Le renversement du schéma habituel des histoires de marin (ici, c'est la fille qui part et le garçon qui attend), et l'immersion d'Alice dans un univers strictement masculin sans qu'on ne tombe dans la lourdeur initiatique (Alice est ici dans son milieu, parfaitement à l'aise dès le départ) ni que le personnage ne soit assimilé à un garçon manqué, donnent au récit une belle richesse narrative et thématique, et lui font éviter tous les pièges.
Le film est avant tout très fort dans sa peinture strictement  documentaire de la vie dans le cargo, machine immense et effrayante,  particulièrement ses salles des machines et son moteur, énorme bête à  dompter et métaphore discrète de la « mécanique des sentiments » qui  tourmente et anime Alice.  Les hommes (et la fille) alternent missions  dangereuses et moments de détente, voire de lâcher-prise total, à bord  ou lors des escales. Beaucoup de ces scènes sont très drôles mais aussi  révélatrices d’une certaine mélancolie, la liberté offerte par cette vie  de marin semblant aussi euphorisante qu’illusoire. Lucie Borleteau  parvient à construire un équipage hétéroclite, reflet d’une société  mondialisée dont tous les membres sont très bien incarnés, jusqu'aux  techniciens philippins à qui une vraie place est donnée au gré de très  belles scènes à portée spirituelle.
Mais l'essentiel du film réside dans le personnage d'Alice, à la fois  entière et mystérieuse, et dans l’interprétation énergique et subtile  qu'en donne la belle Ariane Labed. A travers elle le film brasse  beaucoup de questions sur l'amour, le désir, l'engagement, le souvenir,  le rêve et les fantasmes, et vient greffer à sa force documentaire et  réaliste de très belles idées visuelles sur le plus grand (l'océan, le  bateau) comme le plus petit (un visage, des bouts de peau... les scènes  d'amour sont nombreuses et très réussies, à la fois intenses, simples et  joyeuses), dans les deux cas magnifiés par le format scope. Fidelio, l’odyssée d’Alice  est donc tout à la fois un portrait de femme d’une désarmante  simplicité et d’une belle douceur, mais aussi une œuvre au souffle  romanesque et épique étonnant, particulièrement remarquable dans le  jeune cinéma français actuel.
Fidelio, l'odyssée d'Alice de Lucie Borleteau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud et Anders Danielsen Lie (2014)
Fidelio, l'odyssée d'Alice de Lucie Borleteau avec Ariane Labed, Melvil Poupaud et Anders Danielsen Lie (2014)
 
 
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