
Comment expliquer le succès de ce film qui succède à La Grande vadrouille, Blanche-neige et les septs nains (on ne le dit jamais assez) ou Bienvenue chez les ch'tis dans l'histoire du box office français et qui tutoie les Avortons et autres Twitanic (cliquez sur le titre) de l'intouchable Cameroon. Je laisse ce mystère entre les pattes des meilleurs sociologues : Pierre Bourdieu et Alain Finkielkraut, si vous m'entendez ! De notre côté on va se contenter de vous faire part de notre ressenti sur ce film, comme on fait régulièrement, une fois tous les deux jours. Il faut préciser que nous sommes au départ plutôt acquis à la cause des dénommés Francis Cluzet et Omar Sy (prononcez Sy, si si). Le premier est devenu un pylône du cinéma français, il est au top en ce moment, quantitativement en tout cas puisque chaque mois les amateurs de Cluzet ne savent plus où donner de la tête : Cluzet sera bientôt le cheval dans Cheval de Guerre du grand Spielberg, l'intrus dans Intruders de l'allemand Juan Carlos Fresnadillo, et il sera aussi en tête d'affiche du Projet Nim. Qualitativement il a déjà été mieux dans ses baskets puisque les films qui l'ont fait exploser aux yeux du grand public ces dernières années sont entre autres les deux infâmes taudis réalisés par Guillaume Canet : Ne le dis à personne et Les petits choirmous. Nous serions étonnés de revoir Cluzet briller dans un film d'Assayas ou de Chabrol (et pour cause). L'acteur a changé de monde, y'a pas à dire. Mais on ne lui jettera pas vraiment la pierre car il reste bon acteur, sympathique comme tout, et grandiose en interview tv où il est l'auteur d'un certain nombres de "sorties" (comme on dit) de haute volée. On se rappellera avec émotion de sa "sortie" terrible sur les handicapés à Cannes l'année dernière, ironie du sort : il fait aujourd'hui fortune en jouant un tétraplégique de la tête aux pieds. A vrai dire, nous jetons un œil à sa filmographie tout en tapant ces lignes, et il faut avouer que si Cluzet a certes explosé en vol récemment dans des navets, il a toujours pissé le chaud et le froid, il a toujours alterné bons films et groooooosses purges. Bref, alternons nous aussi et passons à Omar Sy, en road to the Césars à l'heure actuelle. Et pourtant... On l'a toujours bien aimé dans le SAV, où son rire communicatif et ses différents personnages emportaient le morceau, même si le plus drôle de la troupe reste Sylvie Testot (dont la filmographie est une décharge où Gardiens de l'ordre passe pour une pépite). Comme son collègue, Omar se repose un peu sur ses lauriers mais son parcours fait rêver les français : parti des banlieues le voici intouchable ; son service trois pièces fait quant à lui rêver les françaises, mais ça c'est un peu facile.

Malgré les acteurs en présence, le film n'est pas vraiment drôle. On pouffe cinq ou six fois en tout et pour tout. Certaines vannes ont été faites pour la première fois il y a sans doute 50 ans (comme celle des Assédics et des "deux ans d'attente"), d'autres tombent à l'eau (comme quand Omar Sy brûle les jambes insensibles de Cluzet à coup de thé vert bouillant, on est gêné pour lui), d'autres ne sont pas faites et on le regrette. Par exemple, si le personnage d'Omar Sy se lâche sur les handicapés, son vis-à-vis ne lui renvoie jamais la pareille avec une quelconque vanne sur les noirs (comme celle que nous nous sommes permise quelques lignes plus haut sur le probable Calamar géant d'Homard pas vraiment connu pour être un Bernard l'Hermite) et c'est un peu dommage. D'autant que Cluzet est donc réduit à un rôle aussi éteint que le corpus du type qu'il incarne, il se charge du pendant vaguement sentimental du film tandis que Sy essaie de rayonner de mille feux en solo, ce qui n'aide pas à nous faire croire en l'amitié improbable des deux personnages. La plausibilité de l'histoire (que le film soit inspiré d'une histoire vraie ne change rien au problème) est également mise à rude épreuve par la richesse extravagante du tétraplégique, qui est un rempart à l'identification du spectateur face à une amitié qui paraît d'autant plus surprenante. Autre rempart : la tendresse qu'éprouve Cluzet pour un type qui s'amuse à lui cramer les gambas paraît un peu factice, surtout quand le même personnage prend en grippe son nouvel auxiliaire de vie, remplaçant temporaire d'Omar à la fin du film, qui a juste eu le tort d'inverser ses pantoufles. On ne parle que pour nous bien sûr étant donné que le rempart n'a visiblement pas été difficile à franchir pour 17 millions de spectateurs and counting. Cependant, disons-le comme on le pense, la relation qui unit les deux personnages n'est pas très bien travaillée. Nakache et Toledano (qui restent les co-auteurs de l'infâme Je Préfère qu'on reste amis...) échouent à nous rendre vraiment tangibles les sentiments réciproques qui unissent leurs deux protagonistes, et leurs échanges tout au long du script ne sont pas glorieux. Par exemple, là où Cluzet essaie en vain d'initier Omar à la musique classique et à la peinture moderne (il foire aussi dans ce domaine puisqu'Omar ne se met à la gouache façon Pollock que pour l'appât du gain et fait dans son froc à la première note jouée par Chopin), son nouveau compagnon issu des banlieues ne le convertit qu'aux putes et aux joints, voire à la disco...

Quand on essaie de ne pas s'arrêter à un visionnage au pur premier degré, on se heurte à quelques défauts notoires. Le premier, et pas des moindres, c'est l'aspect très télévisuel du film, qui ressemble de loin à un épisode de Louis la brocante saison 3 (dite "la saison maudite" par Victor Lanoux lui-même, aka Louis la trocante, appuyé sur ce coup-là par le second couteau Armand Chagot aka Raymond le gendarme). Au rayon des choix faciles et assez tristes de mise en scène, on peut évoquer le flash-back par lequel commence le film via une scène assez médiocre qu'on se retape à la fin (on n'évoquera que celle-là vu que précisément il n'y a pas de mise en scène)... Au niveau du discours, on pourra tiquer sur quelque démagogie de bas étage, qui passe d'abord par la quête immédiate d'une connivence avec le spectateur à travers le doux dédain des flics et par une sorte de mépris non-déguisé des classes supérieures quand Omar Sy, grand black de banlieue, secoue ou malmène violemment des bourgeois chevelus et passe pour un Dieu en usant de sa force, y compris aux yeux de Cluzet qui déclare fièrement : "C'est comme ça qu'il faut faire !". Idem pour le faux politiquement incorrect dont le film se revendique, avec les vannes sur les handicapés donc, du type "pas de bras pas de chocolat", vannes bien gentillettes au final et qui s'attirent la sympathie du public en décomplexant tout le monde alors que le film est par ailleurs bien huilé pour ne vexer personne, et l'absence totale de blague sur les noirs participe de cela. Les seuls qui seront peut-être vexés au final ce sont les amateurs d'art contemporain, car Intouchables est également très populiste quand, entre trois vannes pasteurisées, il fait ouvertement et sans vergogne l'anathème de l'art et de ses pseudo exigences intellectuelles onanistes, se plaisant à sournoisement piétiner d'un seul coup tout l'art moderne et à conforter le grand public dans sa bienheureuse ignorance des grands chefs-d’œuvre de la musique classique considérés comme autant de jingle publicitaires. Cet aspect du film est indéniable et à relativiser dans le même temps, car on a bien conscience que le film n'a pas pour visée de dénigrer réellement la musique classique, c'est plus une facilité qu'autre chose, un raccourci bien pratique, avec à la clé un clin d’œil très daté qui n'aura bientôt plus aucun sens puisqu'on aura oublié de quoi parle Omar quand il fait référence à telle ou telle pub. C'est de l'humour avec date de péremption, comme ce film qui, à l'image de Bienvenue chez les Ch'tis ou d'Astérix et Obélix : Mission Cléopatre, sera oublié et enterré d'ici trois mois, y compris par nos pères qui disent avoir "passé un vrai bon moment". Flag of our fathers...
Intouchables d'Olivier Nakache et Eric Toledano avec Omar Sy et François Cluzet (2011 - 2012, RIP)