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14 décembre 2019

Doubles vies

Ce film est une série de coups de couteau dans les reins. Ffft ffft ffft. Dans les films, c'est ce bruit qu'on entend quand les types lardent de coups de lames le flanc gauche d'un Liam Neeson impassible. Comment quelqu'un d'aussi brillant que Olivier Assayas, auteur de livres aussi indispensables que Présences ou L'Encyclopédie des farces et attrapes au cinéma, a pu pondre un film aussi indigne. Comment une bible de Gutenberg humaine du cinéma, qui peut te sortir sans réflexion un top 1000 des plus beaux plans d'ouverture du cinéma (à sa place, si on nous demandait, mais vu qu'on ne nous demande pas, on ne se fait pas prier, on citerait volontiers En quatrième vitesse d'Aldrich, Délivrance de John Boorman, Eyes Wide Shut de Kubrick ou encore la fameuse toupie d'Inception), comment un crack de la bobine celluloïd, qui la veille au soir nous pondait encore un Personal Shopper de haute facture, peut à ce point se fourvoyer dans un film inique, dont le plan d'ouverture annonce la couleur, puisqu'il s'agit de la porte d'entrée d'un cloaque parisien qui s'ouvre sur un Guillaume Canet souffreteux, blafard, mesquin et déjà merdeux.





Le film est un condensé de clichés, de phrases toutes faites, d'idées reçues, de méditations de trépanés archi-datées et ringardes sur l'avenir du petit monde de l'édition et les livres numériques, tout ça récité platement et avec un ridicule consommé par une troupe de tocards imbuvables et niais qui nous assènent leurs pensées débiles sur la politique et le monde comme il va avec un sérieux de pape dans un enchaînement sans fin et monotone d'élucubrations toutes plus fétides et idiotes les unes que les autres. Et comme si la situation n'était pas déjà assez embarrassante, tous ces guignols ont entre eux des histoires de cul nauséabondes et souvent improbables, en tout cas franchement inintéressantes, encore plus quand elles concernent le tocard en chef campé par Guillaume Canet qui se croit crédible en patron d'une maison d'édition découvrant, en 2019, que le numérique commence à prendre un petit essor, bien aidé dans sa découverte de l'eau tiède par son assistante/orifice Christa Theret, qui enfile les perles pendant tout le film. RIP Christa Theret, qui a explosé dans LOL et qui depuis n'est pas parvenue à recoller les morceaux, MDR.





Le fond du fond est atteint dans cette scène de conversation (la douze millième du film qui en compte bien onze mille) sur une petite terrasse en bord de mer, dans un décor digne des Petits mouchoirs, où les pires sbires de la bande, le quatuor infernal constitué de Canet, Macaigne, Hamzaoui (Hamzanon de notre côté) et Binoche évoquent la possibilité de tirer un film du dernier torche-cul de Vincent MacCain, et mentionnent pour le premier rôle nulle autre que Juliette Binoche. Ce qui donne cette farce et attrape métafilmique savoureuse où Juliette Binoche affirme, sourire aux lèvres, qu'elle croit pouvoir obtenir le numéro de téléphone de Juliette Binoche. A ce moment-là, on est persuadé qu'Olivier Assayas a trouvé une nouvelle énergie fossile, un combustible qui reposait là, sous nos yeux, tel Cthulhu dans son antre de R'lyeh. De quoi embraser le monde. A la toute fin de ce supplice, que l'on regarde de la première à la dernière minute totalement médusé, tel un lapin dans les phares d'une jeep conduite par un forcené, en se demandant comment un cinéaste de la trempe d'Assayas a pu commettre un tel packaging de fientes, Nora Hamzaoui (c'est toujours Hamzaniet) annonce fringante à un compagnon d'infortune qu'elle attend le divin enfant. Deux solutions : soit on aura droit à un Doubles vies², ce qui sera impossible à gérer, soit ça donnera un énième épisode de Chucky, la poupée de sang.


Doubles vies d'Olivier Assayas avec Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne et Nora Hamzaoui (2019)

10 novembre 2012

La Colère des Titans

Nous recevons Joe G., l'un de nos rédacteurs de poche, pour épingler de sa verve socratique le gros navet du jour. Les afficheurs, qui ont opté pour la tagline "Redoutez la colère", auraient dû redouter celle de notre invité, et le réalisateur du film, Jonathan Liebesman, littéralement "Jonathan Amour-d'homme", ne s'attendait sans doute pas à recevoir ce type de gifle pour son film :

Pourquoi s’embarrasser de coller à la légende, aux légendes, aux mythes, puisque pour le bien de « la suite », on ne s’embarrasse déjà plus beaucoup de l’histoire, du sens, de la vérité ? Ainsi renvoie-t-on Persée (Sam « aint worth-a-damn » Worthington) en quête de tout et de rien, de ce qui vient, de ce qu’il subsiste de mythe dit « grec » dans l’inconscient collectif et que l’on a tout loisir de déloger, de réinsérer et de peroxyder comme bon semblera à quelque scénariste bien peu soucieux de papy Hérodote ou du fantôme d’Appolonios. Est née La Colère des Titans


Depuis Avatar Sam Worthington a retrouvé l'usage de ses deux gambas mais toujours pas celui de son cervelet, lui qui n'a jamais eu la saine curiosité, pourtant commune à pas mal d'acteurs, de taper "méthode Stanislavski" sur google...

La Colère des Titans c'est autre chose que leur Choc, c’est plus méchant, plus définitif, plus tout ce qu’on voudra : c’est une suite. Pourquoi sont-ils colère, ces Titans ? Les humains ne croient plus du tout. Pas en les Titans. En les Dieux. Du coup, ces Dieux (dits « de l’Olympe ») perdent leur pouvoir et Cronos (père de Zeus, Poseidon et Hadès, Titan en chef) risque de s'échapper du Tartare, une gigantesque prison-roche souterraine, où ses rejetons l'ont enfermé il y a des lustres. Cronos (le seul Titan du film, d’ailleurs, Hollywood devait avoir une promotion sur les « s ») a donc une bonne raison d’être irascible.


C'est Renée Zellwegger qui a fait le con en refusant le rôle du Minotaure.

Alors (car le lien de cause à conséquence est aussi simple que ça) Persée, cette fois coiffé de bouclettes et plus souriant qu’à ses débuts, retrouve Andromède (qu'il finira par niquer, et qui est jouée par Rosamund Pike) et son cousin Agénor, le fils de Poséidon, personnage faire-valoir démolissant par sa seule non-présence tout ce que le premier film avait pu essayer de bâtir d’esprit de camaraderie (c’était l’une des rares envies à en sauver). Afin de sauver la Terre menacée par le réveil de Cronos, tout ce beau monde part donc affronter en vrac cyclopes, Minotaure (la scène la plus affligeante du film) et demi-bro Arès, le Dieu de la Guerre (joué par Edgar Ramirez, le Carlos d'Assayas). Hadès (Ralph Fiennes) finira par regretter d'avoir trahi Zeus (Liam Neeson) et à la fin du film, Hadès et Zeus enverront moult boules de feu et moult éclairs sur leur paternel mécontent (de la taille d'un mont).


Cronos, furax, à peine sorti de son trou volcaneux, fait l’aumône. De là à y voir une métaphore de la canaille socialiste révolutionnaire qui vit aux crochets des puissants, il n’y a qu’un pas (de titan).

Ce film rate le peu qu’il avait entrepris (ne reparlons pas d’imagination, ne mentionnons plus le respect des mythes, n’abordons même pas la question de l’esthétique) ; il est très laid et très bête mais il y a quelque chose dans le fond qui m'a frappé. Contrairement au premier film, celui de 1981, qui montrait les Dieux comme des tout-puissants snobinards et lourdement arrogants, la nouvelle franchise nous dépeint la fin de l'âge des Dieux. Une suite est d’ores et déjà prévue mais Zeus, Arès, Poseidon, Cronos : tous ceux-là sont morts, et Hadès n'a plus aucun pouvoir. Il est bien évidemment quelque peu débile d’avoir amené à un terme l’essence-même du titre et du contexte de la franchise dès la fin du second volet. Que faire jouer à Persée après ça ? Une guerre médique ? On n’est pas à une incohérence historique près puisque d’un point de vue historico-mythologique les grecs n'ont pas tué leurs Dieux si tôt. Il aura au moins fallu attendre les évangiles de Platon pour que la chute des Olympiens soit positivement entamée, mais il faudra surtout que le Christianisme renchérisse sur la Philosophie pour que les Dieux de l'Olympe disparaissent vraiment (ils étaient encore vénérés sous la domination de Rome, bien qu’ils portassent d'autres noms). Alors quoi ? On aurait tué les Dieux et leur géniteur par simple bêtise ? Les scénaristes de cette chose auraient cassé leur jouet sans connaitre l’histoire, sans connaitre les mécanismes de la franchise cinématollywoodienne (tuer des héros, oui, détruire l’entier contexte, non) ? Je n’y crois pas.


En 1981, non seulement ils faisaient de plus beaux effets spéciaux, mais ils faisaient aussi de plus belles Andromèdes.

Je refuse de croire à la seule bêtise. Ça me semble révélateur d'autre chose. Voir dépeinte ainsi la mort de Dieux m'a rendu le film beaucoup plus intéressant parce que je me suis trouvé choqué de voir des hommes détruire une statue gigantesque de Zeus (dans « Le Choc ») ou de voir Zeus et Poseidon disparaître à tout jamais (dans « La Colère »). Je serais curieux de discuter théologie, Nietzsche et espoir avec les scénaristes (que par optimisme j’éviterai donc de nommer couillons) de ces deux films qui restent malgré tout de sacrées merdes.


La Colère des titans de Jonathan Liebesman avec Sam Worthington, Liam Neeson, Ralph Fiennes, Edgar Ramirez et Rosamund Pike (2012)

8 novembre 2012

Le Choc des Titans

Si vous avez vu L'Histoire sans fin, ce chouette film pour enfants de 1984, vous avez une bonne idée de ce à quoi ressemblent les effets spéciaux du Choc des Titans, ce gros film d'action sorti en 2010, encore que ce dernier est en réalité mille fois plus kitsch que l’œuvre de Wolfgang Petersen ou que son homonyme réalisé par Desmond Davis en 1981 avec Laurence Olivier, dont il est le remake. Le Choc des Titans nouvelle version a coûté 110 millions de dollars de plus que Clash of the Titans ancienne mouture (trente ans après, en des temps où tous les films hollywoodiens coûtent au minimum cent bâtons de plus qu'à l'époque, inflation adjusted) et pourtant il est moins bien réalisé techniquement… Je ne parle pas de mise en scène, il n'y en a pas, mais bien d'effets spéciaux et de "rendu" (quel mot horrible) visuel. Même Jason et les argonautes (1963) est à ce titre (et à tous les autres) un film plus beau et mieux fait que ce Choc des Titans en titane.


Voici donc l'Olympe tel que se le représente Hollywood en 2010 à coup de centaines de millions de dollars...

Devant ce film, pur blockbuster américain réalisé par un français qui n'a de française que sa nationalité, on se pose plus que jamais la question des potentialités de l'imagination et on se dit que l'homme semble décidément bien incapable de représenter quoi que ce soit qu'il n'ait déjà sous les yeux, se contentant en fin de compte de moduler plus ou moins ce qu'il connaît et de faire des assemblages incongrus de choses vues, ce qui nécessite et relève déjà de l'imagination à condition de s'entendre sur ce terme qui ne voudrait dès lors plus jamais se parer du sens d'invention. James Cameron est admiré pour sa capacité à "inventer un monde" dans Avatar, où il entrecroise pourtant des éléments de notre monde connu en les modifiant à peine : il a vu des perroquets multicolores voler en groupe et s'agripper à des rochers, il les a agrandis et reproduits en images numériques et le tour était joué. On peut dire la même chose de chaque "invention" de son film, des chiens sauvages fuselés comme des bagnoles de course aux chevaux avec port USB intégré en passant par les afro-indiens d'Amérique bleutés façon schtroumpfs. Ce qui n'existe pas déjà dans la faune, la flore, l'histoire et les civilisations de notre chère planète vient plus ou moins directement d'autres imaginaires, typiquement les montagnes flottantes chères à Miyazaki et à d'autres avant lui, sans parler d'un scénario qui n'est jamais que le plus ressassé de l'histoire des histoires. Mais au moins Cameron a-t-il le talent de manigancer quelque chose de visuellement interloquant, d'à peu près agréable à l’œil (c'est même à ça qu'il s'acharne non sans bonne volonté et sans réussite : plaire à l’œil histoire de cacher le vide total de son propos). Cameron tente précisément de parvenir à nous faire croire à l'impossible, à savoir que l'on assiste à la création ex nihilo d'un univers entièrement nouveau et inédit. En somme il sait faire illusion.


Le Daily Mouloud en personne dans un blockbuster hollywoodien infect, et le pire c'est qu'il est persuadé que c'est "trop la hype".

Dans Le Choc des Titans, quand il faut représenter un Dieu, et pas n'importe quel Dieu, Zeus s'il vous plaît, on a beau pouvoir soi-disant "imaginer", "inventer", "créer" ce qu'on veut de toutes pièces grâce aux images de synthèse, en tout cas tâcher de faire illusion, on se contente d'appeler Liam Neeson et de lui faire porter une hideuse armure de satin qui brille. Pour Hadès on prend un sous Liam Neeson, Ralph Fiennes, et on lui met un costume noir (parce qu'il est méchant). Remarquez s'ils parvenaient à imaginer quelque chose d'autre pour représenter les Dieux de la mythologie ce serait certainement pire encore, un spectacle encore moins recommandable dont il faudrait à tout prix éloigner nos gosses. Mais ce n'est pas le cas, le seul spectacle qui nous est offert c'est celui de deux mauvais acteurs qui cabotinent en costumes à épaulettes en se déplaçant sur un parquet vert remplacé en post-production par une image anamorphosée du ciel terrestre nuageux directement achetée au documentaliste français YAB, Yann Arthus-Bertrand, l'auteur de Ma mère vue du ciel et de Home. Nous n'aurions donc pas bougé d'un millimètre depuis les origines du cinéma, sauf à régresser à la vitesse de la lumière. A part que c'est beaucoup plus laid qu'à l'époque et que c'est interprété par des méduses humaines.


Hyôga du Cygne et Ikki du Phoenix, aka les Chevaliers du Zodiaque.

Sans parler de la réalisation confiée à un ignare heureux, un faiseur de films d'action purement débiles (on doit à Louis Leterrier les chefs-d’œuvre que sont Le Transporteur et L'Incroyable Hulk). Quand on constate au générique de fin que c'est bien Louis Le-fox-terrier qui est aux manettes du film, on pige mieux la présence au casting de Mouloud Achour du Grand Journal de Canal+, qui avait dû quémander une apparition dans le film à l'antenne auprès du réalisateur ou d'un producteur littéralement pris en otages, et qui trimballe son énorme tronche dans une ou deux séquences d'un film au moins aussi crétin que lui, revêtu d'un paillasson mythologique mais non départi de ses grosses baskets américaines qui font un petit peu tache dans le contexte du film (mais on ne lui en voudra pas trop puisqu'il a accepté de laisser son énorme casquette à visière au vestiaire, élément pourtant crucial de sa panoplie de trentenaire urbain attardé).


Poséidon en slip dans Jason et les Argonautes.

Je ne sais pas pour vous mais personnellement l'image ci-dessus m'évoque davantage un Dieu beau, impressionnant, fort, puissant et unique que les deux acteurs cireux qui font un duel de profils en dents de scies sauteuses sur l'image précédente... Quant aux effet spéciaux, les deux photos parlent d'elles-mêmes et le film de 1963 avec ses dix roubles de budget explose le film de 2010 et ses dix billions de dollars au compteur. Gaston Bachelard écrivait : "On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. (...) Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d'images aberrantes, une explosion d'images, il n'y a pas imagination." Le Choc des titans, et c'est bel et bien un choc que ce film, ne nous propose rien de tout ça, non seulement il ne forme aucune image mais il bloque l'imagination plus qu'il ne la stimule en nous balançant un visuel vu et revu, complètement éculé, et diablement moche par-dessus le marché. Si Dieu est mort et si les Dieux grecs sont morts avant lui, Louis Leterrier a utilisé beaucoup d'argent pour massacrer ce qu'il pouvait en rester, l'image, la représentation populaire.


Le Choc des Titans de Louis Leterrier avec Sam Worthington, Liam Neeson, Ralph Fiennes, Gemma Arterton et Mads Mikkelsen (2010)

14 juillet 2012

Le Territoire des loups

Le film devait à l'origine s'intituler "Le Territoire des gnous" et être beaucoup moins palpitant. L'arrivée dans le projet de Liam Neeson a obligé les scénaristes à trouver des ennemis plus consistants à un acteur au sommet de sa forme, habitué à mettre à feu et à sang des continents entiers, parfois même à distance. Ils ont pensé au "territoire des babouins" et le tournage, en plein Congo, put commencer normalement avant qu'une scène fatidique pose problème, celle où le chef babouin devait lutter contre Liam Neeson : l'animal n'a pas voulu coopérer et son énorme cul violacé s'est retrouvé coincé dans l'immense appendice nasal de la star. Cet incident de tournage sans précédent a mis fin à la collaboration entre Hollywood et cette bande de babouins venue de Gibraltar. Chris Columbus, réalisateur de ces désormais "lost footage", fut également mis à l'écart, au profit du spécialiste des films bourrés de testostérone, Joe Carnahan, l'ex-protégé de Tom Cruise et futur gland.



Que faire après les gnous et les babouins ? C'est à cette question épineuse que Carnahan devait trouver une réponse dans les plus brefs délais, la star Liam Neeson menaçant de quitter le plateau à tout jamais. C'est alors que Joe Carnahan s'est souvenu de ses parents éleveurs de brebis dans le Vercors, qui avaient dû lutter tout un été contre des loups ritals affamés de chair fraîche. Le réalisateur a tout de même perdu son père dans cette tragédie. Il voulait donc faire d'une pierre deux coups : réaliser un long métrage et se venger des loups en liquidant une meute entière. Très emballé par cette idée, Liam Neeson promet de livrer une prestation habitée. Le tournage coïncide avec les heures les plus sombres de la WWF. Le jour du clap de fin, Joe Carnahan a achevé lui-même le dernier loup (un innocent oméga sans défense), d'un coup de savate astucieusement placé sur la cassure du museau ; un geste calculé, prémédité, celui d'un assassin animé par une rage peu commune, réglant là ses comptes avec un passé trop douloureux.



Après avoir mis Paris à genoux à lui tout seul, Liam StairFace Neeson se retrouve donc ici confronté à une meute de loups dans les contrées les plus hostiles de l'Alaska, soit dans le territoire des leups. Tireur d'élite tourmenté par la perte tragique de sa femme et employé d'une compagnie pétrolière, Liam Neeson prend l'avion avec des collègues pour profiter de quelques jours de congés bien mérités après avoir dégommé quelques canidés arctiques. Car en effet, sa profession est de faire le guet pendant que ses collègues réparent les pipelines : il zieute tout autour d'eux, pour prévenir les attaques des loups, à l'aide de son plus fidèle compagnon, son flingue à lunettes. Dans l'avion qui le ramène à la civilisation, une avarie provoque un terrible crash dont Liam Neeson et une poignée de collègues sortent indemnes.



Le problème, c'est qu'ils se retrouvent en plein milieu de la banquise, giflés par un blizzard de tous les diables, entourés d'une meute de loups à l'esprit de vengeance et au sens de la propriété bien affirmé. Liam Neeson et ses potes se sont crashés en plein territoire des leups. Dès la première nuit, le nombre de survivants se réduit de moitié, malgré un Liam Neeson survolté qui de ce côté-ci enflamme une torche et de ce côté-là ajuste son flingue à bout portant sur le crâne d'un leup ; cautérise la jambe arrachée d'un compagnon, ou creuse une tombe à mains nues dans la terre gelée pour enterrer un autre collègue moins chanceux. Le lendemain, Liam motive ses compagnons et devient le leader naturel d'une bande de types désespérés qu'il essaie de sortir du territoire des leups, avec pour seule boussole son gland qui, renfrogné par le froid, se tourne toujours en direction du sud. Liam Neeson et ses compagnons, par -30°C, courent sur la banquise, fuyant une meute de loups dirigée par Tourak (qui enchaîne les tournages après le succès d'Avatar), le chef loup, l'alpha de la meute.



On assiste tout le long du film à un écrémage régulier du groupe humain jusqu'à un final tétanisant : Liam Neeson seul face au "king de la meute", les bras en sang, les épaules avachies par l'effort, le gland gelé d'avoir été trop sorti, l'espoir disparu avec son dernier compagnon noyé et congelé à quelques mètres de lui, le regard dur et la bave aux lèvres... On ne donne pas cher de la vie du loup, mais on ne le saura jamais puisque le film se termine soudainement. Ecran noir. "En territoire des leups". Fin. Un goût amer dans la bouche, nous sommes venus à bout de cette péloche qui commençait pourtant assez bien, avec la promesse d'un film de survie haletant, avant de se transformer en une sorte de film de monstre ultra basique et bête comme ses pieds, comme on n'en a plus vu depuis la fin des années 80. La faiblesse du film ne lui a tout de même pas empêché de faire le buzz à sa sortie, d'où mon étonnement et ma déception face à la tournure prise par les évènements.



La petite histoire raconte qu'après la sortie du film, Joe Carnahan est allé voir sa maman en annonçant qu'il avait enfin vengé la mort de Joe Carnahan Sr. C'est là que sa mère marqua une longue pause, pris une lente inspiration et lui dit dans un monologue tétanisant "Fils, il faut que je te dise maintenant comment ton père nous a réellement quittés. Toi et tes yeux plein d'étoiles quand tu parlais de papa, je ne pouvais pas t'avouer la triste réalité. Je t'ai donc fait croire qu'il avait héroïquement défendu notre troupeau de 300 brebis, seulement armé d'un bâton. En réalité, il a trouvé la mort assez bêtement, en assistant à une étape du Tour de France 1965 qui passait dans le Vercors, au Col de Romeyère. Ton père a glissé du talus au moment même où le peloton passait à environ 66 km/h, ce qui lui a été fatal. Mort sur le coup. Il emporta aussi la vie de trois coureurs et de 15 vélos, et fut lui-même déchiqueté par les roues en titanes activées par les muscles saillants des coureurs. Sur la page wikipédia du tour de France 1965, apparaissent rayés les noms de ceux qui ont été tués par ton père. Ce que tu as filmé sur les hauteurs du Mont McKinley, c'est mal."

Bonne nouvelle pour le cinéma : Joe Carnahan ne réalisera pas un film de si tôt, il doit d'abord faire un stage chez son psy.


Le Territoire des loups de Joe Carnahan avec Liam Neeson et une meute de loups (2012)

28 juin 2012

After.Life

Quand j’ai regardé ce film, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce que Liam Neeson était venu foutre dans cette galère. Et pourtant... Cet acteur a tout de même tourné dans un nombre impressionnant de saloperies et il ne s'agit donc ni de la première ni de la dernière, loin de là. Mais j’étais tout de même étonné, et gêné pour lui. Ça doit être sa tronche d’homme respectable, son profil en dents de scie, son accent irlandais distingué et sa carrure imposante, qui font que l'on imagine un type sérieux, intelligent, censé choisir ses rôles avec discernement. Mais pas du tout ! L’habit ne fait pas le moine, et Liam Neeson est un vieil abruti ! Très sympa peut-être au quotidien, mais débile dès qu'il est question de faire un choix de carrière ! Il est à ranger dans la même catégorie que les Nicolas Cage, Adrien Brody et autres Hilare Swank. Il n’y a qu’à le voir dans Taken, L'Agence tous risques, Le Choc des titans, Sans identité et donc After.Life pour s’en convaincre. Ah ça oui, il a une belle gueule et on dirait un prof de fac (cf. Chloé, où il campe un véritable rat de BU), celui qui ferait s'installer toutes les minettes au premier rang, mais en réalité c'est un sacré tocard. Je dis ça, alors que je l'apprécie malgré tout, comme tous les acteurs de cette catégorie d'ailleurs, à l'exception du dénommé Swank.



J’étais par contre moins étonné d'y retrouver Justin Long. Cet acteur aux cheveux de femmes qui, avec sa grosse gueule d'éternel adulescent, a l’air bien décidé à jouer dans tous les pires films fantastiques ricains du moment, après avoir déjà tenu un rôle en tout point identique dans la dernière daube de Sam Raimi, Jusqu’en Enfer. Pour faire bref, il joue le gros nullard qui se fait planter par sa meuf, et réapparaît pour la secourir dans le dernier tiers, en faisant fi de son petit cœur brisé. On n’est pas non plus vraiment surpris de voir Christina Ricci rôder dans ce film, animée, semble-t-il, par la seule envie de nous montrer avec une certaine fierté qu'elle a perdu tous ses kilos en trop. Hélas, son corps famélique fait désormais peine à voir et on a connu l'actrice bien mieux charpentée. Elle est ici très souvent à poil mais la starlette risque fort de décevoir les nostalgiques de ses rondeurs d'antan. Disons-le tout net : elle a paumé des seins... C'est typiquement le genre de meuf qui annonce tout sourire à son mec qu'elle a perdu 5 kilos, et le gars de lui répondre, dégoûté : "Ouais, enfin, t'as surtout paumé des seins, ta race...". Si Chris Ricci a encore des fans, je leur recommande ce film malgré tout. Perso, je suis pas fana des cadavéreux...



Quant au film à proprement parler, que dire ? Il m'a fait tristement penser à ces épisodes des Simpsons spécial Halloween, vous savez, ces épisodes à sketchs qui sont très loin d'être les meilleurs de la série et dont j'évite soigneusement les rediffusions sur RTL9. Sauf qu'ici, c'est pas drôle un seul instant et ça dure 1 plombe 30 au lieu d'une petite paire de minutes. Mais derrière tout ça, il y a le même genre de pitch très débile, qui devrait seulement servir de prétexte à un court métrage parodique, ne se prenant jamais au sérieux. Nous suivons ici les mésaventures de Christina Ricci, qui se réveille un beau matin dans la morgue d’un vieux mec (Neeson) dont le passionnant boulot consiste à maquiller les cadavres pour les rendre présentables à leurs enterrements. Ricci se croit tenue prisonnière de ce gadjo parce qu'elle n’a plus aucun souvenir de comment elle est arrivée là. Pendant tout le film, on essaie donc en vain de nous faire douter de l’honnêteté de Neeson, qui lui soutient mordicus qu’elle est tout simplement morte et que s’il la défroque sans arrêt, c’est pas seulement pour la mater, c'est aussi pour donner une nouvelle jeunesse à son corps qui se putréfierait dans la minute s'il n'intervenait pas. On apprend petit à petit, à coups de flash-back minables mais bien pratiques, que Christina Ricci est bel et bien clamsée dans un accident de voiture la veille au soir, après avoir largué son mec. Elle piaille donc pendant tout le film avec un Liam Neeson qui a le don de voir les morts et de pouvoir philosopher avec eux jusqu’à leur crémation. On appelle ça un spoiler, mais remarquez que le titre nous avait bien mis sur la voie...


After.Life d'Agniezka Vosloo avec Christina Ricci, Liam Neeson et Justin Long (2011)

28 septembre 2011

Spider-Man

Dans le cadre de notre dossier spécial super-héros, nous avons demandé à l'insaisissable Arnaud, du super-blog Donc Acte !, de traiter le film de son choix, avec sa plume légendaire. Il n'a pas fait ça à moitié puisqu'il s'est emparé à bras-le-corps du cas Spider-Man ! Voici donc le premier volet d'une série d'articles signés par notre très cher confrère :

Réalisateur des trois Evil Dead, de Darkman, de Mort sur le grill et de Mort ou vif, Sam Raimi, qui ne s'était jamais coiffé de sa vie, a sorti le costard pour faire propre sur les tournages des trois Spider-Man. Il voulait être pris en compte par les executives des studios Marvel et Sony pour faire partie de la promotion des films. Auparavant, Sam Raimi était un boucher du cinématographe. Il traînait sur les plateaux en t-shirt, baskets et jean, taché de sang des pieds à la tête ; il aurait pu être confondu avec Ed Gein si ses frères (Ted et Ivan) ne lui avaient pas rappelé qu'il avait une famille à charge (eux) et qu'il valait mieux faire des films gores que planquer des cadavres de femmes sous son lit. Fan de comics, de télé, et déjanté, Sam a mis l'horreur au goût de Tex Avery dans une série de films excités exposant tripes, sueur et cris gutturaux. Sa caméra manquait de peu d'éborgner les acteurs et se perdait souvent toute seule en forêt sur une moto lors d'une pause pipi d'un de ses frangins qui la conduisait. Sam traitait avec passion des thèmes de l'isolement, de forces spirituelles néfastes, d'aliénation poussant au massacre, de découpage de bien-aimées, de sexe avec la nature, de duels en lunettes noires, de Liam Neeson recouvert de bandages, de Bruce Campbell en frimeur se vantant de ses mérites de tueur de démons au supermarché où il travaille et de népotisme. Mais, Sam avait des ambitions. Il voulait filmer Spider-Man ou quelque chose comme ça.



Depuis le milieu des 1990's, Sam a donc tourné trois œuvres pour des spectateurs sains d'esprit et produit deux séries télévisées pour se laver de son infamie des 1980's. Ainsi naquirent un film de base-ball avec Kevin Costner (qui reste 2h15 sur un monticule pour nous expliquer en flash-back comment il est arrivé là depuis le banc de touche), Xena, Hercule, The Gift et Un Plan simple. Ayant prouvé qu'il était bankable et capable de faire croire que Keanu Reeves avait des talents d'acteur, Sam a été choisi par Sony à qui il a donné son nom complet Samuel Marshall Raimi pour signer la trilogie Spider-Man.

David Koaaaap, le boy de Spielby, son go-to-guy (son type chez qui aller), qui lui fait le ménage, sort les enfants, signe les papiers de divorce, fait le tri dans les idées pourries du grabataire tonton et détruit Indiana Jones au passage a été drafté pour signer le script d'un premier opus bancal. Kirsten Dunst, pour son parfait minois de fille d'à côté qu'on rêve tous d'avoir, Vern Schillinger de la série OZ, pour son expérience de l'autoritarisme, et Willem Dafoe pour son sourire plein de dents de cannibale, sont de la partie. Il ne manquait qu'une paire de faux adolescents ayant été adolescent ou ayant joué un adolescent : Tobey Maguire allait nous imprimer sur pellicule sa sale tronche de merde (son expressif air de niais écarquillant ses yeux mouillés, souriant pour dévoiler son énorme pif au bout tout rond, laissant ses oreilles remplir les bordures du cadre cinémascope, traînant sa voix pénible et plaintive, rentrant la tête dans les épaules et ces dernières dans le corps, se tenant les bras longés contre son buste comme s'il prenait trop d'espace) et fut choisi pour incarner l'homme-araignée entre deux longs métrages tournés avec des chevaux ; quant à James Franco, il n'avait rien de mieux à faire. Alvin Sargent a signé un impeccable second script grâce à un superbe vilain, nommé Doc Ock (Alfred Molina) pour les intimes. Sam s'est chargé avec son tâcheron de grand frangin impérialiste Ivan le terrible Raimi et Alvin Sargent de plomber la série avec un troisième opus budgété pour des gosses qui n'en ont pas redemandé depuis.



Le premier opus traite du cas de Spidy de superbe façon. Il est opposé au bouffon vert. Les films de super-héros ont besoin d'un super-vilain ; la qualité de l'ouvrage en dépend. Dans Spider-Man, Spider-Man est évidement la superstar. Son évolution est réussie (faut-il supporter le faciès de Maguire). L'emphase est totale envers Parker. Malheureusement, la schizophrénie de Osborn est sacrifiée aux convenances du calendrier de l'homme araignée. Sur la première demi-heure, les traitements alternant les parcours de l'adolescent studieux et du scientifique poussé à bout se valent jusqu'à ce que l'évolution de Peter Parker soit privilégiée. Le bouffon vert reste alors en attente, comme s'il attendait que Spider-Man soit à la hauteur pour l'affronter. Une profonde bêtise et de nombreuses incohérences s'ensuivent :

  1. La schizophrénie du bouffon vert aurait pu donner lieu à des attaques plus violentes et imprévisibles. Cette psychose aurait pu créer une formation intéressante lors d'un combat pour un Spider-Man encore tendre.
  2. Le bouffon vert tente pitoyablement de corrompre Peter en se la jouant cool et fun sur un toit de New York. Ils ont apparemment élevé les cochons ensemble. Bouffy raconte à Spidy que les peuples brûlent leurs idoles. C'est son seul argument. Bouffy compte sur la peur d'un vaillant héros pour le faire tomber. C'est pas brillant. Bouffon vert est le pauvre pendant de Jekyll & Hyde façon combinaison verte mouleboule dont le masque tient sur un haut de fauteuil et il est le versant couillon du riche scientifique qui l'a vu naître.
  3. Pour représenter sa folie, Willem Dafoe parle à un fauteuil. Même Abel Ferrara, David Cronenberg, Alan Parker et Lars von Trier ne lui ont pas demandé chose aussi étrange en tant qu'acteur.
  4. D'où sort Bouffy dans le building en feu ? Comment savait-il que Spidy passerait par là ?
  5. Le repas de Thanksgiving est une farce : Peter, nerd qui passe son temps le nez dans les bouquins, annoncé futur prodige en science, ne comprend pas la réaction d'Osborn quand il voit la coupure sur son bras. Réaction qui dévoile pourtant totalement l'identité de Bouffy à Spidy... mais, heureusement pour Bouffy/Osborn/Dafoe, il faut que sa tante soit attaquée pour que Parker comprenne que le bouffon vert connait son identité, même s'il ne fait pas le raccord neuronal pour soupçonner Osborn d'être le méchant.
  6. La fin : Bouffy tient une nacelle remplie d'enfants dans une main et Mary-Jane Watson dans l'autre. Il propose un choix idiot pour corrompre Spidy en comptant sur l'échec de sauvetage d'un des deux partis lâchés qu'il tient à deux mètres de distance l'un de l'autre. Là où Nolan dans The Dark Knight mettait Batman face à un tel choix (Harvey Dent et l'ex de Bruce Wayne), le joker avait l'intelligence de mettre quelques kilomètres entre les deux points où ils étaient retenus captifs. Spidy, qui tire des toiles d'araignée de ses poignets, sauve donc les enfants et son amour secret.

Ce premier opus manque cruellement d'un bon méchant. Dans Spider-Man 2 l'équipe du film a travaillé à l'élaboration d'un sublime vilain, comme nous le verrons dans un prochain article !


Spider-Man de Sam Raimi avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst et Willem Dafoe (2002)

26 septembre 2011

Batman Begins

Nônon Cocouan se joint à moi pour vous parler du premier volet de la nouvelle trilogie Batman signée Christopher Nolan, le directeur du fond monétaire hollywoodien.

Un jour viendra, dans plusieurs années, où des gens, les quelques chanceux qui seront passés à travers les gouttes, ou ceux qui seront tout simplement nés après la bataille, auront envie de combler leurs éventuelles lacunes cinéphiliques en voyant ce film, aguichés par Christian Bale dans le rôle titre, acteur charismatique et très doué qui monte en flèche en ce moment et atteindra peut-être, qui sait, des sommets dans quelques années. Mais ce sera sans compter sur la présence derrière la caméra de Christopher Nolan, l'homme qui a calfeutré la légende de Batman sous une chape de plomb, l'homme qui a donné le premier rôle le plus creux qui soit au pourtant excellent Christian Bale, l'homme qui a réalisé cette purge inégalable nommée Inception, bref le cinéaste le plus chiant, le plus sérieux, le plus plat, le plus ennuyeux et le plus surcoté du marché.



La première heure du film se focalise sur l'avant-Batman. Dès le départ Nolan (qu'on est tenté de prononcer "nullard") creuse donc sa propre tombe puisqu'il décide de se lâcher allègrement sur les raisons de la psychologie perturbée de Bruce Wayne. Cette psychologie d'une richesse à se taper la tête contre les murs, Timur Burton, auteur du tout premier Batman, nous l'avait pourtant déjà bien expliquée dans ses opus précédents (les parents plein aux as de Bruce Wayne, à ne pas confondre avec John, ont été assassinés par un voyou pour une paire de Ray-ban et c'est à cause de criminels démunis et trépanés que le personnage est devenu orphelin, donc la criminalité c'est mal et il faut la combattre en arborant un collant noir et un masque à petites oreilles). Burton avait même ajouté à cela quelques petits trucs intéressants sur l'identité, les origines du personnage et compagnie. Wayne veut donc se venger, ou plutôt faire régner la justice. Mais ça ne suffit pas pour Nolan, forcément. Le nouveau petit maître d'Hollywood fait son "Begins", il faut bien qu'il trouve des choses à mettre dans son reboot pour qu'il ne sente pas complètement le réchauffé. Du coup notre homme rajoute des tas de couches bien épaisses sur les traumatismes de Bruce à grands renforts de flash-back miteux (le pauvre gosse est tombé dans un puits de dix mètres de profondeur plein de chauves-souris, depuis il a peur des chauves-souris, et c'est à cause de ça qu'il chope les foies devant une pièce de théâtre avec des chauves-souris, qu'il demande donc à sortir de la salle, là ses parents sont tués, et à cause de tout ça il devient "Le" Batman, l'homme chauve-souris. Eurf). Peut-être que cette histoire, avec tous ses liens de cause à effet lourdingues, était déjà dans le comics, sauf que Christobal Nolan, bien conscient de nous servir là une soupe infâme à laquelle on a déjà goutée, se dit qu'il faut de toute façon rajouter des ingrédients. Il en fait donc des caisses dans le pathos et présente tout ça dans un vague désordre, histoire de nous faire croire qu'il est un grand cinéaste moderne qui met en place des récits complexes et que tout ce qu'il nous dégueule est inédit. Alors que concrètement on a droit à quoi ? A un Bruce Wayne tiré d'une prison type goulag et recueilli par une sorte de sage mystique guerrier (Liam Neeson) qui va le traîner en haut d'une montagne enneigée pour lui apprendre le kung-fu, lui enseigner à dépasser sa peur et sa colère pour faire régner la justice, le tout à grands coups de petites sentences philosophico-dogmatico-pragmatiques mêlant les préceptes de Mahatma Gandhi à ceux de Rocky 4. Le résultat n'est jamais qu'un amalgame foireux, long et chiant entre Star Wars et Karaté Kid.



La suite est un poil mieux (relativement à cette interminable introduction crétine à souhait), c'est-à-dire le moment où Bruce Wayne retourne au bercail, y retrouve sa vieille tante aveugle nommée Alfred (Michael Caine) et le black à moustaches qui lui fabrique ses gadgets (Morgan Freeman). Pas de quoi se taper le cul par terre non plus : les petites piques amicales entre vieux de la vieille et la présentation d'armes secrètes et discrètes façon James Bond, on a déjà vu ça 1000 fois. En prime Nolan ne fait malheureusement pas l'économie de personnages clichés et de petites répliques très connes répétées comme si elles étaient géniales (au début la fille, Katie Holmes - Nolan a le génie du casting, y'a pas à dire - lance à Bruce : "Ce n'est pas ton for intérieur qui compte, mais tes actions", et Batman répète cet enchaînement de mots compte simple au scrabble à la même fille à la fin du film, ce qui fait toujours son petit effet, pour lui faire piger qu'il vaut le coup et qu'il est das Batman). Quant au méchant (toujours Liam Neeson, qui s'est retourné contre son apprenti afin que ce dernier doive tuer le père dans une réécriture de Freud à se tailler les veines), il est ni plus ni moins pitoyable. C'est une chose que de vouloir lui attribuer des mobiles un peu plus originaux que le simple fait d'être salop gratuitement et pour entasser du blé, comme c'est souvent de rigueur dans les comic books, mais encore faut-il avoir une bonne idée à la place, et non pas ce truc ridicule du super-vilain qui veut faire régner la justice à coup de kärcher au prétexte qu'une ville vérolée doit subir la politique de la crème brûlée : cramer tout le monde et repartir de zéro sur des cendres. Ce mobile vieux comme le monde lui tient à cœur à notre gros vilain, censé être une sorte d'immortel à la Highlander vivant depuis des millénaires (et pour le coup incarné par un acteur jadis brillant mais aujourd'hui en lambeaux), qui avait déjà pratiqué cette politique de la table-rase à Londres, ravageant la ville par la peste et trouvant ça génial. L'idée n'est pas forcément inintéressante (encore que facile, comme ça l'est souvent lorsqu'il s'agit de convoquer des faits historiques pour donner une pseudo-épaisseur à un personnage) mais il aurait fallu écrire des dialogues un poil plus intelligents et composer un personnage de méchant légèrement plus consistant pour que tout ça ne se résume pas à une grosse boutade qui n'aboutit à rien, sinon à beaucoup de bruit pour rien.



Enfin bref, on ne peut même pas dire que "ça se mate d'un œil", car en fait ça ne se mate pas sans pioncer comme une souche. Et puis c'est globalement si risible... Enfin non, justement, on aimerait que ce soit "risible", au moins on pourrait se marrer un peu, parce qu'encore une fois Nolan est désespérément dépourvu d'humour ou de distance vis-à-vis de son triste sujet et fait preuve d'un sérieux assommant. Why so serious, Nolan ? Il se prend terriblement au sérieux alors que son film est loin d'avoir assez d'envergure pour ça. Idem pour Memento ou Inception, qui se croient géniaux. Autant de films qui auraient pu être bons et qui, sous l'égide de cet incapable, sont devenus de terribles saloperies. Et le pire c'est que Nolan est si sérieux et prétentieux qu'il a voulu rejouer le mythe cinématographique de Batman en mode mineur, sur un ton sérieux et sombre, dark en un mot... Il n'est apparemment pas au courant qu'il a les deux pieds dans un phénomène de mode pathétique qui consiste à essayer de revaloriser ce type de films en leur donnant une dimension soi-disant sombre, et qu'il va falloir faire un petit effort pour sortir vraiment du lot. Nolan est comme un gland alors qu'il avait tout dans son cabas : une sujet "fort" (Batman...) qui a déjà prouvé qu'il fonctionnait et qu'il pouvait générer un univers particulier et complexe ouvrant à tout l'imaginaire possible. Il a des montagnes de fric pour le faire, des petites mains qui vont bien, les acteurs qu'il veut (même si à Bale, Freeman et Caine s'opposent Katie Holmes et Cillian Murphy, le blanc-d'œuf humain), eh bien non, même avec tout ça il n'est pas foutu de pondre un film qui aurait un minimum de gueule. La fin de l'histoire est un enchaînement de conneries scénaristiques et d'action gonflante, qui conclue le film de la pire des façons, en fait un bel amas d'inepties et de foutage de gueule et ouvre idéalement vers le second opus, moins minable d'un point de vue narratif mais qui s'avère être un film assez infect : The Dark Knight.



Une petite remarque, pour terminer. Christian Bale a la particularité physique d'avoir une bouche très spéciale, il zozotte pratiquement, il a la lèvre supérieure qui redescend sur ses dents de devant et la lèvre inférieure qui rentre sous ces mêmes dents quand il parle, comme une sorte de lapin dégénéré, sauf son respect, et c'est un signe distinctif évident. Si on nous montrait un panel de plans serrés sur la bouche de tous les acteurs américains en vogue en train de déblatérer, on reconnaîtrait Bale Christian en premier et en un battement de cil. Or on ne voit que la bouche du Batman à cause de son masque, mais rien qu'en regardant sa bouche n'importe quel personnage qui connaît aussi Bruce Wayne devrait pouvoir deviner illico que c'est lui Batman, or les personnages font semblant de ne rien voir, et c'est d'un agaçant... Qu'on ne reconnaisse pas Superman en Clark Kent, ok, même si c'est le seul type à Metropolis de plus de trois mètres de haut et qui fait "TCHLONG" quand on lui tape sur l'épaule, mais là... Quitte à tenter de griller un acteur pour jouer ce rôle absolument creux, sans intérêt, lisse et chiant, il aurait fallu prendre un type qui n'a pas une bouche si facilement identifiable... Le trimard cache toute sa tronche pour pas qu'on le reconnaisse sauf sa bouche mais il possède le seul double-bec de lièvre de toute la ville ! C'est comme si Maiwenn jouait une super-héroïne au visage masqué mais à la bouche apparente, on aurait du mal à croire les personnages qui ne feraient pas le lien avec elle une fois écartée l'hypothèse de la bête du Gévaudan.


Batman Begins de Christopher Nolan avec Christian Bale, Liam Neeson, Morgan Freeman, Michael Caine, Katie Holmes et Cillian Murphy (2005)

22 août 2011

Hantise

Y'a pas d'affiche de ce film sur Allociné. J'ai dû aller en commander une sur Allposters.com, la scanner à la COREP sur leur matos dernier cri pour ensuite la réduire avec Adobe Photoshop et la mettre en vignette ci-contre à gauche. Quand y'a pas l'affiche d'un film sur Allociné, c'est parlant, c'est un signe. Quand y'a pas un seul type d'Allociné (troisième PME de France derrière le PMU), qui s'est dit : "Aaaaaallez, je m'y colle ! Je vais commander l'affiche de cette merde sur Allposters.com, la scanner chez COPYRAMA, sur le T1000, pour ensuite la réduire avec TuxPaint for Mac et la mettre en vignette ci-contre à gauche de mon site en jaune et blanc qui fait ramer même les pires bêtes de foire de chez Intel i7", quand y'a pas un seul type d'Allociné qui s'est dit ça, c'est mauvais signe.




Ce film est signé Jan de Bont, prononcez Yann de Bont. Ce réal a été au top, mais pas longtemps. C'est une étoile filante. La plus filante d'Hollywood. Il a réalisé Speed, succès surprise au box office qui a fait de Sandra Bullock et de Keanu Reeves les deux stars que l'on connaît : l'une a fini avec l'Oscar, s'il vous plaît, l'autre c'est juste l'élu, y'a pas d'autre mot. Après ce phénomène sur quatre roues (j'ai parlé du film pendant un an non-stop après l'avoir vu au ciné), De Bont a continué sur sa voie en faisant preuve une nouvelle fois d'une science infuse du "couple qui tâche" quand il a casté Bill Paxton et Helen Hunt pour Twister. L'idée du film c'était de faire courir la sublime Helen Hunt en t-shirt mouillé au devant des tornades, et de montrer Bill Paxton en contrechamp, au volant de son 4x4, filmant la scène avec la banane en grand amateur de tempêtes devant l'éternel. C'était peut-être pas l'idée de script du siècle, mais les effets spéciaux étaient du tonnerre ! Après ce deuxième succès d'estime, De Bont, qui rappelons-le était au départ le dirlo photo des plus grands (Verhoeven pour Basic Instinct, McTiernan pour Piège de cristal, Richard Donner pour L'Arme fatale 3, etc.), a eu l'idée folle, boosté par un chèque en bois, de réaliser Speed 2 Cruise Control, dont le principe était de remplacer le bus par un bateau... Keanu Reeves, qui a toujours eu un flair d'enfer (c'est lui qui a chipé le rôle de Néo à Will Smith dans Matrix), a intelligemment dit "Stop", remplacé au pied levé par un Robert Patrick moins clairvoyant et moins bandant. C'était remplacer Guivarc'h (meilleur buteur du championnat de France 1997/1998) par Diomède : on courait à la catastrophe. S'étant donc enterré vivant avec Speed 2, l'un des plus gros flops de l'Histoire du Cinéma (parlez-en à Bob Weinstein pour lui plomber sa journée), De Bont cherchait le contrat juteux et le film à pétrole pour se relancer, ne sachant pas qu'il allait au lieu de ça jeter la dernière pelletée de béton sur son propre cercueil, s'enlisant dans un bunker fatal dont il ne ressortirait jamais.




Deux ans après ce fiasco, on a dit à De Bont : "On te donne un dernier gros billet, en échange, fais revivre le cinéma de genre !". Il lui a tiré une balle entre les deux yeux avec Hantise, ce remake d'un classique de Bob Wise, tiré d'une histoire fausse, et qui a coûté une centaine de millions de dollars pour un tournage en studio entre quatre murs (ça revient cher le mur). Le casting coûtait un bâton : Catherine Zeta-Jones (c'était la tuerie de l'époque, elle en a fait suer des fronts dans les années 90), Liam Neeson (alors auréolé de son rôle de Juste dans La Liste de Schindler), Lili Taylor (abonnée aux rôles de camées dans tous ses films et qui n'a jamais vraiment percé) et le débutant Owen Wilson (dans le rôle de la femme de chambre), qui tournait gratos à ce moment-là et qui n'a jamais été payé depuis, pour aucun de ses rôles. De Bont a tué le sous-genre "Film de Maison Hantée" dans ce nanar qui tire sur la corde et dont les effets spéciaux étaient déjà datés à l'époque. C'est le seul film que j'ai vu en pionçant comme une souche au cinéma. En signant son nom au générique de ce taudis cinématographique, De Bont gravait son blaze sur sa propre pierre tombale dans le cimetière des plus gros cons d'Hollywood.


Hantise de Jan De Bont avec Liam Neeson, Catherine Zeta-Jones, Lili Taylor et Owen Wilson (1999)

30 mai 2011

Mission

En l'an de grâce 1986, le cœur d'un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl entra en fusion, le nuage radioactif fit demi tour à la frontière belge et Roland Joffé remporta la Palme d'Or du festival de Cannes des mains du président Sydney Pollack pour son deuxième film après le très remarqué La Déchirure sur le génocide Cambodgien. C'est de cette Palme attribuée à The Mission dont je voudrais vous parler dans le cadre de notre semaine thématique consacrée aux grands lauréats du festival de Cannes. Après un premier film au sujet déjà périlleux, Roland Joffé, réalisateur britannique, poursuivit sa carrière en abordant immédiatement un autre grand fait historique. Le film évoque les 150 ans d'histoire des réductions Guaranies. C'est ainsi qu'on appelait les missions bâties pour accueillir les indiens Guaranis et pour les évangéliser dans des sortes de républiques autonomes créées par les jésuites et approuvées par le pouvoir colonial espagnol aux confins de l'Amérique du Sud. Suite à des conflits d'intérêt avec l'église catholique et le pouvoir Portugais, ces missions furent compromises et l'entreprise déboucha sur la guerre des Guaranis qui s'étendit de 1754 à 1756.




Le film est raconté en voix-off par le cardinal Altamirano, visiteur apostolique de ces missions jésuites écrivant son rapport au Pape après avoir été envoyé sur les lieux pour, officiellement, estimer le degré d'humanité des indiens, officieusement, pour en signer l'arrêt de mort afin de préserver l'intérêt supérieur de l’Église. Son récit nous présente un prêtre jésuite, le Père Gabriel, interprété par le toujours excellent Jérémy Irons, accompagné d'un frère joué par Liam Neeson, tous deux voués à convertir les Amérindiens à l'amour de Dieu et œuvrant pour les réunir par le travail partagé dans des missions paradisiaques. Mais ils sont très vite rejoints par un chasseur d’esclaves sans pitié, Rodriguo Mendoza, incarné par le Robert De Niro, venu capturé les Guaranis en vue de les vendre aux Portugais. Après une rapide rencontre dans la forêt luxuriante du Paraguay entre les personnages antagonistes que sont le Père Gabriel et Mendoza, le film se détourne étonnamment des peuplades indiennes et de leurs convertisseurs pacifiques pour se focaliser sur De Niro rentrant en ville avec ses nouvelles prises pieds et poings liés. Mendoza a le port altier et fière allure sur son étalon noir quand il croise le regard de sa promise, jouée par la très jolie Cherie Lunghi (alors épouse de Joffé), penchée au balcon et faisant grise mine. On aura tôt fait de découvrir que la jeune femme couche amoureusement avec le frère de Mendoza quand celui-ci est absent, occupé à chasser de l'Indien. Découvrant le pot-aux-roses, De Niro est abattu. Il tire alors cette tronche qu'on lui connaît, cette face contrariée et chiffonnée qui ne donne pas envie de s'y frotter.




Mendoza s'éclipse d'abord, méditant la tromperie de sa femme et de son frère et ressassant certainement son désespoir en les imaginant en train de batifoler dans son dos. Quiconque est cocu se met involontairement à imaginer sa femme dans les bras de l'autre, mais qu'en est-il de la précision des images ainsi fabriquées quand la babouse trompée connaît aussi bien son épouse que l'amant de son épouse ? On se figure assez bien la torture que cela doit être en admirant le visage bouchonné de De Niro. Quelques courtes minutes plus tard, la nuit venue, De Niro rumine encore la trahison des deux êtres qui lui sont le plus chers (et on le comprend), quand il tombe sur son frère au cours d'une fête de village bariolée et bien rythmée. La bousculade a lieu et implique un tiers qui se plaint qu'on lui marche sur les pieds, regrettant ses mots quand De Niro s'approche de lui et lui demande en substance : "Are you talkin' to me ?", dans un échange de regards tétanisant. Le type agressé fait dans son froc et, pour détourner Mendoza de ce conflit en germe, son frère le bouscule à nouveau. S'ensuit une baston qui aboutira à la mort du petit frère judas.




Après ce meurtre atroce, commandé par la rage, Bobby De Niro s'enferme dans une geôle et dans le silence pour expier son péché. C'est alors qu'un religieux le présente au Père Gabriel (Irons donc), bien décidé à lui venir en aide malgré ce qu'il sait des exactions criminelles de celui qui devrait être son ennemi juré. Quêtant la rédemption, Mendoza accepte de suivre le prêtre dans son nouveau voyage en terre Guaranie mais à une condition : tirer d'un bout à l'autre du trajet un énorme fardeau, littéralement matérialisé par un arsenal d'armes et d'armures amassées dans un sac de cordes que l'ancien chasseur de prime est bien décidé à traîner sans aucune aide jusqu'au cœur de la forêt et à flanc de falaise, sous ces grandes cascades d'eau que Joffé filme avec exaltation. Après être arrivé à destination, Mendoza se convertit et devient frère pour aider, à la suite du prêtre, le peuple Guarani. Plus loin dans le film il sera question de cette foi et de la meilleure façon de l'accomplir. Il sera aussi question de guerre et de la légitimité ou non qu'il y a à se battre pour se défendre, à répondre à la violence par la violence ou à tendre la fameuse autre joue pour s'en reprendre une louchée dans la tronche.




Quand la mission est attaquée par l'armée à la fin du film, Mendoza s'oppose au Père Gabriel et renonce à ses vœux pour combattre auprès des Guaranis dans une lutte sans espoir. Le prêtre quant à lui préconise l'amour et préfère mourir sans opposer de résistance. Joffé filme assez remarquablement ce dilemme tout en représentant avec justesse la barbarie des soldats gouvernés par l’Église catholique. Libre au spectateur de pencher pour l'une ou l'autre vision de la réaction la plus noble à adopter face à une agression caractérisée. Par ailleurs, on est tenté de pinailler face à la vision idyllique des missions jésuites que propose le cinéaste. Les prêtres convertisseurs venus évangéliser les indiens sont légèrement idéalisés et leur accomplissement, ces villages élevés à la gloire de Dieu et ces indiens chantant les évangiles sans les comprendre, sont éclairés avec amour et filmés comme un havre de paix touché par la grâce. Mais c'est oublier que le film est raconté du point de vue du cardinal Altamirano, que le réalisateur filme lorsqu'il découvre les missions avec un regard ébahi, subjugué et ému. Sans compter que Joffé filme son sujet en respectant les points de vues de l'époque qui sert de décor à l'histoire, une époque où la nécessité d'évangéliser les indiens était indiscutable et où la seule discussion possible portait sur la question de la nature des autochtones, humains ou animaux, et sur la possibilité ou non de les convertir à Dieu si jamais on les considérait comme égaux. Ce portrait d'une époque et de ses mentalités, sans jugement à posteriori, donne un grand intérêt au film de Joffé. C'est ce que parvint aussi à faire quelqu'un comme Jean-Claude Carrière dans l'excellente Controverse de Valladolid, qui opposait le dominicain Bartolomé de Las Casas (Jean-Pierre Marielle) et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda (Jean-Louis Trintignant) dans un débat quant à la nature présumée des amérindiens.




Mais je voudrais revenir sur la superbe séquence où Bob De Niro tire son lourd fardeau de métal à bout de corde tout en se hissant difficilement en haut des immenses falaises de la jungle et sous des cascades assourdissantes. Cette scène est magnifique. Voir Robert De Niro en guenilles, tirant la tronche, comme d'hab, avec ses longs cheveux bouclés détrempés, sa barbe hirsute et ses pieds nus écorchés par la roche, forcer sur ses bras et sur ses pattes pour monter un colis inutile en haut d'une interminable falaise, c'est un plaisir des yeux infini. Un plaisir des ouïes aussi, car la musique qui accompagne cette longue séquence est signée Ennio Morricone. Ce cher Ennio ! Comme c'est parfois le cas avec les bandes originales du grand compositeur italien, le morceau est presque irritant, il est lancinant et mime une ascension lente et pénible, épuisante et difficile. C'est presque énervant et dans le même temps c'est envoûtant. A l'image de cette scène que la musique emporte et où nous admirons le grand Robert, l'immense De Niro, beau comme un Dieu, tirant sa charrue impie avec passion comme le Christ portait sa croix.




A la fin de la séquence, les prêtres et Mendoza arrivent enfin au sommet de la falaise et sont reçus par les Guaranis qui commencent par s'inquiéter en voyant débarquer leur nemesis, celui qui a capturé et assassiné des dizaines de leurs frères, même s'il apparaît bien réduit après une telle grimpée et s'il a perdu un peu de sa superbe de conquistador à barbichette. Pourtant Dieu m'est témoin qu'il est plus beau que jamais. Et les indiens semblent être de mon avis puisque l'un d'entre eux s'approche de De Niro, lui met un couteau sous la gorge, l'insulte probablement dans sa langue, et finit par couper la corde qui le relie à son fardeau, qu'il pousse dans la cascade pour ensuite retourner près de De Niro et l'embrasser en riant. Tous les Guaranis éclatent de rire, d'un rire de joie, tandis que Mendoza fond en larmes, épuisé, libéré de sa culpabilité et de sa peine, déchargé de toute sa haine et profondément bouleversé par le pardon que lui accordent sans procès les indiens Guaranis. Il faut voir De Niro chialer comme un bébé, c'est quelque chose que vous n'oublierez jamais.




Pour terminer sur une trivia croustillante, sachez que toute l'équipe du film, et quand je dis toute c'est toute, de Joffé à Irons en passant par Neeson et Morricone (pourtant resté chez lui en Italie, mais le courrier peut porter des germes), toute l'équipe du film a contracté la dysenterie sur le plateau. Le Cast and Crew quatre étoiles venu tout droit d'Hollywood a fait de la jungle sud-américaine un cabinet grandeur nature. Entre deux prises, Jérémy Irons et Liam Neeson jouaient des coudes pour atteindre le pipi-room en premier, c'est-à-dire le fleuve le plus proche, histoire de déféquer tous leurs morts dans une diarrhée en cascade. Mais quand je dis toute l'équipe, c'est toute l'équipe sauf Robert De Niro. Véridique. Alors d'aucuns diront que l'acteur américain number one est un surhomme intouchable, un géant de fer inoxydable, d'autres comme moi penseront plutôt que s'il n'a pas chopé la tourista c'est parce que De Niro souffre depuis des lustres d'un fécalome. Mais le seul moyen de diagnostiquer cette forme de constipation abdominale et abominable étant le toucher rectal, l'acteur préfère souffrir en silence car, comme il l'a déjà glissé dans quelques uns de ses films au détour de dialogues pas toujours appropriés - et notamment dans une scène mémorable des Nerfs à vif - en tournant les talons et en pointant son derrière du bout de l'index, personne n'est jamais passé là et par là jamais personne ne passera. Cette accumulation de matières fécales déshydratées et stagnantes dans le rectum de notre acteur préféré explique peut-être son éternel rictus d'agacement et les accès de colère noire du président du jury sur la croisette lors du dernier festival de Cannes.


Mission de Roland Joffé avec Robert De Niro, Jérémy Irons et Liam Neeson (1986)