28 juillet 2008

Elephant

Ou quand l'espace privé dégueule sur un blog. En début de soirée j'ai discuté avec une fille à qui je sers de vidéo-club, à propos d'Elephant de Gus Van Sant, que je lui ai prêté et qu'elle a regardé hier soir. Je crois que cette petite discussion, que je n'ai pas tellement retouchée sinon pour corriger une ou deux fautes de frappe, parle pas mal du film au final, en même temps qu'elle m'évite un article plus compliqué pour parler de ce chef-d’œuvre si complexe et si indescriptiblement poétique qui fait partie des plus beaux films de notre début de siècle :

" - Elephant j'avoue j'ai été déçue un peu. Je comprends la logique du film, des prises de vue, mais j'ai du mal a adhérer. Pour moi on rentre pas assez dans ce que ressentent les personnages.

- Je vois ce que tu veux dire. Il a essayé de ne pas faire de psychologie, de montrer les choses simplement, sans vouloir les expliquer. Elles s'expliquent peut-être d'elles-mêmes, en les montrant et en les regardant, ou pas, c'est tout le jeu.

- Ouais mais disons que là j'avais l'impression vraiment d’être une spectatrice, j'arrivais pas a m'identifier. C'est pas forcément le truc principal dans un bon film mais ça fait qu'un film te touche ou non. Et là j'avoue ça m'a rien fait, même la fusillade du coup perd de sa dimension parce qu'il manque le contexte. J'ai trouvé que c'était trop superficiel. Mais c'est mon point de vue, je préfère essayer de comprendre, ressentir ce qu'il s'est passé.



- Sans user de distanciation, Gus Van Sant nous rappelle bien, justement, qu'on est spectateur, et uniquement spectateur, du film et de l'évènement. On n'a pas à s'identifier. Quand on a l'impression d'y parvenir, dans le cas d'un tel fait divers, c'est du chiqué. On s'identifie jamais, on le supporterait pas. Le cinéma n'est pas de l'ordre de la pitié, ni même de l'ordre de la compassion (qui veut dire "souffrir avec", c'est pas rien), il est peut-être davantage du côté de l'empathie. On n'a pas vécu la chose (la fusillade, le reste) et n'importe comment on ne ressentira jamais rien de cette fusillade. On doit se contenter d'être en dehors, d'être spectateur, d'observer. Et c'est peut-être comme ça qu'on comprend le mieux, en n'obtenant aucune réponse claire et rassurante et n'entendant pas des dialogues faux et racoleurs supposés nous faire croire qu'on y était. On est en dehors. À l'extérieur. Et on recompose.

- Ouais mais c'est pas parce que t'y es pas que t'as pas envie de savoir.

- Ta gueule...

- Hein ?

- Non rien, je me suis trompé de fenêtre MSN.

- C'est pas parce que t'y es pas que t'as pas envie de comprendre se qui s'est passé, et je pense qu'on s'identifie tous a un moment donné, ça rappelle une situation qu'on a vécue ou une personne qu'on a connue, c'est obligé qu'un film joue un minimum là-dessus, sinon le public viendrait pas.

- Plutôt que de faire une enquête et de savoir la raison exacte (impossible à connaître en l'occurrence), Gus Van Sant a décidé de mettre dans son film toutes les raisons envisageables : jeux vidéos violents, homosexualité honteuse, humiliations scolaires, folie, appât de la vente d'arme légale, ignorance de l'Histoire, etc. etc. Personnellement je ne me suis identifié à aucun des personnages du film. Ce qui me touche c'est le temps que crée Gus Van Sant, et qui lui est propre. Il crée un temps, des durées, où s'inscrit la vérité du corps adolescent, et il te permet d'habiter ces durées. Et puis il te met pas n'importe où avec sa caméra, il crée un espace logique, un espace-temps brillant, et il te met dedans pour te montrer (d'un certain point de vue), ce qu'il a à te montrer.

- Moi j'ai trouvé ça trop long honnêtement quand on suit les personnages et qu'il se passe rien. J'ai pas aimé. Il l'aurait fait une fois ça serait passé, mais à chaque fois pour moi c'était trop.

- Mais dans la vie il y a ces moments vides de marche. Et d'habitude on ne les voit pas au cinéma, on ne voit que les points A et B, où les personnages s'arrêtent et discutent et où il se passe quelque chose. Là il décide de montrer le chemin entre A et B. Et j'ai tendance à penser qu'il se passe peut-être plus de choses finalement dans le chemin qui mène aux actes, que dans les actes mêmes. Il y a ceux qui filment des gens, qui font un champ/contrechamps, ils filment un personnage, puis l'autre. Et il y a ceux qui essaient de filmer ce qu'il y a entre les gens.

- Je crois pas que dans la vie il y ait ces moment de vide. Et moi je trouve qu'au contraire cet espace-temps il est centré uniquement sur le personnage et pas sur les interactions entre le personnage et les autres.



- Je sais pas... Par exemple, ce soir, tu as dû rentrer chez toi. Faire le chemin qui sépare ton lieu de travail de chez toi. La plupart des réalisateurs à qui on aurait demandé de filmer ce qui t'est arrivé entre 18h50 et disons 19h30, auraient filmé la fin de ta journée de travail, et puis ensuite l'arrivée chez toi. Alors que, et peut-être que tu ne seras pas d'accord, il est possible, je dis bien possible, que montrer le trajet, entièrement, que tu as fait à pied toute seule entre les points A et B, soit finalement beaucoup plus révélateur de ta personnalité, de ton être tout entier, par ta démarche, par ta seule présence. Peut-être parce que tu étais seule, déjà, rien que ça. Parce que plus personne ne te regardait et que tu ne regardais plus personne, parce que tu venais de quelque part et allais autre part etc.

- Ouais c'est pas faux. J'avoue.

- Et peut-être tout simplement que ce temps-là compte. Qu'il n'est pas négligeable. La banalité du quotidien est peut-être plus frappante que tel ou tel événement soi-disant majeur de la vie des gens. C'est du temps, et de l'espace, et il a compté dans ta journée, peut-être moins que d'autres moments et d'autres lieux, mais il a existé, et pourquoi ne pas le montrer, pour une fois.

- Oui mais uniquement s'il est intéressant.

- Il l'est forcément.

- Pas toujours.

- Alors pas toujours mais comme il n'est jamais montré, pour une fois qu'il l'est, j'aime le film de Gus Van Sant. Cet après-midi je lisais un livre qui disait : "Deux personnes qui se regardent dans les yeux ne voient pas leurs yeux mais leurs regards. (Raison pour laquelle on se trompe sur la couleur des yeux ?)". C'est un peu la même chose, il y a les cinéastes qui filment les yeux et ceux qui filment les regards, ce qui passe entre deux personnes, entre deux lieux et ainsi de suite.

- Ciao.

- :-/ ".


Elephant de Gus Van Sant avec Alex Frost, John Robinson et Elias McConnell (2003)

27 juillet 2008

Juno

Encore une belle merde "indé". Ce genre de film devient vraiment insupportable. Le type, Jason Reitman, part d'un scénario presque catastrophe pour déployer des personnages tous plus cools les uns que les autres, tout le monde prend tout à la légère, voire à la rigolade, tout le monde est sympa et original. C'est à dégueuler par terre. (Je vous préviens je suis en pétard). Tout le monde s'entend bien, tout le monde est propre sur soi, c'est une déferlante de bons sentiments niais et ridicules, une avalanche de cons en costumes. Tout est absolument improbable, on se complaît dans l'obstinément faux et le carton-pâte sur fond de petites chansonnettes indé et pop à vomir. C'est de la pseudo bande dessinée de bas étage. Ellen Page joue la comédie comme un cul-de-jatte jouerait à la balle au prisonnier. Les personnages sont autant de clichés abominables enfilés l'un derrière l'autre, c'est du chiqué, du chiqué et du rechiqué, du tabac chiqué, qu'on interdisait autrefois de cracher dans les lieux publics pour éviter de se refiler la tuberculose entre potes de bar. Tout est pourri jusqu'à la moelle et épuisant de mièvrerie et de bassesse. Entre deux regards pour son acolyte et après avoir dit qu'elle adorait les Stooges, Juno déclare que Dario Argento est le grand maître de l'horreur, et que Suspiria est le meilleur film du genre. Aucun ado ne dirait ça, dans n'importe quel pays, à n'importe quelle époque, personne ne dirait ça, jamais, et la providence nous en préserve, Dieu et l'Empereur Tiber, dans leur grande miséricorde, nous en préservent. Mais Juno, elle, elle le dit parce qu'elle est chouette et qu'elle a les "meilleurs goûts" du metteur en scène de ce taudis de film.




Et ceux qui regardent ça en se tripotant l'oiseau ils en redemandent, ils osent en redemander les salopards ! "Allez remets-nous en un coup, remets-nous en un bon coup de ta chansonnette que je bande". J'ai d'abord regardé les 20 premières minutes. J'ai fait une syncope. Puis, deux mois après, j'ai lancé la suite. Au bout de deux mois j'avais oublié le mal. On oublie le mal, on le prend en patience. On l'oublie dès qu'il est passé, c'est bien connu, et une fois guéri on oublie combien on en a chié quand on était malade, toujours. La douleur est passagère. La souffrance, aussitôt passée, on l'oublie, on la minimalise, on l'atténue, on s'en souvient plus. Je me suis arrêté au bout de 47 minutes, exténué, à deux doigts du malaise vagal, à deux encablures de chier dans mon ben ou de décompenser. Ce genre de film c'est une abomination des sens, c'est un abysse de connerie, un égout infect. C'est intenable, c'est un calvaire de décoration, de putasserie, de bêtise, de gentillesse à se rouler dedans et s'y répandre encore. Plus jamais. Je paierais cher pour ne plus jamais avoir à tomber sur une seule minute d'un seul film comme celui-là. Jamais. Je suis prêt à payer, à me tailler le bras dans le nerf. C'est trop de mal !


Juno de Jason Reitman avec Ellen Page, Michael Cera et Jennifer Garner (2008)

23 juillet 2008

Bienvenue au cottage

Deux malfrats du dimanche tiennent une fille en otage afin d'obtenir une belle rançon et se réfugient dans un cottage perdu pour procéder tranquillement à leurs méfaits. Les deux types forment évidemment un couple très mal assorti, l'un est gaffeur et dans la lune tandis que l'autre est facilement agressif et beaucoup plus terre-à-terre. Ils sont tous les deux incarnés par des acteurs de seconds plans, parmi lesquels Andy Serkis (cet acteur qui, habituellement, joue avec des capteurs sur tout le corps et bosse sur fond vert - on a en effet déjà pu apprécier ses talents en imitation de primates quand il interprétait Gollum ou King Kong). Quant à la jeune fille, il s'agit d'une sorte de call-girl de luxe, au caractère tenace et disposant de plus d'un tour dans son sac. Elle est jouée par Jennifer Ellison, une Pamela Anderson british du pauvre, avec les seins moins gonflés, certes, mais avec semble-t-il un talent identique et les mêmes ambitions artistiques. L'autre malfrat, élément le moins intéressant du trio, est incarné par un sosie d'Olivier Gourmet.




Chose très à la mode, Bienvenue au Cottage se veut à la croisée de plusieurs genres : la comédie, le film de gangsters et, finalement, le film d'horreur car qui dit cottage perdu, dit forcément attardé mental psychopathe consanguin traînant dans les parages (la campagne, quelle horreur !). Comme souvent, ce mélange ne fonctionne à aucun moment. Le début du film, qui tend davantage vers la comédie de type buddy-movie, est d'une platitude et d'un ennui sans nom, le film ne parvient alors qu'à être agaçant quand il essaie laborieusement de faire rire. Les rares rebondissements sont très téléphonés et on en vient à se moquer complètement de l'intrigue. Le film bascule ensuite dans l'épouvante, en conservant bien sûr ses allures de parodie minable, et le réalisateur nous gratifie au passage de quelques plans gores peu ragoûtants dont on pourra légitimement se demander l'utilité au sein d'une œuvre qui, jusque là, avait tout l'air d'un divertissement familial totalement raté.




Une fois le film terminé, on se demande ce qui a pu motiver Paul Andrew Williams à écrire et réaliser cette œuvre ; et on se dit surtout qu'on devrait une bonne fois pour toutes abandonner ce principe idiot qui consiste à venir à bout d'un film quand celui-ci a été bien entamé. A oublier !


Bienvenue au cottage de Paul Andrew Williams avec Andy Serkis, Jennifer Ellison et Reece Shearsmith (2008)

Le Stade de Wimbledon

En 2002, Mathieu Amalric, fort de son expérience sur Mange ta soupe, décide de tourner un nouveau film, pour le grand écran cette fois-ci, mais toujours court de 70 petites (et savoureuses) minutes. Il raconte qu'il a pris un livre au hasard dans la bibliothèque familiale, prêt à l'adapter au petit bonheur la chance. Il est tombé sur Le stade de Wimbledon, de Daniele Del Giudice. Un roman qui raconte les pérégrinations d'un jeune homme parti à Trieste enquêter sur un écrivain qui n'a jamais écrit. Amalric tombe aussitôt amoureux du roman et il part rencontrer son auteur, bien décidé à en tirer le film qu'il s'était juré de faire coûte que coûte. Simplement, et l'auteur du roman s'en amuse, le jeune enquêteur deviendra dans le film une jeune femme. Une jeune femme qui aura les traits de Jeanne Balibar, évidemment. La première séquence du film donne le ton : à bord d'un train, la caméra d'Amalric filme l'actrice puis nous représente son regard, rêveur et contemplatif, coloré par une photographie précise et ouatée tout à la fois, lumineuse en un mot. Mais le train en route pour Trieste s'arrête sur la voie. Il n'arrivera jamais en gare. Sur les conseils d'un voyageur, la jeune femme décide de rejoindre la ville à pieds, par des chemins de traverse, déjà en décalage à flanc de falaise dans sa robe et sur ses talons, admirant la ville d'un point de vue privilégié grâce à ce trajet interrompu avant son terme.



Truffaut disait "faire un film contre le précédent" et Amalric s'en acquitte. Contre l'autobiographie sous-jacente de Mange ta soupe, Le stade de Wimbledon s'inspire d'un roman tout étranger ; à la stagnation du premier vient se substituer l'incessante bougeotte du second ; enfin, à l'abondance sans caractère d'objets-livres s'oppose la quête d'un seul, qui n'existe pas. Amalric tourne son film à divers moments au cours d'une année entière, à l'image de son personnage qui revient à intervalles irréguliers à son labeur. Il n'écrit pas d'adaptation et tourne sans scénario, seulement muni d'un exemplaire du roman de Del Giudice. La jeune femme interprétée par Jeanne Balibar arrive au début du film à Trieste, où vécut Bobi Wohler jusqu'à sa mort quelques années plus tôt. Complètement fascinée par ce grand intellectuel, ce penseur brillant, proche de tant d'écrivains, la jeune femme se demande pourquoi il n'a jamais écrit (entendez "publié"). Au fil des allers et retours à Trieste, au gré des rencontres, la personnalité et le mystère de cet homme de lettres sans écrits commence à se dessiner et parallèlement à cela la quête devient de plus en plus floue pour la jeune instigatrice. Encore une fois chez Amalric, tout n'est qu'une histoire de livres où se croisent l'essentiel et le dérisoire.



Le style d'Amalric cinéaste se précise, s'affine, se grandit. Il y a dans ce film une grâce permanente, un plaisir de l'image, la création d'un temps unique propre à son auteur et qui s'affirme, s'épanouit dans une quintessence de lumières et d'intelligence. Ce film c'est avant tout celui d'un homme qui filme la femme qu'il aime. Amalric filme sa Jeanne Balibar, il l'aime, et ça suffit à faire un grand film quand son auteur a du style et du temps, un temps à lui qu'il nous permet de partager. Il le dit lui-même : "Fuller disait a film is a girl and a gun, moi je n'avais que Jeanne et le soleil, alors pour moi un film c'était a girl and the sun".


Le Stade de Wimbledon de Mathieu Amalric, avec Jeanne Balibar (2002)

Mange ta soupe

Mange ta soupe est le premier long métrage (quoique pas très long, 70 minutes) de Mathieu Amalric. Au départ, comme nous l'apprend Amalric lui-même dans les bonus du dvd édité par les Cahiers du cinéma, ce ne devait être qu'un petit film : tournage rapide puisque bénévole, car personne ne devait être payé. Et puis au final grâce à l'appui d'un producteur ce film fait pour la télé a pris de l'ampleur, le temps de tournage s'est allongé de plusieurs semaines et tout le monde a eu droit à un salaire. C'est aussi le premier scénario écrit par Amalric, et c'est l'histoire d'un jeune homme qui, de passage à Paris pour son travail, débarque chez sa mère, critique littéraire, dont la maison croule sous les livres. Piles chancelantes de pavés littéraires, amoncellements de bouquins en tous genres, pyramides d'ouvrages, la maison a peu a peu cédé tous ses espaces vides aux écrits. La mère (Adriana Asti), un peu exubérante et franchement survoltée, vit seule. Son mari (László Szabó) a refait sa vie ailleurs et sa fille (Jeanne Balibar), jeune mère célibataire, a quitté le foyer. La place du fils reste à prendre, ou à reconstruire, par exemple en repeignant la chambre du troisième enfant, celui qui s'est suicidé.



Sous couvert d'humour, de légèreté, de grand-guinol permanent dans cette demeure où le poids des livres préside, il y a comme une pesanteur qui se libère doucement tandis que le fils prodigue déleste à pas de loups (imitant physiquement la démarche de Roman Polanski dans Le Bal des Vampires) la maison de sa mère de quelques uns de ses milliers de livres. Comme un jeu de piste parmi les bibliothèques et les piles de livres insaisissables, le film fait du surplace en huis-clos et révèle doucement ses secrets, en-dessous des anciennes couches de peinture, derrière les romans qu'on se raconte pour oublier les vraies histoires (d'où le titre, qui reprend la phrase favorites des mères dont les enfants sont trop curieux). C'était le premier film d'un jeune homme bien décidé à se frotter à l'éternel adversaire (et partenaire) du cinéma : la littérature, ou disons les livres, dans un premier temps, car la littérature viendrait avec le second film de l'auteur. Pour faire ses premières armes dans un long métrage, Amalric a engagé son idole, l'acteur de théâtre Jean-Yves Dubois, mort très tôt et à qui Amalric acteur dit devoir beaucoup (et ça se voit !), et puis la remarquable Adriana Asti, le fameux László Szabó des premiers films de Godard, véritable idole pour Amalric, et enfin sa fiancée de l'époque, Jeanne Balibar, également très inspirée dans ce film. On y admire déjà un art de l'ellipse, un penchant pour la poésie (la toute dernière séquence est éblouissante) et un style naissant, le style élégant de ce jeune metteur en scène prometteur, de cet intellectuel embrouillé, de ce comique proclamé qui prenait ses marques derrière la caméra en cette fin des années 90 et qui allait bientôt se laisser prendre au jeu des sunlights. Bientôt mais pas tout de suite. D'abord viendrait Le Stade de Wimbledon.


Mange ta soupe de Mathieu Amalric avec Jean-Yves Dubois, Adriana Asti, László Szabó et Jeanne Balibar (1997)

22 juillet 2008

Frontière(s)

Ce film est mauvais. C'est un mauvais film. Les personnages sont mauvais. Ils sont incarnés par de mauvais acteurs. Les personnages sont méchants. Ils font des choses qui sont mal. Ils les font avec méchanceté. C'est filmé avec méchanceté, comme si le spectateur était quelqu'un de mauvais à qui il fallait faire du mal. Par exemple : la caméra tremble sans cesse, peut-être parce que c'est une mauvaise caméra, ou bien parce qu'elle est tenue par quelqu'un qui sait mal la tenir. Peut-être aussi que la caméra est maniée par quelqu'un qui filme volontairement très mal. Mais dans tous les cas, c'est mauvais. Car cette façon de filmer provoque des maux de tête. Le réalisateur semble se donner un mal de chien à créer des images qui engendrent des maux de ventre. Les couleurs sont sales, c'est mal éclairé, mais ça, c'est fait exprès, car l'œuvre se veut laide et désagréable.



Le film commence très mal. Les gens dans la rue sont méchants, on est en pleine guérilla urbaine, on nage dans une très sale ambiance de laquelle se dégage plein de mauvaises ondes. On voit des affrontements entre les forces de l'ordre et les civils. Ces derniers se révoltent suite à l'annonce des mauvais résultats du premier tour des élections présidentielles. Alors les personnages principaux, tout aussi mauvais, décident d'en profiter. En pleine cohue, ils volent un gros stock de billets, ce qui est mal, car le vol est mauvais, et ils décident de s'enfuir à la frontière pour ne pas être pris par les policiers français, qui eux aussi sont des gens méchants. L'héroïne n'a pas l'air si mauvaise, mais elle est enceinte et la gestation se passe mal : elle pleure et hurle sans cesse car les gens autour d'elle sont méchants. Ça fait mal aux oreilles du spectateur et son enfant sera sans doute quelqu'un de méchant après avoir évolué dans un tel climat de haine et de violence. Toujours est-il qu'elle doit fuir la ville, elle et toute la méchante bande, pour ne pas finir derrière les barreaux. Sur la route, ces personnages méchants originaires de la banlieue parisienne découvrent les paysages campagnards qu'ils n'avaient encore jamais parcourus. Ils trouvent ça laid, ce qui est normal car dans ce film tout est laid. Arrivée en plein monde rural, tous nos mauvais personnages principaux découvrent aussi, via le très mauvais scénario de ce très mauvais film, que les gens de la campagne sont également très mauvais. Ils sont méchants. Le gérant du gîte dans lequel ils sont mal accueillis a la sale gueule défoncée de Samuel Le Bihan. Il a l'air mauvais. On nous le présente dans une petite séquence infâme où on le voit plonger ses doigts sales dans de la barbaque pas fraîche pour préparer un plat dégueulasse. On filme cette barbaque de très près, car c'est laid, donc c'est mauvais, comme le film, alors c'est raccord. Plus tard, en goûtant à ce plat, nos personnages diront "berk" car le plat a très mauvais goût ; mais ils le mangent quand même, comme le réalisateur, qui continue malgré tout à filmer. En plus de ce gérant hideux doublé d'un mauvais cuisinier, nos sales protagonistes rencontreront deux femmes très laides et très vulgaires. Ce sont des prostituées qui travaillent pour le gérant, mais ils s'en rendront compte seulement après avoir profité de leurs services. Un personnage dira de l'une d'elles, en prononçant très mal, qu'elle "pue de la chatte en plus". "En plus" car ce n'est pas tout, elle est également très laide et très vulgaire, mais ça, il était déjà au courant avant de découvrir sa chatte, alors le personnage fait ici preuve d'une certaine mauvaise foi. Peut-être aussi que le fait qu'il soit lui-même très laid et très vulgaire l'empêche de déceler ces défauts-là chez les autres. Bref, on ne sait pas. Un plan foutu là au hasard nous montre une très ancienne télé diffusant une image en noir & blanc de bien mauvaise qualité. Vous savez, ce genre de télé à l'écran bombé qui sont aujourd'hui de véritables objets de collection. Ce plan est là pour nous informer, comme si nous n'étions pas déjà au parfum, que nous nous trouvons dans un coin véritablement très en retard. Et le retard engendre le mal à la campagne, tout comme l'actualité la plus récente a mis le feu aux poudres en ville. Évidemment, les choses se gâtent, les gens deviennent encore plus méchants ; on apprend que certains d'entre eux sont des néo-nazis. Les spectateurs les plus courageux apprendront peut-être, au bout d'une heure et demie de souffrance, que la seule rescapée de ce carnage est l'héroïne enceinte.



En fuyant la violence de la ville pour se réfugier à la campagne, notre bande de méchants se retrouve donc dans un bien pire endroit. Car le film nous démontre qu'il est toujours possible de faire pire, de trouver pire, même quand on croit avoir déjà traversé les moments les plus difficiles. Le film évolue en crescendo dans le mauvais, dans le détestable et le médiocre. Il existe pire que ce film, c'est sûr, mais en commençant si mal et en finissant d'une façon encore bien pire, Frontière(s) se place là.


Frontière(s) de Xavier Gens avec Samuel Le Bihan, Estelle Lefebure et Karina Testa (2007)

19 juillet 2008

La Machine à explorer le temps

En 1960, George Pal signe la première adaptation cinématographique du fameux classique de Herbert George Wells, La Machine à explorer le temps, paru en l'an de grâce 1895. Assez fidèle au livre, George Pal remet toutefois à jour son scénario en le recontextualisant et en faisant effectuer à son personnage principal, parti de la fin du XIXème, trois arrêts supplémentaires dans le temps. Ainsi, le héros (incarné par le très lisse Rod Taylor) assiste impuissant et stupéfait aux deux guerres mondiales, puis fait un petit stop tout aussi démoralisant en 1966, date à laquelle ce scénario bien de son époque programme une terrible guerre atomique. Pour le reste, la structure du livre est globalement respectée et notre explorateur temporel se retrouvera bel et bien projeté en l'an 802701, dans une terre transfigurée et faussement paradisiaque, où les blonds Elois sont réduits à l'état de bétail par les hideux Morlock. Le début des emmerdes...




En tirant brillamment profit d'une histoire qui semble avoir été écrite pour le cinéma, par l'intermédiaire de trucages simples et soignés dont la machine elle-même est une parfaite illustration, George Pal fait d'un classique de la littérature de science-fiction un excellent film du même genre. Certains passages où l'explorateur, installé dans sa machine géniale, assiste aux transformations successives de son monde sont même d'une fascinante poésie. Regarder la terre vieillir, confortablement assis dans un fauteuil, concerné mais à l'abri de tout et dans l'indifférence la plus totale, n'est-ce pas là l'une des aspirations de tous cinéphiles ? Quand il rejoint ses compagnons déjà attablés pour leur raconter son aventure, encore très perturbé et à la fois enchanté par ce qu'il vient de vivre, l'explorateur pourrait très bien ressortir d'une salle de cinéma plutôt que de sa fameuse machine. Son aventure est d'ailleurs si passionnante qu'il y retourne aussitôt après l'avoir contée, laissant cette fois-ci les autres spectateurs orphelins, sur le mot "fin".


La Machine à explorer le temps de George Pal avec Rod Taylor, Yvette Mimieux et Alan Moore (1960)