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6 décembre 2021

Old

Il n'est jamais simple d'aborder un nouveau Schumi. Il y a tant d'affect en jeu... Loin de nous prétendre juges impartiaux et objectifs de la cour suprême du cinoche, nous sommes de simples blogueurs ciné, des amateurs, des passionnés. Nous laisserons toujours notre porte entrouverte à notre ami Schumi, que nous ne pourrons définitivement jamais traiter comme un réalisateur lambda. Qui plus est, celui que nous considérons comme un compatriote parce qu'il est natif de Pondichery ne nous rend guère la tâche facile. Comment ignorer qui se tient, avec fermeté et élégance, derrière la caméra quand nous regardons Old, son dernier bébé ? Il ne nous le rappelle à chaque instant ! Il n'y a pas un seul foutu plan susceptible de nous en faire douter. Avec toute sa verve et sa folie retrouvées, le cinéaste ose strictement tout, et c'est à ça qu'on le reconnaît ! En deux minutes, on trouve là-dedans davantage d'idées de mise en scène que dans toute la filmographie de bien des tocards portés aux nues par les médias (je ne citerai pas de nom pour ne froisser personne, ne pas entrer dans des polémiques inutiles et parce que ce billet veut véhiculer des ondes positives). Old est un véritable abécédaire de tout ce que l'on peut faire ou non avec une caméra, pour le meilleur et pour le pire. Les idées de Schumi ne sont pas toutes géniales, loin de là, et l'on peut regretter qu'il n'en ait pas remisé quelques-unes au placard. Schumi se fait plaisir, d'abord à lui, et fait de cette petite plage isolée, où sont coincés des vacanciers dont le vieillissement s'accélère, le théâtre de ses petites expérimentations. Il faut les supporter. C'est peut-être ainsi que le réalisateur de Sixième Sens a voulu faire sien le roman graphique francophone dont son scénario est l'adaptation.



 
 
Des plans aux cadrages saugrenus et à la mise au point changeante, des panoramiques interminables, rappelant le défilement des cases d'une bande dessinée, des effets visuels plus ou moins osés et heureux, avec fondus enchaînés déchaînés sursignifiants, j'en passe et des meilleurs... Les idées de Schumi se multiplient sans temps mort, enfilées comme les perles d'un collier étouffant. C'est qu'il faut savoir le suivre dans ses délires, cet homme-là, il doit carburer à la spiruline Hélica. Cela demande patience et indulgence. Pour nous, c'est facile, mais le spectateur lambda aura tôt fait de lui tomber sur le nez. Ça peut se piger... D'autant plus que, depuis ses débuts fracassants, et si riches en retournements de situations, Schumi semble systématiquement attendu au tournant par un public armé jusqu'aux dents. Old n'a pas été épargné. Beaucoup ont d'ailleurs critiqué un twist qui serait un peu débile et trop grossièrement amené... Cela paraît assez sévère tant on devine facilement de quoi il en retourne. Les révélations finales, si l'on peut appeler ça comme ça, n'invitent nullement à revoir l'ensemble sous un autre angle. Il s'agit de la conclusion somme toute logique d'un film certes très audacieux dans sa forme mais dont le scénario simple et malicieux s'apparenterait davantage à celui d'un épisode de La Quatrième Dimension voire à celui d'un film de SF ou d'horreur des années 50. On peut d'ailleurs regretter que Old n'en approche pas la durée... Il n'est pas particulièrement long mais il est rendu peu digeste par un rythme quasi hystérique, à partir du moment où il se transforme en huis clos à ciel ouvert, et une succession de péripéties qui finissent par nous perdre et nous lasser. Nous aussi, on prend un coup de vieux ! Nul doute que ce film-là aurait bien mieux fonctionné sur un format plus court, plus resserré, qui aurait fait passer le côté un brin mécanique de la dernière partie. Admettons-le, elle n'est pas la plus réussie. D'une certaine manière, Schumi semble lui aussi prisonnier des films qui l'ont porté au sommet du box office, sa mise en scène cherche trop superficiellement à donner un impact fort à un final roublard, ce qui a pour conséquence naturelle d'attirer les foudres de ses détracteurs...



 
 
Comme à son habitude, Schumi nous tend donc une stère de bâtons pour se faire défoncer. Et à la fois, on ne peut s'empêcher de garder une affection immense pour lui, de toujours croire en lui, d'espérer que le meilleur est encore pour la suite, quand bien même le temps passe et qu'il vieillit, lui aussi, même si ça ne se voit pas du tout... A ce propos, il apparaît de nouveau dans son propre film, dans un rôle qui en dit long puisqu'il est le salarié de l'hôtel qui amène à la plage et surveille à la jumelle la troupe de vacanciers. Le réalisateur-acteur a toujours autant de charme et conserve cette allure juvénile d'éternelle promesse, toujours aussi élégant, le regard brillant de malice sous ses jolies bouclettes noir de jais. Sur son torse svelte d'homme mûr qui prend soin de lui, fait attention à sa santé, contrôle intelligemment son alimentation et pratique une activité sportive régulière, tombe un polo qui le sied à merveille – il faut dire qu'un rien l'habille – dont la couleur, le violet, met en valeur son teint exotique. Il y aurait d'ailleurs une thèse entière à écrire sur la signification de ce champ chromatique, auparavant associé au génie du mal incarné par Samuel L. Jackson dans Incassable et ses deux suites, dans le cinéma de Schumi, mais ça n'est pas moi qui m'y collerai ! Cette nouvelle apparition nous rappelle que l'on a tendance à négliger le talent d'acteur de Schumi... Tout est juste dans ce qu'il dit et fait durant ses trop rares minutes à l'écran. Il est comme un poisson dans l'eau aussi bien devant que derrière la caméra. Ses déplacements, ses intonations, ses postures, ses attitudes... on sent que tout correspond très exactement aux souhaits du metteur en scène. Nous sommes sous le charme... Et nous aurions aimé nous emballer plus complètement pour Old, mais les gros et lourds défauts du film, dont semblent presque conscients certains acteurs aux abois, ne sont que trop flagrants. Cela nous rappelle que Schumi est un paradoxe à lui seul. Il nous complique la tâche tout en la rendant extrêmement aisée : avec cette gentillesse et cette douceur qui le caractérisent, il nous offre la critique de son propre film sur un plateau. On appelle ça un gentleman
 
 
Old de M. Night Shyamalan avec Gael García Bernal, Vicky Krieps et Thomasin McKenzie (2021)

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