Le petit garçon du film est un des personnages d'enfants les plus absolument graves et seuls qu'on puisse imaginer. Lui et son petit demi-frère sont trimballés à travers tout le Japon et d'île en île par leur père, vétéran infirme et paresseux, et sa seconde femme, deux escrocs à la petite semaine, qui simulent des accidents (le petit garçon ou sa mère se postent sur le trottoir et font semblant d'être percutés quand une voiture passe) pour soutirer de l'argent à de faux chauffards tombés dans leur piège via des arrangements à l'amiable plus ou moins juteux. Dans le contexte d'une cellule familiale pour le moins problématique, les deux gamins rappellent ceux d'Ozu, avec cette mélancolie des gosses laissés à leur sort et précocement matures présents chez Kore-Eda.
Plus mature que ceux qui l'exploitent, le petit garçon du titre, l'aîné des deux frères, l'est à plus d'un titre, et la preuve définitive en est faite quand, cette fois-ci involontairement, la petite famille provoque un véritable accident, le garçon étant le seul à rester sur place et à s'approcher du véhicule dont l'occupante ne bouge plus quand les deux parents prennent leurs jambes à leur cou en entendant les sirènes de police. Quand les secours arrivent, l'enfant passe inaperçu, est invisible aux représentants de l'ordre et aux ambulanciers qui s'agitent pour dégager le corps de la voiture sans se soucier de son existence, de son identité ou de ce qui pourrait bien lui arriver une fois qu'ils seront tous repartis. Les adultes font ce qu'ils ont à faire et ne s'attardent pas à regarder ce petit bonhomme qui n'entre pas dans le cadre de leurs attributions ou responsabilités. Le gamin, à l'inverse, passe le plus clair de son temps à regarder : cette femme morte dans sa voiture, tout un tas de choses tombées au sol, près de lui, casquette, botte ou gouttes de sang (on le regarde tellement moins, le sol, en grandissant), ou encore les autres enfants, y compris son petit cadet, qui ne s'y trompe pas non plus quand, après la plus violente dispute du couple, il décide de sortir de l'hôtel et court rejoindre son aîné, seule personne en qui il puisse avoir confiance. Quitte à errer dans la neige avec lui et à l'écouter raconter des histoires d'extra-terrestres venus d'Andromède pour punir tous les criminels de la Terre.
Ces deux séquences, tardives, celle du seul accident non-feint du film et celle de la fuite des deux gosses dans la neige, sont parmi les plus beaux moments du film, qui est plus réussi dans sa deuxième partie. La première voit surgir quelques plans dont la construction laisse perplexe. Jusqu'à cette scène, en plein milieu, qui consiste principalement en un plan, le plus beau de tous. Car avant la fuite à deux, il y a une première fuite solitaire. Le petit garçon dépense toutes ses économies pour prendre un ou plusieurs trains et tenter de retrouver sa grand-mère. On ne sait pas très bien où il arrive, toujours est-il qu'il finit sa course au bord de l'eau, en pleine nuit, peut-être au bas de la maison familiale d'autrefois.
Dans un long plan, on le voit allongé dans son costume d'écolier sur un rocher vert bercé par le ressac, pieds nus, la tête posée sur son sac, sa casquette, qui ressemble à celle d'un marin, posée à côté de lui, se souhaitant bonne nuit à lui-même. Il finira par se redresser en position assise, pris de sanglots, et, dans la séquence suivante, il est déjà de retour parmi les siens. Comme si le voyage du retour était instantané, brutal, annulant celui de l'aller. Le mouvement de départ seul comptait, par l'idée qui le motivait. Les déplacements, dans ce film où les personnages ne cessent de changer de lieu sans qu'on s'en rende bien compte, sont au fond sans importance et ne sont donc pas montrés, chaque lieu étant le même théâtre du même mauvais tour joué aux mêmes automobilistes dans un non-road movie et un vrai surplace. Ce plan donc, sublime, montre l'enfant arrivé nulle part, se retrouvant seul tournant le dos au Japon, et donne même l'impression, par sa composition visuelle et sonore, que le garçon habite désormais sur un îlot coupé du monde, en plein océan. Un îlot minuscule, juste assez large pour le contenir en position allongée, un îlot à sa taille d'enfant où la solitude est inévitable, imposée par la géographie du lieu.
Dans un long plan, on le voit allongé dans son costume d'écolier sur un rocher vert bercé par le ressac, pieds nus, la tête posée sur son sac, sa casquette, qui ressemble à celle d'un marin, posée à côté de lui, se souhaitant bonne nuit à lui-même. Il finira par se redresser en position assise, pris de sanglots, et, dans la séquence suivante, il est déjà de retour parmi les siens. Comme si le voyage du retour était instantané, brutal, annulant celui de l'aller. Le mouvement de départ seul comptait, par l'idée qui le motivait. Les déplacements, dans ce film où les personnages ne cessent de changer de lieu sans qu'on s'en rende bien compte, sont au fond sans importance et ne sont donc pas montrés, chaque lieu étant le même théâtre du même mauvais tour joué aux mêmes automobilistes dans un non-road movie et un vrai surplace. Ce plan donc, sublime, montre l'enfant arrivé nulle part, se retrouvant seul tournant le dos au Japon, et donne même l'impression, par sa composition visuelle et sonore, que le garçon habite désormais sur un îlot coupé du monde, en plein océan. Un îlot minuscule, juste assez large pour le contenir en position allongée, un îlot à sa taille d'enfant où la solitude est inévitable, imposée par la géographie du lieu.
Un peu plus tard, un autre très beau plan, un de ces quelques plans monochromes émaillant le film (qui paraissent ailleurs plutôt gratuits mais qui ajoutent à la force de ce plan-ci, glacial), montre la famille réunie au bout d'une des îles exploitées tout au long de leur cavale criminelle. Les parents disent être arrivés au bout du Japon, à la pointe Nord, comme au bout de la Terre. Évoquant ce qui se trouve face à eux, ils parlent du détroit de La Pérouse, qui sépare l’île d'Hokkaidō, où ils sont, de l’île de Sakhaline, en Russie. L'évocation de La Pérouse, dont l'expédition se perdit en mer sans qu'on sache précisément où, et de l'île de Sakhaline, qui fut un bagne terrible raconté avec brio par Anton Tchekhov, par ces petits arnaqueurs parvenus au bout de leur périple et contraints de revenir sur leurs pas quitte à se faire prendre, augmente l'impression d'un Japon d'après-guerre trop étroit, d'une île minuscule, d'une impossible évasion, toute contenue et sublimée dans le plan du petit garçon naufragé dans la nuit, sur son île.
Le Petit garçon de Nagisa Ōshima avec Fumio Watanabe, Akiko Koyama et Tetsuo Abe (1969)
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