Il n'est jamais simple d'aborder un nouveau Schumi. Il y a tant d'affect
en jeu... Loin de nous prétendre juges impartiaux et objectifs de la
cour suprême du
cinoche, nous sommes de simples blogueurs ciné, des amateurs, des
passionnés. Nous laisserons toujours notre porte entrouverte à notre
ami Schumi, que nous ne pourrons définitivement jamais traiter comme un
réalisateur lambda. Qui plus est, celui que nous considérons comme un
compatriote parce qu'il est natif de Pondichery ne nous rend guère la
tâche facile. Comment ignorer qui se tient, avec fermeté et élégance,
derrière la caméra quand nous regardons Old, son dernier bébé ? Il ne
nous le rappelle à chaque instant ! Il n'y a pas un seul foutu plan
susceptible de nous en faire douter. Avec toute sa verve et sa folie
retrouvées, le cinéaste ose strictement tout, et c'est à ça qu'on le
reconnaît ! En deux minutes, on trouve là-dedans davantage d'idées de
mise en scène que dans toute la filmographie de bien des tocards portés
aux nues par les médias (je ne citerai pas de nom pour ne froisser
personne, ne pas entrer dans des polémiques inutiles et parce que ce
billet veut véhiculer des ondes positives). Old est un véritable
abécédaire de tout ce que l'on peut faire ou non avec une caméra, pour
le meilleur et pour le pire. Les idées de Schumi ne sont pas toutes
géniales, loin de là, et l'on peut regretter qu'il n'en ait pas remisé
quelques-unes au placard.
Schumi se fait plaisir, d'abord à lui, et fait de cette petite plage
isolée, où sont coincés des vacanciers dont le vieillissement
s'accélère, le théâtre de ses petites expérimentations. Il faut les
supporter. C'est peut-être ainsi que le réalisateur de Sixième Sens a
voulu faire sien le roman graphique francophone dont son scénario est
l'adaptation.
Des plans aux cadrages
saugrenus et à la mise au point changeante, des panoramiques
interminables, rappelant le défilement des cases d'une bande dessinée,
des effets visuels plus ou moins osés et heureux, avec fondus enchaînés
déchaînés sursignifiants, j'en passe et des meilleurs... Les idées de
Schumi se multiplient sans temps mort, enfilées comme les perles d'un
collier étouffant.
C'est qu'il faut savoir le suivre dans ses délires, cet homme-là, il
doit carburer à la spiruline Hélica. Cela demande patience et
indulgence. Pour nous, c'est facile, mais le spectateur lambda aura tôt
fait de lui tomber sur le nez. Ça peut se piger... D'autant plus que,
depuis ses débuts fracassants, et si riches en retournements de
situations, Schumi semble systématiquement attendu au tournant par un
public armé jusqu'aux dents. Old n'a pas été épargné. Beaucoup ont
d'ailleurs critiqué un twist qui serait un peu débile et trop
grossièrement amené... Cela paraît assez sévère tant on devine
facilement de quoi il en retourne. Les révélations finales, si l'on peut
appeler ça comme ça, n'invitent nullement à revoir l'ensemble sous un
autre angle. Il s'agit de la conclusion somme toute logique d'un film
certes très audacieux dans sa forme mais dont le scénario simple et malicieux s'apparenterait davantage à celui d'un épisode de La Quatrième
Dimension voire à celui d'un film de SF ou d'horreur des années 50. On
peut d'ailleurs regretter que Old n'en approche pas la durée... Il n'est
pas particulièrement long mais il est rendu peu digeste par un rythme quasi
hystérique, à partir du moment où il se transforme en huis clos à ciel
ouvert, et une succession de péripéties qui finissent par nous perdre et nous lasser. Nous aussi, on prend un coup de
vieux ! Nul doute que ce film-là aurait bien mieux fonctionné sur un
format plus court, plus resserré, qui aurait fait passer le côté
un brin mécanique de la dernière partie. Admettons-le, elle n'est pas la
plus réussie. D'une certaine manière, Schumi semble lui aussi
prisonnier des films qui l'ont porté au sommet du box office, sa mise en
scène cherche trop superficiellement à donner un impact fort à un final
roublard, ce qui a pour conséquence naturelle d'attirer les foudres de ses
détracteurs...
Comme à son habitude, Schumi
nous tend donc une stère de bâtons pour se faire défoncer. Et à la fois,
on ne peut s'empêcher de garder une affection immense pour lui, de
toujours
croire en lui, d'espérer que le meilleur
est encore pour la suite, quand bien même le temps passe et qu'il
vieillit, lui aussi, même si ça ne se voit pas du tout... A ce propos, il apparaît de
nouveau dans son propre film, dans un rôle qui en dit long puisqu'il
est le salarié de l'hôtel qui amène à la plage et surveille à la jumelle
la troupe de vacanciers. Le réalisateur-acteur a toujours autant de
charme
et conserve cette allure juvénile d'éternelle promesse, toujours aussi
élégant, le regard
brillant de malice sous ses jolies bouclettes noir de jais. Sur son
torse svelte d'homme mûr qui prend soin de lui, fait attention à sa
santé, contrôle intelligemment son
alimentation et pratique une activité sportive régulière, tombe un polo
qui le sied à merveille – il faut dire qu'un rien l'habille – dont la
couleur, le violet, met en valeur son teint exotique. Il y aurait d'ailleurs une thèse
entière à écrire sur la signification de ce champ chromatique, auparavant
associé au génie du mal incarné par Samuel L. Jackson dans Incassable et
ses deux suites, dans le cinéma de Schumi, mais ça n'est pas moi qui
m'y collerai ! Cette nouvelle apparition nous rappelle que l'on a
tendance à
négliger le talent d'acteur de Schumi... Tout est juste dans ce qu'il
dit
et fait durant ses trop rares minutes à l'écran.
Il est comme un
poisson dans l'eau aussi bien devant que derrière la caméra.
Ses déplacements, ses
intonations, ses postures, ses attitudes... on sent que tout correspond
très exactement aux souhaits du metteur en scène. Nous sommes sous le
charme... Et nous aurions aimé nous emballer plus complètement pour Old,
mais les gros et lourds défauts du film, dont semblent presque conscients certains
acteurs aux abois, ne sont que trop flagrants. Cela nous rappelle que
Schumi est un paradoxe à lui seul. Il nous complique la tâche tout en la
rendant extrêmement aisée : avec
cette gentillesse et cette douceur qui le caractérisent, il nous offre
la critique de son propre film sur un
plateau. On appelle ça un gentleman.
Old de M. Night Shyamalan avec Gael García Bernal, Vicky Krieps et Thomasin McKenzie (2021)
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