Un ami m'a raconté il y a trois jours une histoire. Il est allé acheter l'intégrale de Rimbaud aux éditions de la Pléiade pour l'anniversaire de sa mère. Les éditions de la Pléiade, à tort ou à raison, et sans doute à raison, c'est pas donné. De sorte que ce cadeau a coûté à mon ami la modique somme de 45 euros, ou pour parler franchement, l'équivalent d'un bras. Mais quoi de plus normal et de plus honorable ? Après tout il aime sa maman qui l'aime en retour, c'est bien heureux. Mais l'un dans l'autre, mon ami n'avait plus assez de sous pour se payer deux films de Jean-Luc Godard vendus ensemble, à savoir L'éloge de l'amour et Notre musique, coffret qui coûtait pas moins de 30 euros. Alors mon ami a pris l'étiquette ainsi que le code-barre d'un dvd du film 300 qui traînait là, parmi 150 autres exemplaires du même dvd, en tronche de gondole, et il les a soigneusement collés par-dessus ceux du boîtier contenant les deux films de Godard afin de ne payer le coffret que 10 euros (le prix du dvd de 300, donc). Mon ami a volé. Et le connaissant on peut encore se féliciter qu'il n'ait pas sommairement déchiré les blisters des deux dvds pour les intervertir au petit bonheur la chance et se faire défoncer par un vigile chauve et costaud peu fana des grands blonds intellos.

Si les films de Godard coûtaient 30 euros (soit 15 euros par film), et si celui du publicitaire Zack Snyder n'en coûtait que 10, le geste de mon ami fut noble et réparateur. Il serait en effet attendu que 300 coûte 3(00) fois plus cher que L'Éloge de l'amour et Notre musique réunis, puisqu'il a dû coûter 300 fois plus cher à ses producteurs, et puisqu'il a dû rapporter 3000 fois plus d'argent, et je pense être loin du compte, on ne pourra pas me taxer d'exagération, il doit s'agir en réalité d'un écart bien plus éloquent, mais je suis un vrai tocard en économie du cinéma, ce qui place cet article sous le sceau du soupçon. En somme, le geste de mon ami (parfaitement condamnable dans tout autre cas), est un geste digne d'Antoine Doinel (par ailleurs toujours condamné), qui volait dans les magasins, qui arrachait des photos d'Harriet Andersson dans Monika aux devantures des cinéma, qui dérobait la culture, celle que l'on devrait donner et qui se vend 3 fois plus cher que le divertissement populaire de la plus basse qualité, à moins que la valeur des choses soit proportionnelle à leur prix, mais l'on sait que cette équation, qui se vérifie dans cette histoire, est fausse presque partout ailleurs. Mon ami, qui a toujours une longueur d'avance, m'a dit : "on devrait payer 3 fois plus cher pour voir des merdes comme 300, pas l'inverse".

Au final c'est une histoire de Truffaut qu'il faudrait filmer comme Godard, avec politique et déductions, histoires de production, de coûts et de bénéfices en salles. On pourrait croire que le héros de cette histoire se paye Rimbaud, cadeau ou pas, pour 45 euros, alors que Rimbaud est mort il y a 118 ans, et que ce faisant il retire 20 euros à Godard. Que dis-je 20 euros, il retire 30 euros à Godard, puisqu'en caisse c'est 300 qui a été enregistré pour 10 balles. Godard se serait donc vu retirer 30 euros - même si je ne suis pas sûr de mon calcul et rappelle que je suis une buse non seulement en économie mais en calcul - lui qui vit encore et qui n'a pas beaucoup d'argent pour faire ses films. Lui qui a vendu les droits d'auteur d'un certain nombre de ses œuvres aux rapaces de chez Gaumont qui refusent de les sortir en dvd aujourd'hui. Mais l'argent qu'on donne à la fnac n'arrive jamais à Godard, ou des miettes, tout ça se passe avant. Notre Doinel grand et blond a volé la fnac, pas Godard Jean-Luc. Encore moins 300 et Snyder Zack, dont le distributeur dvd a vu rentrer 10 euros sans lâcher de dvd, mais tout ça ne compte pas pour 300. Godard aurait volé son propre film pour le donner au héros de cette histoire, et il aurait montré son majeur tendu, vieux de 78 ans, aux gens de la fnac. "Pour la gloire" comme n'a de cesse de le hurler le triste Gérard Butler tout au long de ce film prodigieusement laid et consternant qu'est 300.
300 de Zack Snyder avec Gerard Butler (2007)