Dans la lignée du Jauja de l'argentin Lisandro Alonso en 
2014, qui marchait dans les pas d'un officier danois débarqué en Terre 
de Feu avec sa fille, obligé de quitter son poste pour retrouver cette 
dernière, partie avec un soldat, Godland, d'Hlynur Pálmason, réinvente 
le parcours d'un prêtre danois parti pour l'Islande avec un ami, à la 
fin du 19ème siècle, pour y bâtir une église et prendre en photo la 
population locale. Dans les deux films, des danois exilés sont aux 
prises avec les éléments d'un pays étranger et hostile qu'ils arpentent 
dans l'adversité, marchant vers une forme de rédemption, et les deux présentent peu ou prou le même aspect : cette image presque carrée,
 bords légèrement arrondis, faisant la part belle aux couleurs des 
paysages dans des cadres très travaillés et dans de longs plans 
contemplatifs. On pourrait presque ajouter à la liste La Légende du Roi Crabe, des italiens Alessio Rigo
 de Righi et Matteo Zoppis, sorti en 2021, qui mettait en scène un rebelle 
coupable de meurtre contraint de s'exiler en Argentine et de se 
convertir chercheur d'or. Même type d'image (simplement moins carrée chez les italiens), même genre de film. Problème : les trois films ont le même défaut. Ah les 
images sont belles, les paysages sont magnifiques, la promesse 
d'aventure est là, mais au final, on s'emmerde pas mal.
 
Il
 me semble que Godland est cependant au-dessus de ses deux prédécesseurs
 (dont j'ai dû aller relire les résumés pour les pitcher ci-dessus, car 
je ne me souvenais de pratiquement rien). Mais il n'échappe pas à la 
malédiction de cette trilogie officieuse : le film dure 2h30, et les 
sublimes décors d'Islande, magnifiés par des plans souvent bien foutus, 
rien à dire là-dessus, ne suffisent pas à tout à fait à nous les faire 
encaisser sans broncher. Le principal souci de nos metteurs en scène 
esthètes venus d'Argentine, d'Italie et d'Islande, c'est qu'ils aiment
 à nous servir de beaux tableaux mais oublient de nous fournir un
 vrai scénario. 
L'auteur de Godland nous apprend, au début de son film, 
s'être inspiré de six photographies datant des débuts du médium exhumées 
quelque part en Islande pour essayer d'imaginer leur origine. Mais on se
 retrouve avec un prêtre déboussolé par son voyage, certes pénible, à 
dos de cheval dans les montagnes islandaises, bouleversé par la mort de
 son seul ami (venu jouer les traducteurs entre lui et les islandais — dommage, c'était le seul personnage sympathique du film, et leur amitié 
le seul point d'achoppement émotionnel pour nous, or le type meurt bêtement quasiment tout de suite), puis impliqué, avec plus ou moins de bonheur, 
dans la vie de la localité qu'il doit administrer au nom de Dieu, et où 
il trouve l'amour (mais il faut vraiment s'accrocher pour le déceler, et
 pour comprendre la fille qui s'en ressent pour lui), avant d'être 
rattrapé par ses démons et que son Dieu ne vienne lui tirer la queue.
Sauf qu'on se fout pas mal de ce prêtre et de tous les pauvres gens qui lui 
tournent autour. Ce qui n'est pas sans poser un frein quand il s'agit 
d'adhérer au film et de s'y plaire. C'était du reste le même ennui mêlé 
d'indifférence qui s'était saisi de moi devant Jauja et La Légende du Roi Crabe, malgré beaucoup de bonne volonté. On n'enlèvera pas à Hlynur Pálmason d'avoir réalisé quelques 
jolis plans (j'aurais pu en citer beaucoup d'autres pour décorer cet 
article), même s'il abuse un peu des travellings latéraux et des 
panoramiques à 360°. Rien de vraiment poseur non plus, contrairement à 
ce qu'on avait pu renifler chez Lisandro Alonso. S'il rechigne à filmer les corps et peine à filmer les choses (à part quelques tentatives au début, sur la mousse gorgée d'eau où Ragnar fait son yoga), Pálmason parvient tout de même à créer des plages de temps (faut dire qu'il le prend, son temps) qui ne sont pas là que pour se regarder passer mais qui, loin de toute élévation, posent la matière de ces paysages millénaires, prise dans sa durée (en particulier celle des saisons, des intempéries et de leurs lumières, et dans celle-ci le temps du pourrissement des corps), en opposition à toute transcendance.
Néanmoins, prenant pour
 personnage un passionné de photographie, et posant d'emblée son film 
comme inspiré d'images retrouvées, on aurait aimé que cet art prenne un 
peu plus de place, là encore, dans le scénario (même si une scène 
cruciale du film se déroule lors d'une prise photographique qui tourne 
mal). Les belles images que nous offre le cinéaste islandais relèvent 
plutôt de l'aquarelle, et c'est un compliment, quand les couleurs des 
rivières et des montagnes ruissellent, dans la première partie du film (quand ce dernier s'arrête de marcher, le prêtre étant arrivé, il perd beaucoup de son charme, comme le prêtre lui-même d'ailleurs, qui se rase la barbe à ce moment et ne ressemble plus à rien, alors que l'acteur, Elliott Crosset Hove, sur l'affiche, fait presque illusion, on croirait un petit frère de Roy Scheider là-dessus ma parole : en réalité, pas du tout), et notamment dans ce plan, juste 
après la mort et l'ensevelissement de l'ami du prêtre, où la pluie mouille l'objectif de la 
caméra (truc en général assez agaçant au cinéma) et semble diluer les couleurs, dans ce que l'on pourrait 
qualifier de "plan en pleurs", si l'on voulait faire l'honneur à Hlynur 
Pálmason d'un élan de poésie (si, si) que son film appelle mais ne 
mérite peut-être pas totalement.
Godland de Hlynur Pálmason avec Elliott Crosset Hove, Victoria Carmen Sonne et Ingvar Eggert Sigurðsson (2022) 
 









 
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire