Nous accueillons à nouveau notre pigiste indé Joe G., la tête pensante du webzine polémiste à tendance musicale (ou vice versa) C'est Entendu, véritable tête chercheuse de la pensée en mouvement, qui s'intéresse aujourd'hui, à l'heure où nous nous félicitons qu'un nouveau président vienne d'être élu pour nous gouverner, au Président d'Henri Verneuil, incarné par celui que beaucoup considèrent (à tort) comme le président de l'actorat français, Jean Gabin :
Posons-nous la question : comment montrer l'exercice de l'état par le biais du cinéma ? A notre époque, on a choisi de le faire de façon directe, crue, en appelant un chat un chat et un dircab un dircab, et ça s'intitule bien évidemment L'Exercice de l’État. En 1961, cependant, Henri Verneuil (qui est rappelons-le l'un des seuls cinéastes à s'être réellement intéressés de près à la politique, en tant que sujet), Henri Verneuil donc, choisissait de répondre d'une manière bien différente à cette question. Avec, selon moi, un résultat bien plus intéressant.

Le  Président narre le récit de la vie politique d'un vieil homme  respecté, le Président Émile Beaufort, joué par Jean Gabin. Tiré de l’œuvre de Georges Simenon, le film de Verneuil s'intéresse à la  retraite de Monsieur Beaufort, retiré depuis vingt ans dans son domaine  près d’Évreux et qui dicte à sa secrétaire ses mémoires tandis qu'à  Paris, le gouvernement en proie à une crise économique s'apprête à être  renouvelé par le Président de la République, qui selon toute  vraisemblance devrait porter son choix concernant le futur Président du  Conseil (soit le Premier Ministre tel qu'il était encore envisagé sous  la 4ème République) en direction d'un certain Philippe Chalamont, joué  par Bernard Blier. Tandis que Beaufort suit l'avancée du remaniement  parisien par le biais de la radio et de la télévision, le récit de ses  mémoires s'attarde sur les difficultés qu'il a rencontrées lorsque  lui-même siégeait à la présidence du Conseil des Ministres, ce qui  l'amène à se souvenir de deux mémorables expériences, lesquelles il se  garde cependant d'énoncer à voix haute.

A travers ces deux souvenirs, on comprend les liens qui ont uni Beaufort  et Chalamont, et la raison pour laquelle ils se sont éloignés l'un de  l'autre de manière irrévocable, Beaufort conservant une preuve de la  faute de celui qui fut son Directeur de Cabinet afin de l'empêcher de  nuire à nouveau. Le second souvenir présente la dernière intervention de  Beaufort devant l'Assemblée, son apothéose et sa sortie, face à une  majorité menée par Chalamont dans une superbe scène que, comme l'un des  journalistes présents le dit, "on pensait ne jamais voir arriver". Et  puis vient le moment où Chalamont se présente à la porte de Beaufort, la  veille du matin auquel il devra accepter ou non le poste de Président  du Conseil, afin de convaincre Beaufort de le laisser diriger la France  malgré la faute qu'il a commise dans le passé, pour la sortir de la  crise, suivant les plans élaborés par Beaufort vingt ans plus tôt, les  mesures-mêmes qui lui valurent de perdre la confiance de l'Assemblée.

Ce  récit en deux temps d'un parcours politique est édifiant. A la façon  d'une histoire à suspense, il nous tient en haleine jusqu'au dénouement  de la rencontre tardive des deux hommes et nous peint avec intelligence  l'envers du décor étatique, les difficiles choix, les secrets et les  réunions qui font l'avenir d'une nation. Verneuil peint une réflexion  sur l'intégrité par-dessus tout en même temps qu'il y aborde des thèmes  aussi actuels que l'ambition de l'Europe, la crise de confiance libérale  ou le dénigrement suicidaire des grands organes. Par opposition au trop  réaliste, trop terre-à-terre et trop morose L'Exercice de l’État, c'est  une voie romanesque qui, sans aller et à juste titre jusqu'au trop  romancé d'un film comme La Révolution Française, où l'on essayait  d'insuffler de l'héroïsme dans des faits réels avec tant de force que la  grandeur de l'évènement se voyait siphonnée par le cinéma, permet au  film de Verneuil d'être crédible en même temps qu'il est inspirant.  Voilà un film que l'on pourrait qualifier de bien-pensant par ce qu'il  propose comme morale et qui pourtant n'est qu'une source d'inspiration  positive vis à vis de la démocratie, des valeurs et des institutions  françaises. Un film qui émet un enthousiasme inhabituel, qui redonne  foi. Un film "politique" avant d'être un film sur "la politique".
Le Président de Henri Verneuil avec Jean Gabin et Bernard Blier (1961)
 

 
Bon article pour un film vraiment excellent.
RépondreSupprimerLa scène dans l'Assemblée où Gabin sort une liste pour énumérer les différentes possessions des hommes présents dans la salle et par la même, prouver la vénalité d'une grande partie d'entre-eux est mémorable et splendide !
Quant à moi ma scène préférée est celle de la promenade où Gabin passe devant des monceaux de barbaque la bave aux lèvres.
RépondreSupprimerJe n'ai pas vu ce film mais c'est sans doute celui où Gabin montre le plus souvent les gens du doigt.
RépondreSupprimerJ'ai vu ce film sur Arte le soir des dernières présidentielles (le seul truc regardable à ce moment-là à la télé) et la longue tirade de Gabin à l'assemblée m'a fait triper. On n'en retirerait pas un mot aujourd'hui !
RépondreSupprimerFilm intéressant (j'aime Gabin) mais dans mon souvenir trahison totale et sans doute volontaire du roman de Simenon dont il est l'adaptation et qui était beaucoup plus noir et sans illusions sur le monde de la politique. La conclusion et la décision de finale de Beaufort par exemple ont été changées.
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