L'Homme qui voulut être roi, adaptation de la nouvelle de Rudyard Kipling par John Huston, est un film sur l'amitié. Les deux personnages principaux, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine), sont deux britanniques, anciens militaires et francs-maçons, décidés à conquérir un pays à eux seuls, le Kafiristan (province imaginaire de l'Afghanistan), où nul européen n'a mis le pied depuis Alexandre le Grand. Les deux hurluberlus partagent les mêmes facéties, la même légèreté, la même insolente cupidité et surtout le même panache. Ils voient les choses en grand et ne prennent rien très au sérieux. Sinon leur amitié, qui les pousse au début du film à se rendre dans le bureau de Kipling lui-même (interprété par Christopher Plummer), journaliste au Northern Star, afin de compulser cartes et encyclopédies au sujet de leur future destination, mais surtout pour le prendre à témoin (contrat et signatures à l'appui) de leur serment d'amitié : pacte de loyauté et promesse devant l'autre de ne céder aux tentations de la chair et de la boisson qu'une fois leur mission accomplie.
Bien entendu, le serment sera finalement rompu, l'un des deux bougres, Dravot, pris pour un Dieu par le peuple soumis (une flèche tirée en plein cœur finit par chance sa course dans sa médaille franc-maçonne et fait croire à son immortalité), refuse de mettre un terme à l'aventure et de rentrer au pays riche comme Crésus aux côtés de son compagnon, préférant régner pour toujours sur le Kafiristan et prendre femme, ce qui vaudra aux deux compères de strictement tout perdre et de se retrouver gros-jean comme devant, leur seule amitié retrouvée pour toute richesse. Mais en revoyant ce film récemment, outre le plaisir de suivre les aventures de Caine et Connery (dont les personnages, à l'origine, devaient être interprétés par Bogart et Gable, puis par Kirk Douglas et Burt Lancaster, Peter O'Toole et Richard Burton, Paul Newman et Bob Redford et enfin Omar et Fred — John Huston ayant préparé ce film pendant 25 ans avant de l'accoucher), deux choses m'ont profondément touché. La première, c'est la magnifique introduction, où un Michael Caine méconnaissable, défait, borgne, à moitié fou et en guenilles, débarque chez Kipling tel un fantôme pour lui raconter l'aventure de sa vie — et c'est comme si l'un des personnages inventés par l'écrivain, mystérieusement incarné, venait en personne dicter son histoire à son propre créateur. Ou Kipling en Robert E. Howard, l'auteur des aventures de Conan le barbare, qui prétendait écrire lesdites aventures sous la dictée de Conan le Cimmérien en personne, venu les lui raconter depuis un monde parallèle et le pousser à les coucher sur le papier sous la menace d'une rafale de bouffes dans la gueule.
L'autre, c'est cette scène, qui survient relativement tôt dans le film, durant le périple des deux aventuriers vers le Kafiristan. Lors de leur traversée des régions montagneuses de l'Inde, et après bien des difficultés, les deux hommes se retrouvent soudain confrontés à un gigantesque canyon qui met un terme définitif à leur avancée. Résolus à cet échec et convaincus de leur mort prochaine, Dravot et Carnehan décident d'aller s'asseoir à l'abri d'un rocher pour tailler un dernier bout de gras et se remémorer leurs multiples aventures passées, souvenirs qui ne manquent pas de déclencher chez eux quelques rires, puis beaucoup, de plus en plus nombreux et de plus en plus généreux, jusqu'à ce que ces éclats de rire, amplifiés, répercutés et démultipliés par l'écho des montagnes, déclenchent une formidable avalanche ayant pour effet de combler la faille qui séparait nos deux larrons de leur destination.
Sauf erreur de ma part, cette scène est absente de la nouvelle de Kipling, dans laquelle Carnehan, racontant son périple à Kipling, ne mentionne l'avalanche que comme un risque potentiel lorsque Dravot chantait à tue-tête dans la montagne, après la mort de leurs dromadaires puis des mules qu'ils avaient volées à des voleurs — Dravot répondant à sa remarque que si un roi ne peut plus chanter, que lui vaut d'être roi ? C'est donc une scène propre au film de Huston que celle où, riant une dernière fois de leurs faillites avant de mourir, les deux amis déclenchent une catastrophe qui résout leur problème et leur sauve la vie. J'ai déjà souvent parlé d'amitié au cinéma, et de rire, à propos de La Horde sauvage ou plus récemment de Zorba le grec, et peut-être me direz-vous que je fais une fixette, mais tout de même, quelle idée, et quelle scène !
L'Homme qui voulut être roi de John Huston avec Michael Caine, Sean Connery et Christopher Plummer (1975)
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