Du réalisateur de La French et HHhH, je ne m'attendais pas à une 
fine analyse de la situation actuelle des quartiers les plus sensibles 
du pays, gangrénés par le trafic de stupéfiants. J'avais déjà pu mesurer
 de quoi était capable Cédric Jimenez devant son biopic de 
Reinhard Heydrich où il filmait la Solution finale avec une délicatesse 
et une intelligence qui n'étaient pas celles que l'on pouvait 
raisonnablement attribuer à un cinéaste s'embarrassant de questions 
morales ou s'adonnant à une vraie réflexion. Le point de vue adopté ici 
est celui d'une petite équipe de flics de la brigade anti-criminalité 
des quartiers nord de Marseille : trois gars, plutôt bas du front et du 
genre impulsif mais pleinement investis dans leur tâche. Ils 
apparaissent comme les derniers rouages d'un système dépassé, 
impuissant, qui finira par les trahir et les lâcher, du jour au 
lendemain, une fois leur objectif atteint. Le portrait qui nous est 
proposé de la banlieue chaude de Marseille est celui d'une zone de 
non-droit, tenue par des gangs cagoulés et armés, où rien n'est à sauver
 puisque même un gamin d'une dizaine d'années s'avérera capable de 
poignarder l'un des policiers dans le dos. A première vue, on comprend 
donc aisément pourquoi ce film a illico intégré le top 2021 de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Alexandre Benalla... Que du beau monde !
Malgré
 le prudent intertitre d'introduction qui nous avertit que si le film 
s'inspire d'une histoire vraie, les événements et les personnages sont 
fictifs, il y a quelque chose de problématique dans la posture adoptée 
par Cédric Jimenez, qui se défend d'avoir réalisé une fiction et non un 
documentaire, mais dresse un tableau univoque d'une situation complexe 
et explosive, et prend fait et cause pour des protagonistes dont les 
modèles sont impliqués dans une affaire épineuse toujours en cours 
d'instruction. En outre, en nous donnant aussi à voir dans sa dernière 
partie des images d'archives télévisuelles de 2012 où le Ministre de 
l'Intérieur d'alors, Manuel Knacky Ball's, réagit à l'affaire réelle, le 
réalisateur a encore le tort d'être maladroit et ambigu sur un terrain 
pourtant glissant. Après la Shoah et les quartiers nord de Marseille, 
quel terrain de jeu choisira Jimenez pour son prochain film ? Une rapide
 recherche m'informe que celui-ci reviendra sur les attentats du 13 
novembre 2015...
Si l'on sait désormais que la 
subtilité et la nuance ne sont pas 
les points forts de ce cinéaste, 
je ne le pensais pas non plus en mesure de pondre des scènes d'action 
potables – car je crois que c'est surtout ça qui l'intéresse, après 
tout. Et, 
là-dessus, Cédric Jimenez m'a presque agréablement surpris. Je dis 
"presque" car ça reste à mille lieues des grands 
modèles américains cités dans les critiques enthousiastes et reconnues par le cinéaste
 (Friedkin, Mann...), mais je reconnais que c'est assez enlevé, que 
l'intensité est bien là. Au milieu du film, l'opération policière 
consistant à repérer l'appartement "nourrice" est d'une certaine 
efficacité, on est saisis. Le cinéaste n'a jamais rien fait de mieux 
auparavant. Mais vous aurez toutefois compris qu'il s'agit venant de moi
 d'un
 compliment des plus relatifs. Et par ailleurs, cette séquence n'en 
reste pas moins gênante puisque 
c'est au cours de celle-ci qu'un gamin de la cité plante l'un des trois 
flics, 
venu trouver refuge en plein chaos dans son appartement, quand la 
possibilité d'un regard plus 
ambivalent tendait les bras au réalisateur.
Après ce morceau de bravoure central, le film dégonfle et s'écrase 
progressivement. Si les deux premières parties de BAC Nord ont 
quelque chose de bêtement captivant par leur rythme soutenu et l'énergie
 
indéniable qui les anime (notamment due à l'implication des comédiens – 
en flic sanguin et un brin débile, Gilles Lellouche est totalement 
crédible, je le reconnais), le dernier acte est beaucoup plus laborieux.
 Il 
 achève de faire des trois policiers, pour lesquels nous éprouvons si 
peu d'empathie, des martyrs de la République 
défaillante, des victimes de la perfidie d'un système qui les aura 
broyés jusqu'au bout et dégoûtés à jamais. 
Alors qu'il avançait jusque-là comme une sorte de western urbain 
nerveux, plutôt efficace, le film se
 perd donc complètement, et la faiblesse de sa construction, les failles de
 son scénario et les problèmes qu'il pose sautent encore plus aux yeux. 
Les dernières phrases qui apparaissent à l'image juste avant le 
générique final pour nous informer du devenir de 
chaque flic terminent de nous laisser un drôle d'arrière-goût en bouche...
 Après tout ça, nous avons la certitude non pas d'avoir vu le "grand 
polar français de l'année" promis par les affiches, mais simplement la dernière bévue en date du 
nouveau poids lourd, vraiment très lourd, de notre cinéma d'action 
national. 
BAC Nord de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, François Civil, Karime Leklou, Kenza Fortas et Adèle Exarchopoulous (2021)
 




 
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire