23 février 2017
15 février 2017
Loving
Devinette : qu'est-ce qui est long, plat, lourd et qui a flingué ma soirée ? Réponse : Loving, de Jeff Nichols. Après le très décevant Midnight Special, excursion ratée dans la science-fiction intimiste, le cinéaste jadis si prometteur se compromet une nouvelle fois avec ce mélodrame au moins aussi creux que sa tagline française "L'amour plus fort que la haine". En parlant de tagline, il semblerait que Jeff Nichols se soit mis pour but de donner raison à cette citation facile qui faisait de lui "le nouveau Spielberg" et qui traversait l'affiche de son précédent film. Suite à Midnight Special, croisement bâtard entre Rencontre du 3ème type et Starman, Jeffrey Nichols signe ainsi son mélodrame historique, engagé pour la cause noire, tel un La Couleur Peuprou 2.0, dont on se serait volontiers passé...
Comment le réalisateur croit-il que l'on pourra se passionner pour cette histoire telle qu'il choisit de nous la raconter ? Dans les années 50, les époux Loving sont exclus de leur état, la Virginie, où le mariage "interracial" est interdit par la loi. Quelques années plus tard et suite à une bataille judiciaire pendant la montée des droits civiques aux États-Unis, l'amour des Loving rendra inconstitutionnelles les lois interdisant les mariages "interraciaux". Le film de Nichols est la plate retranscription visuelle de ces quelques lignes qui pourraient être copiées de l'article wikipédia consacré aux Loving. Mais attention, ne croyez pas que Jeff Nichols a perdu tout ce qui faisait sa particularité. Loving n'est jamais désagréable pour les yeux, bien au contraire, le cinéaste conserve un style agréable et ne propose que de bien belles images à la lumière et au cadre très soignés. C'est là tout le bien que je dirai de son nouveau bébé.
En revanche, depuis deux films maintenant, il semblerait que Jeff Nichols ne sache plus du tout comment nous captiver, comment faire vivre ses personnages et donner du souffle à son scénario. Quand Loving commence, le couple est déjà formé. A l'exception d'une petite scène assez jolie où Richard Loving (Joel Edgerton) amène sa dulcinée (Ruth Negga) dans un champ pour lui dire, grosso mierdo, "Tu kiffes ce bout de terre ? Bah je viens de l'acheter pour quelques sous... J'y construirai notre maison. Tiens là, tu te tiens pile poil dans la cheminée", eh bien à part cette courte scène et cette tirade mignonnette, jamais nous ne sommes un tantinet touchés par l'amour qui lie les deux personnages. Celui-ci devrait exister très fort à l'écran pour que nous puissions ensuite être atteints par l'injustice cruelle qui frappe le couple, mais ça n'est jamais le cas. Et nous regardons les jolies images défiler à l'écran en se sentant très peu concerné, en luttant contre le sommeil et en attendant désespérément que quelque chose se passe, que le film prenne son envol. Ce qui n'arrive évidemment jamais. Même la partie davantage consacrée aux démarches judiciaires qui permettront au couple de retourner en Virginie est terriblement peu captivante. On est très loin de l'efficacité de certains films américains en la matière...
Face à un si morne spectacle, on se demande presque ce qui fait tant souffrir nos deux personnages, simplement condamnés à ne plus remettre les pieds dans leur état natal. Loving est si pauvre qu'il ne parvient même pas à nous mettre en rage contre cette injustice, qui apparaît comme bien peu de chose. On finit quasiment par prendre en grippe les Loving. Il faut dire que les acteurs ne nous aident pas beaucoup... Je doutais de la capacité de Joel Edgerton, d'ordinaire condamné aux seconds rôles, à porter un film sur ses épaules. Jeff Nichols m'a donné raison en confirmant mes doutes. Edgerton est insupportable là-dedans. On a envie de le secouer. Parce qu'il joue un type un peu rustre et taiseux du Sud, il passe tout son temps les bras ballants, la tête basse, la mine mauvaise, le dos courbé et le pas lourd, comme s'il portait toute la misère du monde sur les épaules. Sa compagne Ruth Negga s'en tire un peu mieux bien qu'elle soit parfois assez difficile à encaisser. L'actrice donnait plus de consistance à son personnage dans le méconnu Isolation, film d'horreur irlandais dans lequel elle incarnait une jeune vagabonde attaquée par un veau mutant... Son jeu est ici trop prévisible. Quand elle répond au téléphone, qu'elle entend à l'autre bout de la ligne "Mme Loving ? J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer", qu'elle s'accroche alors au mur en tirant une tronche pas possible, la bouche grande ouverte, la main sur la poitrine, les yeux exorbités, on a simplement envie que son interlocuteur enchaîne en disant "Non, je suis désolé, la bonne nouvelle, c'est pour ma pomme : je ne veux plus avoir affaire à vous, vous m'exaspérez, je vous devine, là, avec l'air grave, jouant si mal, et ça me suffit, j'ai eu ma dose. Adios !".
Autre constat bien triste : Jeff Nichols livre un film sans vie et d'une monotonie affligeante. Le temps passe, l'histoire se déroule sur près de dix ans, le couple met au monde trois enfants (deux garçons, Donald et Romuald, et une fille, Gérald - autant de gamins dont on se fout éperdument), les années défilent, mais rien ne se passe, rien ne change. Des moments de joie pourraient ponctuer le film et nous permettre d'apprécier les Loving, d'éprouver des choses avec eux, de vivre à leurs côtés... Que nenni. On ne les voit ainsi jamais faire l'amour. Ça paraît bête à dire, mais pour un couple que nous ne voyons guère non plus se former, c'est encore plus difficile de croire en leur passion. Les Loving apparaissent comme une simple anecdote historique, trop platement mise en image. Film de Jeff Nichols oblige, Michael Shannon vient faire son petit numéro dans la peau du photographe du magazine Life dépêché pour immortaliser le couple vedette et sa bataille judiciaire. Comme il incarne un photographe, l'acteur porte en permanence son lourd appareil autour du cou. Cela le gêne beaucoup lors d'une scène de repas pénible où l'objectif traîne dans l'assiette. Le film est à l'image de cet appareil, de ce photographe et de l'image qu'il saisit : lourd, maladroit, d'un autre âge. La célèbre photographie de Life où le couple rigole, dans la position dite de la cuillère sur le canapé, devant la télé, dont nous voyons ici l'envers, recèle d'ailleurs plus de vie que l'intégralité du film de Jeff Nichols.
Jeff Nichols fait également preuve d'une maladresse qui nage à contre-courant de son propos. Il s'agit simplement de quelques dialogues mal écrits, de mots très mal choisis, et de personnages traités par-dessus la jambe, en l’occurrence les gamins Loving. Je fais ici allusion à cette scène durant laquelle Mme Loving regarde ses trois mômes s'amuser dangereusement dans les escaliers sa petite maison et déclare, dépitée, "Ils ne sont pas faits pour vivre ici, ils devraient jouer dans les champs", comme si elle parlait d'animaux trop malheureux d'être en cage... Une autre scène nous montre les trois marmots s'amuser dans la rue (ils sont intenables !), l'un des gamins traverse la rue pour récupérer un ballon et finit sur le capot d'une bagnole. Le conducteur n'est aucunement fautif, ce sont les enfants qui nous sont montrés comme étant inaptes à la vie citadine, trop sauvages pour intégrer les règles les plus basiques de sécurité (à savoir : mater à droite à gauche avant de traverser). Bref, c'est naze. En plus de se contrefoutre de ces trois petits dont les naissances ne sont guère filmées et auxquels Jeff Nichols ne s'intéresse jamais, on finit par les mépriser un peu.
La musique est au diapason. Les violons sont de sortie. C'est lourd, lourd, lourd. Comme ces plans répétés sur les murs que construit Richard Loving, maçon de son état. Ses images de briques et de pelles transportant du béton qui jalonnent le film semblent là pour nous rappeler que ce sont les petites gens, les Loving et compagnie, qui participent, de par leurs luttes quotidiennes, à la construction d'une nation. C'est beau, c'est fin, c'est signé Jeff Nichols, cinéaste à l'inspiration en voie d'extinction...
Loving de Jeff Nichols avec Joel Edgerton et Ruth Negga (2017)
9 février 2017
Yourself and Yours
Le nouveau film de Hong Sang-soo n'est pas aussi passionnant que le
précédent (Un jour avec, un jour sans), mais il n'en est pas moins
intéressant et émouvant. Au début (ou presque), les deux personnages
principaux, Youngsoo et Minjung, qui sont en couple, se disputent. Des
amis de Youngsoo lui ont affirmé avoir vu Minjung boire avec excès dans
divers bars de la ville, alors qu'elle avait promis à son amant de ne
boire que modérément (cinq verres, pas plus...). Youngsoo se sent trahi, en
veut à Minjung et le lui fait savoir sans prendre de gants, en pleine
nuit, avec cris et insultes. Minjung, blessée, s'en va en lui précisant
qu'il vaut mieux qu'ils évitent de se voir pendant quelque temps. A
partir de là, Youngsoo ne va avoir de cesse que de retrouver Minjung, arpentant la ville en béquilles (à partir du moment où Minjung est manquante, Youngsoo n'évolue plus que sur une jambe),
avec l'aide de son ami à la langue bien pendue, tandis que cette
dernière va rencontrer plusieurs hommes, dans des bars évidemment, en
prétendant systématiquement ne pas les connaître ni les reconnaître
d'une scène à l'autre.
On retrouve le goût du jeu de Hong
Sang-soo à travers l'étrange Minjung, dont on se demande un moment si elle est
double ou non. Le cinéaste coréen continue d'explorer la question du
personnage, de l'identité et de la variation en créant un nouveau jeu de
piste autour de Minjung, qui peut-être ment effrontément pour se jouer
des hommes qui la courtisent, qui peut-être souffre d'amnésie chronique
ou qui encore possède réellement une sœur jumelle comme elle l'affirme
au début du film à l'un de ses futurs prétendants. Mais assez vite, on peut affirmer (grâce à quelques indices vestimentaires, au gré d'un
raccord ou deux) qu'il n'y a qu'une Minjung, et qu'elle pratique le mensonge
comme par addiction, pour nier sa présence dans les bars et sa propension à séduire malgré elle, ou bien pour se protéger, tout simplement.
A vrai dire, le film s'amuse moins à brouiller les pistes (c'est rarement, sinon jamais, le but de Hong Sang-soo) qu'à observer les deux personnages évoluant l'un dans son obsession douloureuse et l'autre dans sa fantaisie triste (sans que le film soit ni douloureux ni triste, bien au contraire, et la petite musique sympathique qui revient régulièrement faire la liaison y contribue). Pour aboutir à une conclusion qui rehausse l'ensemble, ouvre le film et délivre une émotion digne peut-être de celle qui émanait de la fin du Conte d'hiver ou des Amours d'Astrée et de Céladon de Rohmer. Je sais qu'il est convenu de comparer Hong Sang-soo à Rohmer, mais c'est peut-être la première fois, du moins me semble-t-il, que la ressemblance se situe de façon si nette sur le plan de l'émotion et de la résolution en forme d'épiphanie amoureuse, quand Youngsoo et Minjung acceptent d'un commun accord de jouer le jeu de la jeune femme, de tout miser sur le mensonge partagé, consenti, heureux. Youngsoo, surtout, reconnaît son erreur, s'être fié à des ragots et avoir nié à Minjung sa liberté. Une femme, en couple de surcroît, seule dans un bar, qui boit et parle avec un homme, est en faute. Ce n'est pas la première fois que Hong Sang-soo, qui multiplie ici les plans sur des hommes au comptoir dévisageant et jugeant Minjung gratuitement, remet en question ce type d'attitude masculine, cette propension des hommes à ranger les femmes dans des cases et à les enrober de discours pré-fabriqués, puisque c'était déjà présent notamment dans Sunhi. Quand Youngsoo remet en question son comportement paternaliste et possessif, le couple peut repartir de zéro, rejouer son histoire avec plutôt que sans.
A vrai dire, le film s'amuse moins à brouiller les pistes (c'est rarement, sinon jamais, le but de Hong Sang-soo) qu'à observer les deux personnages évoluant l'un dans son obsession douloureuse et l'autre dans sa fantaisie triste (sans que le film soit ni douloureux ni triste, bien au contraire, et la petite musique sympathique qui revient régulièrement faire la liaison y contribue). Pour aboutir à une conclusion qui rehausse l'ensemble, ouvre le film et délivre une émotion digne peut-être de celle qui émanait de la fin du Conte d'hiver ou des Amours d'Astrée et de Céladon de Rohmer. Je sais qu'il est convenu de comparer Hong Sang-soo à Rohmer, mais c'est peut-être la première fois, du moins me semble-t-il, que la ressemblance se situe de façon si nette sur le plan de l'émotion et de la résolution en forme d'épiphanie amoureuse, quand Youngsoo et Minjung acceptent d'un commun accord de jouer le jeu de la jeune femme, de tout miser sur le mensonge partagé, consenti, heureux. Youngsoo, surtout, reconnaît son erreur, s'être fié à des ragots et avoir nié à Minjung sa liberté. Une femme, en couple de surcroît, seule dans un bar, qui boit et parle avec un homme, est en faute. Ce n'est pas la première fois que Hong Sang-soo, qui multiplie ici les plans sur des hommes au comptoir dévisageant et jugeant Minjung gratuitement, remet en question ce type d'attitude masculine, cette propension des hommes à ranger les femmes dans des cases et à les enrober de discours pré-fabriqués, puisque c'était déjà présent notamment dans Sunhi. Quand Youngsoo remet en question son comportement paternaliste et possessif, le couple peut repartir de zéro, rejouer son histoire avec plutôt que sans.
Yourself and Yours de Hong Sang-soo avec Kim Ju-Hyeok, Lee Yoo-Young et Hae-hyo Kwon (2017)
7 février 2017
A Hologram for the King
Si c'est pour le cinoche que vous matez des films, celui-ci ne
présente aucun caractère d'urgence. Si c'est pour Tom Hanks, en
revanche, y'a matière. Oh, pas qu'il soit particulièrement remarquable dans
ce rôle de représentant de commerce parti vendre une technologie
de visioconférence par hologramme au roi d'Arabie Saoudite.
Disons qu'il brille dans ce rôle comme dans tous les autres. Il incarne
un type un peu sur le retour. Son personnage est divorcé, à sec, bosse pour
payer des études à sa grande fille, est en léger froid avec son père
depuis qu'il a contribué à délocaliser l'entreprise pour laquelle il
bossait de Boston vers la Chine, et lutte contre un jetlag de
tous les diables tout en découvrant un pays assez surprenant. Le titre
du film, merdique, résume le pitch en même temps qu'il est trompeur,
puisque la scène où Hanks présente l'hologramme au roi dure environ 10
secondes et n'a aucun intérêt.
Un queud l'habille...
L'intérêt est tout
autre. Il est d'admirer Tom Hanks, toujours en grande forme. Le comédien sur-oscarisé s'est lié d'amitié avec le réalisateur allemand Tom Tykwer (auteur de L'enquête) sur le tournage de Cloud Atlas, que Tykwer Tom a co-réalisé avec les sœurs Lilly et Lana Wachowski, et c'est ainsi qu'a germé l'idée d'A Hologram for the King. Dans ce
film, Tom Hanks est de tous les plans et nous rappelle qu'il a plus d'une corde à sa harpe.
On le voit faire des cascades (innombrables chutes de sa chaise), on le voit suer des litres sous le cagnard, on le voit se torcher au whisky, s'écorcher vif avec un couteau, battre un record d'apnée en eau claire, avoir une panne sexuelle, lutter contre une excroissance pré-cancéreuse (pas nombreux les acteurs qui accepteraient de traverser un tel drame pour les besoins d'un film), faire de longs trajets en bagnole, parler avec bonne humeur et de sa voix de baryton sexy à tous les figurants sans exception quitte à essuyer quelques vents désagréables, manger des keftas assis par terre, subir une opération à cœur ouvert, arpenter le désert saoudien (le film a été tourné sur place, plus précisément à Rabat) avec un foulard sur la tête, chasser le loup des steppes au fusil à lunette, tomber amoureux d'une femme-médecin pleine aux as et renouer avec les délices de l'érection. C'est peut-être rien pour lui, mais pour ses fans c'est une brique de plus posée sur l'échafaud de sa terrible carrière et de sa non moins terrible vie, tout simplement. Bravo et merci oncle Hanks.
Il est en pleine bourre mais vu la tronche de ses pets, il devrait quand même consulter un médecin.
On le voit faire des cascades (innombrables chutes de sa chaise), on le voit suer des litres sous le cagnard, on le voit se torcher au whisky, s'écorcher vif avec un couteau, battre un record d'apnée en eau claire, avoir une panne sexuelle, lutter contre une excroissance pré-cancéreuse (pas nombreux les acteurs qui accepteraient de traverser un tel drame pour les besoins d'un film), faire de longs trajets en bagnole, parler avec bonne humeur et de sa voix de baryton sexy à tous les figurants sans exception quitte à essuyer quelques vents désagréables, manger des keftas assis par terre, subir une opération à cœur ouvert, arpenter le désert saoudien (le film a été tourné sur place, plus précisément à Rabat) avec un foulard sur la tête, chasser le loup des steppes au fusil à lunette, tomber amoureux d'une femme-médecin pleine aux as et renouer avec les délices de l'érection. C'est peut-être rien pour lui, mais pour ses fans c'est une brique de plus posée sur l'échafaud de sa terrible carrière et de sa non moins terrible vie, tout simplement. Bravo et merci oncle Hanks.
A Hologram for the King de Tom Tykwer avec Tom Hanks (2016)
5 février 2017
Good Kill
Évacuons vite la question du film d'Andrée Niccol, qui ne fonctionne tout simplement pas. Good Kill est un film de guerre sur des pilotes de drones vissés derrière leurs écrans et victimes de petites crises de conscience quand, le soir venu, ils rentrent chez eux et ont du mal à tirer un bilan positif d'une journée passée à déglinguer à coups de clics droits des arabes innocents. Cela ne fonctionne pas. L'idée était belle, puisqu'il y a double dénonciation : l'Amérique de Bush, les drones, le web. Mais encore une fois Andrée Niccol se fourvoie car cela ne fait pas un film, pas entre ses mains malhabiles en tout cas. Par contre, ce qui fait un film, c'est Ethan Hawke, l'aigle fin du cinéma américain, qui survole en maître l'art et la culture de son pays. Et vu que son pays domine le monde, le requin andalou ne domine-t-il pas l'art et la culture de la planète ?
Hawke a enfin trouvé un joujou à sa démesure.
L'autre soir, nous étions en afterwork, ces soirées arrosées où l'on dépense en liquides l'argent durement gagné la journée, avant de se plaindre 15 jours avant la fin du mois d'être ric-rac. La discussion s'est orientée vers le cinéma, notre domaine de prédestination. Nos camarades de beuveries ont alors évoqué le récent Boyhood, vociférant sur la performance jugée pathétique d'Ethan Hawke, arguant que cet acteur "ne sait rien et ne sert à rien". Nous n'avons pas infirmé la première partie de leur thèse, car il est vrai qu'Ethan Hawke est connu pour être un véritable puits d'ignorance, lui qui affirme avoir tourné la trilogie Before Sunrise/Sunset/Sundown sous les ordres de la réalisatrice Julie Delpy et aux côtés de l'acteur Richard Linklater. La petite histoire raconte* qu'Ethan Hawke scia tout son auditoire lors de sa première audition, pour un petit rôle muet d'amnésique, quand, le directeur de casting lui demandant de se présenter, il répondit par un gonflement de joues en levant les deux paumes vers le ciel, l'air de dire "Hein ?"
On compte plus de cratères sur sa la peau de Hawke que sur tout le sol irakien.
En revanche, nous nous sommes portés caution et mis en porte-à-faux pour désamorcer la seconde agression, selon laquelle notre idole ne servirait à rien. Nous nous sommes bien renseignés sur lui, avons passé quelques coups de fil, nous sommes rendus sur le terrain, avons épluché une paire de bibliothèques, et nous pouvons aujourd'hui dresser un portrait robot de l'individu Ethan "Thelonious" Hawke. D'abord, c'est le mec serviable par définition, l'altruisme fait homme, sa mère le définit comme une perle. Dès que le projet se monte de préparer une quiche, Ethan se désigne pour tailler les oignons. Dès que l'intuition germe de faire tourner une machine, Ethan sait parfaitement comment traiter, laver et sécher les différents linges et types de tissus, fort de l'expérience accumulée par son père, qui était gérant d'une laverie. C'est l'homme à consulter quand on se pose une question sur le bon chargement d'une batterie (de téléphone, d'ordinateur, de voiture, de casseroles, etc.). Il répond aussi présent pour effectuer tous les menus travaux domestiques (dixit sa mère, madame Hawke). Cette dernière nous a conté une petite anecdote. Un beau jour, Ethan lui demanda de recoudre un bouton de chemise récalcitrant. La surprise de maman Hawke fut immense en découvrant, après avoir refusé d'accéder à la requête de son bambin faute de temps libre, que son fils beau comme un cœur s'était emparé du problème en raccommodant le bouton avec du scotch. Comme quoi il ne sait pas tout à fait rien.
* Ethan Hawke, une vie d'aigle fin, op. cit., Éditions Le Tout-Venant, Paris, 2001.
Good Kill d'Andrée Niccol avec Ethan Hawke (2015)
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