29 juillet 2023

Mission : Impossible – Dead Reckoning Partie 1

La saga Mission : Impossible, c'est un peu comme les Jason, on finit par avoir un mal de chien à les identifier, à les dissocier les uns des autres. C'est un bon test cognitif pour soi-même. Le premier, c'est facile, c'est celui de De Palma où Tom Cruise joue encore collectif, avec Jean Reno, Béart et compagnie. Le TGV dans le tunnel sous la Manche, la goutte de sueur qui menace de déclencher l'alarme. Ok, facile, on a pu en causer ici sans souci en s'appuyant seulement sur nos très vagues souvenirs. Je l'ai revu depuis dans le cadre de ma réhabilitation personnelle de Brian de Palma et je considère toujours que ce film est loin de faire partie de ses meilleurs et qu'il correspond hélas au début du déclin de l'auteur de Body Double. Quant à Mission : Impossible II, la bande-annonce, à l'époque laborieusement téléchargée en 56k, m'avait scotché : on y voyait Tom Cruise escalader en solo intégral une falaise verticale et se mettre en danger de mort inutilement suite à une glissade, pour mieux se rattraper à une corniche dans un geste impossible, nous montrer ses muscles saillants et nous adresser un regard-caméra plein de défi. J'étais alors facilement impressionnable et le remix du fameux thème musical de la série, plutôt chiadé, jouait aussi son rôle. Le reste était à chier. John Woo et ses quelques envolées de colombes. Tom Cruise et ses cheveux longs qui le rapetissent encore davantage. Thandie Newton aux abois. Bref, un raté. 


Représentation abstraite de ma mémoire à l'évocation d'un Mission : Impossible ? Non, représentation signée McQuarrie de l'Éntité, l'intelligence artificielle malfaisante du film. Mouais...

Dès le troisième opus, ça se corse davantage, ma mémoire me joue des tours, et je ne peux pas lui en vouloir. Je ne garde quasi aucun souvenir de l'épisode signé JJ Abrams (comme  tout ce qu'a fait cet homme-là), si ce n'est de brèves images de Phil Seymour Hoffman sous-exploité en vilain, de Michelle Monaghan en épouse éplorée, et de Tom Cruise glissant arme au poing dans les lens flares. Peut-être le pire. À partir du 4, l'amalgame nous tend encore plus les bras. Peut-être parce que Christopher McQuarrie, le lieutenant de Tom Cruise, passe aux commandes, d'abord au scénario. Ghost Protocol, c'est un générique en CGI en forme de clin d’œil à la maison Pixar dont est issu Brad Bird, le réalisateur embauché par la gigastar pour redonner du peps à sa saga. Une escapade à Dubaï, la robe fendue de Paula Patton, une apparition délicate de Seydoux. Voilà tout ce qui m'en reste. Le 5, le 6 et à présent le 7 forment dans mon esprit une seule et même bouillie. Tout à fait digeste mais sans réelle saveur. Il y a une grosse baston dans des toilettes, peut-être dans le 6. Une course à motos, peut-être dans le 5. Et aussi le 6. Je ne sais plus. L'arrivée de Rebecca Ferguson, un atout non-négligeable, sacrifiée bêtement cette année, est à noter. Et encore et toujours les mêmes pesants défauts. Malgré cela, les M:I demeurent légèrement au-dessus du lot. Faut dire que quand la concurrence se nomme Fast & Furious XII, c'est pas si difficile.


Il y a à peu près la même ambiance dans la voiture quand je prends le volant sur les routes des vacances...

Cette fois-ci, Tom Cruise et sa bande sont donc à la recherche d'une clé ridicule qui permettrait de désactiver une intelligence artificielle aux idées de grandeur de plus en plus inquiétantes. Cette quête mène l'autoproclamé sauveur du cinéma de divertissement hollywoodien aux quatre coins du monde, comme d'habitude. Toujours aidé par les fidèles Simon Pegg (ici adorable) et Ving Rhames (en mode moins j'en fais, mieux je me porte), il s'associe à une pickpocket professionnelle, incarnée par Hayley Atwell, une recrue bienvenue : c'est bien simple, quand ce n'est plus elle qui dicte le tempo du film, celui-ci retombe dans la médiocrité. Les antagonistes que Tom Cruise croise sur son chemin sont, principalement, deux agents de la CIA au courant de rien, une mystérieuse mercenaire nommée Paris parce qu'elle est française, et un individu malfaisant surgi du lointain passé du héros. Ce soldat zélé au service de l'IA est le grand vilain du film et l'on peut s'étonner qu'il soit incarné par un latino a l'air goguenard, le teint hâlé, en chemise pastel légère et pantalon blanc en lin, on dirait un touriste qui profite d'un moment de tranquillité, débarrassé de femme et enfants. Tom Cruise doit être fan de La Bamba, c'est comme cela que j'explique qu'il ait pu filer ce rôle à Esai Morales, la co-star de Lou Diamond Phillips dans le biopic de Ritchie Valens. Vous l'aurez compris : il est l'un des boulets du film. Bien sûr, on ne sait rien de ses motivations personnelles, ce qui ne comble donc en rien le manque de charisme de ce vilain de pacotille.


Quand Tom Cruise prend le train, ça finit souvent sur le toit...

On connaît l'ambition de Tom Cruise d'écraser la concurrence quand il sort un nouveau film de sa saga fétiche, d'où son goût pour des scènes d'action interminables qui en offrent toujours plus. Cela donne ici lieu à quelques bons moments, il faut bien le reconnaître, mais ceux-ci sont parfois bien planqués, coincés entre deux passages plus fastidieux, déjà vus et revus, ou refoulés à l'issue d'une longue séquence d'action assommante, sans grand intérêt. On se tape ainsi une énième baston peu emballante sur le toit d'un train lancé à pleine vitesse, où Cruise et son ennemi font toujours bien attention à se balancer à tour de rôle dans le sens de la longueur, triste moment qui atteste de nouveau l'incapacité de McQuarrie à filmer convenablement les bagarres quand celles-ci ne se déroulent guère dans des teuchios (auparavant, des échauffourées dans les ruelles et sur les ponts étroits de Venise auront eu le temps de nous saouler). Mais, à la suite de cette bagarre minable, Cruise et Atwell se retrouvent prisonniers de wagons dont ils doivent s'extirper un à un avant qu'ils ne chutent dans le vide, et cela devient enfin très plaisant. Je retiendrai deux autres scènes où McQuarrie semble s'être sorti les doigts (excusez cette expression familière). Je pense d'abord à la longue séquence de l'aéroport d'Abou Dabi où l'on suit une double filature (Tom Cruise pourchassant la pickpocket tandis qu'il est lui-même marqué à la culotte par la CIA) parallèlement à la désactivation, par l'astucieux Pegg (ne me demandez pas pourquoi, je l'aime bien là-dedans, il sue tout le temps, panique, s'énerve, pète les plombs, il est le seul à paraître humain), d'une bombe nucléaire cachée dans un des bagages qui transite en sous-sol. Tous les événements s'enchaînent agréablement via un montage efficace. On ressent alors le plaisir que l'on était venu chercher en consentant de passer le seuil de la porte vitrée du multiplexe inhumain. Et il y a ensuite la course-poursuite en voiture, en deux temps, dans les rues de Rome, qui prend une tournure comique et amusante à partir du moment où, menottés, Atwell et Cruise conduisent ensemble une Fiat 500 jaune étonnamment pimpée. On y casse pas mal de matériel, ce qui est toujours une chose appréciable. 


Du jamais vu, même à la SNCF !

Dans les 163 minutes que comptent cet épisode, il y en a donc bien 20 de bonnes, ce qui est déjà pas mal quand on espérait rien. Le reste est soit passable, plombé par un scénario qui perd progressivement en limpidité, soit carrément médiocre, flingué par le manque d'imagination et d'audace de l'équipe réunie autour du projet, pilotée de trop près par un acteur démiurge qui uniformise à présent tout ce dans quoi il tourne, ne laissant plus leur chance à des cinéastes qui n'obéiraient pas au doigt et à l'œil. Dans le pire de Dead Reckoning, il y a cette longue et lourde scène de discussion dans une boîte de nuit vénitienne : la tension est aux abonnés absents et l'on ne peut s'empêcher de trouver criante de pauvreté la façon du réalisateur de filmer, sous des angles ridicules et entre une succession de gros plans usants sur des tronches qui bavardent, les écrans et projections d'images virtuelles abstraites qui décorent la pièce, ceci afin de rendre palpable et menaçante la présence de l'intelligence artificielle malveillante, qui cernent littéralement les personnages (on préfère l'Entité de Sidney J. Furie). Le pari était certes compliqué sur le papier et, sans surprise, McQuarrie, en bon artisan limité qu'il est, n'a pas su le relever. Heureusement, il y a là-dedans une petite touche d'humour, d'autodérision, qui participe pour beaucoup à notre indulgence. Éternel héros, de plus en plus pris de vitesse mais toujours là de justesse, Tom Cruise veut nous amuser et nous divertir, il n'y parvient que trop rarement, par intermittence, mais, dans le contexte actuel du gros cinéma hollywoodien, c'est déjà ça. 


Mission : Impossible – Dead Reckoning Partie 1 de Christopher McQuarrie avec Tom Cruise, Simon Pegg, Rebecca Ferguson, Esai Morales et Hayley Atwell

19 juillet 2023

The Appointment

À l'heure où les tops pullulent toujours autant sur les réseaux, déclinés dans mille variantes au point d'en devenir absurde, repris à toutes les sauces au risque d'en dégoûter le moindre cinéphage, cet obscur film fantastique anglais sorti au début des années 80 pourrait aisément prétendre à figurer en très bonne place dans quelques-uns de ces futiles classements. Par snobisme enquiquineur, je le placerais en effet volontiers dans le top dédié aux plus glaçantes scènes d'accident de voiture, voire dans celui consacré aux meilleures scènes de cauchemars. C'est pas mal, pour le premier et seul long métrage du cinéaste britannique Lindsey C. Vickers, qui a passé sa carrière en tant qu'assistant de réalisation et nous démontre ici qu'il aurait amplement mérité d'être bien plus souvent aux commandes de la mise en image d'histoires sordides issues de son cerveau malade. The Appointment est hélas son seul bébé, mais il mérite franchement d'être redécouvert, et pas seulement pour cet accident de bagnole terrible que tout cinéphile averti citerait donc parmi les plus mémorables jamais filmés. 
 



The Appointment nous captive d'entrée de jeu avec son introduction efficace dont le cadre verdoyant et champêtre contraste avec l'étonnante brutalité (une scène quasiment digne de figurer parmi les meilleures ouvertures du cinéma d'horreur, mais il faut que j'arrête avec ça, je m'agace moi-même...). Une voix off monocorde nous lit un rapport de police succinct concernant la mort inexpliquée d'une jeune fille, disparue à la sortie de l'école alors qu'elle empruntait un raccourci à travers bois pour rentrer chez elle, pendant qu'à l'écran, nous suivons donc cette écolière et voyons l'inexplicable se produire soudainement, dans une ambiance déjà mystérieuse à souhait. Un effet saisissant et surnaturel clôt ces petites minutes inaugurales qui annoncent ces images chocs dont le cinéaste usera avec soin et intelligence dans les pics d'angoisse à venir de son récit. Une ellipse nous projette ensuite trois ans plus tard. Et nous comprenons bien vite que l'étrange scénario de Vickers nous propose une relecture appliquée du complexe d'Électre : un père incarné par Edward Woodward, l'éternel policier aux abois de The Wicker Man, entretient une drôle de relation avec sa fille, joueuse de violon, et celle-ci, profondément vexée, voit d'un très mauvais œil son absence annoncée à son concert de fin d'année. Le papa n'a malheureusement pas le choix : il doit remplacer un collègue et partir en bagnole pour un long déplacement professionnel. C'est tout ce que l'on peut dire pour résumer ce film.
 
 
 

Sous ses dehors nébuleux et ses contours particulièrement difficiles à cerner, le scénar de Vickers s'avère finalement d'une grande simplicité, il est même tout à fait limpide si l'on sait interpréter les ultimes images (ce qui ne demande pas un effort surhumain). Le rapport policier est une fausse piste, l'ellipse initiale est trompeuse, l'atmosphère onirique est un voile enveloppant, l'image, elle, ne ment pas, ou rarement. Le récit se déroule principalement en deux temps, sur une durée somme toute très resserrée : une longue nuit d'insomnie, où l'on se trouve aussi impuissant et désorienté que les personnages en présence, suivie d'un trajet en voiture, où l'on est sur le qui-vive non-stop en raison des visions de cauchemars prémonitoires que l'on aura eues précédemment. Tout le long, Lindsey C. Vickers nous déconcerte par sa gestion du temps. Son histoire pourrait faire l'objet d'un court métrage, mais ce serait gommer tout l'intérêt du film et négliger cet art précieux, ici maîtrisé jusqu'à l'excès par Vickers, celui de la dilatation du temps. Rarement nous aurons autant eu la sensation de partager la couche moite, de vivre la nuit interminable et de se réveiller des rêves si troublants de notre couple en plein tourment nocturne avant-coureur. Une longue partie qui pourrait presque être pénible si elle n'était pas ponctuée par des idées visuelles et sonores superbes, où la mise en scène ingénieuse de Vickers peut compter sur la partition endiablée de Trevor Jones, et si nous ne récoltions guère les fruits de nos efforts lors du suspense cruel que nous fait vivre le réalisateur dans la tortueuse partie suivante, road movie angoissant. 
 
 
 
 
Il paraît que la scène de l'accident de bagnole est devenue virale, qu'elle a été un temps partagée en boucle sur Twitter et compagnie. Elle est en effet d'une telle efficacité qu'on l'imagine aisément fonctionner sortie de son contexte. Mais c'est tout de même dommage. Il faut voir avec quel soin maniaque nous l'amène le cinéaste. Le suspense grimpe progressivement tandis que les éléments des rêves trouvent leur place les uns après les autres. On pense inévitablement à Duel lors d'un bref stop dans une cabine téléphonique, qui pourrait être un temps mort mais n'en est donc pas un, puisque l'on guette l'arrière-plan avec une grande anxiété. Et, lors de l'accident à proprement parler, le temps semble à la fois suspendu et glisser, inexorablement, vers le pire. Là encore, la partition inquiétante de Trevor Jones marche main dans la main avec la mise en scène vicieuse de Vickers, peut-être influencée par Les Choses de la vie de Claude Sautet. La scène est ponctuée d'inserts qui s'impriment sur nos rétines comme autant d'images marquantes, dans un montage ma foi assez virtuose. On n'oublie pas, non plus, cet enchaînement de plans rapides de la voiture tenant en équilibre sur la glissière de sécurité, vue sous différents angles, avant sa chute inéluctable. Un moment de sidération, qui nous scotche et nous laisse coi, le point culminant d'effroi de cette pépite inclassable du cinéma de genre.
 
 
The Appointment de Lindsey C. Vickers avec Edward Woodward, Jane Merrow et Samantha Weysom (1981)

12 juillet 2023

The Covenant

Voilà un film que la plupart des observateurs ont découpé en deux parties, préférant généralement la première, jugée efficace et prenante, à la deuxième, considérée plus brouillonne et convenue. Je suis plutôt d'accord avec ça mais j'apporterai plus tard ma contribution à cette analyse pointue. Dans la première partie, qui se déroule entièrement en Afghanistan, en mars 2018, le sergent américain campé par Jake Gyllenhaal essaie de débusquer et démanteler les dépôts de munitions et de construction de bombes des talibans à l'aide de son interprète, qui dépasse largement ses fonctions en s'avérant être un sacré opérateur de terrain quasi doué d'un sixième sens. Suite à une intervention qui tourne mal, lors de laquelle la petite troupe menée par Gyllenhaal est presque totalement décimée, ce passable film d'action et de guerre tourne au survival pur et simple puisque notre interprète deluxe, joué par un acteur charismatique (Dar Salim), se donne pour mission de sauver le sergent fort mal en point, en le ramenant à sa base. Pour cela, il lui faudra traverser en toute discrétion et en vitesse le territoire hostile, escarpé et désertique des talibans, ce qui ne sera pas une mince affaire. Cette première partie est menée tambour battant, elle nous accroche forcément, malgré quelques fautes de goût notables de la part d'un Guy Ritchie que l'on a toutefois connu capable de bien pire, et en dépit d'un traitement des scènes d'action assez digne du plus sommaire des jeux vidéos, avec ces talibans qui arrivent par vagues successives et tombent comme des mouches sous les tirs plus précis et létaux des américains. Une ellipse de plusieurs semaines nous mène vers la deuxième partie, qui nous propose d'assister aux efforts monumentaux entrepris par Jake Gyllenhaal pour rendre justice à son interprète zélé : il ira pour cela jusqu'à le retrouver en Afghanistan afin de le rapatrier en Amérique avec un visa pour toute sa famille, comme promis initialement. Il faut bien que l'américain se montre héroïque, lui aussi !


 
 
Au milieu de ces deux grandes parties que les plus fins cinéphiles ont su repérer, je tiens pour ma part à mettre en avant le pont qui les sépare et qui constitue, à mes yeux, le meilleur moment de ce film, un film qui vous fera passer une soirée mais dont vous pouvez très bien vous passer. Je veux par là mettre en lumière ces longues minutes d'un comique involontaire discret mais salvateur où Jake Gyllenhaal se perd dans un véritable cauchemar bureaucratique, noyé sous des démarches administratives pénibles qui vont même l'empêcher de trouver le sommeil. C'est qu'il se bat pour obtenir un visa à son sauveur puis pour avoir le droit de retourner en personne le dénicher en Afghanistan. Il faut voir notre sergent revenu d'entre les morts essayer de garder son calme au téléphone, où il est renvoyé d'un standard à un autre, avant de perdre totalement ses nerfs et d'hurler des menaces terribles à ses pauvres interlocuteurs ! Lui qui a flirté avec la Grande Faucheuse ne s'attendait sans doute pas à ce que la pire épreuve l'attende dans l'intimité et le calme apparent de son salon, au bout du fil. Ce passage-là a placé mon père, qui a gentiment regardé ce truc-là à mes côtés (c'est le genre de film à voir en bonne compagnie), face au si douloureux souvenir de ses propres démarches administratives auprès d'Agirc-Arrco et sa longue bataille pour faire valoir l'intégralité de ses droits à la retraite. Jake Gyllenhaal nous propose une prestation habitée comme il en a le secret. Drôle d'acteur, d'ailleurs, que ce Jake Gyllenhaal, auquel un bel avenir était jadis promis lorsqu'on le voyait évoluer devant la caméra, faussement prometteuse aussi, de Richard Kelly, et qui perd hélas son temps aujourd'hui dans des collaborations au mieux anecdotiques avec des pointures du cinéma au rabais tel que Antoine Fuqua, Michael Bay et donc Guy Ritchie. Notons toutefois que sa présence ici permet au piètre réalisateur britannique et ex boyfriend de Madonna de torcher un de ses films les plus matables. Bien entendu, je ne vous le conseille pas pour autant. On est simplement toujours un peu surpris, aujourd'hui, quand on arrive au bout d'une telle production américaine, sans avoir eu envie de tout arrêter, et en ayant été relativement captivé.
 
 
The Covenant de Guy Ritchie avec Jake Gyllenhaal et Dar Salim (2023)

5 juillet 2023

Master Gardener

On l'aime bien Paul Schrader, mais il faut reconnaître qu'il tire un peu sur la corde là... Master Gardener est donc le troisième volet de ce que certains ont nommé sa "trilogie bressonnienne" pour tout ce qu'elle emprunte à l'auteur du Journal d'un curé de campagne ; trilogie qui risque même de bientôt devenir une tétralogie, si l'on en croit les derniers indices donnés par le cinéaste. Autant de films mettant en scène un personnage central abîmé par la vie, en quête de rédemption, et qui, chaque nuit, dans sa chambre, à la seule lumière d'une lampe de bureau, note ses pensées plus ou moins sombres dans son journal intime (d'autres ont intitulé cette trilogie "Man in a Room", mais rappelons-nous que Willem Dafoe griffonnait déjà des carnets entiers pour y étaler ses réflexions de dealer de drogue en pleine crise existentielle dans l'excellent Light Sleeper). Bref, Master Gardener s'inscrit donc dans la droite lignée de First Reformed et The Card Counter mais force est de constater que l'inspiration du cinéaste paraît cette fois-ci clairement sur le déclin. Si ce nouveau film se regarde sans aucune souffrance, Schrader restant appliqué et plein d'estime pour son spectateur, un léger ennui pointe parfois. Le vieux cinéaste paraît fatigué, trop sûr de sa recette, en roue libre, bien tranquille sur ses rails habituels.



 
On suit ce coup-ci un ancien membre actif (Joel Edgerton) d'un groupe de suprémacistes blancs, désormais sous protection judiciaire et jouissant d'une nouvelle identité après avoir aidé le FBI à nettoyer ses anciens rangs. Apparemment vacciné de ses orientations politiques passées, il s'est reconverti horticulteur des plus méticuleux pour les besoins de l'entretien quotidien de l'immense jardin d'une riche veuve (Sigourney Weaver). Leur relation va au-delà du simple rapport patronne / employé et leurs existences et routines bien huilées vont gripper un brin quand la veuve demandera à son jardinier de prendre sous son aile sa petite-nièce (Quintessa Swindell) pour lui transmettre son art et son savoir de jardinier hors pair. Ce décor et ce contexte, intrigants et plutôt singuliers, sont adroitement posés par Paul Schrader. On est content de retrouver Sigourney Weaver dans un rôle a priori intéressant et devant la caméra d'un réalisateur respectable. Joel Edgerton semble lui aussi faire l'affaire. Nous avons envie d'y croire et on espère encore avoir droit à un film au moins aussi bon que The Card Counter et First Reformed. En réalité, la première partie du film s'avèrera de loin plus réussie que tout ce qui suit l'arrivée de la petite-nièce...


 
 
Tout semble alors cousu de fil blanc. Le triste passé du personnage principal nous est révélé à coups de brefs flashbacks dont on aurait peut-être pu se passer. On ne croit pas une seconde en l'espèce de romance surgie de nulle part entre cet ancien skinhead et la petite-nièce métisse. L'actrice qui l'incarne est plutôt mignonne mais, la pauvre, son rôle est épais comme du papier à rouler ; elle n'amène avec elle que des lieux communs : ex-boyfriend violent à qui il va bien falloir régler son compte, addiction à la drogue trop bien dissimulée et vieilles rancœurs familiales qui vont faire éclater ce petit monde. Si l'on pouvait avoir une certaine curiosité pour les liens un peu malsains entre Weaver et Edgerton, on en a aucune pour ce qui se noue entre le jardinier et son élève. On ne comprend même pas ce que cette dernière peut trouver à son prof. Schrader ne s'y consacre tout simplement pas assez. Mais c'est bien dans le maître jardinier du titre que réside sans doute le plus gros souci. Nous avons là un acteur, Joel Edgerton, qui fait son maximum mais dont on finit par se dire qu'il n'est peut-être pas de la trempe d'un Ethan Hawke (forcément !) ou même d'un Oscar Isaac. Surtout, son personnage intéresse nettement moins, ne nous fascine guère. Car franchement, Paulo, tes histoires de rédemption, on commence à les connaître par cœur, on en a soupé. Reviens plus tard, et avec autre chose !


 
 
Bon, restons mesuré, Master Garderner n'a tout de même vraiment rien de honteux et n'est pas un mauvais film, mais il y a comme un décalage entre le sérieux et l'emphase que met Paul Schrader à nous raconter cette histoire et son réel intérêt. Le retour en forme et l'état de grâce du cinéaste américain sont-ils déjà derrière nous ? Réponse définitive lors de notre prochain rencard avec lui. On lui laisse encore le bénéfice du doute, lui qui a connu des bas tellement plus bas, et on continue de suivre avec plaisir sa grosse moue boudeuse sur les réseaux.
 
 
Master Gardener de Paul Schrader avec Joel Edgerton, Sigourney Weaver et Quintessa Swindell (2023)

1 juillet 2023

Bruno Reidal

Si vous aimez la barbaque, l'ultra-violence, la décapitation, et si vous n'en avez pas eu assez avec les vidéos de Daesh, alors peut-être que Bruno Reidal pourra vous faire la soirée. Bruno Reidal, portrait d'un serial killer qui s'est arrêté à une victime avant d'être incarcéré puis étudié par Vincent Le Port. Le jeune cinéaste originaire de Rennes (ceci explique peut-être cela) s'est appuyé sur les journaux intimes du tueur pour nous glacer les sangs à la manière d'un maestro fêlé. Pour son premier film, Le Port, qui aurait peut-être pu choisir un nom de scène plus clinquant et un peu chic, impressionne, saisit, et nous déballe toute la noirceur de son personnage en même temps que la sienne propre avec le calme des plus grands malades. Troisième phrase de notre critique et vous ignorez encore si c'est du lard ou du cochon : c'est bien du Le Port et c'est énorme pour un premier jet d'imposer une telle signature. Il a signé sur la moitié de la feuille et son trait est sûr et affirmé, à trouer le papier. On reste coït devant les élucubrations sans fard, simples, sincères, naturelles presque, d'un pur jobard qui était aussi à l'aise dans le maniement du couteau que dans celui du verbe. Au fameux adage, la plume est plus forte que l'épée, Reidal et Le Port répondent conjointement : on vous défonce avec les deux, l'un avec sa verve, l'autre avec sa caméra, les deux avec une brutalité froide de forcené aimant les objets contondants. Après un tel film, on pourrait n'avoir qu'une envie : se plonger dans les journaux de Reidal. Sauf que pas du tout, puisqu'on a déjà eu le disque pour aveugle, narré par un acteur, Dimitri Doré, bluffant de vérité et qui réside depuis entre quatre murs à Montfavet, où il a limité sa garde-robe à une jolie camisole, habité par un rôle dont il ne saura plus jamais se défaire.


 
 
Les plus cinéphiles ne manqueront pas de penser à Oim Pierre Rivière, enfoiré de mes deux, ayant trucidé tout ce qui bouge à portée de palme, ce qui inclut ma reum, ma belle-doche et un chien broussard. La filiation entre le film de Le Port et celui de René Allio, sorti en 1976, est directe et assumée, quand bien même l'élève a largement dépassé le maître. Nous avons pour notre part découvert Oim Pierre Rivière, jobastron de première, ayant estrapassé tout ce qui me regardait de traviole y compris mon reuf, la voisine et les deux oies de la basse-cour après Bruno Reidal (et pour cause, nous n'étions pas nés lors de la sortie en fanfare de Oim Pierre Rivière, pur trépané et guignol en chef, footeux du dimanche, ayant refroidi et fini tout ce qui mouftait dans la pièce d'à-côté à commencer par ma grand-maman, mon grand-papa, les voisins et leur cheval de trait comtois qui ne m'avait rien fait), par curiosité cinéphile et par conscience professionnelle. Force est de vous avouer que si le film Oim I-Robot, déglingué du bulbe, ayant fait les croisés de mon con de reup et les tibias de Djibril Cissé se paie le luxe d'être sorti quelques lustres avant l’œuvre de Das Port, il n'en est pas moins vrai que le film de René Allio Marie, aussi intéressant et soigné soit-il, ne peut que faire un léger plouf après le choc intersidéral, la bouffe monumentale Bruno Reidal. Aussi les critiques qui sont tombées dans cet écueil auraient-ils pu s'épargner la peine de forcément comparer le film de Le Port à son prédécesseur évident, Oim, Pierre Rivière, président de la république, je ratiboiserai le parti socialiste, taillerai en pointes les oreilles de mes électeurs et massicoterai les espoirs des gens de gauche sans omettre de pourfendre à la serpe ma conne de mère, ma conne de sœur et, parce qu'il était dans le coin le nez dans ses cheerios, mon petit frère Itou, de son prénom.


 
 
On fait souvent des tops à tout-va sur les plateformes web. Chacun y va de son top 5 des meilleurs split-screens (erreur : à moins de faire un top 500 dans cette catégorie, tous les prix reviennent forcément  à De Palma), ou de son top 7 des meilleures double-péné (on vous conseille la pastille Blow-Up d'Arte sur le sujet, signée Luc Lagier), en passant par le top 10 des meilleurs sergents-instructeurs et autres top 15 des plus beaux AVC sur gazon vert (Shyamalan en cite deux ou trois dans son dernier vidéo-club Konbini qu'il qualifie tous de "amaaaaazing"). Si vous avez déjà établi un top des plus gros sacs à merde coupables d'homicide de l'histoire du cinoche, vous pouvez tout recommencer, ou au moins mettre un coup de typex sur votre préféré, et noter en number one et en lettres capitales BRUNO REÏDAL, quitte à mettre en deutch le héros éponyme de Oim Pierre Au Beau Milieu Coule Une Rivière de Sang, fada du village, redouté par ses pairs et renégué par son père, ayant refait les ourlets de mes neveux et nièces et baffé jusqu'à l'os toute la maisonnée et une partie de mon quartier, autant de PNJ juste là pour se faire allumer.


Bruno Reidal de Vincent Le Port, avec Dimitri Doré (2022)