

Sous couvert d'humour, de légèreté, de grand-guinol permanent dans cette demeure où le poids des livres préside, il y a comme une pesanteur qui se libère doucement tandis que le fils prodigue déleste à pas de loups (imitant physiquement la démarche de Roman Polanski dans Le Bal des Vampires) la maison de sa mère de quelques uns de ses milliers de livres. Comme un jeu de piste parmi les bibliothèques et les piles de livres insaisissables, le film fait du surplace en huis-clos et révèle doucement ses secrets, en-dessous des anciennes couches de peinture, derrière les romans qu'on se raconte pour oublier les vraies histoires (d'où le titre, qui reprend la phrase favorites des mères dont les enfants sont trop curieux). C'était le premier film d'un jeune homme bien décidé à se frotter à l'éternel adversaire (et partenaire) du cinéma : la littérature, ou disons les livres, dans un premier temps, car la littérature viendrait avec le second film de l'auteur. Pour faire ses premières armes dans un long métrage, Amalric a engagé son idole, l'acteur de théâtre Jean-Yves Dubois, mort très tôt et à qui Amalric acteur dit devoir beaucoup (et ça se voit !), et puis la remarquable Adriana Asti, le fameux László Szabó des premiers films de Godard, véritable idole pour Amalric, et enfin sa fiancée de l'époque, Jeanne Balibar, également très inspirée dans ce film. On y admire déjà un art de l'ellipse, un penchant pour la poésie (la toute dernière séquence est éblouissante) et un style naissant, le style élégant de ce jeune metteur en scène prometteur, de cet intellectuel embrouillé, de ce comique proclamé qui prenait ses marques derrière la caméra en cette fin des années 90 et qui allait bientôt se laisser prendre au jeu des sunlights. Bientôt mais pas tout de suite. D'abord viendrait Le Stade de Wimbledon.
Mange ta soupe de Mathieu Amalric avec Jean-Yves Dubois, Adriana Asti, László Szabó et Jeanne Balibar (1997)