'est encore la gamine qui fait une nouvelle crise de somnambulisme. C'est une tasse de thé qui paraît se renverser d'elle-même quand Hopkins évoque la mort de sa fille, mais qui nous est montrée de façon tout à fait anodine, comme un pur accident, et l'on finit par penser qu'il s'agissait d'une simple maladresse du personnage meurtri et emporté par son récit.
Le talent d'Anthony Hopkins, alors assez jeune et presque bel homme, s'exprime tout particulièrement dans deux scènes parmi lesquelles celle précédemment évoquée, où l'acteur captive et saisit par le débit de sa voix, son intonation et ses mots délicatement posés, très calculés, mais donnant parfaitement vie à un récit destiné à agiter l'imagination. Un mauvais réalisateur aurait peut-être choisi d'illustrer ce long monologue par un montage parallèle lourdingue, Robert Wise sait que le génie de son acteur suffit et il a bien raison de miser tout sur lui. La deuxième scène où Anthony Hopkins impressionne est celle, toujours dans la première heure, où il implore l'aide de la mère d'Ivy, pour que celle-ci lui permette de passer du temps avec sa fille, et c'est cette fois-ci dans ses postures, ses regards et ses mimiques subtiles, encore une fois très travaillés, que l'acteur nous fascine.
La seconde partie du film est la plus étonnante. Audrey Rose devient une sorte de réflexion sur la réincarnation et prend les allures d'un film de procès comme les américains savent en faire. Anthony Hopkins, au banc des accusés, est alors relégué au second plan, mais le film ne perd pas pour autant de son intérêt et continue d'intriguer. Sa force, sa singularité tient justement dans ce choix du réalisme à tout prix, dans sa prise de parti osée, quitte à parfois flirter maladroitement avec le documentaire sur l'hindouisme par l'intermédiaire de ces quelques images peut-être un peu superflues nous montrant les pratiques indiennes. On regarde donc tout ça avec les sourcils légèrement relevés, ne s'attendant pas à les hausser encore davantage à la toute fin, qui laisse vraiment sur le cul. Il serait totalement impensable qu'un tel film se termine comme ça aujourd'hui. De par son audace et sa singularité, Audrey Rose appartient bel et bien à la folle décennie du cinéma américain.
Audrey Rose de Robert Wise avec Marsha Mason, Anthony Hopkins, Susan Swift et John Beck (1977)