31 décembre 2022

Les Banshees d'Inisherin

J'étais resté en mauvais termes avec Martin McDonagh suite à son lourdingue Three Billboards mais je gardais toutefois un agréable souvenir de Bons baisers de Bruges. Il réunit justement ici le même duo d'acteurs, Colin Farrell et Brendan Gleeson, mais, s'amusant de nos attentes de spectateurs conscients de l'alchimie si particulière des deux irlandais, McDonagh nous narre ici une drôle d'histoire de rupture amicale, un anti-buddy-movie en forme de réflexion amère sur le temps qui passe et la condition humaine. C'est un véritable chagrin d'amitié que nous vivons à travers les yeux (et sous les sourcils si expressifs) d'un brave type, gentil mais un peu simple, incarné avec une justesse étonnante par un superbe Colin Farrell qui trouve ici l'un de ses plus beaux rôles. Dès la première scène, celui-ci apprend que son compagnon de tous les jours, Gleeson donc, ne veut tout simplement plus le voir ni perdre davantage de son précieux temps à ses côtés. Nous sommes en 1923, sur une île magnifique aux larges de l'Irlande, Inisherin. Au loin, le pays, en pleine guerre civile, se déchire, nous entendons détonations et explosions. La métaphore n'est pas spécialement légère mais elle n'est guère centrale et ne gâche en rien ce film, à la fois petit, humble mais profond, dont l'ambiance et le ton singuliers nous happent rapidement. 


 
 
Martin McDonagh teinte encore une fois son œuvre de cet humour assez spécial qui est le sien et fonctionne ici plutôt bien, tantôt noir tantôt absurde, alliant discrétion et coups d'éclat, quelques bons mots et petits numéros d'acteurs. À ce propos, si Brendan Gleeson et Colin Farrell sont irréprochables, le premier presque toujours nimbé d'un nuage noir invisible qu'il rend palpable par sa présence intimidante et le second dans un rôle pourtant bien compliqué qu'il rend tout à fait crédible, c'est peut-être au plus jeune Barry Keoghan que revient la plus belle scène du film. La plus touchante à mes yeux en tout cas. C'est une sorte de remake à peine déguisé de l'un des plus grands moments de l'histoire du cinématographe : quand, dans Dumb & Dumber, Jim Carrey demande à Lauren Holly quelles sont ses chances auprès d'elle. Dans un élan de courage similaire mais un contexte tout de même plus romantique, Barry Keoghan pose à peu près la même question à la sœur de Colin Farrell, autre joli personnage joué avec délicatesse par Kerry Condon. Il obtient alors une réponse du même tonneau mais, à la différence de Carrey et bien qu'il n'ait pas non plus la lumière à tous les étages, Keoghan comprend tout le sens de cette réponse et à quel point celle-ci obscurcit son avenir insulaire. Il tente alors de sauver les apparences et lâche cinq mots d'une désarmante sincérité, aussi simples que beaux, avec une élégance gauche qui participe à les rendre d'autant plus poignants : "Well, there goes that dream". 
Quant à moi, je suis désormais réconcilié avec Martin McDonagh.
 
 
Les Banshees d'Inisherin de Martin McDonagh avec Colin Farrell, Brendan Gleeson, Kerry Condon et Barry Keoghan (2022)

29 décembre 2022

Jason et les Argonautes

Rares sont les réussites dans le genre des films mythologiques. Très rares. Jason et les Argonautes doit beaucoup à son équipe. Moins sans doute à son réalisateur Don Chaffey, qui ne se fit pas tant remarquer avant ni après, sauf erreur de ma part, qu'à ses "techniciens" de prestige, tel Bernard Hermann à la composition et surtout Ray Harryhausen aux effets spéciaux. On sait que le film fit date grâce aux prouesses de cet homme. Mais ce qui ne laisse pas de surprendre en le (re)découvrant aujourd'hui, c'est que les effets d'Harryhausen tiennent toujours le choc 60 ans plus tard, ce qui n'était pas gagné. Je me suis fadé un quart d'heure, l'autre soir, à la télévision, de la dernière adaptation de La Belle et la bête, signée Bill Condon, le bien nommé, avec Emma Watson dans le rôle de la belle et un risible amas de CGI dégueulasse dans le rôle de la bête. Comment les gens qui fabriquent ces merdes ne se demandent-elles pas qui sera bouleversé par l'amour naissant entre Hermione et un gif animé sans vie au regard constamment perdu dans le néant ? Question déjà posée cent fois sur ces pages me direz-vous, mais c'est que j'attends votre réponse.
 
 



Quand on voit l'ampleur de ce type de désastre, si banal, Harryhausen a d'autant plus de mérite avec son animation en volume. La réussite tient avant tout à l'intelligence de l'emploi des effets spéciaux, moins donc aux effets eux-mêmes qu'à leur application. Ces derniers étant un peu saccadés, ils conviennent parfaitement à la plupart des usages que requiert le scénario, qu'il s'agisse d'animer le colosse de bronze de Talos, que l'on sent grincer dans sa carcasse de ferraille, les harpies stridentes aux ailes froissées ou l'armée des squelettes aux articulations peu huilées. C'est peut-être un peu moins idéal pour l'hydre à sept têtes ? Et encore. 
 
 


 
D'autres éléments du film sont plaisants, comme l'idée que les dieux et déesses de l'Olympe suivent et se disputent l'issue des aventures de Jason dans l'écran d'un bassin, qu'ils allument ou éteignent d'un geste de la main. Films dans le film, les mythes sont le cinéma des dieux, leurs jeux vidéos aussi, qui passent d'un décor, d'un lieu, d'une scène à l'autre comme autant de scénaristes, cinéastes, monteuses et monteurs réécrivant le destin de leur héros en cours de route et au gré de leurs contrariétés et intérêts. Zeus finit quand même par trancher et donner le ton. 
 
 


 
Il faut un maître de l'Olympe, ou une maîtresse, c'est égal, si l'on ne veut pas que tous les script doctors du monde foutent un dawa sans nom dans les épopées déjà joyeusement bordéliques de l'Antiquité. Quoi qu'il en soit, le marionnettiste Ray Harryhausen (quel nom) fit ici quelques petites merveilles, et boucla la boucle en 1980 avec un autre film mythologique tourné en dynamation, Le Choc des Titans, dont on ne peut oublier la chouette-robot alcoolo Bubbo, alors qu'on oublie les glandus bleutés d'Avatar 2 dix secondes après la sortie de la salle, quand c'est pas devant l'écran.
 
 
Jason et les Argonautes de Don Chaffey avec Todd Armstrong, Nancy Kovack et Nigel Green (1963)

22 décembre 2022

Akeji, le souffle de la montagne

Ce documentaire signé Mélanie Schaan et Corentin Leconte, qui date de 2021, nous fait passer une heure et quart dans l'ermitage au toit de chaume (pour reprendre le titre d'un recueil du fameux poète Ryôkan), sis dans la vallée montagnarde d'Himuro, où vivent Akeji et Asako Sumiyoshi. Lui, descendant de samouraïs, se consacre à la Voie du thé, à l'art du sabre, à la calligraphie, la prière et la poésie. Elle, tout aussi âgée mais plus affaiblie, cueille des plantes pour en tirer les pigments qu'Akeji emploie à peindre ses grandes pages de papier blanc veiné, car il est aussi un peintre renommé, cueille également de quoi faire avec son mari leur cuisine, et se repose un peu. Suite de plans plus beaux les uns que les autres, dont la seule contemplation fait un bien fou, le film nous installe dans un quotidien hors du temps où l'observation des rituels, la préparation des repas, l'attention à la nature et à ses bruits (crépitement du feu, écoulement de la rivière, cris des oiseaux, souffle du vent dans les arbres), l'usage des outils domestiques, l'intérieur enfumé, prennent toute la place. Une première séquence dénote quand des membres de la famille viennent rendre visite au couple reclus. Un petit-neveu et une petite-nièce si j'ai bien compris, et leurs deux gamines qui s'éprennent vite des quatre chats blancs aux yeux vairons de la maison. 
 
 


 
Akeji les entend arriver de loin car les deux petites gosses crient pour répondre à leur propre écho dans la vallée ("Arrête de m'imiter !") sur le chemin de la maison. C'est bête à dire mais les deux fillettes qui s'amusent à tutoyer leur propre écho ont déjà des mots poétiques dignes de figurer dans un haïku ou un tanka. Idem quand Akeji dit d'emblée à ses invités qu'il leur ramassera une dizaine de kakis mais qu'il laissera les autres pour les corbeaux et pour les ours, avant qu'ils n'hibernent. La poésie fait le lien entre les générations quand Akeji parle à ses hôtes des grands noms de la poésie japonaise puis quand les deux petites récitent des poèmes de Sei Shônagon à la vieille Asako, souffrante, qui semble heureuse de s'être tirée du lit pour entendre ça. 
 
 


 
Une autre rupture, dans la dernière partie du film, moins joyeuse, advient quand Akeji est contraint d'accompagner son épouse à l'hôpital, à bord de leur petite voiture blanche. L'apparition de la ville, du bâtiment hideux de la clinique, le désarroi d'Akeji aussi bien devant le médecin qui remplit une ordonnance et lui explique qu'ils ne pourront pas rester là-haut éternellement que devant un distributeur automatique de thé et de café, montrent bien le fossé entre leur monde et le nôtre. Ce n'est certes pas la première fois qu'un film s'attache à rendre palpable le vertige qui s'empare de quelques ascètes vivant selon des mœurs anciennes aux prises avec le triste monde moderne, mais le documentaire de Schaan et Leconte le fait sans insistance, et moins pour le spectacle d'un choc des civilisations que pour révéler deux rapports au temps. 
 
 


 
Tout au long du film, le vieil Akeji ne cesse de dire, à travers des poèmes qu'il dit, ceux qu'il calligraphie, mais encore par un conte à propos d'un enfant allé dans les profondeurs de la mer pour n'en ressortir que 300 ans plus tard, récit qu'il résume à sa femme lors d'une dernière escapade hors de l'hôpital, au bord de la mer, où il rient tous les deux comme souvent, ou encore dans sa conversation avec ses proches visiteurs pour qui il prépare un thé amer qui fait grimacer l'une des deux gosses, que la durée n'existe pas, que personne n'a vu le temps ni ne sait s'il existe, qu'il y a mille ans et maintenant c'est la même chose. Or ce temps les rattrape, Asako et lui, par la maladie, bientôt la disparition. 
 
 


 
Et pourtant ce qui reste c'est une présence, mille présences, celles que le montage relie dans une séquence enlevée au rythme du tambour traditionnel, peu avant la fin du film : un corbeau dans le plaqueminier, des fougères dans les bois, la mousse sur les racines et les figures de pierre sculptée, la lumière à travers les feuilles d'un arbre, les tisons dans le four, les branches nues en hiver, Akeji dans l'ombre du bois, agenouillé, préparant ses mixtures pour dire tout cela encore de la pointe de son pinceau, les toiles calligraphiées qui disent ces présences et qui restent, vivantes, sous les flocons de neige. 
 
 
Akeji, le souffle de la montagne de Mélanie Schaan et Corentin Leconte (2021)

20 décembre 2022

The Sadness

J'ai enfin vu la bombe gore de cette année de cinéma d'horreur 2022. Le gore, ça n'a jamais trop été mon truc, mais je suis toujours curieux de découvrir les derniers phénomènes horrifiques et ce film-là a fait le buzz chez les aficionados, depuis sa diffusion dans des festivals spécialisés, l'an passé, jusqu'à sa distribution en salles dans l'Hexagone, cet été. Je peux aisément comprendre que The Sadness ait comblé les amateurs, voire au-delà, par son jusqu'au-boutisme forcené et sa façon opportune de s'inscrire dans notre société marquée par le COVID et le confinement. Décrivant une pandémie virale qui transforme les individus en zombies mutants aussi véloces que cruels, avides de chair humaine et de sexe, The Sadness apparaît comme le premier film d'horreur post-Covid ayant connu un tel succès. En dehors de ce grand huit sans temps mort, de cette virée cauchemardesque et sanguinolente que nous propose le cinéaste canadien Rob Jabbaz dans les ruelles et les couloirs du métro de Taïwan, ce qu'il y a de plus intéressant là-dedans, c'est le don qu'a ce fichu virus de laisser d'un seul coup exploser les plus atroces pulsions d'une population malade et frustrée. Rien d'étonnant à voir une petite troupe de zombies se délecter à plusieurs des tripailles d'un pauvre quidam fraîchement zigouillé, plus surprenant est d'assister à une partie à trois entre mutants ou à un viol particulièrement brutal au détour d'une rue... Sachez que tous les orifices sont exploités par les individus atteints du virus et que si le pire reste hors champ, pas grand chose, en réalité, n'est laissé à notre imagination. 


 
 
Rob Jabbaz place le curseur assez loin en termes de violence, de cruauté et d'horreur malsaine. Heureusement, la débauche d'hémoglobine écarlate (chaque individu est donc un ballon de baudruche gorgé de sang n'attendant qu'à exploser et arroser son monde) permet immédiatement un décalage presque comique bienvenu. Une incongruité particulièrement frappante lors de la scène intense de la rame de métro, dont la sauvagerie des actes perpétrés est comme atténuée par l'excès des effluves sanguines qui aspergent et manquent d'inonder tous les malheureux passagers. Comme de nombreux prédécesseurs qui ont œuvré dans le genre, Rob Jabbaz fait donc dans la plus terrible surenchère, sans toutefois se placer dans la parodie, loin de là. C'est le premier degré qui prime ici, le gore exagéré s'apparente plutôt à un choix purement visuel. Ce film tache, nous en retenons cette couleur, son rouge crasseux, si envahissant et débordant. A ce titre, il faut saluer le travail des artisans derrière les effets spéciaux : quelques passages s'inscrivent dans la plus noble tradition du genre. Non, très franchement, je pige que ce film-là ait conquis sont petit monde...


 
 
En ce qui me concerne, il m'en faut tout de même bien davantage pour m'enthousiasmer sincèrement. Le carnage devient hélas vite répétitif et long. Le sang et la frénésie ne suffisent pas. Et je regrette que le film ne soit que ça, malgré l'originalité et la pertinence du contexte choisi. D'autant plus qu'il y a aussi quelque chose d'intéressant, au tout début du film, qui hélas ne dure pas, dans la manière de mêler l'intimité du couple, que l'on croit confiné dans son petit appartement et dont on suivra ensuite les destins séparés en parallèle, à la menace d'une catastrophe généralisée de plus en plus palpable, qui se répand rapidement dans les rues de la ville, amenant un chaos barbare. Une voie que Rob Jabbaz délaisse rapidement, au profit d'un spectacle certes déconcertant par son caractère sauvage et outrancier, mais finalement très programmé, dont la radicalité paraît même facile et accessoire. Après un premier tiers plutôt bien mené, le film donne ainsi l'impression de patiner dans toutes les flaques de sang vomies en cours de route, et l'on chemine de façon très prévisible vers un final au nihilisme peu surprenant, prémâché. Restent peut-être quelques situations et images franchement malaisantes, des idées de détraqué avec lesquelles nous n'aurions pas pensé flirter d'aussi près. Cela suffit à sortir du lot aujourd'hui, certes, mais cela ne suffira sans doute pas à marquer réellement nos mémoires de cinéphages. Pas la mienne en tout cas. 


The Sadness de Rob Jabbaz avec Regina Lei et Berant Zhu (2021)

15 décembre 2022

Madeleine Collins

Comme en atteste son affiche, ce film a été curieusement très bien accueilli à sa sortie. Je l'ai vu deux fois. La première fois, seul, j'ai arrêté au bout de vingt minutes, exaspéré. La deuxième fois, j'ai tenu jusqu'au bout. Faut dire que je n'étais plus seul et ça aurait pu niquer la soirée si j'avais éteint la téloche d'un seul coup, comme ça. Et l'envie de couper net était un peu moins vive de mon côté, je dois l'avouer. J'étais dans de meilleures disposition, légèrement plus dedans, j'essayais en tout cas, aidé par l'attention et toute la bonne volonté de mes compagnons d'infortune. Bon, j'ai tout de même fini par décrocher et à ne suivre les mésaventures de Virginie Efira que d'un œil... L'intouchable Virginie Efira. La plus grande actrice francophone de sa génération. Nous n'estimons pas la chance que nous avons d'être ses contemporains et d'assister, bouches bées, à sa si grande carrière. Il y a une pointe d'ironie là-dedans, certes, mais le même film avec Maïwenn ou Vanessa Paradis dans le rôle principal et on tiendrait pas cinq minutes. On peut pas lui reprocher grand chose là-dedans, elle tient le film, vraiment. Elle fait vivre un personnage aussi opaque qu'improbable et un scénario qui tient sur un fil. Antoine Barraud vise semble-t-il le thriller psychologique hitchcockien. Comme c'est une tentative assez rare dans le cinéma français, peut-être est-ce en partie pour cela que les critiques ont été si indulgentes. Elles ont voulu saluer son courage, son audace. Car c'est quand même un drôle de pari que tente ici Barraud (soit dit en passant, si j'avais ce triste blase-là et que j'entreprenais une carrière dans le cinoche, je choisirais un pseudo plus stylé d'entrée de jeu). Virginie Efira mène une double vie, partagée entre un guignol lambda en France, avec qui elle a une gamine de quatre ou cinq ans, et un tocard chef d'orchestre plus fortuné en Suisse, avec qui elle a deux ados. Au début, nous pensons que ces deux parties de sa vie sont strictement cloisonnées et qu'elle parvient miraculeusement à vivre ainsi, mais le scénar délivre ses secrets au compte-goutte et nous comprenons progressivement que ça n'est pas si simple que ça. C'est un sacré pari, dans le sens où Barraud ne délivre ses informations que très tardivement, que son film est longtemps si nébuleux qu'on est toujours pas loin de s'en lasser, de s'en agacer irrémédiablement. On a envie de comprendre, et à la fois on s'en fout, tant tout ce qui se déroule sous nos yeux est finalement peu passionnant et fastidieux. Le mystère est bien trop épais pour le talent de cinéaste d'Antoine Barraud, juste assez pour celui d'actrice de Virginie Efira. Nous ne comprenons vaguement qu'à la toute fin le petit intérêt de la toute première scène, un très laborieux plan-séquence, où nous voyons une jolie blonde essayer des robes dans un magasin de luxe avant de tomber dans les pommes. C'est également l'ultime scène qui nous permet de piger enfin le titre : cette révélation minable, anodine, insignifiante, a eu pour effet de me faire lever les yeux au ciel et de maudire encore davantage Antoine Barraud... 
 
 
 
 
Ce film-là est sorti il y a un an, le 22 décembre 2021. Je suis sûr qu'il a flingué quelques sorties au ciné en famille, comme on peut en faire en cette période de Noël quand on s'ennuie un peu, tous ensemble, que les discussions sont taries et que l'on a épuisé toutes les autres activités possibles. Madeleine Collins dure 102 minutes, ce n'est pas énorme en soi, mais nous ressentons bien chacune de ces minutes. 


Madeleine Collins d'Antoine Barraud avec Virginie Efira, Quim Gutiérrez et Bruno Salomone (2021)

11 décembre 2022

Watcher

Les bons petits thrillers se font rares, ces temps-ci, alors quand on en déniche un plutôt chouette, qui ne paye pas de mine qui plus est, autant prendre le temps d'en causer ! Watcher est le premier long métrage de la jeune réalisatrice américaine Chloe Okuno, qui s'était jusque-là faite remarquer pour ses courts dans divers festivals nord-américains. Encore inédit par chez nous, distribué en VOD sur des plateformes spécialisées outre-Atlantique après une première à Sundance, Watcher s'inscrit avec élégance et finesse dans la vague de films post-metoo s'attachant à nous faire partager la pression que subissent les femmes. Son pitch est simplissime : Julia (Maika Monroe), une jeune américaine, suit son mari d'origine roumaine à Bucarest car celui-ci y a obtenu une promotion. Rapidement, Julia se sent observée depuis la fenêtre par le voisin d'en face, puis suivie dans la rue, au supermarché, au cinéma... et la menace grandit. Son compagnon ne la prenant guère au sérieux et la police se montrant impuissante, elle décide de se confronter à son harceleur.
 

 
 
Sur ce postulat de départ somme toute très basique, Chloe Okuno construit petit à petit, très patiemment, un thriller drôlement efficace, à la mise en scène intelligente et limpide qui nous donne très envie de connaître la suite de sa carrière de réalisatrice. Avec une délicatesse sans doute très féminine, la cinéaste s'attache d'entrée de jeu à nous montrer les petites pressions insidieuses que subit son héroïne au quotidien, du fait de son charme, voire de sa seule condition de femme. Cela commence dès les premières minutes dans le taxi qui mènent le couple à son nouveau logement : en roumain, le conducteur lance une remarque qui se veut peut-être gentille au sujet du physique de Julia. Une remarque que seul son compagnon, bilingue, peut comprendre. Gênée, elle lui demande une traduction, que l'on devinera plus synthétique et consensuelle que les véritables propos, sans doute plus fleuris, tenus par l'homme au volant. Déjà, Julia est mise à l'écart, exclue de cette complicité masculine recherchée par le taxi, un sentiment renforcé, évidemment, par la barrière de la langue. Mais ce n'est que le début, alors Julia encaisse et prend cela avec le sourire, un sourire tout de même poli, timide, forcé. Elle ignore encore ce que lui réserve la suite... 


 
 
Ainsi, à l'image de son habile scène d'ouverture, Watcher est tout à fait dans l'air du temps, mais sans jamais être opportuniste et toujours très loin de la lourdeur de certaines productions actuelles qui abordent ces thèmes avec de gros sabots. Chloe Okuno n'a guère besoin d'insister, c'est par touches discrètes et bien pensées qu'elle nous permet de saisir tout le poids ressenti par son héroïne. La réalisatrice peut s'appuyer sur une actrice habituée aux suiveurs, qui assure encore le job haut la main. De là à dire que Maika Monroe trouve ici son meilleur rôle depuis It Follows, il n'y a qu'un pas... Le regard porté ici sur elle n'est guère pesant, là encore. L'actrice est mise en valeur, certes, mais pas trop, sans insistance, sans ces money shot dont aurait pu nous gratifier un réalisateur lambda (je pense au médiocre film de SF, Tau, où l'actrice adepte de kitesurf se retrouvait aux prises avec une intelligence artificielle – et un cinéaste – plus portée sur la chose...). Les amateurs de films de genre peuvent en tout cas se réjouir qu'une telle comédienne ait l'air de partager leurs goûts, privilégiant toujours les productions indépendantes dans ses choix de rôles. On espère à présent qu'elle renouera bientôt avec le succès public et critique de l'excellent film de David Robert Mitchell. 


 
 
En parlant d'It Follows, ce Watcher peut évidemment y faire penser à quelques moments bien précis. Lors de ces scènes d'extérieur où Chloe Okuno installe avec soin une tension lancinante et où l'on se surprend à scruter en détails le fond du champ, à la recherche de silhouettes menaçantes, de stalkers éventuels qui pourraient suivre une Maika Monroe dont le regard angoissé et le corps contracté expriment parfaitement une forme d'anxiété ordinaire. Encore une fois, la cinéaste fait cela avec suffisamment de talent pour que la ressemblance entre les deux films ne soit pas gênante, au contraire, elle permet une filiation intéressante et vertueuse. Par ailleurs, Okuno atteste d'une belle maîtrise qui lui permet de toujours retenir notre attention, de mettre en boîte l'air de rien quelques scènes très réussies à la tension véritable, allant tranquillement crescendo, et subtilement surprenante, ne s'adonnant jamais aux jumpscares que lui auraient permis certaine situations. Son utilisation de la profondeur de champ est notamment à saluer. La photographie est également très soignée, ce qui achève de donner à Watcher une assez chic allure.


 
 
Pour modérer mon enthousiasme et, surtout, ne pas trop gonfler vos attentes (Watcher demeure une modeste réussite, un petit film de genre bien foutu, auquel le temps saura rendre justice s'il n'est pas convenablement distribué aujourd'hui), on pourrait s'intéresser d'un peu plus près aux personnages masculins, dont l'écriture est plus grossière... Le boyfriend de Julia est un tocard pur jus, délaissant sa compagne en passant ses journées et soirées au taff, ne la soutenant guère suffisamment dans les épreuves qu'elle traverse. Le type est quand même capable de faire des vannes sur sa propre compagne à ses collègues, en sa présence et dans une langue qu'elle ne maîtrise pas. Le pire étant, évidemment, qu'il ne la prend pas assez au sérieux quand elle lui parle de son sentiment d'être harcelée, malgré quelques preuves à l'appui... Aussi, Chloe Okuno, également scénariste, y est allée un peu fort dans la caractérisation du psychopathe : celui-ci aurait peut-être gagné à avoir une physionomie plus commune, du boy next door. Là, c'est typiquement le gars en face duquel personne n'aurait envie de se retrouver assis dans le métro : il a la tronche et la dégaine du serial killer de base, à la Francis Heaulme. Certes, il est flippant, mais cela va un brin à l'encontre de ce que dit par ailleurs le film sur les rapports entre les sexes. Nul besoin d'avoir l'air d'un tueur en série pour participer, plus ou moins activement, à la souffrance féminine... Cela reste cependant un petit couac. L'apparence choisie du psychopathe, et le jeu glaçant de l'acteur qui l'incarne, participent également au plaisir familier que nous ressentons devant le film, celui que l'on prend à la découverte d'un thriller bien mené, répondant à certains codes.


 
 
Enfin, quelques mots sur la fin, sujette aux critiques. J'ai pu lire que certains spectateurs se sont plaints de la conclusion, jugée décevante, trop expéditive. Au contraire, j'apprécie que Chloe Okuno ne tombe guère dans les travers du thriller américain qui n'en finit pas, avec de multiples rebondissements pénibles à la fin. Les cadavres qui se multiplient, le tueur qui se relève sans cesse, une longue et mouvementée confrontation sanglante, et autres classiques du genre. Le final de Watcher est, à mon sens, très bien comme ça. Il est à l'image du film, élégant et simple, sobre et efficace. Une des bonnes surprises de cette année cinématographie dans le domaine du ciné de genre. En bref, on tient là un vrai bon petit thriller qui ne pète pas plus haut que son cul, vaut carrément le coup d'œil et rend impatient de découvrir ce que son auteure fera à l'avenir. Je retiens son nom et la mets sur ma watchlist


Watcher de Chloe Okuno avec Maika Monroe et quelques tocards (2022)

5 décembre 2022

Significant Other

Quatrième long métrage de Dan Berk et Robert Olsen, Significant Other s'ajoute à la longue liste de ces films d'horreur et de science fiction dont la première image nous montre un objet extraterrestre tomber du ciel et s'écraser sur notre planète. C'est ici une sorte de comète rougeâtre qui vient atterrir sur l'accueillant et vaste relief boisé du nord-ouest des États-Unis. Les plans suivants nous indiquent clairement la nature de la menace venue de l'espace : un pauvre cerf en fait aussitôt les frais, attaqué par une tentacule qui surgit derrière lui. Nous suivons ensuite un jeune couple, incarné par Maika Monroe et Jake Lacy, qui s'apprête à s'engager dans une randonnée de plusieurs jours dans cette si belle région. Ils tomberont rapidement sur le corps calciné de l'animal plus si majestueux que ça, premier indice d'un séjour en forêt qui leur réservera de sacrées surprises... 


 
 
Surprenant, Significant Other parvient à l'être tout le long, et ce malgré une filiation évidente et assumée avec ce qui est sans doute LE film incontournable dès qu'il est question d'envahisseurs se substituant à nous : Body Snatchers. Surprenant, aussi, en dépit de menus emprunts à droite à gauche et même d'indications très claires sur ce que nous réserve le scénario. Dès le générique d'ouverture, et la façon discrète qu'ont certaines lettres composant chaque nom de se fondre les unes dans les autres, l'amateur de cinéma de genre un peu attentif sait forcément à quoi s'attendre. Mais Dan Berk et Robert Olsen sont, à l'évidence, deux petits malins, qui n'en sont pas à leur premier coup d'essai et n'ont pas envie de lasser leur audience. Ils allument plusieurs feux d'entrée de jeu comme pour mieux les attiser, de façon originale, ou en déclencher d'autres, ailleurs, plus inattendus, sans que cela paraisse trop systématique ou facile. Ainsi, leur film change intelligemment de ton, au bon moment, quand il commençait tout juste à nous rendre un brin dubitatif. C'est lors d'une scène a pirori très romantique de demande en mariage, avec vue imprenable sur l'océan grandiose, que tout bascule et que le film s'engage dans une nouvelle direction, regagnant tout notre intérêt, pour ne jamais le perdre. 


 
 
Scénaristes et réalisateurs depuis toujours associés, Dan Berk et Robert Olsen s'amusent à mélanger les genres, de la comédie romantique au pur film d'horreur, à provoquer des ruptures de ton gentiment déconcertantes, allant avec succès vers un humour léger, décontracté, loin du sérieux plombant que d'autres auraient pu préférer. Quand s'invite à la fête un requin vorace de passage le long de la côte, on se demande toutefois fugacement si nous ne nous engageons pas vers un n'importe quoi qui finira par nuire à l'ensemble et par nous paumer progressivement. Heureusement, il n'en est rien. En dehors de cette courte parenthèse aquatique, les rebondissements ne sont jamais grotesques ou too much. Et quand Berk & Olsen s'intéressent de plus près au couple, au sentiment amoureux, en bref, aux deux personnages principaux et à leur relation, ils ne se trompent pas et se montrent même assez habiles et pertinents, très aidés, en cela, par un binôme d'acteurs irréprochables. 
 
 
 
 
C'est de nouveau un choix judicieux de la part de Maika Monroe, qui continue d'entretenir et d'agrandir sa fanbase principalement constitué d'amateurs de cinéma de genre. La jeune actrice affirme encore ici son goût pour les projets originaux et indépendants, son jeu convaincant permet au film de rester à flot quand il se risque assez lourdement à l'allégorie des problèmes psychiatriques de son personnage. Quant à son partenaire, Jake Lacy, il est la bonne surprise du casting, lui qui dans un premier temps laisse planer le doute avec sa tronche de playboy américain et son sourire ultra bright, il s'avère en réalité parfait pour le rôle et réussit même à honorer la touche comique recherchée par les réalisateurs. Ces derniers parviennent d'emblée à instaurer une tension latente dans le couple, un malaise sous-jacent dont on se demande comment il va finir par se manifester ou se transformer. Devant la tournure des événements, on repense au plus sombre Honeymoon, autre petit film d'horreur indé sorti en 2014, que l'on doit à la réalisatrice Leigh Janiak, qui nous proposait lui aussi une variation minimaliste autour du classique de Don Siegel lors d'une lune de miel particulièrement glauque d'un jeune couple dans une cabane au fond des bois...


 
 
Alors certes, Significant Other pèche parfois dans son écriture, trop explicative, trop bavarde, parfois un peu grossière sur son versant psychologique. À la réflexion, on pourra s'interroger sur la façon dont les événements s'enchaînent, remettre en question leur logique, avec quelques ficelles bien commodes. Mais ces défauts sont mineurs, importent peu durant le visionnage à proprement parler et n'enlèvent rien au plaisir ressenti à la découverte de ce film humble et astucieux qui cherche d'abord à nous faire passer un bon moment et nous propose une virée à travers bois dont on ressort amusé, séduit. Divertissant de bout en bout, Significant Other ne perd jamais son souffle et sait aussi s'arrêter quand il faut, une qualité louable en cette période où la plupart des films s'éternise et n'en finisse pas. On termine donc avec l'envie évidente de découvrir les opus précédents de ce duo de cinéastes, qui était jusqu'à présent passé entre les mailles de mon filet de moins en moins efficace d'amateur vieillissant de bobines horrifiques alternatives. 


Significant Other (Une obsession venue d'ailleurs) de Dan Berk et Robert Olsen avec Maika Monroe et Jake Lacy (2022)

2 décembre 2022

Pearl

Exigeant envers Ti West, dont le grand potentiel est connu depuis des lustres, je n'avais pas été spécialement tendre avec X : la timide touche d'originalité apportée à un genre utlra balisé et l'élégance visuelle propre au cinéaste n'avaient pas suffit à pleinement m'enthousiasmer. Son préquel, Pearl, qu'il a réalisé dans la foulée, accompagné de son actrice Mia Goth également au scénario, m'a bien plus emballé et invite même à une certaine mansuétude envers le précédent film. Après avoir rendu hommage aux slashers des années 70 et 80, en particulier au chef-d'œuvre de Tobe Hooper, Massacre à la tronçonneuse, Ti West prend un biais plus original cette fois-ci puisque l'origin story de la principale psychopathe de X, la vieillarde à la libido frustrée, est une version complètement azimutée et dévergondée de comédies ou mélodrames champêtres de l'âge d'or du cinéma hollywoodien (Le Magicien d'Oz, notamment). 




L'action se déroule sur une paire de jours seulement, ceux-là même qui voient Pearl basculer définitivement dans la folie sanguinaire. Coincée dans le carcan familial auprès d'une mère autoritaire et dévote et d'un père très malade et dépendant, Pearl n'en peut plus de voir ses rêves de grandeurs et de liberté être systématiquement réprimés par son sinistre quotidien. Une banale sortie en ville et une rencontre avec le projectionniste va lui donner de nouvelles idées et lui insuffler une énergie qui ne pourra plus être réfrénée. Au diable l'attente d'un retour de plus en plus hypothétique de son jeune mari Howard, parti au front en Europe, Pearl veut vivre sa vie. Dans une ambiance bucolique et ensoleillée, pleine de couleurs vives et chatoyantes, au milieu des champs de maïs et sous le regard stupide des animaux de la ferme, Pearl bouillonne et nous restons toujours au plus près de cette drôle de protagoniste dont les déraillements successifs se font de plus en plus perturbants, sans retour possible à la normale. Nous sommes en 1918, toujours dans cette ferme du Texas, dans ces décors connus, rafraichis par rapport à X, ce qui participe au jeu ludique que Ti West engage avec le spectateur. Nous savons d'ailleurs très bien, au fond, ce que Pearl et l'absent Howard deviendront, quand bien même nous l'oublions un temps, happé par le récit.




Animé d'une espèce d'humour grinçant de bout en bout et traversé par quelques éclairs d'une violence brute, focalisé sur son personnage principal aux comportements imprévisibles mais que nous avons curieusement envie de voir s'épanouir, Pearl nous place dans une position insolite et parfois presque un peu malaisante. Ti West signe un film d'horreur très original qui, contrairement à l'écrasante majorité des productions actuelles, ne cherche pas les sensations immédiates. Le réalisateur recherche autre chose, vise une peur différente, provoque notre inconfort par des moyens à la fois simples et étonnants, toujours très malins. On sent également un plaisir communicatif pris dans l'enrichissement de cet univers par le cinéaste et son actrice vedette, qui ont fait cela avec beaucoup d'application et une complicité certaine qui transpire de chaque image.




Mia Goth est la grande attraction du film, qu'elle porte sur ses épaules du début à la fin, avec une énergie et une conviction rarement observées dans le genre ces dernières années. La folie de son rôle, qu'elle parvient à rendre crédible ou en tout cas redoutable, irrigue le film, dicte son tempo. Le terrible climax de Pearl est un long monologue filmé en plan fixe, très simplement cadré sur le visage de l'actrice, qui se confie à sa seule amie. Des confidences d'abord presque acceptables qui, évidemment, prennent une tournure de plus en plus dérangeante et insupportable. Quasiment dix minutes d'une intensité grandissante, qui nous scotchent littéralement à notre fauteuil, et l'on peut parier que c'est ce passage-là qui a secoué un Martin Scorsese totalement conquis. L'actrice ne tombe pas dans les travers habituels, ne fait pas dans la performance, mais impressionne réellement. Donner dans la performance, on pourra peut-être le lui reprocher, à la rigueur, lors de l'ultime plan du film : un douloureux sourire que Mia Goth tient durant tout le générique et finit par mêler à des larmes pleines d'une horrible fatalité. De longues minutes tout de même troublantes qui s'impriment sur nos rétines et concluent parfaitement un film assez remarquable, peut-être même le meilleur de son auteur. J'ai à présent hâte de découvrir, Maxxxine, le dernier volet de cette surprenante trilogie horrifique.


Pearl de Ti West avec Mia Goth, Tandi Wright, Emma Jenkins-Purro, Matthew Sunderland et David Corenswet (2022)

29 novembre 2022

House of Gucci

Quand on n'est pas au meilleur de sa forme, on a tendance à se réfugier dans une certaine facilité, à éviter les efforts inconsidérés. Or, si vous avez lu mon dernier papier, vous savez que mon ventre de cinéphage me joue actuellement de bien vilains tours. Bref, quand je lance un film, je veux éviter tout problème. Tout comme un individu normal va privilégier une alimentation mixée puis moulinée afin de se remettre de ses pires tracas digestifs, un cinéphage va naturellement s'orienter vers des films faciles à avaler, tranquilles à suivre, aisés à comprendre. Cela ne rime hélas pas toujours avec grand cinéma, mais c'est déjà un premier pas dans le cadre d'une convalescence maîtrisée et d'un retour vers une vie normale. Face à la montagne d'œuvres de consommation rapide et expulsion immédiate à ma disposition, je me disais qu'un p'tit Ridley Scott passerait crème. Ce vieux type est en mode pilote automatique depuis des lustres, mais ce qu'il fait reste toujours vaguement rythmé et efficace. En bref, ça se mate, toujours. Et c'est encore le cas ici, avec House of Gucci. J'ajoute que j'avais aussi très envie de pouvoir me débarrasser une bonne fois pour toute du fichier mp4 du film (qui flirtait avec les 3Go). 




Il s'agit donc d'une sorte de film de mafieux, mais dans le contexte de la mode et du luxe, figurez-vous ! Je n'y connaissais rien du tout à l'histoire de Gucci. Faut dire que j'en ai jamais rien eu à secouer. J'ai donc appris pas mal de choses, ça m'a évité la lecture d'un article Wikipédia (quand bien même rien ne m'aurait amené sur cet article-là en particulier). C'est très long, mais Ridley Scott a toujours ce petit savoir-faire qui nous permet de rester plus ou moins attentif, de tenir sans souci. Il parvient à nous donner cette impression qu'il filme quelque chose d'important, ce truc typique du cinéma américain, alors que son dernier rejeton rejoindra bien vite les limbes cinéphiles et qu'au fond, il ne raconte vraiment rien de neuf et pas grand chose d'intéressant. C'est donc une famille qui se démolit pour de l'argent à cause d'une femme, un brin excessive et manipulatrice, qui, a priori par amour et pour préserver le prestige de la marque, va provoquer leur inéluctable dégringolade. Je vous la fais très courte, ça sert à rien de s'éterniser là-dessus.




Comme souvent, le casting y est pour beaucoup dans la capacité du film à nous tenir en haleine. Adam Driver est très bien, rien à dire, il confère une part de mystère à son personnage, il a un charisme qui nous accroche, il est illisible tandis que tout autour de lui s'agitent des personnages aux agissements très prévisibles. Comme d'habitude, j'ai d’abord eu du mal avec Lady Gaga, me demandant comment j’allais pouvoir supporter sa ganache pendant plus de deux heures, mais elle s’en tire finalement pas si mal, elle met suffisamment d'énergie dans son jeu pour emporter le morceau et on finit par s’habituer à son gros visage. Du côté des seconds couteaux, Al Pacino m’a plutôt botté. Il ne fait aucun effort, il est là pour se marrer, passer du bon temps, et sa décontraction participe à donner au film un côté plus léger, humoristique, moins solennel et sérieux. Même chose pour un autre ancien, Jeremy Irons, dont la classe est toujours au beau fixe. 




En revanche, il y a le problème Jared Leto, déjà pointé du doigt par les critiques du monde entier. Ridicule, il flingue littéralement chacune de ses scènes, et il y en a pas mal. Il ne pousse pas assez son jeu pour être réellement drôle et il en fait beaucoup trop pour être crédible. Il est dans un entre-deux très gênant. C’est complètement débile d'avoir pris cet acteur de merde pour le couvrir de maquillage pendant cinq plombes et aboutir à un tel résultat. Vraiment n'importe quoi et une nouvelle preuve d’un début de sénilité avéré chez papy Ridley Scott. Je n’ai rien dit de Camille Cottin, qui apparaît lors du troisième acte, dans un rôle mineur mais décisif puisqu'il provoque l’implosion définitive du couple Driver - Gaga. Je me laisse ici la possibilité d’ajouter des lignes à ma critique quand sa prestation m’aura inspiré quelque chose. Je sais, ce n’est pas très pro, mais cela arrive parfois d’être totalement à court sur un sujet. Je n’ai vraiment rien à dire sur Camile Cottin.




J'en ai donc appris beaucoup sur l'histoire de Gucci et ça me fait une putain de belle jambe. Peut-être peut-on associer cela à de la "culture générale" ? J'ose l'espérer en tout cas. Je crois hélas avoir déjà tout oublié. Ce n’est pas forcément un film que je recommande, mais il n'y a pas eu d'effets secondaires à déplorer chez moi. Mon transit de cinéphage n’a en rien été perturbé, bien au contraire. J’ai pu ensuite m’orienter vers des films plus consistants. Merci Ridley, t'es un vrai pote.


House of Gucci (La Maison de Gucci) de Ridley Scott avec Lady Gaga (Demoiselle Gaga), Adam Driver (Adam Conducteur), Al Pacino, Jared Letocard et Jeremy Irons (2021)

26 novembre 2022

L'Amour c'est mieux que la vie

J'ai eu une p'tite gastro récemment. Ça arrive de temps en temps dans la vie d'un cinéphage, il faut s'y préparer. Un film a dû mal passer. Je soupçonne Claude Lelouch. L'Amour c'est mieux que la vie, plus précisément. J'en ai vu un extrait sur Canal, complètement par hasard, je l'ai pris en cours de route. J'ai longtemps cru qu'il s'agissait d'un sketch tiré d'une nouvelle émission comique moisie à l'espérance de vie ultra limitée de la chaîne cryptée, avec tout un tas d'acteurs has been ou de guignols pur jus venus faire les marioles pour arrondir leurs difficiles fins de mois. Des amis de Bolloré qui s'amusent entre eux, quoi, un classique. Puis, en mettant le son, j'ai petit à petit compris que c'était un film à part entière. Un Lelouch, le dernier (#fingerscrossed). Le type innove encore. Du haut de ses 98 berges, il tourne, explore les limites, continue de tester les nôtres. C'est Kev Adams qui m'a achevé, j'en suis sûr. A un moment il sourit en gros plan et c'était trop pour moi. Mon corps a dit stop. C'est quand Gérard Darmon présente sa nouvelle conquête, Sandrine Bonnaire, de 30 ans sa cadette, à sa bande de potes, tous réunis dans un bistrot parisien leur servant de repère. Une belle scène de merde, y'a pas d'autres mots, tout en silences lourds de sens et en regards qui en disent longs. Insupportable et d'une laideur agressive. 




J'ai vu qu'un coffret intégrale Claude Lelouch - 60 ans de cinéma - venait de sortir pour Noël. 299,99€. Des documentaires, des scopitones, et surtout quarante-quatre longs métrages de fiction dont un seul que j'accepterai d'avoir dans ma collection perso : La Bonne Année, ce film si original dont Kubrick était fan et qui fait figure d'anomalie dans la filmographie infernale de Lelouch. Tout le reste, je le balance direct. Rien qu'à lire les titres, mon ventre s'affole, la nausée revient. Vivre pour vivre (un James Bond, je crois), Si c’était à refaire (bah je materai pas ton film), Viva la vie (mais pas le cinéma), Il y a des jours... et des lunes (la ponctuation de ces titres me rend malade), Tout ça… pour ça ! (en effet...), Hommes, femmes, mode d'emploi (celui-ci m'a toujours particulièrement flingué, allez savoir pourquoi), Une pour toutes (j'avoue tout de même me souvenir de l'affiche avec Olivia Bonamy), And Now... Ladies and Gentlemen (apprêtez-vous à voir une daube), Salaud, on t'aime (le salaud du titre est Johnny Hallyday, le reste est donc faux), Un plus une (je suis sûr qu'il est content de lui quand il trouve ses titres, en plus), Chacun sa vie (chacun son chemin, passe le message à ton voisin), et enfin, peut-être le pire, L'amour c'est mieux que la vie, qui nous renvoie à cette chanson minable que les acteurs sont invités à reprendre à tout de rôle lors d'une scène où le ridicule n'est plus tutoyé mais incarné sur pellicule comme il ne l'a jamais été. Connaît-on une filmographie pouvant rivaliser avec celle-ci en termes de titres à la con ? Je n'en vois aucune. Bravo Lelouch, ça te fait une belle médaille. Je ne me remets que tout doucement de la pire gastro de ma vie de cinéphage. 


L'Amour c'est mieux que la vie de Claude Lelouch avec Gérard Darmon, Kev Adams et Sandrine Bonnaire (2021)

21 novembre 2022

Vortex

C'est long 2h22, surtout en compagnie de deux vieux croulants. Je pense que cela aurait pu durer deux fois moins longtemps (voire juste un quart d'heure), Gaspar Noé aurait quand même eu le temps de caler ses deux idées et de nous faire compatir avec ce couple en fin de vie. Son idée du split screen n'est pas mauvaise, en soi, elle a du sens, mais je ne la trouve pas toujours bien pensée (pourquoi le split screen persiste quand on quitte temporairement le duo Argento/Lebrun ?) et très facile, finalement. On sent le cinéaste regarder son propre dispositif avec un petit sourire en coin, très satisfait de lui-même. Le duo d'acteurs est irréprochable, les approximations d'Argento en français collent bien à la situation et le choix de l'improvisation porte ses fruits en procurant un sentiment de vérité assez saisissant par moments. M'enfin, tout ça me laisse tout de même bien circonspect. Après le succès retentissant d'Amour, auquel Vortex ressemble évidemment, force est de constater que cela paye drôlement bien de s'intéresser ainsi à la mort, vu l'accueil critique et les récompenses dont a bénéficié Gaspar Noé… 




...un succès à nuancer, vu le nombre d'entrées ridicule, m'indique-t-on en coulisse. Mon regard était sans doute biaisé par ma propre expérience toulousaine : un dimanche après-midi grisâtre, ma compagne et moi allions au ciné pour une séance programmée pile au même moment que l'avant-première de Vortex en présence de Gaspar Noé. Il y avait un monde de dingue, j'avais jamais vu ça, et principalement des jeunes. La file d'attente s'étendait sur toute la rue et même au-delà. L'effervescence était telle que nous avions des difficultés à nous frayer un chemin vers notre propre salle. Et en essayant de me faufiler dans le ciné par des voies détournées, quitte à contourner les cordons de sécurité spécialement mis en place pour contenir toute l'excitation autour de cet événement grandiose, j'ai failli percuter à deux reprises Gaspar Noé himself ! Il avait son fameux bonnet, son bouc et son regard fuyant, mais il ne m'a pas eu l'air si antipathique. Il y en a bien d'autres qui, dans une telle situation, m'auraient au moins lancé un regard noir. Je n'avais rien à faire là et ce n'est pas à une mais à deux reprises que j'ai été à deux doigts de le percuter de plein fouet par inattention. Cela m'a aussi fait réaliser à quel point sa fanbase est relativement jeune, ou en tout cas que je pourrais carrément y correspondre… Sauf que non. Repenser à cette interminable file d'attente et à toute cette ambiance bouillonnante m'amuse encore plus après avoir vu le film. Un tel enthousiasme pour ça !




A posteriori, je crois qu'il s'agissait de ma plus intense interaction avec une vedette internationale d'une telle envergure depuis mon échange de regard avec le serial buteur Lilian Laslandes lors d'un mémorable TFC-Bordeaux (score final 0-3) de la saison maudite 98-99 (celle qui vit le sacre des Girondins au détriment de l'armada phocéenne coachée par Courbis et comptant dans ses rangs Köpke, Lolo Blanc, Pirès, Duga, Florian Maurice et toute la fine clique, équipe qui avait évidemment ma préférence et à laquelle le titre aurait dû être décerné d'office le soir d'un Montpellier-OM gravé dans toutes les mémoires de footix). J'ai le sentiment d'avoir réellement touché du doigt la vraie personnalité de Gaspar Noé, sa nature profonde, celle qu'il tente en vain de nous dissimuler derrière son crane si lisse, sa moustache épaisse et son regard torve, pour essayer de passer pour un artiste ténébreux et torturé. Sa personnalité est en réalité douce et bienveillante, apaisée. Je n'aime pas ses films, mais il ne mérite peut-être pas que j'en parle ainsi, avec une telle négligence, je me rattrape donc en affirmant que Gaspar Noé me semble être une personne recommandable et sympathique, d'agréable et saine compagnie. Un gentil.




Je repense, enfin, au titre du film, Vortex. Ok, ça claque. Un seul mot, qui se termine en x, comme le précédent Noé, Climax, y'a pas à dire, ça sonne ienb, et c'est important pour ce cinéaste, à l'évidence. Mais après avoir vu le film, je lis vortex et je le prends au pied de la lettre : cela m'évoque tout simplement le tourbillon de la chasse d'eau, de ces chiottes dans lesquels Françoise Lebrun, ne sachant plus ce qu'elle fait, vide la poubelle, puis balance les écrits de travail d'Argento, ces chiottes banales et laides devant lesquelles Lebrun finit aussi par passer un long moment, pour y jeter tous ses médocs, s'amusant ensuite à mélanger le tout, dans un tourbillon orangeâtre sordide et peu ragoûtant. Je lis Vortex et je pense donc à des chiottes. Et je me dis que ce titre-là ne claque pas tant que ça, finalement.


Vortex de Gaspar Noé avec Françoise Lebrun, Dario Argento et Alex Lutz (2021)