Les trois films tournés en 2017 par Hong Sang-soo sont autant de 
variations sur le même 
thème, semble-t-il directement inspiré par les vicissitudes du cinéaste 
et de son actrice fétiche Kim Min-hee. Il est trois fois question d'une relation illégitime dont la révélation met
 en péril des trajectoires
professionnelles. Après le très beau Le Jour d'après (sorti avant chez nous, mais en réalité tourné après), il y eut la petite déception de Seule sur la plage la nuit,
 qui abordait le problème sans doute trop frontalement et manquait de 
distance, de hauteur par rapport à son sujet. Mais c'est déjà oublié 
grâce à La Caméra de Claire. Ce film, tourné à Cannes durant le 
festival de 2016, en une poignée de jours, met en scène trois 
personnages, un cinéaste, alcoolique et macho, sa productrice, et 
l'assistante de cette dernière, Manhee (Kim Min-hee), qui se fait congédier au début 
du film, sans autre forme de procès, à la terrasse d'un café, pour son 
soi-disant manque d'honnêteté. Comprendre : elle a couché avec le réalisateur, qui 
était l'amant de sa patronne productrice. 
Mais ce qui rend le film si 
plaisant, sans parler de son côté ensoleillé et, malgré tout, très gai, 
c'est le quatrième personnage qui se greffe au récit et reconfigure les 
liens qui unissent les trois protagonistes du drame, traçant d'étranges 
trajectoires dans la ville et entre eux. C'est Isabelle Huppert qui joue
 ce rôle. Elle apparaît pour la première fois marchant à vive allure 
dans une ruelle en pente de Cannes, qu'elle ne cessera de sillonner, puis 
elle rencontre le cinéaste alcoolique à la terrasse d'un café, et Manhee
 au bord de l'eau, toujours accompagnée de son polaroïd, prenant les un(e)s
 en photo, montrant d'un air faussement innocent ces images aux autres, et prétendant que les gens 
qu'elle photographie ne seront plus jamais les mêmes. 
Et de fait, Claire
 apparaît comme une fée improbable. Venue à Cannes, ou devrait-on dire, 
descendue à Cannes, à grands pas, pour le film d'une amie, elle semble 
s'en désintéresser immédiatement pour aller où ses pieds la mènent (ses pieds menus mais chaussés de semelles de sept lieues), d'un
 personnage du trio à l'autre, croisant et recroisant ses membres au 
petit bonheur la chance, amicale, lumineuse, protectrice (y compris en 
traversant la route), sinon omnisciente en tout cas ubiquiste. Et ces 
rencontres s'enchaînent dans un ordre chronologique indécidable, le 
montage faisant la part belle à plusieurs ruptures déguisées, comme Hong
 Sang-soo en a le secret, troublé de surcroît par des échos étonnants 
d'un lieu au suivant, comme ce gros chien affalé par terre et qu'on 
imagine pourtant mal se déplacer. Cette Claire, personnage amusant, séduisant, 
donne pour le moins de la hauteur au film, lui fait prendre quelques virages, et rend d'autant plus 
émouvantes les simples mortelles qu'elle tente de réconcilier. 
La Caméra de Claire de Hong Sang-soo avec Kim Min-hee, Isabelle Huppert, Jang Mi‑hui et Jeong Jin‑yeong (2018)
 



 
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