On le sait, William Friedkin est un sacré client. Il n'y a qu'à 
poser une caméra devant lui, le laisser déblatérer, et on passe 
généralement un très bon moment. On se souvient encore de sa masterclass donnée à la Cinémathèque française, il y a quelques années, dans le 
cadre de la reprise de Sorcerer : elle filait quasiment l'impression 
d'assister au stand-up d'un vieux comique américain en pleine bourre 
qui, fort de sa grande expérience et de sa vaste culture, sûr de lui et 
de ses effets, enchaînait les mots d'esprits, les anecdotes amusantes 
et les réflexions éclairées, offrant ainsi à son public, conquis, tout 
ce qu'il était venu chercher. Plus récemment, un autre documentaire 
mettait le cinéaste à l'honneur : Friedkin Uncut, de l'italien Francesco
 Zippel, diffusé l'an passé sur Arte. 
Un film intéressant, forcément, vu son sujet, avec des intervenants de 
haute voltige (Coppola, Tarantino, Dafoe, McConaughey, Argento, Wes 
Anderson) mais, au bout du compte, assez frustrant aussi, car trop 
lacunaire et répétitif, notamment pour ceux qui avaient déjà lu les 
mémoires du cinéaste parues en 2014 chez La Martinière. 
On pourrait facilement croire que ce nouveau 
documentaire a été tourné dans la foulée de Friedkin Uncut étant donné 
la tenue vestimentaire identique du réalisateur de French Connection, 
son humeur loquace, alerte et détendue, assis sur son fauteuil Louis XVI
 placé au beau milieu de son salon, dans la même configuration 
qu'auparavant. Mais ce nettement plus réussi Leap of Faith, en version originale, a un immense 
avantage sur son prédécesseur : il ne s'éparpille jamais, ne s'écarte 
pas une seconde de son sujet et se focalise sur la genèse du titre le 
plus mythique de la filmographie de Friedkin, qui est ici le seul à 
avoir la parole. On revient donc en détails sur la 
conception d'une œuvre à travers la seule vision de son auteur, dont les 
souvenirs sont très précis et l'envie de les partager au beau fixe, et 
c'est ce qu'il y a de chouette ! Déjà auteur en 2017 d'un documentaire 
remarqué où il décortiquait au scalpel et jusqu'à la nausée la fameuse 
scène de douche de Psychose, le réalisateur suisse Alexandre O. Philippe
 s'intéresse donc ici à la genèse, à la fabrication et au mystère d'un 
film qui a posé une empreinte indélébile sur son genre et au-delà. Un film que Friedkin dit avoir réalisée, en reprenant les mots de l'un de 
ses mentors, Fritz Lang, avec "l'assurance d'un somnambule" et sur 
laquelle les "Dieux du cinéma" se seraient même penchés. Il le dit avec 
une telle conviction, arguments à l'appui, qu'on a bien envie de le 
croire... 
Impossible et inutile d'énumérer ici quelques exemples des meilleures 
anecdotes et autres infos données par un Bill Friedkin intarissable, il
 y en a tellement... Quand on est déjà bien renseigné sur l’œuvre et son
 auteur, nous avons beau en connaître la plupart, on les réécoute avec 
délice, tant elles sont bien racontées, impeccablement illustrées et 
mises en lumière. Le vieux cinéaste est même 
assez touchant quand il évoque, avec une passion contagieuse, les 
peintres, de Vermeer à Monet en passant par Le Caravage, qui l'ont le 
plus inspiré ou qu'il décrit, ému, dans les derniers instants du docu, 
l'impact qu'eut sur lui la découverte et la contemplation du jardin 
zen de 
Ryōan-ji,
à Kyoto. 
Aussi, alors qu'on pourrait souvent le trouver un poil orgueilleux, un 
peu trop fier dans sa manière de présenter les choses, Friedkin paraît 
au contraire très humble quand il énumère élégamment les petites "notes 
de grâce" qu'il a essayé de disséminer dans son œuvre, ces moments qu'il 
juge particulièrement beaux, et le sont en effet, devant leur existence à
 des circonstances particulières, à un heureux hasard ou à une 
inspiration soudaine. 
On pourrait craindre
 que sa durée ne soit excessive, compte tenu du dispositif et de la 
limitation stricte du sujet, mais ce documentaire, d'une belle fluidité,
 n'ennuie à aucun moment et passionne de bout en bout. L'érudition, 
l'éloquence et l'humour de William Friedkin sont tels que l'on se laisse
 volontiers porter par ses mots. 
En outre, Alexandre O. Philippe ne se contente pas d'illustrer platement
 les riches propos de William Friedkin, il fait ça avec brio, attestant 
d'un lyrisme appréciable et d'une inspiration de chaque instant, 
établissant visuellement les liens parfois implicites établis par le 
cinéaste entre son long métrage et ses nombreuses influences, ses diverses 
sources d'inspirations, étoffant son récit juste ce qu'il faut. Il y a 
parfois même quelque chose d'assez grisant et stimulant à la vue de ce 
travail simple et évident, mais si précis et méticuleux. En bref, ce documentaire est un must 
absolu pour tous ceux qui ont été marqués par le classique de William 
Friedkin. Un film que l'on a, curieusement, aussitôt envie de revoir. 
L'Exorciste selon William Friedkin (Leap of Faith : William Friedkin on The Exorcist) de Alexandre O. Philippe (2020)
 







 
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