30 décembre 2016

The Assassin

Autant le dire tout de suite, je n'ai pas tout pigé, vraiment pas tout, à cause des intrigues politiques, des noms chinois difficilement assignables, des personnages qui se ressemblent et des éléments de scénario obscurs (les combats où les adversaires se retirent après deux coups sans qu'on sache trop pourquoi ; la fumée autour de la femme enceinte !), mais peu importe parce que c'est extrêmement beau, à chaque seconde. C'est le genre de film qui fait penser avec beaucoup de peine à tous ces réalisateurs qui n'arrivent pas à pondre un plan correct dans leurs films alors que tous les plans de Hou Hsiao Hsien (lauréat du prix de la mise en scène à Cannes en 2015), tous sans exception, sont sublimes et donnent autant à s'émerveiller qu'à méditer. Ce film est à voir comme on lit un poème : il y a des vers sibyllins sur lesquels on passe sans les comprendre mais sans qu'ils n'enlèvent rien (au contraire) à la beauté de l'ensemble.





Dans la Chine du IXème siècle, Nie Yinniang (Shu Qi), revenant d'un long exil auprès d'une nonne qui a fait d'elle une redoutable assassine, a la mission de tuer son propre cousin et ancien prétendant, Tian Ji’an (Chang Chen), alors en dissidence vis-à-vis de l'empereur. Seulement Yinniang a la faiblesse de laisser parler ses sentiments et sa sensibilité, comme nous le révèle la scène d'introduction, filmée dans un splendide noir et blanc, où elle refuse d'exécuter un homme accompagné d'un enfant. Mais au fond, l'histoire, que j'ai d'ailleurs peut-être mal résumée, est secondaire, en tout cas dans les détails. C'est surtout les grandes lignes, les thèmes, qui comptent, la façon dont Hou Hsiao Hsien les met en scène.





On ne compte pas les moments de grâce, car chaque plan en est un ou presque. Quand il compose un plan d'ensemble incroyable sur un paysage, Hou démarre au bout de quelques secondes un lent panoramique pour cadrer un personnage mobile ou statique dans l'espace adjacent, et si, un court instant, on se dit qu'il est fou de mettre en danger le plan fixe de départ, on se ravise très vite, car le mouvement et le cadre sur lequel il s'achève ont ajouté à la beauté initiale. Hsia joue avec la profondeur de champ grâce à tout un système de voiles superposés dans l'image et de scintillements qui évoquent la figure fantomatique de l'héroïne, assassine et espionne invisible. 






Un plan est particulièrement marquant : celui où, après avoir écouté la conversation de son cousin et sa maîtresse, après avoir été surprise, après s'être battue avec son cousin et après lui avoir révélé son identité, Yinniang revient dans la même chambre pour ne rien rater de la suite de la discussion à son sujet. On voit alors la jeune femme apparaître entre deux tentures, puis, à la faveur d'un de ces flottements de la caméra de Hsien, qui donnent au film ce sentiment d'apesanteur, la silhouette de l'assassine, les contours de son visage, se confondent dans les motifs superposés des voiles qui la dissimulent, comme si elle était réellement capable de se fondre dans le décor. Cette femme trahie, condamnée à disparaître de la circulation et à vivre en spectre meurtrier, toujours absente à elle-même, s'efface littéralement sous nos yeux, et dans le même temps, celle dont tout le monde parle est dès lors potentiellement tapie dans chaque image du film, cousues les unes aux autres par ce fait. Or justement, le regard porté par le cinéaste sur les visages, les intérieurs et les paysages (avec ce grain de l'image qui les rend plus présents encore, qui donne corps à Yinniang même quand l'histoire la prive de sa vie), et cette coexistence, jusqu'à la confusion, des êtres et de l'espace, sont pour beaucoup dans la poésie qui émane de l'ensemble.


The Assassin de Hou Hsiao Hsien avec Shu Qi et Chang Chen (2016)

27 décembre 2016

Bilan 2015




http://ilaose.blogspot.fr/2015/02/it-follows.html
1. It Follows de David Robert Mitchell


http://ilaose.blogspot.fr/2016/04/la-sapienza.html
2. La Sapienza d'Eugène Green


http://ilaose.blogspot.fr/2015/12/slow-west.html
3. Slow West de John Maclean


 4. L'ombre des femmes de Philippe Garrel


5. Notre petite sœur de Hirokazu Kore-Eda


6. Mad Max : Fury Road de George Miller



7. Ni le ciel ni la terre de Clément Cogitore



 8. Trois souvenirs de ma jeunesse d'Arnaud Desplechin


 9. Jauja de Lisandro Alonso


10. Félix et Meira de Maxime Giroux


On accuse un léger retard sur 2015, mais le taff est là. On a même un top 10 assez original, avec pour la première fois un film venu du Québec : Félix et Meira, dans lequel au moins l'un des deux auteurs de ce blog s'est reconnu (l'autre ne s'appelant pas Meira  - nota bene : juste tapez Hadas Yaron dans Google). Petite mais sympathique année de cinéma. Peut-être découvrirons-nous la grosse pépite de 2015 en 2025. Hâte d'y être. En attendant nous avons choisi de mettre en exergue des films qui parfois surprendront (suivez notre regard vers La Sapience, qui rend presque tout le monde complètement jobard, ou vers Slow West, western certes petit par la taille mais grand par le charme). Dans ce top, plusieurs films qui divisent notre comité de rédaction, du fait qu'un membre les a vus et pas l'autre, ou vice versa. Vous aurez peut-être vu le numéro 6 de ce classement, qui a fait causer de lui à sa sortie, et que nous reconnaissons comme un film d'action efficace, revu avec plaisir (quand bien même George Miller n'avait rien à foutre sur le siège de président du festival de Cannes 2016 ; d'ailleurs, en passant, un mot sur Cannes 2016 : quand on regarde le top des Cahiers du Cinéma, on croise 8 films sélectionnés en compétition officielle sur le tapis rouge, sauf le grand gagnant, aka le Ken Loach, ce qui en dit long sur le palmarès merdique de sir Miller). D'autres films nous ont plu, mais il leur manquait un petit quelque chose pour figurer dans ce classement, comme Contes italiens ou Caprice. Nous sommes aussi passés à côté de quelques titres importants, du fait de leur format quelque peu contraignant, notamment le Kiyoshi Kurosawa, le Apichatpong Weerasethakul ou la trilogie de Miguel Gomes. Dieu nous pardonne. Mais faisons amende honorable. D'ailleurs, si on va par là, il y a tout un pan du cinéma mondial que nous autres occidentaux laissons systématiquement dans l'ombre, il s'agit du cinéma indien, de Bollywood, qui truste le Top 100 des meilleurs films mondiaux sortis depuis 2014 sur Imdb, avec des titres comme Yapisik Kardesler, Jaatishwar, Aagadu, Duu duu, Pouslanana emulcafé, Yusuf Yusuf ou encore Vikramadithyan. Logiquement, si on les avait vus, ces sept merveilles du 7ème art seraient indiscutables dans les premières lignes de notre classement, qui par conséquent n'a aucun sens ni aucune valeur.

22 décembre 2016

Personal Shopper

Heureux lauréat du prix de la mise en scène à Cannes cette année (notre édito cannois du 26 mai était peut-être plus juste qu'on ne croyait), Olivier Assayas poursuit de front l'échafaudage d'une filmographie cohérente et l'exploration de nouveaux territoires cinématographiques. La première scène du film, où Kristen Stewart entre seule dans une vieille maison de famille abandonnée, commence par nous rappeler L'Heure d'été ou L'Eau Froide (comme, plus loin, les déambulations de l'héroïne en scooter dans Paris évoquent celles de Maggie Cheung dans Irma Vep ou Clean), mais le cinéaste s'ouvre dans le même temps à autre chose, à travers ce long travelling de suivi, en plan-séquence, dans les couloirs sombres de la demeure : via et au-delà du clin d'oeil à Shining, il entre dans le genre fantastique.




Et Assayas se frotte au genre sans fausse pudeur, osant à tout va en flirtant avec les limites, toujours sur le fil. Personal Shopper est un film de fantômes. De façon littérale mais aussi sur un mode plus métaphorique. Maureen (Kristen Stewart), le personnage principal, est chargée de vivre à la place de Kyra, la célébrité pour laquelle elle fait des achats idiots toute la journée, choisissant des tenues à sa place, parlant pour elle et servant occasionnellement de doublure corps, d'incarnation, pour essayer les futures robes de la star fantomatique, pour ainsi dire invisible, inaccessible. Autre fantôme (hormis Maureen elle-même, qui n'a guère de contact avec les autres et hante, passagère et discrète, son propre appartement), l'ami vivant à l'étranger, qui n'apparaît que par écrans interposés, dont le corps et la voix sont dilués dans un amas de pixels fluctuants et d'interférences.




La beauté du film tient dans sa manière de confronter le fantastique le plus éternel (Assayas convoque Hugo faisant tourner les tables à Jersey et n'hésite pas à user d'effets spéciaux assez prosaïques, mais qui n'en sont que plus réussis) à notre monde ultra contemporain, quitte à également marier deux genres (le thriller se taillant une bonne place dans l'intrigue). Assayas rejoue les interrogations obsessionnelles d'un Maupassant, maître français du genre qui, dans ses contes fantastiques (Lettre d'un fou, Le Horla, Un fou ?, etc.), dont les personnages étaient en proie à l'inexplicable, marquait régulièrement une pause, plus ou moins longue (Lettre d'un fou y est presque toute entière consacrée), vouée à disserter sur la pauvreté et l'insuffisance des cinq sens et des connaissances humaines dans l'appréhension des phénomènes qui nous entourent.




Mais évidemment ces questionnements sont redoublés depuis que l'humain est augmenté de facultés nouvelles et de sens artificiels, principalement grâce aux nouvelles technologies : le savoir quasi-infini à portée de clic, la vision et la communication à distance, le don d'ubiquité, la capacité à se situer dans l'espace, etc. C'est cet être humain-là que le film met face au surnaturel, au mystère, requestionnant le genre fantastique un peu comme Pascale Ferran, il y a deux ans, avec la même audace, la même prise de risque, le fit avec le merveilleux dans Bird People. D'un côté, l'oiseau perché sur l'escalier roulant de l'aéroport, de l'autre, un ascenseur et des portes automatiques qui réagissent à l'invisible, et de part et d'autre l'omniprésence des écrans (d'ordinateur et de téléphone ; et là aussi Assayas tire sur la corde, sans la rompre). En travaillant les procédés de mise en scène les plus simples et les plus inépuisables, la profondeur de champ (dans la scène du verre brisé par exemple, où apparaît brièvement Anders Danielsen Lie) ou le hors-champ (dans l'ultime séquence, la plus glissante du film, qui montre bien que le cinéaste joue jusqu'au bout à se faire peur), Olivier Assayas signe un très beau film fantastique aux prises avec son époque.


Personal Shopper d'Olivier Assayas avec Kristen Stewart, Anders Danielsen Lie et Nora von Waldstätten (2016)

20 décembre 2016

Le Bon gros géant

J'ai enfin vu le dernier épisode de la galaxie filmique de tonton Spielby. Je suis à jour. Le Bon gros géant (The Big Fat Geriatric Fuck en VO), est adapté d'un bouquin de Roald Dahl. Honte à moi de ne l'avoir jamais lu. Je n'ai lu aucun roman de Roald Dahl car je suis dyslexique et je n'ai jamais réussi à dépasser son nom sur la couverture. Je ne saurai donc dire si l'adaptation est fidèle au livre. En tout cas le film aurait pu s'appeler "Le CGI", car autant dire que le Bon Gros Effet Spécial du titre, s'il a plutôt fière allure, peine parfois à convaincre (une fois de plus, on passe son temps à regarder si c'est vraiment bien fait au lieu de regarder un personnage), notamment à cause de la lenteur de ses déplacements, que le scénario excuse en arguant de son vieil âge. La caméra de Spielberg est plus rapide et plus mobile que lui, quitte à nous foutre une Bonne Grosse Gerbe de tous les diables dans ces nombreux plans où la gamine est trimballée dans tous les sens par le géant et où la caméra tourneboule sans cesse pour rien. 


Cette jeune spectatrice binoclarde tourne le dos à la télé. On dirait qu'elle prend quand même son pied...

Reste que les gamins y trouvent sans doute leur compte, avec ce personnage au final plutôt sympathique, chasseur de rêves qui s'exprime dans un anglais de Bon Gros Golmon, s'invite chez la reine d'Angleterre pour lui faire découvrir la joie de larguer un énorme pet, et s'attache à sauver les mômes de ses congénères carnivores. Ces derniers m'ont fait de la peine d'ailleurs, pas les mômes, les autres géants. Le Bon Gros Gitan a peur que les hommes, en le découvrant, l'enferment dans une cage de zoo pour se distraire. Mais à la fin du film, les autres Bons Gros Glandus, qui pour leur part sont donc des dévoreurs d'enfants, finissent capturés dans de grands filets, et exilés sur une île déserte dépourvue de tout morceau de viande, ces Bons Gros Gigots dont ils raffolent tant. 


Le Bon Gros Géant n'a pas la main verte. Ses Bonnes Grosses Gourgettes le font béger.

Quel est leur crime ? Aimer la barbaque ? Être des bestioles portées sur la viande et avoir l'instinct du chasseur ? Et ça mérite d'être puni, éradiqué de la surface de la terre ? Je trouve ça un peu rude. Nous autres humains avons la chance d'être omnivores et de pouvoir choisir, mais s'il fallait châtier toutes les créatures de notre monde qui ne se nourrissent que de steak et qui , pour ne pas crever, s'en prennent à des bestiaux plus faibles, ce serait la merde ! Les potes géants du héros auraient mérité un vrai procès, au lieu d'être éjectés du film en deux temps trois mouvements grâce à une intervention militaire héliportée. Certes, ce sont de Bons Gros Gonnards, mais c'est injuste ! On pourrait croire que le film porte un message écolo pro-végétariens, mais même pas, car les légumes sont décrits comme infâmes, puants, dégueulasses, et même le Bon Gros Vegan les tient en horreur, préférant mille fois s’empiffrer de croques-meuss' chez la reine d'Angleterre. Quand ils finissent isolés sur le caillou rocheux en pleine mer, les méchants géants reçoivent des kilos de légumes infects sur la tronche en guise de châtiment, et ces derniers ne sont pas générés par des ordinateurs, cela se voit. L'écoresponsable Tonton Spielby ignore-t-il les incroyables bienfaits nutritionnels des cucurbitaceae ?


Le Bon gros géant de Steven Spielberg avec Ruby Barnhill, Mark Rylance, Penelope Wilton et Rebecca Hall (2016)

17 décembre 2016

Rush

A priori, un film sur la F1 nous narrant la rivalité entre deux pilotes (incarnés par deux ploucs du cinéma) qui ont marqué leur époque, le tout mis en scène par un faiseur rarement inspiré : nous chions dessus. Mais quelques voix s'élevaient dès sa sortie pour pointer du doigt cet ODNI (Objet Déboulant Non-Identifié), parmi lesquelles celle du Bleu du miroir (blog qui présente une fameuse page concours, grâce à laquelle nous allons deux ou trois fois par semaine au cinéma, par le biais de nos très nombreuses boîtes postales factices et autres noms d'emprunts voués à multiplier nos chances). Un beau soir, on a sauté le pas : nous avons invité Ron Howard et ses deux pilotes de F1 dans notre chambre à coucher. Et c'est bien la première fois qu'on laisse autant de traces de frein dans notre plumard... car Rush est, tenez-vous bien, une petite bombe.


L'amitié des trois stars s'est poursuivie après le tournage. Ils sont ici en vacances dans la capitale anglaise, venus à la rencontre du fan londonien de leur film.

Dans chaque ville se terre un fan absolu de ce film, qui l'aime et le défend sans vergogne auprès de tous ceux qui ne veulent plus l'inviter. Quand nous partons en vacances, c'est la mort dans l'âme, car nous quittons nos postes respectifs de fans, dans les deux villes les plus ensoleillées de France, vidées pour un temps de leur représentant légal de Rush. Il existe des forums consacrés à ce film, des cercles de lecture, des partis politiques, des centres de désintox. On se serre les coudes entre fans, on se convainc les uns les autres, on se remotive aussi, quand il y a une petite baisse de motivation sur Rush. On se regroupe, on se retrouve autour du film, élément fédérateur : ce n'est pas un film culte, c'est un culte à proprement parler.


Ron Howard, à l'écoute, avoue avoir passé un tournage de rêve : ses trois idées griffonnées sur un post-it étaient toujours contrecarrées par des acteurs impliqués.

En têtes d'affiches, ceux que nous avons au préalable qualifiés de ploucs. A notre gauche, le blond le plus laid actuellement en salles, Chris Hemsworth, membre proéminent d'une fratrie qui nous débecte, celui-là même qui a participé à la médiocrité du dernier Michael Mann ; à notre droite, l'acteur allemand venu de la forêt noire, Daniel Brühl, qui est une jauge à bon goût chez les dames (celles qui prétendent avoir flashé sur lui dans Good Bye Vietnam sont aussi sec disqualifiées), l'éternel collégien en flagrant délit d'excès de sébum, dont le nom d'emprunt américain (Jim Sturgess) ne trompe personne. Eh bien ces deux glandus composent le casting d'une vie. Il fallait deux imbéciles comme eux pour donner vie à des pilotes qui étaient réellement cons comme leurs pieds dans le fait réel dont s'inspire le film. La rencontre entre les acteurs et les hommes qu'ils incarnent l'a d'ailleurs prouvé : ils sont devenus les meilleurs amis du monde (même si les deux vrais pilotes sont bourrés d'acouphènes et n'entendent strictement rien - quoique l'un des deux prétende lire sur les lèvres tandis que l'autre affirme avoir lu et relu son bouquin de chevet : Les gestes qui nous trahissent, pour s'en sortir dans sa chienne de vie). Les comédiens sont parfaitement choisis. Hemsworth, avec son air bonhomme de gros labrador, Brühl, avec ses sourcils étroits, dans le rôle du petit clebs teigneux. Ce dernier aurait d'ailleurs dû s'appeler Daniel Brühlàmoitié puisque son personnage fini à moitié cramé dans sa bagnole. Mais aucun acteur ne s'appelle Daniel Brühlàmoitié, ni Daniel SemiBrühlé.


Le seul moment du film où Daniel Brühl lève le pied pour ralentir.

Rendons à César ce qui appartient à Ron Howard : après avoir lu ce scénario, Ron Howard s'est découvert une passion pour la F1, et pour cette histoire de rivalité entre deux pilotes rendus encore plus bêtes et aveugles qu'ils n'étaient déjà par excès de ressentiment. La haine que les deux hommes se vouent les conduit à un véritable zèle de débilité, quitte à cramer toutes les règles de la F1 : démarrer au feu vert ; ne pas chevaucher un autre véhicule sur la ligne d'arrivée ; ne pas conduire en état d'ébriété ; ne pas affubler ses adversaires de tous les noms d'oiseaux en conférence de presse ; ne pas éclater la bouteille de champagne du vainqueur sur la tronche du deuxième ; ne pas faire de tête-à-queue en plein stand et ainsi sacrifier la vie de quelques réparateurs seulement pour gagner une paire de secondes ; ne pas traverser une tribune bondée de spectateurs médusés pour couper un virage ; ne pas conduire nu et sans casque pour économiser quelques précieux grammes qui feront la diff' au chrono ; ne pas faire de son réservoir une arme de destruction massive radioactive pour un départ canon ; ne pas transformer sa F1 en dragster pour fumer tout le monde au sprint final quitte à finir dans le décor dès le démarrage en sacrifiant de nouveau quelques vies (celle du type qui brandit son drapeau avec enthousiasme et un sourire figé sur le capot avant, et celles de tous les pilotes derrière, aveuglés par le parachute salvateur ouvert un peu trop tôt). Ron Howard, qui a su donner une identité visuelle à son film, fait de toutes ces courses des moments d'anthologie, d'où les traces de frein dans nos draps et notre nouvelle passion pour la F1 (qui fut comme un feu de paille, puisque depuis, on ne suit pas du tout l'actualité des courses - d'ailleurs Michael Schumacher est-il toujours le numéro 1 ?).


Les vrais Niki Lauda et James Hunt : La Guerre des Roses sur l'asphalte, et un mariage homo à la clé.

Les couleurs dominantes de ce film sont le rouge, le blanc et le feu. Autre atout : la présence au casting d'Erich Maria Remarque, l'actrice allemande prix Nobel de nos cœurs, trimbalée dans ses valises par Daniel Brühl. Premier jour du tournage : un Ron Howard tout sourire affirme à son acteur : "Tkt, on va lui trouver un rôle...". Et Hemsworth de conclure : "Quitte à trahir l'histoire vraie : bat les couilles". La rivalité des deux personnages nous captive jusqu'à la fin car ils vont toujours plus loin, nous rappelant que le sentiment de haine est celui qui pousse aux pires écarts de conduite. Le film véhicule ainsi un triple message sur l'amitié : Hemsworth n'existerait pas sans Brühl, Brühl serait intègre physiquement sans Hemsworth, et ces deux benêts mettent du temps à s'en rendre compte puisque ce n'est qu'au crépuscule de leur vie qu'ils s'adressent enfin un sourire. Qui plus est, pour une fois la ressemblance physique entre les comédiens et leurs personnages n'a pas dicté le choix d'un directeur de casting que nous tenons de nouveau à saluer bien bas (et qui depuis vit à Hawaï, estimant avoir fait le tour du job). Daniel Brühl est particulièrement admirable, car il porte de fausses dents pour ressembler à Niki Lauda, l'homme aux chicots impressionnants, ces dents de malade qui franchissaient toujours la ligne d'arrivée avec quelques secondes d'avance (la fédération avait même fini par disqualifier ses canines pour qu'elles arrêtent de fausser les chronos) : on ne comprend pas un traitre mot de ce que dit le comédien durant tout le film. C'est bien la ressemblance d'âme entre les deux acteurs qui les a réunis. Seul regret : l'absence au casting d'Olivia Wilde (aka Roswell). 


Rush de Ron Howard avec Daniel Brühl, Chris Hemsworth, Alexandra Maria Lara et Olivia Wilde (2013)

14 décembre 2016

Sausage Party

Pour la première fois de notre vie, nous avons rejoint les rangs de la Manif pour Tous. Dieu sait que nous haïssons tout ce qu'elle représente, mais quand ils ont décidé de s'en prendre à Sausage Party (ce qui en dit quand même long sur leur combat), ils étaient les seuls à voir juste au milieu de dizaines de critiques et de commentateurs saluant un film d'animation ultra gras. Ce n'est pas sur le plan moral que nous condamnons ce film (contrairement à ceux de la Manif pour Tous, qui restent des bœufs), mais sur un strict plan cinématographique. On se demande bien ce qu'il y a de si génial dans ces métaphores d'une lourdeur sans pareille : les saucisses vedettes veulent à tout prix se "fourrer" dans des pains à hot-dog qu'ils espèrent bien "étroits" ; l'une des saucisses, plus courte que les autres, subit les quolibets de ses camarades ; le pain à pita se dispute avec le bagel pour un territoire dans les rayons ; et un savon liquide blanc louche sur les ménagères en espérant pouvoir se "répandre" sur leur visage et intégrer leurs plis les plus intimes. Ces dialogues d'une débilité sans nom sont illustrés d'images ridicules de petits faiseurs qui, en studio, ont passé du temps à dessiner un camel toe. Rien que d'y repenser, on a les LARMES. On ne s'étonne pas d'apprendre que la bande de Seth Rogen est derrière tant d'intelligence brute et de finesse. Mais puisque c'est "culte"...


Sausage Party de Conrad Vernon et Greg Tiernan avec Seth Rogen, Jonah Hill, Kristen Wiig, James Franco et Michael Cera (2016)

9 décembre 2016

The Walk : rêver plus haut

Avec la sortie d'Alliés, les gens semblent avoir pris conscience de la maladie dégénérative de Bob Zemeckis. Pourtant, Das Walk était un premier signal. Ce film nous évoque le fumier que les agriculteurs n'utilisent pas parce qu'il est trop sec, trop aigre, pour que quoi que ce soit pousse dessus si ce n'est de la rancœur et de la haine. Au sommet de ce faramineux tas de fumier : un enfoiré, aka Joseph Gordon-Levitt. Quoi de mieux pour incarner un Nemourien qu'un texan de l'est ? Surmonté d'une perruque orange abominable, mais qui a le mérite de trancher avec le gris poutrelle et le bleu acier qui dominent les teintes du film, l'acteur est à gerber. Ne se contentant pas d'agresser nos yeux, il triture aussi nos oreilles. La starlette affirme avoir appris quelque charabia de français afin d'être crédible : on est loin du compte. Gordon-Levitt, coincé dans un pull rouge à col roulé (parce que le vrai Philippe Petit en a porté un, une fois, et a été photographié dedans), parle français avec un sale accent anglais, et s'efforce de parler anglais avec un sale accent français. Nous n'avons jamais rien entendu de plus laid, depuis le dernier râle de notre chat Toxic sur son lit de mort.


 Le même film avec Jennifer Love Hewitt, et c'est pas la même...

Également à l'affiche du film, Charlotte LeBon (the enigma). Elle essaie de persuader son con de mec d'abandonner le projet de marcher sur un fil entre les deux tours du World Trade Center (encore un film post-nuke...) : mais il le fait quand même. Le film est entrecoupé de saynètes se déroulant sur le haut du toit de la Statue de la Liberté, où un Philippe Petit tout sourire s'envoie des fleurs et revient sur sa propre vie (tous ces moments où il s'est entraîné à marcher sur la corde à linge tendue dans son jardin et sur le câble d'alimentation de son fer à repasser branché dans sa salle de bain). Après avoir subi les préparations laborieuses et les engueulades ridicules du couple pendant une heure, où toute tension est annihilée par le fait que chaque spectateur connaît plus ou moins cette histoire en bois et par la fatigue cognitive de Bob Zemeckis, nous devons nous farcir JLG en tenue de danseuse noire, en legging, faisant le clown sur son fil et narguant les flics qui font des pas chassés sur les toits des deux tours, de part et d'autre du filin, en suivant ses moindres soubresauts ridicules. Cette interminable scène a eu le mérite de nous rappeler toutes ces fois où on a surexcité des chiens sans arrière pensée pour finalement - les bras ballants et le regard triste - les voir partir au quart de tour vers le premier greffe égaré sur une branche entre trente-six gueules de loups à l'affût, prêtes à n'en faire qu'une bouchée. Nous rêverions de nous enfumer le Levitt.


The Walk : rêver plus haut de Robert Zemeckis avec Joseph Gordon-Levitt et Charlotte LeBon (2015)

5 décembre 2016

Sully

Gros point positif : le film se termine plus tôt qu'on ne le croit. Et quand le film est à ce point merdique, c'est un sacré point positif. C'est même un miracle que ça dure 1h30 tant Eastwood n'a strictement rien à raconter. C'est tout simplement hallucinant le nombre de conneries qu'on peut lire dans la presse au sujet de ce film. C'est à se dégoûter définitivement de la critique cinéma qui ne sait plus quoi déblatérer pour lécher les pompes d'un Eastwood sénile, en bout de course, plus naze que jamais. On entend parler de "film d'action", de "mise en scène à la maîtrise olympienne" (merci Malausa, le malotru), d' "image magnifique", de "beauté plastique", "nous sommes - le mot est adéquat - transportés" dans la merde ! Comment peut-on ? Comment peut-on écrire toutes ces conneries à propos d'un pareil film ?


"J'en suis à mon deuxième film !" Non mec, t'en as déjà 100 derrière oit.

Sully cumule toutes les pires tares du cinéma américain post-11 novembre : cette image perpétuellement grise, ces héros fins et discrets d'une histoire vraie, ce peuple de New-York sanctifié, ces avions qui tutoient les buildings, ce Times Square filmé comme si c'était la 8ème merveille du monde alors que c'est peut-être l'endroit le plus hideux sur terre, objectivement, sans parler des personnages pendus à leur téléphone dans 3 scènes sur 2 et du rôle de la femme, toujours là pour cirer les pompes du capitaine. Le film est vide de tout, se basant sur l'histoire d'un amerrissage sans conséquence, et prenant pour héros un type parfait qui démontre sans se fouler qu'il a agi au top. Eastwood est infoutu d'insuffler le moindre sentiment de suspense et filme ses scènes de bravoure comme un vieux papy sous morphine. La fin du film, c'est le clou, avec ces images du véritable équipage qui vient s'entre-branler sur fond de générique, chaque rescapé citant son numéro de siège face caméra avec des gueules enfarinées. Eastwood, le patriote, celui qui devrait s'appeler Clint Westwood tant il est à l'ouest, nous avait déjà fait le coup à la fin de l'infâme Americain Sniper.


 
Combien de films de merde as-tu mis en boîte ce mois-ci pépé East ?

Il y a quand même une belle séquence à sauver dans ce merdier d'ennui, de platitude et de laideur. Un truc à retirer des flammes de ce brasier du cinéma ricain, qui crame sous nos yeux au rythme des cuts d'Eastwood, que le vieux croit bon de scander à coups de grands bruits de moteur, y compris quand il n'y a pas le moindre aéroplane dans le champ. Un truc à tirer des eaux fades dans lesquelles Eastwood se noie sous nos mirettes inquiètes, sans oublier, entre deux remontées à la surface laborieuses, de nous asséner ses petites doubles-croches, penché, à moitié mort, sur son orgue tire-larmes à la noix. C'est la scène de procès où les juges de Sully lui montrent une bonne dizaines de simulations qui prouvent qu'il a fait le con en allant larguer son planeur sur la flotte glacée de l'Hudson (quand bien même il n'y a eu aucune victime ! des gens passent des jours à harceler un vieux briscard doué de ses dix doigts de pied pour rien, c'est passionnant) alors que 18 aéroports vides l'attendaient les bras en croix aux quatre coins. Premier essai : un duo mixte prend place dans le cockpit et parvient les doigts dans le nez à poser l'engin tel une plume (clin d’œil à Forrest Gump) sur la piste 13 ou 14 (on s'en tape) de La Guardia. 2ème essai : un enfant aveugle fait de même, les yeux bandés et des bouchons dans les oreilles, allant atterrir comme une fleur à Terterboro, non loin. 3ème essai : un macaque prend les commandes et gère l'atterrissage sur le toit d'un building, sans le moindre heurt, tout en se grattant le cul plein cadre. 4ème essai : le cockpit est vide, le mode pilote automatique est enclenché et le zinc, tous moteurs éteints, fait un looping sur lui-même puis va se poser comme une planche de surf devant le domicile de chaque passager pour les ramener chez eux un par un avant de retourner à bon port. 5ème essai : un moko collé au manche de l'A320 s'en sort très bien, et pose le ventre de l'appareil sans la moindre éraflure, tout en adressant un clin d’œil à un Sully humilié. Dernier essai : Airbus fait appel au commandant du Costa Concordia pour voir comment il s'en tire aux manettes d'un paquebot volant : là encore, du velours, le pilote effleure bien un ou deux rochers mais il finit diplômé et distribue sous les yeux médusés de l'assemblée des pizzas aux lasagnes à tous les passagers du vol, comblés. Au final, Sully, accablé par toutes ces démonstrations de sa profonde nullité, en réchappe en répliquant qu'aucun n'avait pour copilote ce con de Aaron Eckhart.


"Combien d'entrées pour Jersy Boyz, Clint ? - Deux ! - Wesh !"

Dans ce naufrage, il n'y a bien que Tom Hanks qui, littéralement, surnage, d'où le succès de l'amerrissage. L'acteur est époustouflant. Il remplit les critères définis par Max Weber et Alexis de Tocqueville : charisma, bravoure et sagacité. Il continue d'écrire sa légende, même quand il est sali par la puanteur totale des films dans lesquels il joue. L'acteur est sur un nuage, notamment lors de la principale scène d'amerrissage (car Eastwood la remontre au moins 8 fois - exactement la même), où son jeu de regards parvient à exprimer en 4 minutes tout ce que l'humain a pu éprouver depuis son arrivée sur terre : un mélange de culpabilité et d'auto-accusation. Le ver était dans la pomme. Dans la pomme de Tom Hanks, plus grand acteur de sa génération (derrière Denzel). Tom Hanks tutoie les cieux malgré un souci d'essieux. Tout de même un peu curieux qu'un film soit ainsi consacré à un procès qui se termine sur un éclat de rire général et sur des tapes dans le dos entre procureurs et accusés. 


Sully de Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart (premier film dont il sort indemne) et Laura Linney (2016)

27 novembre 2016

True Story

True Story. Beau titre. Un intitulé lynchéen. En parlant de Lynch, l'autre jour ma tata jobarde, la femme de mon tonton Scefo, m'a conseillé d'aller voir "le dernier film social de Lynch sur le Pôle Emploi". Elle me sort ça à table, en plein repas dominical. J'étais comme un fou. D'habitude je me renseigne un peu sur les sorties ciné... Et ma tata jobarde me sort un scoop, elle me laisse carrément sur le cul entre le fromage et le dessert. J'étais surexcité, curieux à en crever de voir le nouveau film de Lynch, un vrai tournant dans sa carrière, un virage à 180° vers le cinéma sociétal réaliste engagé ! Con de tata... Lynch, Loach, à deux lettres et quelques neurones près, on y était... Bref. Revenons au film de Rupert Goold et à son magnifique titre. Les distributeurs français ont hésité à le traduire par Pur scénar, Gros script, Récit exact ou Beau film. Au final ils n'ont rien traduit du tout. Ils ne l'ont pas regardé non plus.


Un beau ticket de cinéma vendu pour True Story, en double programme avec Scream 4, pour 12$50, soit 11€80 les deux films, une affaire. Un(e) gros(se) veinard(e) a vu ce film sur écran géant, le 4 du mois de ??? 20?? On l'applaudit.

Comme dit l'adage, "vérité en-deçà des Pyrénées, mensonge au-delà". De quel côté est l'en-deça des Pyrénées ? Aucune idée... Cette histoire véridique, sur laquelle Rupert Goold a misé toute sa vie, c'est celle d'un type accusé à tort, qui passe des siècles en taule avant que le vrai meurtrier aille se dénoncer. Énorme. Enfin, pas sûr de bien résumer. La tagline est pas mal non plus : "Aurez-vous le courage d'y croire ?" D'où ma question : si le film était basé sur une histoire fausse, l'auraient-ils vendu en nous disant : "Aurez-vous le courage de ne pas y croire ?" Je reste sceptique face à cette accroche, de même que je suis mal à l'aise devant le travail de l'infographiste qui a superposé et mélangé les tronches de Jonah Hill et James Franco sur l'affiche. D'ailleurs c'est un film plein d'effets de fondu, des fondus au noir, des fondus au blanc, des fondus enchaînés, des fondus bourguignone. Ce serait un titre plus exact : Fondue. Je sais que pour certain(e)s les très sexy James Franco, Felicity Jones et Jonah Hill sont des arguments de vente massifs, mais je vous défie d'avoir le courage de mater cette merde, du moins jusqu'au bout. Un point positif quand même pour terminer, et parce que tout n'est pas à jeter : le dvd est disponible en 48h à la livraison sur certains sites.


True Story de Rupert Goold avec James Franco, Jonah Hill et Felicity Jones (2015)

23 novembre 2016

Bleeder

De retour en salles cette année, Bleeder est le deuxième long métrage de Nicolas Winding Refn, réalisé en 1999, soit trois ans après son coup d'éclat initial, Pusher, plongée violente et réaliste dans le monde des trafiquants de drogue danois qui plaça le réalisateur sur orbite. On y retrouve les trois acteurs principaux de la trilogie Pusher : Kim Bodnia, Mads Mikkelsen et Zlatko Buric. On replonge aussi dans les mêmes décors : les rues ternes de Copenhague, ses appartements lugubres et ses döners peu ragoûtants, ses journées grises et ses nuits sanglantes (si vous voulez vous passer l'envie d'aller visiter la capitale danoise, regardez l'un des premiers films de NWR !). Mais contrairement à chaque épisode de la saga Pusher, qui se focalise toujours sur un seul personnage, le collant littéralement aux basques du début à la fin et épousant totalement son point de vue, Bleeder s'éparpille davantage et nous propose de suivre deux types appartenant à la même bande de zonards. 





Kim Bodnia interprète Leo, un trentenaire qui, c'est le moins que l'on puisse dire, accepte fort mal sa paternité à venir et s'enfonce dans une crise existentielle sans échappatoire. Mads Mikkelsen campe Lenny, un grand obsédé de cinéma tenant un vidéo-club et qui tente, très laborieusement, de séduire la blonde bossant au kebab du coin. Deux gros paumés, ne sachant pas trop quoi faire de leurs vies, soignant et exprimant leur mal-être de différentes manières, qui trouvent refuge dans la violence, le cinéma, ou les deux à la fois. Bien que le personnage joué par l'inévitable Mads Mikkelsen ait une présence moindre à l'écran, on sent que Nicolas Winding Refn est beaucoup plus attiré par lui, et nous de même par conséquent. Inutile de partir dans de grandes analyses pour se dire que l'acteur fétiche du cinéaste incarne ici une sorte d'alter ego. Cinéphile transi, il permet au réalisateur de citer explicitement, à travers lui, ses plus grandes influences, sans détour et avec une grande simplicité. 





Cette cinéphilie dévorante, partagée par le personnage et son auteur, transparaît via des films qui tournent souvent en arrière-plan, diffusés sur le mini-poste du vidéo-club ou dans la petite salle de projection de Lenny, des œuvres contenant toute la violence qui finira par se propager bien au-delà. Un univers cinématographique et des influences qui prennent également la forme d'une longue récitation quand Mikkelsen énumère mécaniquement à un client hagard tous les réalisateurs mis en avant dans sa boutique, ou quand il répond, sans aucune hésitation, que son film préféré est Massacre à la tronçonneuse à la jeune fille qu'il tente d'approcher. C'est d'ailleurs Liv Corfixen, filmée avec une attention toute particulière et future épouse de NWR, qui obnubile le pauvre Lenny, amateur de cinéma de genre et grand handicapé social dont les maladresses amènent quelques moments d'humour dans ce monde si noir. 





Si Bleeder s'avère moins intense, moins maîtrisé, en bref, moins réussi que n'importe quel Pusher, il est tout de même traversé par des scènes saisissantes, d'une tension et d'une violence qui font parfois froid dans le dos (je pense ici au sombre destin de Leo). Mais c'est peut-être lors de ces moments plus légers, nous montrant les errances, le morne quotidien et les discussions anodines de la petite bande, que NWR nous séduit davantage. Il se rapproche alors d'une certaine façon du cinéma américain indépendant de cette période et de ses "slackers", il rappelle aussi, et plus directement, ces petits apartés et ces dialogues triviaux entre camés qui faisaient le charme du premier Pusher. Dans une veine encore très réaliste, caméra portée, nerveuse ou attentive, près des corps, un style bien éloigné de celui auquel on l'associe depuis Drive, NWR filme ses personnages avec un regard et une sincérité qui emportent l'adhésion. Car Bleeder, c'est aussi et surtout des personnages remarquables, qui existent durablement une fois le film achevé. Les acteurs sont au diapason et le jeu de Mads Mikkelsen, déjà excellent et auquel le réalisateur offrira bientôt son rôle le plus marquant dans Pusher II, contribue évidemment à rendre son personnage plus attachant. Nous sommes rassurés que le film choisisse de se terminer sur lui, avec la promesse d'une idylle enfin possible...


Bleeder de Nicolas Winding Refn avec Kim Bodnia, Mads Mikkelsen et Liv Corfixen (1999)

18 novembre 2016

Ce sentiment de l'été

En pleine convalescence, au sortir de l'hosto, la tronche encore enfarinée par l'anesthésie générale, québlo sur mon canapé, je cherchais un film susceptible de me détendre, de me faire voir la vie en rose, de me laisser fumer des mauves tranquille. Sur une pauvre clé USB, déjà tanquée dans mon lecteur dvd/bluray, deux films. J'avais le choix entre Green Grass de Paul Greenzone, film sur la guerre en Irak et les mensonges éhontés de ces enfoirés de Bush et Blair à propos des armes de destruction massive de Saddam, qui avait 9 chances sur 10 de me foutre la rage, et Ce sentiment de l'été. On est en novembre, il fait pas toujours clair dehors, pas toujours chaud dedans, avec un titre pareil, mon choix fut vite fait. En prime, le casting pouvait se pointer dans mon salon sans que je trouve à gueuler : Anders Danielsen Lie, le jeune homme d'Oslo 31 août, deux acteurs rohmeriens, Marie Rivière et Feodor Atkine, la sympathique Laure Calamy d'Un monde sans femmes et de Rester vertical, et au milieu de tout ça la jeune première Judith Chemla, la Chem'.




Le film commence plutôt bien. On observe une jeune femme qui se réveille toute nue auprès de son compagnon (Danielsen Lie), qui va se faire un café, traîne sur son balcon au soleil, se douche, part au boulot, fait son taff - qui semble agréable - avec le sourire, mange un morceau, s'y remet, baignée d'une lumière ma-gni-fique, toujours aussi zen, lumineuse, puis elle sort du boulot, elle fait dix mètres dans un parc et tombe raide morte. Rupture d'anévrisme ? En tout cas les symptômes sont les mêmes. Elle a cané. Euh, ok. Après on suit la famille et le petit copain, qui souffrent, se regardent en silence, ne pigent rien, sont dévastés par la tristesse. Et apparemment le film va consister à les regarder en chier plus ou moins. Et ça s'appelle Ce sentiment de l'été. Titre presque aussi traitre et salaud que celui de Quelques heures de printemps. J'ai quand même tenu une grosse demi heure à partir du moment où celle qui nous était présentée comme l'héroïne joviale et rayonnante se vautre décédée au bout de trois minutes de métrage. Puis après avoir bien cherché les rayons de soleil dans tout ce merdier j'ai tout arrêté. Le film est peut-être bien malgré tout. Je n'en sais rien. J'ai préféré lancer le dernier épisode de Jason Bourne. C'est de la merde mais là au moins on s'attend aux ruptures d'anévrisme, et on sait qu'elles ne débarqueront pas sans prévenir, en général elles sont précédées par un coup de feu, ou alors par un coup sec du tranchant de la main de Jason Bourne sur les cervicales de ses potes, accompagné d'un bruit de cagette brisée. CLAC.


Ce sentiment de l'été de Mikhaël Hers avec Anders Danielsen Lie, Judith Chemla, Marie Rivière et Feodor Atkine (2016)

14 novembre 2016

L'Affaire SK1

L'Affaire SK1, premier film de Frédéric Tellier, nous montre en parallèle la traque policière et le procès du tueur qui a terrorisé l'est parisien dans les années 90, Guy Georges. Il s'agit d'une nouvelle tentative ambitieuse de polar à la française, n'hésitant pas à aller puiser son inspiration dans des faits réels assez récents et cherchant à provoquer le vertige chez le spectateur plongé dans une enquête qui n'en finit pas et placé face au portrait d'un monstre au visage humain. On aurait aimé s'enthousiasmer pour ce film mais force est de constater que s'il parvient sans souci à captiver son auditoire et qu'il nous rafraîchit la mémoire sur le déroulé de cette enquête, il ne restera guère gravé dans nos mémoires de cinéphiles. Loin de là. 




Il y a quelque chose d'assez pathétique dans la volonté ostentatoire de Frédéric Tellier de créer une fascination pour le 36, quai des Orfèvres. Il n'y a rien à faire, ça ne prend pas. Ça sonne faux. On ne marche pas. Et nous ne sommes pas étonnés d'apprendre que M. Tellier était directeur artistique du film lourdingue d'Olivier Marchal. On ne croit pas à cette équipe de flics obsédés par leur enquête qui passent leurs week-ends ensemble en bateau pour mieux resserrer les liens et dont les vies privées sont totalement bouffées par le boulot ; on ne croit pas à ces personnages à peine dessinés qui s'encouragent les uns les autres à coups de tirades très stéréotypées et parfois grotesques : "Faut qu'on la résolve cette affaire, merde !", "On gratte, on gratte, on gratte ! On secoue le cocotier et on verra ce qu'il en tombe !". Les dialogues sont un sérieux handicap, ils paraissent beaucoup trop écrits, quand ils ne tombent pas tout simplement dans la caricature. "Toutes ces horreurs que tu voies au 36, j'ai peur que ça t'abîme..." dit la femme du flic à son mari rongé par l'enquête. Les acteurs ont tous un mal fou à réciter leurs répliques de façon crédible, même ceux que l'on a déjà vu très bon ailleurs (je pense par exemple à Olivier Gourmet). Raphaël Personnaz a beau tout essayer, avec la barbe ou rasé de près, il n'a toujours pas le charisme ni les épaules pour porter un tel film. Mais il n'est pas vraiment à blâmer. 




C'est bien Frédéric Tellier qui se montre incapable de développer la tension nécessaire et, surtout de donner du souffle à son petit bébé. L'affaire SK1 s'étale sur plus d'une décennie, mais nous ne ressentons jamais cette impression du temps qui traîne, qui passe, qui s'accumule comme les cadavres de jeunes filles retrouvées égorgées et violées. Tellier aligne les vignettes en s'appliquant à reconstituer l'affaire au plus près, mais il sacrifie le suspense, oublie de créer une atmosphère, de faire du cinéma. Devant L'Affaire SK1, on pense davantage à un reportage soigné d'M6 qu'à un de ces grands thrillers américains auquel Tellier aimerait tant ressembler. Quand il s'intéresse à Guy Georges et tente timidement de dresser un portrait psychologique du tueur, Tellier donne de nouveau l'impression d'effleurer son sujet, d'échouer dans l'essentiel. Jamais nous ne ressentons ces sentiments contradictoires d'attirance et de répulsion pour ce serial killer que visent apparemment le cinéaste. C'est bien dommage. Tout cela reste tout à fait regardable et un peu mieux qu'un épisode de Faites entrer l'accusé, mais ça n'est pas vraiment du bon cinéma...


L'Affaire SK1 de Frédéric Tellier avec Raphaël Personnaz, Adama Niane, Nathalie Baye, Olivier Gourmet, Michel Vuillermoz et Christa Theret (2014)