Xtro, c'est d'abord un titre du tonnerre. Jamais expliqué, nul besoin, il claque et c'est bien suffisant pour le justifier. Sur un fond de ciel étoilé, il apparaît soudainement, déchirant l'écran d'une lumière blanche agressive et aveuglante. On peut penser à The Thing, sorti juste avant, sans compter la musique signée par le réalisateur lui-même, Harry Bromley Davenport, constituée à 100% de synthétiseurs hurlants, malmenés, martyrisés : elle nous explose aux oreilles d'entrée et peut évoquer un Carpenter sous acide. Le thème tapageur, que l'on entend lors de ce générique d'introduction, est une vraie pépite. Le cinéaste-musicien composait sans doute là son petit chef-d'œuvre musical personnel, parfait pour accompagner son magnum opus cinématographique. Il réalisera par la suite deux autres Xtro, des films non connectés directement au premier mais essayant de surfer sur son modeste succès et dépeignant eux aussi de très mauvaises rencontres extraterrestres. Notons aussi que celui qui commença sa carrière en tant qu'assistant de Nicholas Ray avait également participé, deux ans auparavant, au scénario de ce film de fantôme poignant avec Mia Farrow qu'est Le Cercle infernal, et nous aurons fait le tour de l'œuvre connue de cet homme-là. Un artiste maudit et torturé, à n'en pas douter, qui, du seul fait qu'il ait commis Xtro, occupera à jamais une place à part dans mon cœur de cinéphage.
Xtro comme extraterrestre peut-être, il y a au moins trois lettres en commun, non ? Ce titre râpeux s'oppose au phonétiquement plus mignon et doux E.T., à l'instar de l'affiche et de sa tagline, "Some Extra-Terrestrials AREN'T friendly !". Plus que le récit d'une succession d'entrevues sanglantes avec un alien belliqueux appelé à éliminer le casting méthodiquement, Xtro est d'abord le récit d'un enlèvement tragique. Le petit Tony joue tranquillement avec son papa dans le jardin de leur cottage quand le bâton balancé au chien ralentit sa course en tournoyant anormalement dans les airs (sympathique clin d'œil au 2001 de Kubrick) puis fend le ciel en deux dans un feu d'artifice soudain. Une lumière blanche envahit alors le cadre, les éléments se déchaînent, le gosse s'agrippe au mur et se tient en retrait tandis que son père disparaît, dans un flash assourdissant. Puis le garçon se réveille en sursaut, trois ans plus tard. Il habite désormais dans un immeuble de Londres aux côtés de sa mère, de son beau-père et d'une jeune fille au pair française. L'enfant est encore traumatisé par l'événement auquel nous venons juste d'assister et qu'il revit en cauchemar. Ses nuits sont agitées, des phénomènes inexplicables se produisent : il se réveille dans une mare de sang, qui n'est pas le sien, ce qui n'inquiète donc pas le docteur flegmatique venu à domicile. Au même moment, dans la campagne anglaise, à quelques kilomètres de là, un objet non identifié s'écrase et son sordide occupant s'en extirpe. La créature, ignoble, s'en prend à un couple qui passait par-là en voiture avant de s'inviter chez une habitante isolée : elle l'agresse par surprise puis la féconde par la bouche. La jeune femme violée finit par se relever, ensanglantée, sous le choc, puis son ventre se déforme, gonfle au point de crever, s'en extrait alors le père disparu du petit garçon... Bien sûr, ces scènes-là ont dû être assez salissantes, vous imaginez bien.
Pendant ces premières minutes, où nous sommes encore dans l'expectative mais déjà plutôt séduit par le caractère écœurant des scènes où la créature immonde s'affiche, on craint un peu d'avoir affaire à un énième avorton d'Alien dont le budget riquiqui serait brillamment éclipsé par les choix crasseux et le sens de la débrouille des techniciens. On se doute que le carnage va continuer ainsi, mettant à l'honneur ces effets spéciaux artisanaux et particulièrement crados, conçus avec application par une équipe de dangereux maniaques. Mais plus le film avance, plus il devient bizarre, glauque, imprévisible et singulier. Son intérêt redouble au moment du retour du père dans sa petite famille. L'acteur qui incarne le daron-alien, Philip Sayer, est franchement excellent, très difficile à cerner, peut-être parce qu'il ne savait pas non plus où le menait ce scénario malade, allez savoir. Il incarne tantôt une sorte de menace froide et subtile tantôt une figure paternelle retrouvée et bienveillante. On comprend qu'il veut remettre la main sur son fils, très vraisemblablement pour l'emporter avec lui vers un ailleurs inconnu – il pourrait aussi bien revenir d'une planète lointaine que d'une autre dimension, l'apparition lumineuse aux contours indéfinis ne nous éclaire en rien, s'agirait-il d'une brèche vers un autre espace-temps ?... Les réactions des uns et des autres au retour du papa sont d'une amusante simplicité, Harry Bromley Davenport fait dans la psychologie minimaliste, il permet au spectateur de jouer un rôle actif, l'invite à combler les manques. La maman est plutôt confuse, son nouveau compagnon passablement agacé, le gosse tout simplement heureux de retrouver son papounet, et la jolie blonde au pair s'en fiche pas mal car tout ce qu'elle veut, c'est pouvoir continuer de folâtrer en douce avec son boyfriend. L'au pair est jouée par Maryam d'Abo, vague sosie de Nastassja Kinski, pour sa première apparition à l'écran, quatre ans avant de réaliser son rêve, incarner une James Bond Girl : elle se montre ici assez peu pudique et apporte quelque chose de pétillant à ce personnage terriblement accessoire de jeune fille oisive, à l'insolence discrète, dont la langue maternelle refait ponctuellement surface quand il s'agit de se plaindre, de répugner à la tâche.
Le retour du doppelgänger paternel, et les réactions pour le moins circonspectes qu'il suscite, installe une ambiance délétère et atone totalement inattendue dans l'appartement londonien. Seul le gamin se réjouit donc de la nouvelle situation et se contente de regarder son père bouche bée quand il le surprend dans sa piaule en train de gober les œufs de son serpent domestique (quelle idée aussi !). Le film monte d'un cran dans l'étrangeté répugnante et presque loufoque à partir du moment où le père transmet, par succion, à son cher fils des pouvoirs surnaturels dont nous n'avions eu jusque-là qu'un incompréhensible aperçu (des objets fondus ou en surchauffe au contact du papa, comme ce téléphone public devenu réglisse pendouillant). Le réalisateur et scénariste atteste d'alors d'une inventivité farfelue, sans limite, pour notre plus grand plaisir d'amateurs d'objets filmiques non identifiés et d'extravagances en tout genre. Fort de ses nouveaux dons, le gosse, plus tout à fait lui-même, s'amuse dans sa chambre avant l'heure du dodo et parvient, depuis son lit mezzanine, à donner vie à ses jouets, par la seule force de sa pensée, lors d'une scène troublante où la simplicité du montage et des effets de lumière ont de quoi fasciner, tout en nous ménageant quelques surprises pour la suite. Ces quelques jouets, désormais animés et agrandis, seront autant d'alliés du petit garçon, à présent du même bord que son père, dans l'accomplissement de leurs sombres projets... Harry Bromley Davenport, qui a peut-être écrit le scénar sous influence ou en tout cas dans un état second, comme touché par une grâce morbide, convoque ainsi : un GI-Joe à l'échelle humaine, un clown râblais particulièrement flippant, une panthère noire féroce, un tank qui tire dorénavant à balles réelles et une toupie particulièrement affutée guère plus soumise à la gravité... Voir ensuite ce drôle de bestiaire en action est un petit régal de cinéphile déviant, croyez-moi.
Pour que vous ayez une idée du niveau de bizarrerie atteint ici, dites-vous que le papa possédé se shoote au gaz de ville, peut-être par nostalgie, pour renouer avec l'atmosphère de sa planète ou de sa dimension d'origine ; sachez aussi que le serpent de compagnie du garçon finit par s'échapper et par atterrir dans la salade composée de la voisine du dessous, une vieille bique acariâtre qui s'acharne tellement sur l'aventureux reptile qu'il termine à l'état liquide, ce qui est toutefois bien pratique pour le transvaser avec soin dans une poche plastique, le ramener à son jeune propriétaire et ainsi entretenir de bonnes relations de voisinage... Le GI-Joe grandeur nature vengera la bestiole comme il se doit lors d'une des meilleures scènes du film, notamment en raison de la crédibilité étonnante du soldat : probablement animé par un expert du mime aux gestes robotiques qui, associés au costume militaire et au masque de plastique qu'il porte, font parfaitement illusion et font de lui la vedette potentielle d'une interminable série de slashers (à quand le spin off ?). Une fois qu'on a vu ça, on n'est peu étonné de constater l'usage qui est fait du réfrigérateur de la cuisine par l'enfant et son clown complice : après une préparation aussi méticuleuse qu'incompréhensible pour nous autres, étrangers à l'univers xtro, le frigo sert de réceptacle à une demi douzaine d'œufs xtroterrestres fraîchement pondus par la fille au pair, transformée en une espèce de hôte-zombie répugnante dans la baignoire de la salle de bain (l'aspect de la pitoyable chose évoque L'Invasion des profanateurs de sépultures, version Kaufman, en plus abject encore ; on peut aussi penser à ce que découvrent Ripley et sa bande lors de la visite du terrier des aliens dans l'opus de James Cameron...).
La diablerie d'Xtro réside aussi dans d'infimes détails. Des détails visuels qui intriguent, placés là sans raison, comme ce portrait de Staline accroché au mur de la loge du concierge de l'immeuble, ou le ridicule décomplexé des poses prises en arrière-plan par les modèles du beau-père, photographe de profession. Autant de touches de cet humour insaisissable, disséminé ici et là, qui participe pour beaucoup à la singularité du film, par ailleurs très premier degré, et de son ambiance malaisante, inconfortable, dur à définir autrement que par cette expression anglaise devenue courante dans la bouche des plus jeunes. "What the fuck ?!". Une chose est sûre : le britannique Harry Bromley Davenport est un cinéphile aux goûts raffinés, j'en veux pour preuve les affiches françaises de quelques classiques d'avant-guerre qui décorent l'entrée de l'appartement. Son film d'horreur malsain et sans frein, qui tape dans l'exploitation pure, contient par ailleurs de nombreuses références. Mais celles-ci sont introduites dans un contexte si insolite et l'ensemble est truffé de détails si curieux que Xtro se dégage sans souci de toute pesante parenté, il existe pour lui-même, brillant d'un sombre éclat, porté par une rare conviction. A ce titre, vu la tonne de trouvailles qu'il y a là-dedans, le potentiel parfois inexploité de certaines d'entre elles (peut-être en raison du manque de moyen), et le caractère confus ou nébuleux du scénario pour de nombreux aspects, on se dit presque qu'il y aurait un remake à faire d'Xtro, quelque chose de plus cadré, maîtrisé, qui pourrait développer des pistes laissées en suspens grâce à un budget plus conséquent. Et à la fois, Xtro est une œuvre unique, un one shot inespéré, à la magie miraculeuse, dont le charme fétide réside aussi et surtout dans sa difformité fascinante, dans sa fragilité suintante. Impossible à reproduire, à l'évidence.
Difficile d'aborder le cas Xtro sans dire quelques mots sur ses fins alternatives. Deux conclusions différentes ont été tournés, elles sont disponibles dans les bonnes éditions DVD et même facilement visibles sur Youtube. J'ai une nette préférence pour celle initialement désirée par le cinéaste, qui nous quitte sur une note plus ambiguë, incertaine et conforte l'appréciable étrangeté du film, l'éloignant du gore et de l'effet choc assez facile de l'autre version, moins conforme à l'esprit et l'atmosphère finement développée jusque-là. Je serais curieux de connaître les positions des fans sur ce sujet, mais la mienne est convaincue. Il y a donc de quoi s'amuser, sourire, frémir et être révulsé devant Xtro, petite pelloche chelou faite avec amour et entrain, pourtant très vivement critiquée à sa sortie, stabilotée parmi les videos nasties au Royaume-Uni et devenue culte bien plus récemment, comme par la force des choses, l'évidence, son originalité absurde et sa monstruosité débridée ayant fait de ce film, remis à l'honneur dans différents festivals spécialisés ces dernières années, un titre particulièrement apprécié au fil du temps. Une sacrée curiosité, le joyau de Harry Bromley Davenport, un artiste détraqué : on peut presque regretter que cet homme-là ait choisi le cinéma, un business à l'évidence trop cruel pour lui et la pleine expression de son talent. Réjouissons-nous, au moins, que ce film existe, que ce flot d'images cauchemardesques et de situations aberrantes soit bel et bien visible dans notre dimension, sur notre planète, dans cet espace-temps ; nous sommes contemporains d'Xtro, terrifiante fissure en zigzag de notre rassurante réalité.
Xtro de Harry Bromley Davenport avec Philip Sayer, Bernice Stegers, Simon Nash et Maryam d'Abo (1982)