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10 novembre 2021

Cry Macho

Stimulés par une première bande-annonce énigmatique où l'on pouvait voir Clint Eastwood, son visage émacié à peine décelable dans l'ombre de son stetson, se tourner vers la caméra et nous adresser un regard impénétrable, les plus naïfs cinéphiles auront peut-être pu rêver du film-testament de son auteur, du baroud d'honneur d'une véritable légende vivante du cinéma. Les premiers aperçus de Cry Macho et sa longue gestation étaient effectivement propices à tous les fantasmes et toutes les projections. On pouvait très légitimement attendre quelque chose, ou en tout cas autre chose, d'une nouvelle apparition d'Eastwood devant la caméra, lui que nous n'avions guère revu à l'écran depuis le sympathique The Mule. Et puis, il faut le dire : plus le temps passe, plus l'on redoute, au fond de nous, qu'il ne s'agisse de son dernier rôle. Clint Eastwood va bientôt souffler sa 92ème bougie et n'a, a priori, pas d'autre projet en cours, chose exceptionnelle pour celui qui d'ordinaire les enchaîne.


 
 
Cry Macho est en réalité le film-test ultime pour mettre à l'épreuve notre sympathie et notre indulgence à l'égard de Clint. Ses fans inconditionnels passeront sans doute un bon moment, ceux qui font de lui un intouchable quoiqu'il advienne regarderont peut-être ça sans souffrir et sauront passer l'éponge, certains réussiront à prendre cela au second degré et à s'en amuser, mais tous les autres seront forcément perplexes voire un peu remontés contre lui... Nous sommes ici dans le ventre mou du ventre mou de sa si longue filmographie. On tient là un tout petit film de rien du tout, que je ne qualifierai même pas de "mineur" pour ne pas déshonorer la mémoire de nos ancêtres qui ont travaillé dans les mines. Notre bon vieux Clint voulait vraisemblablement prendre le soleil, déguster quelques fajitas, remonter un peu à cheval, respirer le grand air, en bref, passer du bon temps au Mexique... et voilà le résultat. Il a certainement pris du plaisir à tourner son film, plus que nous à le mater.


 
 
Contrairement à ce que son titre pouvait laisser croire, Cry Macho est un simple feel good movie, presque une comédie, au scénario anodin et sans surprise. On n'y trouve quasiment aucun enjeu dramatique, zéro tension. C'est quelque chose de plutôt doux qui défile mollement sous nos yeux peu concernés, jamais moche à regarder en dépit d'un recours trop systématique au vignettage pour donner un semblant de cachet à un film tourné en mode pilote automatique. Tout se passe donc bien, sans accroc ou si peu, et l'on est rapidement convaincus qu'il n'arrivera rien de fâcheux à ces personnages grossièrement écrits. L'acteur-réalisateur balance quelques bons mots qui tombent souvent à plat, remet régulièrement à sa place cet ado mexicain vantard qu'il doit convoyer au Texas, fait fondre toutes les latinas qu'il croise sur son chemin et déjoue nonchalamment les plans des fédéraux ou autres bad guys totalement inoffensifs (en général, il suffit de prendre l'embranchement juste avant le barrage policier ou de croire en sa bonne étoile). 


 
 
Plutôt qu'un film sur la mort, la vieillesse, la transmission ou que sais-je, Clint Eastwood semble s'en prendre à son image passée et s'occupe principalement à fustiger la virilité, à se moquer des téméraires et des fiers-à-bras, à travers quelques leçons qu'il donne au garçon qui l'accompagne, si content des succès de son coq de combat. On met sans doute ici le doigt sur ce qui a motivé Eastwood à réaliser ce film, lui qui a montré un intérêt pour l'adaptation de ce qui est à la base un roman de N. Richard Nash dès la fin des années 80, une période où son image de héros à la masculinité exacerbée était plus prégnante. Cette fronde gentillette contre les machistes de tout poil explique peut-être aussi cette scène assez incongrue où son personnage s'en prend à deux flics mexicains, pourtant pas bien pénibles, en les couvrant littéralement de jurons. Leurs uniformes et leurs morgues timides doivent faire d'eux les symboles de ce dont se moque l'ex-inspecteur Harry tout le long, de ces hommes qui n'ont pour eux que leur virilité d'apparat. 


 
 
Au cœur du film, le temps s'arrête et il ne se passe pratiquement plus rien. Durant une parenthèse enchantée dans un petit village du nord du Mexique – parenthèse qui correspond tout de même à un bon tiers du film – le plaisir pris par Clint à tourner son 39ème long métrage (si mes comptes sont bons) est enfin partagé. Entre deux cours d'équitation suivis par le jeune chicano sous le regard approbateur de son aïeul et quelques bons plats dégustés à l’œil et en famille à la taquería du coin, notre vedette passe pour un vétérinaire doté d'un don quasi surnaturel pour soigner les bêtes. Il distille donc quelques précieux conseils à des éleveurs ignares qui s'en vont à tour de rôle le consulter. Au propriétaire d'un cochon se déplaçant difficilement du fait de son poids, Clint se contente d'un lumineux "More water, less food" prononcé de sa voix caverneuse qui inspire le respect. Dans la foulée, il confie en aparté à son jeune comparse ne pas savoir quoi dire à la maîtresse aux abois d'un chien fatigué, car il s'avoue incapable de "guérir la vieillesse". Des mots simples qui serreront le cœur des admirateurs les plus émotifs de Clint. Nul doute que ces derniers auraient volontiers passé bien plus de temps à le voir guérir des animaux et couler des jours paisibles dans son village d'adoption. C'est bien la plus savoureuse partie d'un film en roue libre...


 
 
Clint joue donc de son image, de ses rôles passés, surtout les premiers, et surjoue, ou non, son vieil âge : il nous permet d'en douter et c'est là tout son art, toute sa malice. Il se fiche d'abord de lui, se moque aussi pas mal de nos attentes et de notre avis. Vous espériez un néo-western crépusculaire définitif ? Vous n'aurez que ce petit truc-là, insignifiant, dérisoire. Eastwood nous concocte tout de même quelques jolis plans où nous voyons son profil d'éternel cowboy découper l'horizon, au soleil couchant, avant de disparaître progressivement dans l'ombre. Des images qui apparaissent comme les très rares fulgurances du film que les spectateurs auront rêvé et dont il s'agit d'une forme de pied de nez. A vrai dire, on dirait aussi la face b d'un vieux groupe dont l'âge d'or est depuis longtemps révolu et qui n'a plus rien à prouver, se fout de tout et cherche juste à kiffer. Cry Macho, c'est le Cuttooth de Clint, son Living in a Ghost Town. "Haters gonna hate", mais comment peut-on prendre au sérieux un hater de Clint Eastwood ? En attendant, notre homme a appris à préparer les tortillas, ce qui fait une corde de plus à son arc.


Cry Macho de Clint Eastwood avec Clint Eastwood et Eduardo Minett (2021)

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