4 avril 2012

Cheval de guerre

On le croyait guéri, il rechute. Après le très plaisant Tintin, Spielberg rempile coup sur coup pour nous présenter Cheval de guerre, un film de 2h40 adapté du roman pour enfants de Michael Morpugo rendant hommage aux chevaux utilisés durant la première guerre mondiale. S'il faut préciser la durée du film c'est parce qu'elle est un vrai défaut en soi, qui implique non seulement des scènes superflues et interminables mais aussi une nécessaire répétition narrative. Quand le pitch tient sur un garçon anglais amoureux d'un cheval réquisitionné par l'armée pour participer à la première guerre mondiale, et quand le film de ce pitch dure 160 minutes, le piège de la répétition guette. Et ça ne loupe pas puisque nous admirons Joey, le cheval-star du film, séparé de son jeune maître pour appartenir successivement à un officier anglais puis à deux jeunes soldats allemand puis à une petite fille française puis à un éleveur de chevaux allemand puis à un soldat français puis au grand-père de la petite fille française pour finalement revenir aux mains de son proprio d'origine, avec à chaque fois le même attachement affectif et presque à chaque fois la mort du propriétaire - ou plutôt du locataire - de substitution.




Au rayon des scènes inutiles et trop longues, le bât blesse quand la pire sert d'ouverture au film et s'étend sur près de 40 minutes. Vous me direz qu'il fallait bien introduire la relation entre Joey le canasson et Albert Narracott (Jeremy Irvine), jeune freluquet d'anglais absolument dépourvu de caractère ou d'identité, qui fait de Joey son cheval, le dresse avec une pomme en imitant le coucou, lui apprend contre toute attente à labourer un champ et en fait quasiment son amant, au point de s'engager dans l'armée et de traverser les horreurs de la guerre dans l'unique espoir de retrouver son fidèle poney. Mais l'efficacité légendaire de Spielberg aurait dû lui permettre de très rapidement expédier cette présentation des personnages et de tout aussi rapidement nous signifier le lien qui les unit. Au lieu de quoi nous assistons longuement à la vente aux enchères où le père d'Albert fait l'acquisition du cheval pour une fortune et à la barbe de son logeur, au long dressage de la bête et à la séance de labour qui s'achève tardivement par un succès inespéré. Spielberg parvient quand même à nous rendre heureux pour un adolescent et son cheval qui parviennent à labourer un champ, et il faut lui reconnaître ce drôle de talent. A moins qu'on ne soit simplement ravi de voir enfin se produire ce qui allait forcément arriver pour que le film ne s'arrête pas avant d'avoir commencé, et de pouvoir passer à la suite, qu'on espère plus trépidante.




Mais ce n'est pas vraiment le cas. Le film continue de nous bassiner gentiment quand le capitaine Nicholls (Tom Hiddleston) achète Joey au père d'Albert avant de consoler ce dernier et de lui promettre de prendre soin de son cheval et de le lui ramener en pleine forme après la guerre. Cet officier de l'armée britannique n'a rien de plus urgent à faire, en pleine conscription de dernière minute et juste avant le départ pour la France, que de rassurer un valet de ferme zoophile un peu émotif. Soit. De toutes façons il vaut mieux s'asseoir sur la vraisemblance historique tant ce n'est pas ce qui préoccupe Morpugo et Spielberg dans ce film. Tirez aussi rapidement un trait sur la crédibilité du scénario, surtout si vous n'avez plus quatre ans et notamment si vous n'êtes pas suffisamment endormi par le film pour accepter sans ciller de voir un cheval apprendre à un autre cheval à passer sa tête dans l'encolure d'un harnais de trait, ou ce même cheval comprendre qu'on va forcer son semblable et ami à tirer un énorme canon allemand le long d'une côte abrupte où il risque sa peau pour aussitôt se précipiter au devant de l'officier en charge de remplacer les chevaux morts en pavanant et en roulant des mécaniques pour être choisi à la place de son pote mustang, auquel il lance un dernier regard en coin plein d'amour et de sacrifice… Spielberg nous avait déjà montré des raptors plus forts que le roquefort dans Jurassic Park 3 (dont il n'était que le producteur, ne soyons pas injustes), où il nous apprenait que cette race de dinosaures savait parler et avait une connaissance scientifique très complète de l'anatomie humaine. C'est désormais au tour des chevaux d'être dotés d'une intelligence supérieure, et au vu de leurs capacités intellectuelles et de leur humanité de sentiments, il n'est finalement pas si choquant que ça de voir un médecin, à la fin du film, préférer soigner la patte abîmée de Joey plutôt que de sauver des dizaines de blessés graves à peine revenus du front.




L'anthropomorphisme tant redouté bat son plein dans ce film sur la séparation des frères (d'armes ou de sang, humains ou animaux) par la guerre : les deux frères allemands que leur officier sépare et qui, pour rester ensemble, désertent avec Joey avant que leur armée ne les rattrape et ne les fusille ; Albert et son ami d'enfance, joyeuse band of brothers que leur officier sépare juste avant l'assaut dans le no man's land et qui se réunissent malgré les ordres dans la tranchée d'en face quand le gaz moutarde s'en mêle et englouti l'ami d'Albert pour finalement laisser ce dernier vivant mais aveugle un temps ; les deux chevaux amis et compagnons de galère que sont Joey et le beau dada noir qu'il aide de son mieux sans pouvoir empêcher sa mort ; et enfin le couple d'amis pour la vie que forment Albert et Joey eux-mêmes. Ce couple-là, le couple d'amis principal du film, celui que représente l'affiche, est le seul à rester intact, tous les autres sont partiellement ou entièrement détruits, et systématiquement la mort des protagonistes passe dans le hors-champ, car nous sommes quand même dans un film pour enfants. Ainsi du capitaine de cavalerie anglais qui, le teint pâle, regarde droit dans les yeux les mitrailleuses ennemies prêtes à tirer sur lui et qui n'est plus sur Joey dans le plan d'après, ainsi des deux frères allemands, fusillés à l'instant propice ou une pale du moulin à vent où ils s'étaient réfugiés passe devant l'objectif, ainsi de l'ami d'Albert qui est enveloppé par un nuage de gaz moutarde et qu'on ne reverra plus, ainsi aussi de la petite-fille de Niels Arestrup, dont ce dernier nous apprend la mort mystérieuse à la fin du film, en rendant son cheval à Albert et avec un étrange cri, entre le hoquet et l'éclat de rire.




En parlant de Niels Arestrup, il faut dire et redire à quel point il est navrant de voir prospérer cette convention qui veut que dans un film américain tout le monde, quelle que soit sa nationalité, parle américain. C'est le cas ici des français, Arestrup et sa petite-fille, qui déblatèrent un anglais informe dans un accent mi-bourguignon mi-belge à découper à la hache. C'est le cas aussi des allemands, qui parlent un anglais digne de celui de la reine quand ils sont gentils ou un anglais avec accent bavarois quand ils sont méchants et hurlent des ordres. A ce sujet la scène de fraternisation dans le no man's land façon Joyeux Noël confine au ridicule quand un soldat français et un soldat allemand, amenés à copiner pendant un quart d'heure pour sauver Joey des barbelés, discutent de la vie dans leurs tranchées respectives, et que le soldat français, qui parle anglais, dit tout d'un coup au soldat allemand, qui parle anglais comme tous les autres allemands du film : "Vous parlez très bien l'anglais !"… Au-delà de cette absurdité, la représentation de la première guerre est là encore estampillée Walt Disney. Une scène en particulier évite cet écueil et semble importée d'un tout autre film, celle où Albert monte à l'assaut forcé et contraint, exposé à une mort presque certaine, au milieu d'une vague d'autres soldats alliés, en pleine bataille de la Somme. On pense alors vaguement à Il faut sauver le soldat Ryan, même si la violence visible n'est pas du tout du même ordre. La musique de John Williams, à la fin du film, avec sa trompette claire et ses violons, rappelle d'ailleurs la partition du grand film de guerre de Spielberg. Finalement c'est quand il sort un instant des travers du film pour enfants, soit de ses plus lassants et embarrassants enfantillages (on penche plus du côté de Babe que de Au Hasard Balthazar), que Spielberg fait enfin quelque chose d'intéressant. Idem quand il filme le cheval effrayé par l'approche d'un tank et par les explosions incessantes du front, galopant en tous sens dans une course folle à travers les tranchées et les barbelés. Le cinéaste crée là une image brutale du paradoxe au principe de la guerre avec son déferlement autodestructeur inarrêtable d'énergie sans but, absurde et irraisonné. Malheureusement ce ne sont que quelques secondes dans un film de 2h40 qui, même destiné aux enfants, aurait dû être plus exigeant.


Cheval de guerre de Steven Spielberg avec Jeremy Irvine, Emily Watson, Niels Arestrup et Peter Mullan (2012)

45 commentaires:

  1. Sévère mais juste, comme le Bailli de Montfaucon.

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  2. Déjà le début est faux! TU le croyais guéri ! Mais t'as été mauvais médecin sur le tintin c'est tout !

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    1. Je crois pas. En attendant j'ai une fièvre de cheval !

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    1. Ton commentaire est trop court, j'ai failli ne pas le valider :D

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  4. Ce film a les défauts évidents d'un long métrage qui veut plaire à un trop large public, en particulier aux enfants. Du coup, on doit subir un côté niais un peu énervant. Mais le plus énervant reste l'accent de la petite fille française parlant anglais...c'est juste insupportable.
    Au-delà de ça, il reste tout de même de très belles scènes et une belle photo qui font passer la pilule.

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  5. À quand des chevaux qui parlent anglais entre eux, et avec des raptors ? "Hello, I'm Little Thunder, nice to meet you raptors !"

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  6. Si le film est comme l'article, je ne vais pas le regarder jusqu'au bout.

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  7. C'est moins bien que "Tintin" mais c'est quand même pas mal. Voilà, c'était mon commentaire constructif du jour.

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  8. Début très labourieux. Mollesse des personnages. Épisode français nul et soporifique avec des acteurs qui se sont arrêtés à la leçon 3 de la méthode Assimil. Quelques plans hideux retouchés à la sauce numérique. Tout concourrait à la plus grosse daube si Spielberg n'était pas un bon faiseur... J'ai voté Pas terrible.

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  9. Toujours ce vieux savoir faire qui le sauve vaguement, on est d'accord, même si ça reste au ras des pâquerettes.

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  10. Mon film préféré de ce début d'année...

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  11. Le chwal est ptet l'animal que j'aime le plus mais je vois pas en vertu de quoi il mériterait moins d'être bouloté qu'un poulet ou qu'un porc. Je serais très curieux de goûter du chwal !

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  12. Intéressante question Stavros ! Je crois que c'est parce que l'homme a gardé une peur ancestrale du cheval. Qui ose encore de nos jours passer derrière les pattes arrière d'en cheval sans craindre de se faire botter le cul ? L'homme ne bouffe quotidiennement que les animaux qu'il ne craindrait pas s'ils étaient vivants en face de lui.

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  13. On commence à manger du kangourou un peu partout, y compris chez nous, et je ne m'en approcherais pas avec tranquillité, pas plus que d'un cheval, ou pas moins en fait... On mange aussi du requin et j'irais moins me frotter à un requin qu'à un cheval, même s'il paraît que les requins ne sont pas spécialement agressifs, à part si on a la mauvaise idée de se mettre à pisser le sang près d'eux. Non je pense qu'on ne veut pas manger du cheval parce qu'on trouve cet animal très beau (et on a raison), très noble, noblesse acquise grâce à sa longue proximité avec l'homme qui l'a mis à son service, grâce à ses sacrifices forcés dans de nombreuses guerres, et grâce aux courses où il permet à certains de (croire qu'ils vont) gagner une grosse masse de fric. C'est sans doute juste dû à cette noblesse de style et cette beauté physique, c'est en somme du "racisme", tout simplement. Le même qui te fera palpiter le cœur si tu écrases un écureuil avec ta bagnole et qui te fera marrer si tu écrases un ragondin, deux créatures de Dieu que tu auras tuées mais dont l'une est belle et l'autre est laide.

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  14. Pas faux, pas faux, cela expliquerait la prolifération dans nos assiettes des huîtres, escargots, moules et autres cuisses de grenouilles. Mais pourquoi ne mangerions-nous que du laid ? Je trouve une vache au moins aussi noble qu'un cheval personnellement...

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  15. Je ne dis pas qu'on ne mange que du laid, je dis qu'on ne mange pas le cheval parce qu'il est trop beau, et là je place un petit coup de cœur personnel pour le cheval, animal que je trouve effectivement très beau, et qui est même le plus beau des animaux à mes yeux, avec le lion. Sauf qu'en fait on n'en mange pas parce qu'il y a des gens qui sont prêts à faire des auto-collants pour l'interdire, qui doivent trouver le cheval encore plus beau que moi... Idem pour le dauphin je crois.

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  16. C'est ethnocentré, tu mangeras pas une vache en Inde ! Par contre là-bas ils s'enfilent des trucs pas nets qui te refilent la sechia en cinq minutes.

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  17. Stavros tu fais partie du comité de protection des pizza ?

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  18. Je ne vois pas le rapport mais je suis très très très friand de pizza oui. D'ailleurs j'en ai envie là, parce que la pizzeria terrible en bas de chez moi embaume le quartier pour mon plus grand bonheur. Et toi ?

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  19. J'en mange assez rarement, et c'est encore plus rare quand elles sont faites par quelqu'un d'autre, mais je me trimballe l'envie d'en bouffer une depuis quelques jours effectivement.
    Je te demandais ça parce que je connais pas de pays où on n'en bouffe pas. Je connais peu d'endroits reculés où la pizza n'a pas installé sa présence dans les assiettes. C'est un aliment ethnodécentré quoi !

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  20. C'est très vrai, même si souvent elle est galvaudée, réduite au triste état de vulgaire tarte. La pizza, la vraie, c'est pas une vulgaire tarte. Je parle en tant que fiston de pizzaïolo.

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  21. T'as des astuces pour une bonne pâte ? Perso je mets 550 ml d'huile d'olive, 1/2 l de flotte et un kilog de farine, et une bonne poignée de bébé de sel.
    Mais je sais jamais s'il vaut mieux faire une cuisson avant de garnir ou le mettre au four d'un coup...

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  22. Je serais incapable de t'aider. La seule fois où j'en ai fait c'était dans le resto de mes parents et c'était cuit au feu de bois et compagnie (pas de précuisson donc, tout enfourné en même temps). En tout cas il faut que la patte soit fine, comme Marat !

    Je pourrai demander à mon paternel quelques conseils de recette et de cuisson si tu veux.

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  23. Volontiers :-D J'imagine que pour la finesse faut pas trop forcer sur la levure...

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  24. Ca me paraît cohérent mais tu m'en demandes trop !

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  25. Malgré une carrière désormais en dents de scie, Steven Spielberg conserve de beaux fans :

    http://media.lelombrik.net/41501-42000/89cda0e2b88895e52f0fed354bfddbfa1793d974.jpg

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    1. Grosse solitude de part et d'autre sur cette photo...

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    2. J'aimerais offrir le même t-shirt à Rémi :D

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  26. Personnellement, je trouve toutes ces critiques totalement déplacer car nous ne sommes pas dans un film historique mais plus dans un conte. Le cheval ne fait peut-être pas tout ce que vous croyez, mais il a une âme et est parfois même plus intelligent que les humains eux-même ! Personnellement, je m'attache plus facilement à un cheval qu'à un humain.
    Mais je trouve que le film est quand même surfait par endroit. C'est votre critique, votre avis, nous n'avons pas le même point de vue et c'est tout à fait normal

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    1. "Personnellement, je m'attache plus facilement à un cheval qu'à un humain."

      Que répondre à ça ?

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    2. Terrible... Si encore c'était un iench...

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  27. Un steak de cheval, c'est vachement bon.

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  28. J'avais adoré au ciné
    Un peu long à la télé
    Pas un mauvais Spielberg cependant...

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  29. Un petit Spielberg ca reste un excellent film...

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  30. la connerie humaine celle là quand tu nous tiens les chevaux sont bien meilleurs que tous ces cons qui parlent pour rien dire

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  31. Notre premier commz posté par un cheval ?

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