Mountain, de Jennifer Peedom, me plonge dans un océan de perplexité. D'accord, le film est visuellement magnifique. Vraiment. C'est un régal pour les mirettes, de la première à la dernière seconde. Des drones ont sans doute été utilisés en nombre pour capturer de telles images et ces engins portaient en eux des caméras dernier cri. Il devait y avoir de véritables maîtres aux commandes, des techniciens hors pair, capables de les diriger avec une fluidité et une délicatesse impressionnantes, pour des trajectoires époustouflantes et des angles ahurissants. Il y a quelques passages proprement vertigineux, qui feraient peut-être pâlir des gars comme Fulvio Mariani ou Gerhard Baur, bref, tous ces types vaillants et courageux qui, jadis, n'hésitaient pas à chausser les crampons pour torcher des plans impossibles en très haute altitude et sur les pics les plus dangereux de la planète. L'australienne Jennifer Peedom a notamment collaboré avec le photographe et grimpeur turco-américain Renan Ozturk pour aboutir à un tel résultat. Mountain est rempli à ras bord d'images saisissantes qui nous scotchent à notre fauteuil et nous laissent bouche bée. C'est en pleine cohérence avec le sujet même de ce documentaire qui veut interroger le pouvoir de fascination des montagnes et se montre ainsi capable de provoquer cette fascination chez le spectateur, médusé.
A la vue de ce spectacle sensationnel, on se sent comme un peu moins confinés, quand nous sommes contraints à l'être, et nous avons envie de partir aux quatre coins du globe, dès que ce sera de nouveau permis. Pour les écoutilles aussi, le film est un délice, grâce à sa bande-son aux petits oignons que l'on doit à l'Orchestre Philharmonique de Sydney, sous la direction de Richard Tognetti (qui avait participé à la musique du chef d'œuvre de Peter Weir, Master & Commander). Les musiciens, que les premières secondes nous montrent s'installer ensemble derrière leurs chevalets et leurs instruments, paraissent jouer en direct, collant de plus près à chaque mouvement d'appareil, épousant le rythme des images choisies par la réalisatrice. Du travail d'orfèvre. La voix d'un Willem Dafoe également très appliqué ne gâche rien à l'affaire : en off, l'acteur déclame un texte parfois assez inspiré et beau que l'on doit en partie à l'écrivain britannique Robert Macfarlane (de larges extraits sont issus de son propre bouquin intitulé Mountains of the Mind : A History of a Fascination). Bref, Jennifer Peedom a su s'entourer et nous a effectivement concocté un film de toute beauté.
Si je devais choisir une paire de films en guise d'écran de veille, Mountain en ferait forcément partie.
Quelques bémols tout de même, y compris sur le plan formel, pourtant si étourdissant de prime abord. Il y a, au milieu de toute cette belle symphonie montagnarde qui procure un plaisir visuel et auditif indéniable, un passage que j'ai trouvé fort déplaisant et laid. De mauvais goût, disons-le tout net. Dans sa volonté de démontrer la supériorité de la Nature en général et des montagnes en particulier, Jennifer Peedom tombe dans le sensationnalisme de bas étage en nous proposant une triste succession de chutes et d'accidents en haute ou moyenne altitude, parfois capturés à la GoPro, ce qui jure cruellement avec l'esthétique si soignée de l'ensemble. On doit ainsi supporter quelques plans en supercontreplongée hideux où des tocards dont la caméra est riftée à la glotte apparaissent tout déformés, encore plus moches qu'ils ne le sont au naturel, et en très grande difficulté après avoir osé un mouvement audacieux ou tout simplement fait preuve d'une maladresse qui aurait pu leur être fatale... "Qui aurait pu" seulement car, bien sûr, aucun mort n'est à déplorer (même si j'ai de gros doutes pour l'un d'entre eux qui, s'il est encore parmi nous, est un véritable miraculé !). Tout cela reste bien sage et calibré. Quitte à nous livrer une parenthèse enchantée de ce genre-là, autant y aller à fond et nous montrer des horreurs, de terribles tragédies. Bref, cette séquence pitoyable n'apporte rien de bon et ne satisfera même pas les aficionados de snuff movies. C'est moche et inutile.
Plus gênant encore, Mountain a le cul entre plusieurs chaises. Essai ? Documentaire ? Sur le sport de montagne ? Sur la montagne tout court ? A mesure que le film avance, on ne sait plus trop ce à quoi nous avons affaire. Cela pourrait ne poser aucun problème si l'ensemble se tenait mieux que ça, mais ce n'est pas tout à fait le cas ici. Mountain est déjà bien entamé quand nous est proposé une petite parenthèse sur l'histoire de l'alpinisme, avec quelques jolies images d'archive sans doute restaurées pour l'occasion. Mais malgré cette façon de retourner dans le passé et d'aller chercher des documents rares, la cinéaste n'adopte jamais une vraie démarche documentaire et a tôt fait de délaisser certains thèmes abordés, au profit d'un message global somme toute assez sommaire (le texte débité par Willem Dafoe est de qualité, certes, mais il y a quand même deux ou trois phrases qui font tiquer et foutent la rage). Dans le même esprit, on ne sait jamais où l'on se trouve, ce qui est filmé, quel massif, quel sommet, etc, comme s'il ne fallait surtout pas gâcher la magnificence des images souveraines avec quelques informations jugées superflues à l'écran. Ce choix a priori anodin s'avère très révélateur : il nous rappelle que ce sont effectivement les images qui sont ici portées aux nues et, à travers elle, la technologie qui a permis de les obtenir, et non la montagne, les paysages ou la nature...
On nous sert aussi quelques digressions sur certains sports de montagne (snowboard, VTT, marche à pieds...) qui raviront peut-être les amateurs et pratiquants desdits sports (que je salue au passage tout en désapprouvant certaines de leurs pratiques, qui mettent parfois en danger des écosystèmes fragiles) mais qu'un critique impitoyable de mon acabit de ne peut que trouver hors sujet. Oui, ce type en VTT est ultra doué et n'a pas froid aux yeux ; oui, ce snowboarder a un talent fou et des genoux incroyablement flexibles, mais bats les pattes, on s'en tape ! Ejectons-les du métrage, eux et les autres imbéciles malavisés évoqués précédemment, et on atteindra une durée qui nous permettra encore mieux d'apprécier tout le reste. Avec ses pourtant modestes 74 minutes au compteur, Mountain est un poil trop long et la cause est toute trouvée, il aurait été aisé de tailler dans le vif !
Ainsi, contrairement à ce que laisse supposer la simplicité de son titre, Mountain aurait peut-être gagné à être plus focalisé sur son sujet, la montagne. La montagne, bordel.
On s'attarde parfois sur de simples dunes. Alors certes, ça donne encore de belles images à la clé, mais faut pas pousser, une dune n'est pas une montagne. Demandez à un alpiniste s'il a déjà gravi la Dune du Pilat, il va voir rouge... Jennifer Peebom aurait pu trier plus sévèrement la quantité de rushs à sa disposition et se consacrer encore plus pleinement à un étalage d'une maestria technique incontestable. Ma conclusion sera donc ambivalente. Car si Mountain, qui aurait plutôt dû s'intituler Relief, ne va finalement pas très loin et a quelques pénibles défauts, il n'en reste pas moins un must see pour les amateurs du genre, ne serait-ce que pour le caractère très impressionnant de certaines séquences bluffantes qui caressent nos rétines avec brio et nous donnent l'impression de tutoyer les sommets.
Mountain de Jennifer Peedom avec la voix de Willem Dafoe (2017)
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