Regain fait partie des quelques films réalisés par Pagnol à partir d’écrits de
Giono (avec son aide), qui ont peut-être contribué, plus ou moins malgré eux, à donner de ce dernier l'image d'un brave écrivain régional. Il y a pire. Mais la Provence chez Giono n'est pas un simple décor pittoresque pour historiettes au charme tout local, puisque c'est l'idée que l'on se fait de la littérature dite de terroir, elle est bien plus, c'est le terreau
mythologique d'une écriture, d'une poésie qui vient du ventre, de la terre, inquiète, violente, bonne, douloureuse et vibrante. Pagnol ayant obtenu de Fernandel qu'il joue dans
le film le rôle de Gédémus, secondaire dans le roman, la star prit inévitablement une certaine place, au point de pratiquement devenir le
personnage principal, de se voir inventer des scènes toutes neuves, qui
poussent le film à durer plus de deux heures, et de remplir l'affiche avec sa belle tête. Ce
n'est donc qu'à moitié le Regain de Giono que nous voyons là (puisque c'est celui de Pagnol). Il
ne reste que le minimum de Panturle et Arsule, de l'herbe qui repousse
après la fenaison du foin au cœur d'Aubignane et
alentour, de l'amour qui naît sous l'influence du dieu Pan, du vent de
sexualité qui souffle sur les deux amoureux et sur la colline (comme plus tôt sur Solitude de la pitié et plus tard sur le
Déjeuner sur l'herbe de Renoir).
Mais c'est un beau film, quand même,
car Fernandel est drôle, et parce qu'il reste la bonté, l'amitié, l'amour, et l'accent de quelques uns des gens du coin qui entourent
Orane Demazis et Gabriel Gabrio. Une séquence notamment est à pleurer. C'est celle où Panturle descend voir d'anciens amis, le bien
nommé L'amoureux et sa femme Alphonsine, pour leur demander quelques
sacs de blé et un âne, histoire de resemer la terre
d'Aubignane. A tout ce que demande Panturle, L'amoureux, qui l'écoute
tranquillement, répond de son bel accent par l'affirmative. Et quand Alphonsine à la grosse voix coupe un énorme pain pour en donner à ses petits, et que
Panturle demande s'il ne pourrait pas en emporter pour faire plaisir à
Arsule, L'amoureux le lui donne tout entier. Émue de voir Panturle si heureux
et de l'entendre raconter comment Arsule le sera en voyant ce pain,
Alphonsine se met à pleurer. Puis Panturle parle de rembourser ce pain
et L'amoureux de se vexer comme si son ami venait de l'humilier, et de
lui offrir un second pain pour le pardonner. Les personnages sont de beaux personnages, sans exception. Même Gédémus, misogyne à souhait (il laisse Arsule, qu'il vient
de sauver de ses violeurs, tirer sa carriole de rémouleur et la traite
de "bourrique", de "feignante" et de "bestiasse" à chaque phrase), voué à
être le caillou dans la chaussure des amoureux, se montre finalement
sous un jour aimable quand il revient chez Panturle, à la fin du film. Mais la scène du pain (cette « chose terriblement grande » disait Giono), dans sa simplicité, est d'une grande
beauté, à pleurer de joie, et rien que pour elle, et même si le film n'est pas
parfait et tourne parfois le texte de Giono en sympathique petit conte aux accents du sud, alors qu'il est bien plus que cela, il fait bon revoir le Regain de Pagnol à l'heure où beaucoup de nos cinéastes se consacrent à dresser les uns contre les autres des galeries de personnages plus idiots, médiocres et mauvais les uns que les autres.
Regain de Marcel Pagnol avec Gabriel Gabrio, Orane Demazis et Fernandel (1937)
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