Stimulés par une première bande-annonce énigmatique où l'on pouvait
 voir Clint Eastwood, son visage émacié à peine décelable dans l'ombre 
de son stetson, se tourner vers la caméra et nous adresser un regard 
impénétrable, les plus naïfs cinéphiles auront peut-être pu rêver du 
film-testament de son auteur, du baroud d'honneur d'une véritable 
légende vivante du cinéma. Les premiers aperçus de Cry Macho et sa 
longue gestation étaient effectivement propices à tous les fantasmes et 
toutes les projections. On pouvait très légitimement attendre quelque 
chose, ou en tout cas autre chose, d'une nouvelle apparition d'Eastwood 
devant la caméra, lui que nous n'avions guère revu à l'écran depuis le 
sympathique The Mule. Et puis, il faut le dire : plus le temps passe, plus l'on redoute, au
 fond de nous, qu'il ne s'agisse de son dernier rôle. Clint Eastwood va
 bientôt souffler sa 92ème bougie et n'a, a priori, pas d'autre projet 
en cours, chose exceptionnelle pour celui qui d'ordinaire les enchaîne. 
Cry
 Macho est en réalité le film-test ultime pour mettre à l'épreuve notre 
sympathie et notre indulgence à l'égard de Clint. Ses fans 
inconditionnels passeront sans doute un bon moment, ceux qui font de lui
 un intouchable quoiqu'il advienne regarderont peut-être ça sans 
souffrir et sauront passer l'éponge, certains réussiront à prendre cela 
au second degré et à s'en amuser, mais tous les autres seront forcément 
perplexes voire un peu remontés contre lui... Nous sommes ici dans le ventre mou
 du ventre mou de sa si longue filmographie. On tient là un tout petit 
film de rien du tout, que je ne qualifierai même pas de "mineur" pour ne
 pas déshonorer la mémoire de nos ancêtres qui ont travaillé dans les 
mines. Notre bon vieux Clint voulait vraisemblablement prendre le 
soleil, déguster quelques fajitas, remonter un peu à cheval, respirer le
 grand air, en bref, passer du bon temps au Mexique... et voilà le 
résultat. Il a certainement pris du plaisir à tourner son film, plus que
 nous à le mater. 
Contrairement à ce que 
son titre pouvait laisser croire, Cry Macho est un simple feel good 
movie, presque une comédie, au scénario anodin et sans surprise. On n'y 
trouve quasiment aucun enjeu dramatique, zéro tension. C'est quelque 
chose de plutôt doux qui défile mollement sous nos yeux peu concernés, 
jamais moche à regarder en dépit d'un recours trop systématique au 
vignettage pour donner un semblant de cachet à un film tourné en mode 
pilote automatique. 
Tout se passe donc bien, sans accroc ou si peu, et l'on est rapidement 
convaincus qu'il n'arrivera rien de fâcheux à ces personnages 
grossièrement écrits. L'acteur-réalisateur balance quelques bons mots 
qui tombent souvent à plat, remet régulièrement à sa place cet ado 
mexicain vantard qu'il doit convoyer au Texas, fait fondre toutes les 
latinas qu'il croise sur son chemin et déjoue nonchalamment les plans 
des fédéraux ou autres bad guys totalement inoffensifs (en général, il 
suffit de prendre l'embranchement juste avant le barrage policier ou de 
croire en sa bonne étoile). 
Plutôt
 qu'un film sur la mort, la vieillesse, la transmission ou que sais-je, 
Clint Eastwood semble s'en prendre à son image passée et s'occupe 
principalement à fustiger la virilité, à se moquer des téméraires et des
 fiers-à-bras, à travers quelques leçons qu'il donne au garçon qui 
l'accompagne, si content des succès de son coq de combat. On met sans 
doute ici le doigt sur ce qui a motivé Eastwood à réaliser ce film, lui 
qui a montré un intérêt pour l'adaptation de ce qui est à la base un 
roman de N. Richard Nash dès la fin des années 80, une période où son image de héros à la masculinité exacerbée était plus prégnante.
Cette fronde gentillette contre les machistes de tout poil explique 
peut-être aussi cette scène assez incongrue où son personnage s'en prend
 à deux flics mexicains, pourtant pas bien pénibles, en les couvrant 
littéralement de jurons. Leurs uniformes et leurs morgues timides 
doivent faire d'eux les symboles de ce dont se moque l'ex-inspecteur 
Harry tout le long, de ces hommes qui n'ont pour eux que leur virilité 
d'apparat. 
Au cœur du film, le temps s'arrête et il ne se passe
 pratiquement plus rien. Durant une parenthèse enchantée dans un petit 
village du nord du Mexique – parenthèse qui correspond tout de même à un 
bon tiers du film – le plaisir pris par Clint à tourner son 39ème long 
métrage (si mes comptes sont bons) est enfin partagé. Entre deux cours 
d'équitation suivis par le jeune chicano sous le regard approbateur de 
son aïeul et quelques bons plats dégustés à l’œil et en famille à la 
taquería du coin, notre vedette passe pour un vétérinaire doté d'un don 
quasi surnaturel pour soigner les bêtes. Il distille donc quelques 
précieux conseils à des éleveurs ignares qui s'en vont à tour de rôle le
 consulter. Au propriétaire d'un cochon se déplaçant difficilement du 
fait de son poids, Clint se contente d'un lumineux "More water, less 
food" prononcé de sa voix caverneuse qui inspire le respect. Dans la 
foulée, il confie en aparté à son jeune comparse ne pas savoir quoi dire
 à la maîtresse aux abois d'un chien fatigué, car il s'avoue incapable de "guérir la 
vieillesse". Des mots simples qui serreront le cœur des admirateurs les 
plus émotifs de Clint. Nul doute que ces derniers auraient volontiers passé bien plus 
de temps à le voir guérir des animaux et couler des jours paisibles dans
 son village d'adoption. C'est bien la plus savoureuse partie 
d'un film en roue libre...
Clint joue donc de son image, de ses rôles passés, surtout les premiers, et 
surjoue, ou non, son vieil âge : il nous permet d'en douter et c'est là 
tout son art, toute sa malice. Il se fiche d'abord de lui, se moque 
aussi pas mal de nos attentes et de notre avis. Vous espériez un 
néo-western crépusculaire définitif ? Vous n'aurez que ce petit truc-là, insignifiant, dérisoire.
 Eastwood nous concocte tout de même quelques jolis plans où nous voyons
 son profil d'éternel cowboy découper l'horizon, au soleil couchant, 
avant de disparaître progressivement dans l'ombre. Des images qui 
apparaissent comme les très rares fulgurances du film que les 
spectateurs auront rêvé et dont il s'agit d'une forme de pied de nez. A 
vrai dire, on dirait aussi la face b d'un vieux groupe dont l'âge d'or 
est depuis longtemps révolu et qui n'a plus rien à prouver, 
se fout de tout et cherche juste à kiffer. Cry Macho, c'est le Cuttooth 
de Clint, son Living in a Ghost Town. "Haters gonna hate", mais comment 
peut-on prendre au sérieux un hater de Clint Eastwood ? En attendant, 
notre homme a appris à préparer les tortillas, ce qui fait une corde de 
plus à son arc.
Cry Macho de Clint Eastwood avec Clint Eastwood et Eduardo Minett (2021)
 






 
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