Terrible lacune de ma cinéphilie, je n'avais encore jamais vu le premier Chucky. C'est maintenant fait, et je me sens plus léger. Bon, je n'avais pas non plus ignoré pendant tout ce temps un grand classique de l'histoire du cinéma d'horreur, loin de là. Mais Jeu d'enfant, traduction littérale du titre original, n'en demeure pas moins un petit film plutôt agréable dont on peut comprendre qu'il soit à l'origine d'une longue saga tant le personnage de poupée tueuse, introduit ici par le réalisateur Tom Holland et inventé par le scénariste Don Mancini, est suffisamment bien étoffé pour mériter et justifier quelques retours. Chucky, c'est le sobriquet de Charles Lee Ray (contraction des patronymes tristement célèbres de Charles Manson, Lee Harvey Oswald et James Earl Ray), un tueur en série sévissant à Chicago et friand de pratiques vaudous qui parvient, au moment de sa mort, à transférer son esprit maléfique dans une de ces poupées "Good Guy" que s'arrachent les enfants. Andy, pour ses six ans, rêve que cette poupée lui soit offerte par sa mère, mais celle-ci, de condition modeste et élevant seule son fils, n'a pas les moyens de la lui offrir. Jusqu'à ce qu'un camelot peu présentable lui revende un exemplaire à bon prix. Elle ignore qu'elle a mis la main sur la poupée possédée, seule rescapée de l'incendie qui a ravagé le magasin de jouets frappé par la foudre lors du rituel vaudou improvisé par le serial killer dans les derniers instants de sa sinistre vie...
Le film de Tom Holland a le mérite d'aller à l'essentiel, il débute ainsi par une scène d'action que l'on prend en cours de route : la course-poursuite nocturne dans les rues puis les rayons du magasin entre un flic, qui s'avèrera par la suite d'une inertie et d'une inefficacité déplorables (il est joué par Chris Sarandon qui avait pourtant entamé sa carrière sous les meilleures auspices en épousant Susan puis en épouse transgenre devant la caméra du grand Sidney Lumet pour Une Après-midi de chien), et le fameux psychopathe, auquel Brad Dourif prête ses traits étranges et, surtout, sa voix inquiétante. Une entrée en matière efficace qui nous annonce d'emblée que l'on ne va pas s'ennuyer et que le rythme sera plutôt soutenu, le tout resserré sur 87 minutes : une promesse globalement honorée. Le montage initial durait paraît-il plus de deux heures et Tom Holland, recommandé aux studios par Spielberg après son travail appliqué pour sa série Histoires fantastiques et encore auréolé du succès de Vampire, vous avez dit vampire ?, n'approuva guère les changements imposés par la production. Celle-ci, suite à une projection test désastreuse, suggéra que l'on voit Chucky le moins possible pour maintenir autour de la poupée tueuse un suspense similaire à celui axé sur les apparitions fugaces de l'extraterrestre d'Alien, du poisson des Dents de la mer ou de n'importe quel monstre de ces années où le numérique ne permettait pas encore ce qu'il rend désormais possible.
En l'état, le film fonctionne et on comprend le succès de ce premier opus qui pose donc efficacement les jalons du personnage star de la saga. Chucky ne fait pas partie de ces croque-mitaines et autres vedettes de slashers qui se contentent de tuer à la chaîne sans mobile apparent (ou bien très vague et vite oublié). Ses intentions sont claires et sa démarche est méthodique : Chucky veut se venger du complice qui l'a trahi, puis du flic qui l'a envoyé ad patres et, accessoirement, réintroduire une enveloppe corporelle humaine, celle d'Andy (il n'a pas le choix, par respect pour une sombre règle vaudou), avant d'être définitivement enfermé dans ces cinquante centimètres de plastique rosâtre et ridicule. Le premier objectif sera atteint sans souci, avec la complicité ignorante du gamin, soucieux d'amener son jouet chéri là où celui-ci lui demande d'aller, quitte à faire l'école buissonnière le temps d'une collaboration dérangeante que, curieusement, le cinéaste n'exploitera guère davantage, Andy et Chucky devenant aussitôt ennemis. Pour le reste, Chucky aura beau redoubler d'ingéniosité et de cruauté pour surmonter les limites de son propre corps de jouet, ses deux autres objectifs seront bien plus compliqués à accomplir, en particulier le dernier, qui nourrira les intrigues des épisodes ultérieurs, concentrés sur la rivalité entre Chucky et Andy.
Ma curiosité d'amateur de cinéma d'horreur est à présent satisfaite, ma culture générale considérablement élargie, et... c'est à peu près tout. Mais il y a tout de même une scène que j'ai trouvée particulièrement intéressante là-dedans, de loin la meilleure du film, elle survient très tôt, juste après l'intro décrite plus haut : c'est celle où l'on découvre le petit Andy, seul devant la télé, le jour de son sixième anniversaire. Désireux d'aller réveiller sa mère de bon matin pour rapidement ouvrir ses cadeaux, il prépare un plateau petit-déjeuner qu'il lui amène au lit, avec la maladresse et l'empressement du petit garçon qu'il est. Tom Holland joue alors très astucieusement de cette peur naturelle et irrépressible que suscite l'imprévisible spectacle d'un enfant livré à lui-même. Le garçon, incarné par Alex Vincent, qui ignorait alors qu'il endossait déjà le rôle de sa vie, a une bouille adorable, vêtu d'une salopette en jean et d'un haut à rayures identiques à celle du jouet qu'il convoite tant et dont des publicités passent en boucle à la télé. Son allure lunaire et toute mignonne conviennent parfaitement à cette introduction où nous le voyons, danger ambulant, faire n'importe quoi. On tremble presque devant ce qui, à chaque instant, manque d'un rien de tourner à la catastrophe totale. On grimace malgré nous en le voyant gâcher autant de ces délicieuses céréales multicolores gorgées de sucre dont les américains ont le secret, ici versées dans le bol et sur le plateau avec la nonchalance et l'application d'un ouistiti aveugle. On craint la brûlure au troisième degré quand il emploie le grille-pain pour carboniser les tartines de sa daronne. On plaint la personne qui passera derrière lui en le voyant arroser de jus d'orange et de lait la moquette de l'appartement. Pas de doute là-dessus : cette petite scène a priori anodine de préparation de petit-déj olé olé est bien la plus tétanisante du film !
Cette peur instinctive d'adulte face aux agissements insensés d'un enfant, si vulnérable et innocent, sera légèrement reconduite lors du second meurtre commis par Chucky – où Andy, sous l'influence diabolique de la poupée, s'aventurera dans un quartier malfamé de Chicago – mais guère au-delà. Et seul l'ultime plan du film jouera sur le trouble, trop peu développé, entre les personnalités d'Andy et celle de son avatar-jouet. C'est dommage car le cinéaste tenait là quelque chose d'intéressant, qu'il aurait pu creuser. On se contente donc de s'interroger sur la correspondance exacte entre les tenues portées par la poupée et son jeune propriétaire, la première aurait pu être l'expression des pulsions du second ou que sais-je, le film s'embarrasse peu de cet aspect-là (peut-être le director's cut ?). En dépit de son manque de profondeur, Jeu d'enfant n'est pas déplaisant à voir et bénéficie du savoir-faire propre à ce genre de productions des années 80. Car par ailleurs, la mise en scène du réalisateur, alors au sommet de sa courte gloire, se joue assez bien des contraintes inhérentes à cette histoire de poupée tueuse. Les effets spéciaux sont simples et réussis, ils font appel à divers subterfuges, utilisés à bon escient, pour créer l'illusion. Un nain a été engagé comme doublure pour certaines scènes, des marionnettistes hors pair ont aussi été sollicités, et la mise en scène s'est chargée du reste. Des plans en steadicam nous font adopter la vue subjective de Chucky, ils sont accompagnés de ses bruits de pas rapides et presque stressants, assez bien pensés. Cela nous permet d'être avec elle, de la faire exister, sans la voir.
Autre point amusant, que les volets ultérieurs useront jusqu'à la corde et nous offre ici une amusante conclusion aux soubresauts interminables, l'irréductibilité de Chucky, qui nous fait immanquablement penser à un Terminator miniature animé de la même folie meurtrière qu'un Jack Torrance. Flingué, brûlé, découpé en morceaux, Chucky revient toujours à la vie, sous un aspect de plus en plus révulsant et éloigné de sa forme originelle. Manifestement comique et clairement horrifique, c'est l'essence même de Chucky, objet propice aux clins d'œil à l'échelle réduite aux classiques. De mémoire de cinéphage, sachez tout de même que Jeux d'enfants, au pluriel, le film homonyme franco-belge (dans ces cas, il faut partager les responsabilités), réalisé par Yann Samuell en 2003, avec Guillaume Canet et Marion Cotillard dans les rôles principaux, était beaucoup plus traumatisant. Beaucoup plus.
Jeu d'enfant (Child's Play) de Tom Holland avec Alex Vincent, Brad Dourif, Chris Sarandon, Catherine Hicks et Ray Oliver (1988)
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