5 juin 2020

Ava

Ce qui convainc immédiatement devant Ava, outre la belle séquence d'introduction — un chien noir parcourt une plage bondée de touristes, en renifle certains, légèrement inquiets à sa vue, puis finit par aller boulotter les frites dans la barquette posée sur le ventre de l'héroïne éponyme, jeune fille endormie sur la berge, les pieds dans l'eau —, c'est précisément ladite jeune fille, ou plutôt son interprète, Noée Abita, dont c'était le premier film et qui avait sauf erreur 18 ans à l'époque du tournage mais qui est absolument crédible dans la peau d'une adolescente de 13 ans. J'ignore quelle est la part exacte de naturel là-dedans, toujours est-il que Noée Abita a ici non seulement le physique mais l'attitude, les gestes, les regards, la voix et le débit d'une jeune adolescente, sans jamais en faire trop ni agacer le moins du monde. Surtout, l'actrice, d'une présence assez magnétique, joue remarquablement bien sa partition d'un bout à l'autre, dans le rôle de cette jeune fille en vacances sur la côte avec sa mère (Laure Calamy, qu'on aime bien mais qui, une fois de plus, fait du Laure Calamy ; on croit retrouver exactement le personnage d'Un monde sans femmes qu'elle traine depuis 10 ans maintenant) et son tout petit frère, et qui se voit dès le début du film confirmer par un médecin qu'elle est en train de progressivement perdre la vue.





On pourrait croire, d'abord, que le film prend la direction d'un drame un peu lourd et grave, du fait de cette cécité imminente, mais pas du tout. Certes Ava est un personnage parfois sombre, en proie à des cauchemars horribles (bien mis en scène, ce qui n'est pas si fréquent, avec un vrai penchant pour le fantastique et des images d'une obscure beauté aux accents vaguement buñueliens, impliquant fleurs envahissantes et œils omniprésents). Elle est aussi quelques fois dure, en particulier avec sa mère (qui n'est pas toujours tendre ni très présente), avoue quelque attrait pour la mort, à un âge difficile et dans un monde par ailleurs pas gai (que le film représente assez justement, avec entre autres ces nombreuses apparitions de flics montés sur des chevaux noirs), mais la jeune fille, toujours en mouvement et prête à prendre au mot l'injonction de sa mère à passer « le plus bel été de sa vie », finit par trouver un élan vital en mêlant sa trajectoire à celle d'un jeune gitan nommé Juan, réfugié dans un bunker sur la plage, cette rencontre ayant pour entremetteur le chien noir du début, qui ne tardera pas à nous régaler, plus tard, lors d'une belle séquence sur une moto volée. 





Ce récit de la découverte de l'amour et de la sensualité, véritable émancipation pour l'adolescente, n'est évidemment pas d'une immense nouveauté, sur le papier... Mais, dans un film que nous avons nettement préféré à ses nombreux ersatz récents (comme Les Météorites, réalisé par Romain Laguna en 2018), ce récit s'emballe et décolle grâce à des scènes enlevées, vivantes (à l'image de la séquence des braquages de nudistes illustrée par l'affiche), souvent drôles aussi, et par des détours heureux, comme la fuite du mariage gitan, où c'est Ava, pourtant aveugle à basse luminosité, mais que l'on a vue plusieurs fois s'entraîner à marcher sur une corniche ou sur la plage les yeux bandés, qui guide Juan pour traverser une rivière déchaînée. Dans le plan suivant, on voit les deux amoureux parcourir un chemin, dont la ligne de fuite à l'arrière-plan est étrangement illuminée. On comprend bientôt que ce sont les phares d'une voiture qui s'approche, mais on a eu le temps d'avoir l'impression de sortir du monde aussi noir que lumineux d'Ava, et l'image est belle, comme d'autres dans ce premier long métrage de Léa Mysius, réalisatrice, et de Noée Abita, actrice, qui donne envie de voir les prochains.


Ava de Léa Mysius avec Noée Abita, Laure Calamy et Juan Cano (2017)

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