23 mars 2021

Nomadland

Voilà un film qui, malgré la gravité des thèmes qu'il aborde, laisse un bien doux souvenir en tête, comme une empreinte chaude et agréable, assez durable aussi. Chloé Zhao parle de deuil, de crise économique, de misère, d'errance, de ce monde capable de laisser des femmes et des hommes sur les routes, sans rien, après les avoir essorés toute une vie. C'est parfois rude à encaisser, il y a quelques moments difficiles, qui serrent le cœur, nous plaçant, presque à la façon d'un documentaire, en immersion, face à la situation et aux conditions de (sur)vie si difficiles de cette femme, Fern, rendue si vivante par l'interprétation encore irréprochable de Frances McDormand. Une femme de soixante ans passés qui, après avoir tout perdu, travail et mari, décide de vivre sur les routes, dans son van sommairement aménagé, avec deux trois bricoles à peine, allant de petits boulots en petits boulots. Le style naturaliste et le regard attentif, observateur, de Chloé Zhao ne laisse échapper que peu de détails de cette nouvelle existence nomade. Et à la fois, il y a là une douceur précieuse, une délicatesse évidente, une distance juste qui, curieusement, nous réchauffent, nous touchent, et rendent ce film remarquable et différent. A travers la galerie de portraits des personnes rencontrées puis retrouvées en chemin, à travers la succession de belles rencontres faites par Fern, Chloé Zhao nous rappelle, en creux, une évidence. Que nos plus grandes richesses se trouvent chez l'autre, dans la diversité de nos relations, dans la vigueur de nos rapports, dans les liens qui se tissent entre nous. Je sais, c'est peut-être niais, dit comme ça, mais soyez rassuré, Chloé Zhao le fait avec un talent tout autre et l'air de ne pas y toucher. Dans cette période interminable où chacun est appelé à rester à distance, calfeutré chez soi, un tel film fait du bien.


 
 
Un moment de grâce parmi quelques autres me reste tout particulièrement en mémoire. Après avoir essayé d'habiter quelques jours chez l'un de ses amis, ancien nomade désormais installé chez la famille de son fils, Fern ne tient plus en place, ne se sentant sans doute pas à sa place, et reprend la route dans son van, partant dès l'aube de cette grande maison vide dont les occupants dorment encore. La caméra de Chloé Zhao filme la beauté à la fois majestueuse et ténébreuse des paysages parcourus : ce sont d'impressionnantes falaises plongées dans une brume grise matinale, indissociable de l'océan qui les a dessinées. Puis nous épousons la trajectoire courbe du véhicule et la vue change, la réalisatrice effectue alors un simple panoramique latéral pour nous montrer un autre pan de la zone traversée, le bord de la route avec le soleil, au loin, fraîchement levé et dont les rayons sont voilés par les arbres qu'ils percent de toute sa chaude lumière. Ce mouvement gracieux, accompagné par l'envolée mélodique d'Ólafur Arnalds, est interrompu brutalement par le montage puisqu'on enchaîne sans transition sur la fermeture bruyante de la porte coulissante du van par Fern, arrivée à destination. Cela pourrait être anodin, c'est en vérité trois fois rien, un instant presque furtif, quelques secondes à peine dans le dernier tiers d'un film qui nous a alors depuis longtemps emportés. C'est l'un de ces courts passages, toujours joliment exécutés, qui illustrent les trajets du personnage principal sur les routes américaines, dont le film est émaillé. Mais c'est très beau, tout simplement, et cela dit quelque chose de la simple beauté des choses, justement. 
 
 
 

 
 
Nomadland de Chloé Zhao avec Frances McDormand, Linda May, Swankie, Bob Wells et David Strathairn (2020)

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