Avant d'être traîné dans la boue par Bryan Singer avec Superman Returns, Superman, au cinéma, c'était feu Christopher Reeve dans un film de Richard Donner réalisé en 1978. J'aime ce film d'un amour irraisonné, à peine justifiable, pratiquement indéfendable autrement que par l'affectif. J'ai découvert Superman quand j'étais enfant, il m'a fait rêver (je rêvais d'ailleurs moins de pouvoir voler, d'être invincible et doté d'une force surhumaine que de travailler comme journaliste au Daily Planet), et c'est parce qu'il m'a fait rêver que j'aime énormément ce film. Je peux comprendre ceux qui se moquent de ce blockbuster certes un peu niais, à la gloire du super-héros le plus ridiculement patriote de tous les temps, à l'exception peut-être de Captain America... (à noter en outre que ce premier épisode des aventures de Superman est moins "propagandiste" que celui qui lui a succédé et dans lequel Supermec porte fièrement le drapeau américain pour le planter sur la Maison Blanche reconquise). Je n'en veux pas à ceux qui trouvent l’œuvre de Richard Donner terriblement datée et franchement ridicule. Dans les faits je ne peux que souscrire à ces critiques légitimes et difficilement contre-attaquables. Néanmoins j'aime ce film, entre autres pour sa naïveté, pour sa laideur ponctuelle, oui je l'aime non seulement pour ses qualités mais pour ses nombreux défauts.
Le premier défaut de Superman est certainement sa longueur, voire sa lenteur, surtout au début du film. Quarante cinq minutes (au bas mot) servent à nous présenter, dans l'ordre : le procès par le grand notable Jor-El (le père de Superman, incarné par Marlon Brando s'il vous plaît), du général Zod (Terence Stamp) et de ses sbires, sur la planète Krypton (cette première étape du film introduit en réalité le deuxième volet de la série, beaucoup plus potache, où Superman affronte ces trois criminels de Krypton, et que Richard Donner devait également réaliser mais qui fut malheureusement dirigé par un autre, Richard Lester en l'occurrence) ; le débat qui oppose Jor-El - convaincu que Krypton va exploser sous peu à l'approche d'un soleil - aux autres sages de Krypton, qui quant à eux sont sûrs que leur chère planète va changer d'elle-même la courbe de son orbite, et qui interdisent à Jor-El et aux siens de quitter Krypton sous prétexte que ce départ engendrerait un vent de panique chez les citoyens ; l'organisation secrète de l'évacuation du fils de Jor-El (Superman donc, qui s'appelle en réalité Kal-El) vers la Terre ; la destruction apocalyptique de Krypton ; le voyage vers la Terre à l'intérieur d'une capsule-cristal de Kal-El qui, encore nourrisson, devient progressivement un enfant durant ce trajet dans l'espace, tout en écoutant la voix de son père qui lui apprend tout ce que vous avez toujours rêvé de savoir sur tout ; l'arrivée de Kal-El sur Terre et son accueil par un vieux couple de paysans américains ; son adolescence un peu difficile, où il est contraint de cacher ses dons et incapable de séduire Lana Lang, la pom-pom girl du coin ; la mort de son père d'adoption (Glenn Ford), dont le cœur lâche après que son fils, futur Superman, lui a malencontreusement proposé de faire la course à celui qui arrivera le premier en haut de la côte... ; la découverte d'un cristal vert de Krypton enterré par ses parents adoptifs dans le sol de la grange ; le départ de Kal-El pour le pôle Nord (à pied !) ; l'édification miraculeuse, grâce au cristal vert, d'un temple de glace érigé au milieu de nulle part, où il peut mystérieusement communiquer avec ses parents biologiques, qui apparaissent sur les parois glacées du sanctuaire ; et le choix difficile, après avoir pesé le pour et le contre avec ses ancêtres, de cliver sa personnalité et de créer de toutes pièces le personnage de Superman, qui se révèle alors à nous pour la première fois quand Kal-El apparaît dans son costume (que nous ne l'avons pourtant pas vu coudre pièce à pièce) au fond du temple, avant de s'envoler le poing serré en direction de la caméra, volant à toute allure pour éviter de heurter l'objectif au dernier moment dans un virage contrôlé au millimètre près. Après quoi l'histoire commence enfin, quand Clark Kent nous est révélé à son tour, arrivant au Daily Planet dans son costume trois pièces d'anti-héros qui cache bien (enfin plus ou moins bien) son jeu. L'introduction est donc assez interminable, il faut bien le dire, quoique plaisante.
Kal-El (je rappelle ici juste en passant que Nicolas Cage a prénommé son fils ainsi, fin de la parenthèse) devient donc à la fois Clark Kent, ce grand dadet maladroit qui travaille au Daily Planet, où il tombe amoureux de Loïs Lane (Margot Kidder), et Superman, le vaillant super-héros généreux et poli qui aide tout le monde, les policiers luttant contre la pègre comme les petites vieilles dont le chat s'est coincé dans un arbre. Rien ne nous est dissimulé du parcours initiatique du personnage et cette lenteur narrative va de pair avec la lenteur certaine des scènes d'action (plus encore dans le deuxième film, qui présente des combats au corps-à-corps où dix minutes séparent chaque coup de poing). On est loin des films de super-héros actuels qui veulent à tout prix commencer en fanfare et sur des chapeaux de roues histoire d'en foutre plein la vue aux spectateurs et de s'assurer d'immédiatement capter leur attention. Ici le film commence d'une très belle façon : un rideau sombre s'ouvre sur un écran de cinéma où des images en noir et blanc nous présentent la main d'un enfant qui tourne les pages d'un comic book. La caméra se rapproche lentement d'une case précise de la bande dessinée qui montre le Daily Planet, et un fondu enchaîné substitue une véritable image filmique du bâtiment au dessin qui le représentait. Ce passage de la bande dessinée au film est accompagné par la voix-off de l'enfant, qui nous plonge tout de suite dans une ambiance bien particulière. Cette ouverture m'en évoque une autre, similaire bien qu'issue d'un film tout-à-fait différent, celle d'Un Pont trop loin de Richard Attenborough, qui commençait également par dévoiler un écran diffusant des images d'archives de la guerre de 39 en noir et blanc commentées par une voix féminine étrange, triste et envoûtante, annonçant le programme du récit à venir. Après la présentation tout aussi captivante et immergeante faite par l'enfant au début de Superman, le générique d'introduction fait éclater l'inoubliable et grandiose musique de John Williams, puis vient donc l'introduction sans fin résumée précédemment.
Superman est un film qui prend son temps, un film qui refuse de considérer le spectateur (enfant ou adulte) comme un abruti avide d'action prémâchée, un film qui ne se prend pas pour autant au sérieux, loin s'en faut, et qui regorge d'ailleurs de petites touches d'humour, notamment grâce au personnage de Lex Luthor, incarné par un Gene Hackman en grande forme, et grâce à son acolyte abruti, Otis, interprété par Ned Beatty. Le film se prend si peu au sérieux qu'il accumule les maladresses, des maladresses moins agaçantes que touchantes, qu'elles soient dues à l'interprétation des deux acteurs principaux (Christopher Reeve et Margot Kidder), pas franchement géniaux dans leurs performances dramatiques quand bien même ils correspondent parfaitement aux rôles, ou à des effets spéciaux quelques fois comiques. Le film échappe cependant au ridicule par la beauté d'autres effets, car il témoigne d'un vrai soin apporté par le réalisateur et l'équipe technique à l'aspect visuel général de l’œuvre, notamment grâce à la photographie de Geoffrey Unsworth (décédé à la fin du tournage et à qui le film est dédié), ainsi qu'à des mate-paintings magnifiques réalisés par des artistes-peintres inspirés à qui on avait laissé du temps, car cette chose-là existait à une autre époque, et l'on n'ignorait pas qu'il en fallût pour accomplir un travail de qualité.
L'autre grande maladresse du film, c'est son dénouement. Nous sommes en présence d'un script aussi bon que mauvais. Le scénario n'est pas dépourvu de qualités, grâce entre autres à l'élaboration d'un méchant original et intéressant, car Lex Luthor n'est pas un gros catcheur ridicule habillé comme l'as de pique qui se contenterait de faire chier son monde, c'est un petit chauve sans muscles, brillant et machiavélique, qui échafaude un plan génial : détourner deux ogives nucléaires pour les lancer sur la faille de San Andreas afin de plonger la Côte Ouest des États-Unis dans l'océan et de voir se bâtir une nouvelle Californie sur le désert adjacent qu'il a au préalable acheté pour une bouchée de pain. Ce plan réclame cependant de neutraliser Superman, pour éviter qu'il ne vienne gâcher la fête. Luthor s'en acquitte grâce à la kryptonite (un cristal particulier de la planète Krypton qui annihile les pouvoirs de Superman), récupérée sur une météorite tombée à Addis-Abeba. Alors se pose à Superman une question de philosophie morale expérimentale comme en raffolent les auteurs de comic books. Beaucoup de films de super-héros aiment en effet à poser ces dilemmes moraux à leurs personnages (et donc à leurs spectateurs), de Spider-Man, qui doit choisir entre sauver une nacelle remplie d'enfants ou sa femme, à Batman, qui doit choisir entre sauver le "héros blanc" de la ville ou son ex-compagne. Spider-Man ne s'emmerde pas à choisir puisqu'il tisse deux toiles, les poignets (et les majeurs) tendus vers le Bouffon Vert, sauvant les gamins et sa meuf en même temps, sans broncher. Batman, que le Joker tente de corrompre (tout comme le Bouffon Vert tente de corrompre Spider-Man... les auteurs de ces scénarios n'allant jamais chercher bien loin), décide de sauver son ex, car au fond il se fout complètement du bien-être de la cité et préfère le sexe entre amis, mais le Joker le trompe et Batman sauve l'avocat qui foutra la merde dans le 2ème épisode. Mauvaise pioche. La femme meurt (le public s'en remet rapidement, car c'est Maggie Gyllenhaal qui joue le rôle), et Nolan assure la part "sombre" de son triste film. En réalité le vrai défi de philosophie morale expérimentale du Dark Knight se trouve dans la scène des bateaux et pourrait se poser en ces termes : est-il moralement acceptable de sacrifier un groupe d'individus criminels condamnés à croupir en taule pour sauver un groupe d'individus sans casier judiciaire ? Nolan évacue cependant la question car elle n'est pas posée "au Batman" mais aux individus des deux camps eux-mêmes, et on veut nous faire croire que les criminels comme les "honnêtes gens" préfèreraient tous mourir ensemble plutôt que de faire du tort à leurs voisins d'en face, ce raccourci bien facile étant le point d'orgue d'un scénario qui a tout de la mascarade absolue.
Mais revenons à Superman, dont la situation est quelque peu différente - de fait le défi ne lui est pas directement posé par Lex Luthor - mais qui, à l'instar de ses camarades super-héros, pousse la philosophie sous le tapis et se torche avec, comme nous allons le voir. Deux têtes nucléaires sont lancées sur deux zones distinctes et éloignées de la faille de San Andreas. Superman a promis à Miss Teschmacher (l'autre acolyte de Luthor, moins idiote qu'Otis et plus responsable), qui vient de sauver le super-héros du joug de la kryptonite, d'arrêter en premier le missile qui se dirige vers la ville où réside sa vieille mère. Mais c'est laisser pisser l'autre missile, qui fuse vers un barrage où Loïs Lane et Jimmy Olsen (jeune photographe au Daily Planet et ami de Clark Kent) font un reportage. Qui sauver ? Tenir sa parole ou privilégier son intérêt personnel ? Si Superman suit son intuition déontologiste en bon lecteur de Kant, il doit tenir sa promesse, ne mentir sous aucun prétexte et laisser Loïs Lane mourir. S'il est au contraire un adepte et piètre applicateur de l'éthique des vertus, il privilégiera son équilibre personnel. Au final Superman est kantien : il part détourner le missile qui menace la maman de Miss Teschmacher, qu'il balance ensuite dans l'espace (pas Miss Teschmacher, le missile), mais étant très fort et très rapide, il part aussitôt réparer les dégâts causés par l'autre missile (qui ne sont que matériels, pas de radioactivité dans les parages) en plongeant sous terre pour soulever la roche et combler la faille agrandie par l'impact. Il crée ensuite un barrage de substitution pour remplacer celui qui vient de céder sous la force des vibrations, sauve un bus rempli d'enfants suspendu sur le rebord du grand pont de San Francisco, etc. Mais il reste une victime dont Superman se rappelle enfin, Loïs Lane, dont la voiture se trouvait pile sur le tracé de la faille et qui meurt, ensevelie, étouffée par la terre et la poussière.
Superman sort le corps de Loïs de l'accordéon de taule froissée qui lui servait de voiture, prend le corps inerte dans ses bras, s'agenouille, hurle, pleure. Il ne peut pas accepter ça, et le spectateur non plus, pas après les avoir admirés tous les deux volant ensemble dans le ciel étoilé de Metropolis, gênés par les pigeons mais tout de même heureux et follement amoureux. Alors Superman s'envole, le poing dressé. Et là vient le climax du film. On voit la Terre, et on voit superman tourner autour de la Terre à toute vitesse. Il fait vingt fois le tour de la planète en moins d'une minute (on se demande pourquoi il a mis un quart d'heure à rattraper chacun des missiles et pourquoi il n'a pas volé aussi vite quand il s'agissait de les détourner...), si bien que sous l'impulsion de sa vitesse la Terre commence à tourner dans l'autre sens. Et là où c'est fort, c'est que du coup le temps va en marche arrière. Superman rembobine la Terre puis refait trois ou quatre tours de planète, dans le bon sens cette fois, à l'endroit, en marche avant, histoire de refaire "lecture" et de revenir à la faille juste avant la mort de Loïs. L'espace et le temps sont à ce point liés qu'en faisant tourner la Terre à l'envers Superman remonte le temps. L'idée est si conne qu'elle en est grandiose. L'absurdité (certains parleront d'un goof) ne s'arrête pas là puisque lorsque Superman revient pour sauver Loïs Lane, il ne s'occupe plus de sauver à nouveau les autres, qui sont saufs néanmoins : remonter le temps a permis d'annuler la mort de Loïs sans annuler le sauvetage de tous les autres. C'est complètement idiot et j'adore ça. J'adore ça parce que ça n'est pas une "erreur" scénaristique à proprement parler, ce n'est pas un goof ni un couac du script, c'est un finale purement absurde, incohérent et débile, voulu comme tel. Il est impossible que les scénaristes, producteurs, réalisateur, membres de l'équipe technique, acteurs et premiers spectateurs n'aient pas perçu la connerie totale de cette dernière séquence. C'est un choix résolument assumé, et avec le sourire en prime ! Richard Donner, qui a réalisé quelques uns des plus grands films pour enfants de l'époque (Les Goonies en tête, mais aussi la série L'Arme fatale), fait un film comme un gamin raconterait une histoire, c'est-à-dire en se foutant éperdument des inconséquences du scénario et de sa conclusion ubuesque. L'idée de faire tourner Superman autour de la Terre pour en changer le sens de rotation et ainsi remonter le temps lui a plu (et c'est une magnifique idée, aussi conne soit-elle !), et il l'a réalisée, nous rappelant un peu ce qu'est avant tout (et sauf à d'extrêmement rares exceptions) l'univers du comic-book et que ne devraient pas oublier certains réalisateurs mégalo de films de super-héros, à commencer par ceux qui se prennent si tristement au sérieux : un amalgame de merveilleux, de grotesque et de connerie voué à faire rêver les gosses. Richard Donner en est un avant tout, que l'on voit dans les bonus du DVD du film raconter sa joie quand il a reçu le coup de fil d'Alexander Salkind (producteur) lui annonçant qu'il dirigerait le film : "J'étais aux cabinets. J'ai tout noté, le projet, le budget, les délais, tout, sur une feuille de PQ, une tranche de papier-cul que j'ai faite encadrer !".
Superman de Richard Donner avec Christopher Reeve, Margot Kidder, Gene Hackman, Marlon Brando, Glenn Ford, Ned Beatty et Terence Stamp (1978)
Kal-El (je rappelle ici juste en passant que Nicolas Cage a prénommé son fils ainsi, fin de la parenthèse) devient donc à la fois Clark Kent, ce grand dadet maladroit qui travaille au Daily Planet, où il tombe amoureux de Loïs Lane (Margot Kidder), et Superman, le vaillant super-héros généreux et poli qui aide tout le monde, les policiers luttant contre la pègre comme les petites vieilles dont le chat s'est coincé dans un arbre. Rien ne nous est dissimulé du parcours initiatique du personnage et cette lenteur narrative va de pair avec la lenteur certaine des scènes d'action (plus encore dans le deuxième film, qui présente des combats au corps-à-corps où dix minutes séparent chaque coup de poing). On est loin des films de super-héros actuels qui veulent à tout prix commencer en fanfare et sur des chapeaux de roues histoire d'en foutre plein la vue aux spectateurs et de s'assurer d'immédiatement capter leur attention. Ici le film commence d'une très belle façon : un rideau sombre s'ouvre sur un écran de cinéma où des images en noir et blanc nous présentent la main d'un enfant qui tourne les pages d'un comic book. La caméra se rapproche lentement d'une case précise de la bande dessinée qui montre le Daily Planet, et un fondu enchaîné substitue une véritable image filmique du bâtiment au dessin qui le représentait. Ce passage de la bande dessinée au film est accompagné par la voix-off de l'enfant, qui nous plonge tout de suite dans une ambiance bien particulière. Cette ouverture m'en évoque une autre, similaire bien qu'issue d'un film tout-à-fait différent, celle d'Un Pont trop loin de Richard Attenborough, qui commençait également par dévoiler un écran diffusant des images d'archives de la guerre de 39 en noir et blanc commentées par une voix féminine étrange, triste et envoûtante, annonçant le programme du récit à venir. Après la présentation tout aussi captivante et immergeante faite par l'enfant au début de Superman, le générique d'introduction fait éclater l'inoubliable et grandiose musique de John Williams, puis vient donc l'introduction sans fin résumée précédemment.
Superman est un film qui prend son temps, un film qui refuse de considérer le spectateur (enfant ou adulte) comme un abruti avide d'action prémâchée, un film qui ne se prend pas pour autant au sérieux, loin s'en faut, et qui regorge d'ailleurs de petites touches d'humour, notamment grâce au personnage de Lex Luthor, incarné par un Gene Hackman en grande forme, et grâce à son acolyte abruti, Otis, interprété par Ned Beatty. Le film se prend si peu au sérieux qu'il accumule les maladresses, des maladresses moins agaçantes que touchantes, qu'elles soient dues à l'interprétation des deux acteurs principaux (Christopher Reeve et Margot Kidder), pas franchement géniaux dans leurs performances dramatiques quand bien même ils correspondent parfaitement aux rôles, ou à des effets spéciaux quelques fois comiques. Le film échappe cependant au ridicule par la beauté d'autres effets, car il témoigne d'un vrai soin apporté par le réalisateur et l'équipe technique à l'aspect visuel général de l’œuvre, notamment grâce à la photographie de Geoffrey Unsworth (décédé à la fin du tournage et à qui le film est dédié), ainsi qu'à des mate-paintings magnifiques réalisés par des artistes-peintres inspirés à qui on avait laissé du temps, car cette chose-là existait à une autre époque, et l'on n'ignorait pas qu'il en fallût pour accomplir un travail de qualité.
L'autre grande maladresse du film, c'est son dénouement. Nous sommes en présence d'un script aussi bon que mauvais. Le scénario n'est pas dépourvu de qualités, grâce entre autres à l'élaboration d'un méchant original et intéressant, car Lex Luthor n'est pas un gros catcheur ridicule habillé comme l'as de pique qui se contenterait de faire chier son monde, c'est un petit chauve sans muscles, brillant et machiavélique, qui échafaude un plan génial : détourner deux ogives nucléaires pour les lancer sur la faille de San Andreas afin de plonger la Côte Ouest des États-Unis dans l'océan et de voir se bâtir une nouvelle Californie sur le désert adjacent qu'il a au préalable acheté pour une bouchée de pain. Ce plan réclame cependant de neutraliser Superman, pour éviter qu'il ne vienne gâcher la fête. Luthor s'en acquitte grâce à la kryptonite (un cristal particulier de la planète Krypton qui annihile les pouvoirs de Superman), récupérée sur une météorite tombée à Addis-Abeba. Alors se pose à Superman une question de philosophie morale expérimentale comme en raffolent les auteurs de comic books. Beaucoup de films de super-héros aiment en effet à poser ces dilemmes moraux à leurs personnages (et donc à leurs spectateurs), de Spider-Man, qui doit choisir entre sauver une nacelle remplie d'enfants ou sa femme, à Batman, qui doit choisir entre sauver le "héros blanc" de la ville ou son ex-compagne. Spider-Man ne s'emmerde pas à choisir puisqu'il tisse deux toiles, les poignets (et les majeurs) tendus vers le Bouffon Vert, sauvant les gamins et sa meuf en même temps, sans broncher. Batman, que le Joker tente de corrompre (tout comme le Bouffon Vert tente de corrompre Spider-Man... les auteurs de ces scénarios n'allant jamais chercher bien loin), décide de sauver son ex, car au fond il se fout complètement du bien-être de la cité et préfère le sexe entre amis, mais le Joker le trompe et Batman sauve l'avocat qui foutra la merde dans le 2ème épisode. Mauvaise pioche. La femme meurt (le public s'en remet rapidement, car c'est Maggie Gyllenhaal qui joue le rôle), et Nolan assure la part "sombre" de son triste film. En réalité le vrai défi de philosophie morale expérimentale du Dark Knight se trouve dans la scène des bateaux et pourrait se poser en ces termes : est-il moralement acceptable de sacrifier un groupe d'individus criminels condamnés à croupir en taule pour sauver un groupe d'individus sans casier judiciaire ? Nolan évacue cependant la question car elle n'est pas posée "au Batman" mais aux individus des deux camps eux-mêmes, et on veut nous faire croire que les criminels comme les "honnêtes gens" préfèreraient tous mourir ensemble plutôt que de faire du tort à leurs voisins d'en face, ce raccourci bien facile étant le point d'orgue d'un scénario qui a tout de la mascarade absolue.
Mais revenons à Superman, dont la situation est quelque peu différente - de fait le défi ne lui est pas directement posé par Lex Luthor - mais qui, à l'instar de ses camarades super-héros, pousse la philosophie sous le tapis et se torche avec, comme nous allons le voir. Deux têtes nucléaires sont lancées sur deux zones distinctes et éloignées de la faille de San Andreas. Superman a promis à Miss Teschmacher (l'autre acolyte de Luthor, moins idiote qu'Otis et plus responsable), qui vient de sauver le super-héros du joug de la kryptonite, d'arrêter en premier le missile qui se dirige vers la ville où réside sa vieille mère. Mais c'est laisser pisser l'autre missile, qui fuse vers un barrage où Loïs Lane et Jimmy Olsen (jeune photographe au Daily Planet et ami de Clark Kent) font un reportage. Qui sauver ? Tenir sa parole ou privilégier son intérêt personnel ? Si Superman suit son intuition déontologiste en bon lecteur de Kant, il doit tenir sa promesse, ne mentir sous aucun prétexte et laisser Loïs Lane mourir. S'il est au contraire un adepte et piètre applicateur de l'éthique des vertus, il privilégiera son équilibre personnel. Au final Superman est kantien : il part détourner le missile qui menace la maman de Miss Teschmacher, qu'il balance ensuite dans l'espace (pas Miss Teschmacher, le missile), mais étant très fort et très rapide, il part aussitôt réparer les dégâts causés par l'autre missile (qui ne sont que matériels, pas de radioactivité dans les parages) en plongeant sous terre pour soulever la roche et combler la faille agrandie par l'impact. Il crée ensuite un barrage de substitution pour remplacer celui qui vient de céder sous la force des vibrations, sauve un bus rempli d'enfants suspendu sur le rebord du grand pont de San Francisco, etc. Mais il reste une victime dont Superman se rappelle enfin, Loïs Lane, dont la voiture se trouvait pile sur le tracé de la faille et qui meurt, ensevelie, étouffée par la terre et la poussière.
Superman sort le corps de Loïs de l'accordéon de taule froissée qui lui servait de voiture, prend le corps inerte dans ses bras, s'agenouille, hurle, pleure. Il ne peut pas accepter ça, et le spectateur non plus, pas après les avoir admirés tous les deux volant ensemble dans le ciel étoilé de Metropolis, gênés par les pigeons mais tout de même heureux et follement amoureux. Alors Superman s'envole, le poing dressé. Et là vient le climax du film. On voit la Terre, et on voit superman tourner autour de la Terre à toute vitesse. Il fait vingt fois le tour de la planète en moins d'une minute (on se demande pourquoi il a mis un quart d'heure à rattraper chacun des missiles et pourquoi il n'a pas volé aussi vite quand il s'agissait de les détourner...), si bien que sous l'impulsion de sa vitesse la Terre commence à tourner dans l'autre sens. Et là où c'est fort, c'est que du coup le temps va en marche arrière. Superman rembobine la Terre puis refait trois ou quatre tours de planète, dans le bon sens cette fois, à l'endroit, en marche avant, histoire de refaire "lecture" et de revenir à la faille juste avant la mort de Loïs. L'espace et le temps sont à ce point liés qu'en faisant tourner la Terre à l'envers Superman remonte le temps. L'idée est si conne qu'elle en est grandiose. L'absurdité (certains parleront d'un goof) ne s'arrête pas là puisque lorsque Superman revient pour sauver Loïs Lane, il ne s'occupe plus de sauver à nouveau les autres, qui sont saufs néanmoins : remonter le temps a permis d'annuler la mort de Loïs sans annuler le sauvetage de tous les autres. C'est complètement idiot et j'adore ça. J'adore ça parce que ça n'est pas une "erreur" scénaristique à proprement parler, ce n'est pas un goof ni un couac du script, c'est un finale purement absurde, incohérent et débile, voulu comme tel. Il est impossible que les scénaristes, producteurs, réalisateur, membres de l'équipe technique, acteurs et premiers spectateurs n'aient pas perçu la connerie totale de cette dernière séquence. C'est un choix résolument assumé, et avec le sourire en prime ! Richard Donner, qui a réalisé quelques uns des plus grands films pour enfants de l'époque (Les Goonies en tête, mais aussi la série L'Arme fatale), fait un film comme un gamin raconterait une histoire, c'est-à-dire en se foutant éperdument des inconséquences du scénario et de sa conclusion ubuesque. L'idée de faire tourner Superman autour de la Terre pour en changer le sens de rotation et ainsi remonter le temps lui a plu (et c'est une magnifique idée, aussi conne soit-elle !), et il l'a réalisée, nous rappelant un peu ce qu'est avant tout (et sauf à d'extrêmement rares exceptions) l'univers du comic-book et que ne devraient pas oublier certains réalisateurs mégalo de films de super-héros, à commencer par ceux qui se prennent si tristement au sérieux : un amalgame de merveilleux, de grotesque et de connerie voué à faire rêver les gosses. Richard Donner en est un avant tout, que l'on voit dans les bonus du DVD du film raconter sa joie quand il a reçu le coup de fil d'Alexander Salkind (producteur) lui annonçant qu'il dirigerait le film : "J'étais aux cabinets. J'ai tout noté, le projet, le budget, les délais, tout, sur une feuille de PQ, une tranche de papier-cul que j'ai faite encadrer !".
Superman de Richard Donner avec Christopher Reeve, Margot Kidder, Gene Hackman, Marlon Brando, Glenn Ford, Ned Beatty et Terence Stamp (1978)