

Que dire qui n'a pas déjà été dit sur ce trou noir béant qu'est Prometheus ? D'autres que nous se sont attelés à relever chaque couac terrible de ce scénario écrit à six mains, chaque incohérence effarante de ce script travaillé depuis au moins 2009, chaque farce involontaire de ce récit mijoté par son auteur depuis des lustres, chaque manque hallucinant dans chaque scène de ce film de deux heures qui parvient à ne rien dire du tout et à tenir cette ligne de conduite 120 minutes durant. La prétention affichée par Ridley Scott et toute sa fine équipe pouvait laisser croire aux plus naïfs qu'il y aurait quelque chose à attendre de ce retour aux origines d'un mythe par son créateur himself, mais au final cette outrecuidance ne cachait qu'un abîme total que la vision du film rendrait définitivement insupportable. Et le pire c'est que Scott continue à rouler des mécaniques alors que son film est déjà vendu, alors qu'on l'a déjà vu et alors qu'on sait tous pertinemment qu'il n'est strictement rien. Rappelons que Ridley Scott va sur ses 75 ans stricto sensu. C'est un vieillard. Habituellement, quand on a affaire à un tel éclopé, on se dit qu'il pourrait très bien entrer dans notre rame de métro une canne à la main et qu'en bons jeunes hommes bien éduqués par des parents fachos, on se lèverait automatiquement pour lui laisser la place, avec le plus grand des respects pour un invalide de guerre dont la vie est derrière lui. Ainsi quand on en vient à critiquer l’œuvre d'un cinéaste de plus de 70 ans (limite fixée après concertation), on questionne notre probité de blogueurs ciné et l'un de nous dit "pas de violence face à un septa, le respect est naturel vis-à-vis des morts-vivants", sauf que là l'autre se braque à chaque fois et répond comme dirait Vasquez à Hudson dans Aliens : "Ta gueule !". On se dit ça à nous-mêmes quand il s'agit de Ridley Scott. On se dit ça pour n'importe qui en fait, mais particulièrement pour Scott qui est un gros vantard de merde.

Depuis qu'on est sortis de ce film, on n'arrête pas d'en parler, on n'a que lui à la bouche, on y revient encore et encore, on rêve de scènes qui n'existent pas et le matin on se lève groggy, on écume toutes les pages wikipédia liées de près ou de loin au film pour essayer de le réinventer et de se fabriquer le making-of en interne, un making-of façon "Faîtes entrer l'accusé" dans lequel Ridley Scott est appelé à la barre. Depuis qu'on est sortis du ciné on n'a de cesse de remettre nos lunettes 3D en espérant enfin voir apparaître un xénomorphe digne de ce nom, on est continuellement en train d'énumérer les bêtises du scénario, l'absence totale de mise en scène, la nullité des personnages, les quantités de scènes inutiles, le gâchis infini et irréparable de l'ensemble (même avec deux suites et avec quarante minutes de plus dans le director's cut de 27 heures à la Béla Tarr). On a passé toute la deuxième mi-temps de notre France-Ukraine de l'Euro 2012 à déblatérer sur ce qu'aurait dû être le film et sur tout ce qu'il n'est jamais. Et pourtant c'est pas que le film parvienne à s'imposer dans nos mémoires ou dans nos cœurs, c'est tout le contraire. C'est un drame, un traumatisme, une plaie, un désespoir de cinéphile, un ramadan de cinéphage. L'an passé y'a eu Fukushima, DSK. Cette année y'a eu twitterweiler, y'a eu le dépeceur de Montréal, qui a ressurgi dans un article sur Wimbledon six jours après sa capture, comme quoi y'a des chocs qui trottent dans la tête (et pourtant le décepeur n'a pas brillé par ses qualités ni par celles de son courtrajmé en forme de giallo gonzo infâme). En somme Prometheus c'est Knysna, il n'est jamais descendu du bus. On l'a attendu au moins quatre ans, avec toujours ce mince espoir, après les déceptions Die Hard 4, Indiana Jones 4, et d'autres du même acabit, on y croyait quand même, on se disait "putain cette année y'a le Resnais, le Kiarostami, le Nichols, le Kore-Eda, le Assayas, le Desplechin, le Herzog, eeeeeeeet y'a le Scott...", c'était un bonus ce Scott ! Tu parles d'un bonus... Quelle daube.

Les deux Aliens versus Predator, on ne les considérait pas comme faisant partie de la franchise, donc ils avaient beau usurper le nom de la saga ils ne l'égratignaient pas. Mais Prometheus, étant un Scott, fait directement du mal aux fans, à tel point que certains ont fait le choix tristement respectable de l'auto-défense, de l'auto-persuasion. On l'a fait aussi, pendant un quart d'heure, au début du film. Soi-disant que c'était pas grave ce gros mec blanc bodybuildé qui se jette dans l'eau après avoir avalé des vitamines de chez Lidl, vu la texture étrange, et après avoir vu rouge. Scène après scène on mettait de côté nos griefs en se disant que merde c'était pas grave. Et puis non, stop. A la sortie de la séance on a maté la tronche de Brain Damage, aka Poulpard, notre songwriter, qui est quand même une sacrée jauge pour connaître le seuil de contentement du gros salopard de base : même lui, avec son demi-sourire et ses lunettes 3D encore vissées au nez, n'en menait pas large, et jurait déjà que jamais il n'achèterait le dvd collector (alors qu'il avait déjà préparé l'appoint, lui qui déteste pourtant trimballer de la monnaie sur lui et entendre cling-cling dans sa poche, car il se sent toujours menacé). On finit par tellement mettre de côté les griefs que cette critique elle-même est un déni, elle prouve qu'on refuse de se cogner dans ce mur de rage et de lamentations que nous impose le film par son accumulation fascinante de connerie absolue. On est dans le déni, on ne veut pas affronter de plein fouet notre amère déception et notre blessure à jamais purulente, qui ne sera jamais cautérisée. Et le pire c'est qu'on ne méprise pas le film uniquement parce qu'on en espérait beaucoup mais parce qu'en dehors de toute attente déçue il est profondément naze, et le fait qu'on en attendait quelque chose ne fait qu'intensifier notre amertume. Jamais on ne nous rendra notre Alien.

P.S. Une scène du film nous a toutefois inspirés. C'est celle où le gros black qui pilote le vaisseau éponyme demande à Charlize Theron si elle ne serait pas pur cyborg, vu son allure mécanique de malade et sa tronche ultra symétrique, ce à quoi la blondasse à la démarche de taré répond aussi sec par une invitation à la pourfendre pour s'assurer de son humanité. On a tenté le coup nous aussi, avec tout un tas de candidates féminines, un public très divers, de la gothique pêchée à la sortie du lycée à la hippie de mes deux en passant par le mec de passage, on leur a demandé s'ils étaient robotiques pour qu'ils ou elles nous invitent à le vérifier par nous-mêmes dans un coin sombre. Seul le mec a semblé favorable et on s'en va le rejoindre pour remater la tétralogie sur ses genoux. On attend maintenant Dark Knight Rises, dans une drôle de pirouette cinéphilique : faut-il être dégoûté par le prequel d'Alien et par la vie tout court pour attendre quelque chose de Christopher Nolan.
Prometheus de Ridley Scott avec Noomi Rapace, Michael Fassbender, Charlize Theron, Idris Elba et Guy Pearce (2012)