Un beau soir, en allant machinalement jeter un coup d’œil dans son frigidaire pour mesurer l'étendue de ses maigres richesses, Nicholas Jacobs, jeune scénariste new-yorkais sans le sou, a dû malencontreusement se refermer la porte sur les doigts. Un déclic s'est alors produit. Quelque chose a provoqué une vive décharge électrique le long de son nerf optique pour aller titiller les quelques neurones cachés dans son lobe pariétal gauche. Nicholas Jacobs venait d'avoir une idée, la première depuis des lustres ! Il prit soudainement conscience du potentiel horrifique de ce banal appareil électroménager, le réfrigérateur, qui n'avait encore jamais été exploité jusque-là. C'est ainsi qu'a germé l'idée de départ du film The Refrigerator sorti directement en vidéo en l'an de grâce 1991, peu de temps après la chute du mur de Berlin et la mort tragique de mon chat Leviathan, puis diffusé trois ans plus tard sur Canal +, à l'époque où la programmation de cette chaîne avait encore du sens. Même pas âgé de 10 ans mais déjà à l'affut des bonnes bobines horrifiques, j'ai découvert ce film en état de stupeur, au coin du feu, un beau matin d'hiver, aux côtés de mon père cinéphile littéralement fasciné par le titre et le pitch. Faute de pouvoir vous proposer une véritable analyse poussée de ce film qui fut décisif dans ma vie de cinéphage, je vais tout de même partager avec vous ce qu'il m'en... reste.
Allusion ici à la superbe tagline de l'affiche : "No survivors. Only leftovers", "Pas de survivants. Seulement des restes", un jeu de mots brillant.
Il me semble que l'histoire débutait du mieux possible, sous le soleil, à la campagne. Un jeune couple en pleine idylle nous était présenté, une blonde (Julia McNeal) et un tocard lambda (Dave Simonds). Pour mieux monter crescendo dans l'horreur, il fallait sans doute commencer par nous exposer ce tableau parfait. Puis nos deux zigotos partaient s'installer pour New York, leur bourse modique leur permettant seulement de louer un petit appartement dans un quartier craignos de la ville. Un T1bis crado qu'ils étaient curieusement les seuls à convoiter dans une zone peu fréquentable où le marché immobilier demeure néanmoins tendu. Un appart' sordide présenté comme meublé sur la petite annonce et qui a en réalité pour seul ameublement un réfrigérateur. Un énorme frigo, d'au moins 350L, qui trône au milieu de la cuisine-salle à manger... La star du film a un look des plus communs. Le bon vieux frigo de mamie, un peu rouillé sur les coins mais toujours fonctionnel, aux poignets métalliques peu avenantes et encombrantes. Il ne s'en fait plus des comme ça aujourd'hui, on a arrêté, même les frigidaires au style "vintage" sont mieux pensés que ça. Nicholas Jacobs insiste ici sur la familiarité de cet objet qui, a priori, n'a strictement rien de particulier ; un frigo comme un autre, laid, blanc jaunâtre, imposant et très proéminent compte tenu de la petitesse du logement, mais indispensable et somme toute très pratique.
Par peur de nous ennuyer et se rappelant peut-être qu'il est aux manettes non pas d'un film d'auteur singulier mais d'une série b fauchée qui doit aller droit au but pour satisfaire son audience impatiente, Nicholas Jacobs accélère le rythme une fois le déménagement du couple effectué et n'entretient aucune sorte de suspense quant aux intentions de l'appareil maléfique. Celui-ci est possédé par une force démoniaque à l'instar de l'adolescente de L'Exorciste et de François Cluzet dans pratiquement tous ses derniers films. D'abord alerté par des aliments qui ressortaient un peu trop saignants ou un poil congelés, notre couple voit sa vie de plus en plus parasitée par l'horreur qu'ils alimentent au quotidien. En proie à de vilains cauchemars, ils apprennent que les locataires se sont succédé à vitesse grand V dans cet appartement putride, comme s'ils en avaient été chassés... Puis Nicholas Jacobs lâche progressivement les chevaux et des accidents se multiplient dans la cuisine-salle à manger, de plus en plus sanguinolents. Le refrigerator diffuse son influence malsaine et, en outre, rechigne à accomplir sa mission de base : garder la bouffe au frais. C'est donc d'abord le réparateur qui voit son bras se faire happer par la machine, celle-ci l'engloutit brutalement dans une scène restée gravée dans ma mémoire. Il faut entendre ce sosie d'Ice Cube se débattre pitoyablement et pousser des cris affolés tandis que le frigo s'en prend à lui. La scène est terrible et m'avait scotché sur place ! On doit pouvoir imaginer sans souci les techniciens occupés à tirer les ficelles hors champs, mais à l'époque, l'illusion était parfaite.
Très belle idée de Nicholas Jacobs : les victimes du frigo réapparaissent ensuite en miniature sous la forme de restes, de petits plats mitonnés a priori appétissants mais bien dégoûtants quand on zieute de plus près la nature exacte des aliments. L'astuce de l'auteur-réalisateur est aussi d'entretenir le trouble via ces visions cauchemardesques : s'agit-il d'hallucinations provoquées par le réfrigérateur ou celui-ci est-il réellement capable de transformer ses victimes en bœuf bourguignon ? Autre idée sympathique de Nick Jacobs, et sans doute très pratique pour remplir le cahier des charges : le Refrigerator a un effet aphrodisiaque irrésistible sur tous ceux qui s'aventurent dans son rayon d'influence. On copule sauvagement et l'on prend son pied comme jamais contre lui, ce qui offre quelques scènes érotiques dignes d'un téléfilm du dimanche soir d'M6, un peu plus tordu que d'hab... Mon padre était amusé et moi, peut-être un peu gêné. Le meilleur moment du film, d'après mes trop vagues souvenirs, est ce final terrible lors duquel le Mal se répand sans limite dans l'appart : tous les ustensiles électroménagers se rebellent contre les occupants des lieux. Jacobs nous sert alors une sorte de clip gore de La Complainte du progrès de Boris Vian, une scène d'anthologie qui m'avait véritablement saisi à la gorge. Après ça, on ne regarde plus jamais de la même manière ses outils ménagers du quotidien, en particulier le robot mixeur, ici très vorace, il contribue en grande partie au carnage ultime. Les murs de la cuisine sont repeints en rouge.
Dernier souvenir du film, celui du tout dernier plan. Peut-être en guise de clin d’œil à l'excellent et sous-estimé Christine de John Carpenter, où la célèbre Plymouth terminait à la casse au milieu d'autres vieilles carrosseries de bagnoles compactées, The Refrigerator nous quitte sous la grisaille, à la décharge sordide du coin, pour nous offrir un dernier frisson similaire. Alors que le frigo a été en partie broyé et compressé, sa porte s'ouvre au bout d'un lent travelling avant qui fait froid dans le dos...
Quand j'étais gosse, j'accordais une grande importance aux conclusions des films d'horreur : celle-ci m'avait pleinement satisfait. Contrairement à moi, l'hebdomadaire TV Guide s'est montré très cruel et impitoyable avec Nicholas Jacobs à la sortie du film, en ne lui accordant aucune étoile sur quatre possibles. Je vous traduis les dernières phrases de leur injuste et cruelle critique : "Peut-être que les intentions n'étaient pas de nous faire rire ou d'avoir des frissons – c'est une parodie, après tout. Peut-être Jacobs voulait-il simplement faire une allégorie sur le mal inhérent à la domesticité. Si tel était le cas, cela aurait pu être fait de nombreuses autres façons. Son Refrigerator est une sombre merde pure." Je n'ai pour ma part jamais pu revoir ce film depuis ma tendre enfance, mais je préfère à vrai dire en conserver ce si doux souvenir...
The Refigerator (L'Attaque du frigo tueur) de Nicholas Jacobs avec Linda McNeal, Dave Simonds et Angel Caban (1991)