28 avril 2020

Le Voyage fantastique

Sorti en 1966, Le Voyage Fantastique nous narre les mésaventures d'une équipe de scientifiques rétrécie et injectée à bord d'un sous-marin dans le corps d'un vieux savant pour le guérir d'une blessure mortelle au cerveau à l'aide d'un pistolet laser haute précision. Il s'agit de l'ancêtre de L'Aventure Intérieure, comédie réalisée par Joe Dante en 1987, ce film si sympathique qui sut marquer les esprits de la chanceuse génération ayant grandi avec les divertissements de qualité que produisait encore Hollywood dans les années 80. Si le film de Richard Fleischer suscite encore notre sympathie, il paraît finalement inférieur à son faux remake. Il faut avouer que l'on a connu Richard Fleischer bien plus inspiré. Ici, le cinéaste se contente un peu d'assurer le service minimum, en s'appuyant notamment sur un pitch forcément captivant et un visuel particulièrement soigné pour l'époque, qui fait passer l'intérieur du corps humain pour une sorte d'immense boule à facettes multicolores mystérieusement éclairée de l'intérieur...


Quitte à être réduit à la taille d'un microbe et injecté dans l'artère carotide d'un humain, on préférerait un hôte un peu plus accueillant...

Malheureusement, le film est très lent (le seul rétrécissement des aventuriers doit bien durer 20 minutes), et si l'idée de faire du corps humain et de sa fragile mécanique le lieu de toutes les angoisses est non seulement intéressante mais tristement pertinente, on se désintéresse peu à peu de péripéties répétitives et sans grands enjeux (après la récupération laborieuse d'oxygène dans des poumons aux alvéoles psychédéliques, et la traversée d'un conduit auditif dans la peur d'être réduit en miette au moindre bruit extérieur, le climax implique le débarquement d'anticorps dégueulasses et d'immondes globules blancs fluorescents...). Le film est peut-être aussi trop sérieux, trop platement documenté. Même si l'intérieur du corps est représenté avec une certaine fantaisie, on se croirait parfois devant un cours de SVT un rien monotone.


Raquel Welsh fait partie du voyage. Seule femme à bord, elle subit immédiatement la connerie d'un de ses coéquipiers, incarné par Stephen Boyd, qui se réjouit qu'elle soit là pour lui faire à bouffer.

On devine par ailleurs que le film de Fleischer se déroule dans le contexte de la Guerre Froide (le savant doit être sauvé parce qu'il détient le secret pour perfectionner la technique du rétrécissement, indispensable en vue d'une attaque armée future) mais l'ennemi n'est jamais clairement nommé, l'un des personnages évoque seulement "les autres", une seule fois, ce qui donne intelligemment un aspect atemporel au film et le distingue de nombreux films de science-fiction de cette période.  


Où l'on découvre que nos poumons, même encrassés, ont la splendeur des carrières de lumière (un site à visiter, aux Baux-de-Provence, lors de vos prochaines vacances dans le sud).

Richard Fleischer donne hélas l'impression de ne pas exploiter tout le potentiel de son idée de départ et il ne parvient pas véritablement à nous faire ressentir le vertige de l'infiniment petit. Parmi les acteurs, au service de personnages sans grand intérêt, seul Donald Pleasance tire son épingle du jeu, les autres se contentant eux aussi de répondre présent à l'appel et de débiter leurs dialogues avec une conviction factice. Le Voyage Fantastique fait donc partie de ces rares films dont on peut se dire qu'un nouveau remake pourrait être bienvenu (le film de Joe Dante s'en étant seulement inspiré et s'en éloignant très nettement), car il aurait de vraies chances d'être supérieur à l'original, à condition qu'une même liberté soit gardée pour inventer les décors (ce qui hélas semble difficilement imaginable aujourd'hui).  


Michel Polnareff en live ? Non, l'attaque des globules blancs géants.

Néanmoins, le film de Richard Fleischer a su nous intriguer sur un point a priori tout à fait anodin mais qui a mis notre imagination en ébullition. On nous précise que le rétrécissement des scientifiques est limité dans le sens où il ne peut durer que 60 minutes (l'action du film se déroule quasiment en temps réel), 60 minutes au bout desquelles ils retrouveront progressivement leur taille normale. Évidemment, le film se termine bien, les scientifiques parviennent à sauver le savant sur le fil, et s'échappent de son corps par une larme, mais on ne peut s'empêcher d'imaginer ce que ça aurait donné si l'équipe de scientifiques, constituée de 4 hommes et 1 femme, s'était mise à grandir pour que chacun retrouve sa taille normale à l'intérieur même d'un autre homme. Vous voyez le tableau ? Ça aurait donné une scène affreusement gore, un truc vraiment abominable...


Le Voyage Fantastique de Richard Fleischer avec Stephen Boyd, Donald Pleasance, Raquel Welch et Edmond O'Brien (1966)

26 avril 2020

Un été en Louisiane (The Man in the Moon)

J'ignore précisément pourquoi, dans la mesure où beaucoup d'autres pourraient faire l'affaire tout aussi bien, mais The Man in the Moon, retitré Un été en Louisiane en France, ultime film de ce grand cinéaste américain que fut Robert Mulligan (dont j'ai dit plusieurs fois tout l'amour que je lui porte), est un film que j'aurais envie de revoir en cette période de confinement. En particulier le début. Le film s'ouvre par un soir d'été, pas 42 mais 57. Deux jeunes filles, deux sœurs, Danielle, dite Dani, 14 ans (Reese Witherspoon, éclatante dans son premier rôle) et Maureen (Emily Warfield), 17 ans, s'apprêtent à se coucher, et leur chambre se trouve en quelque sorte dans la véranda de la maison familiale perdue parmi les terres que cultive le père (Sam Waterson). C'est dans cette chambre d'été, de canicule, exportée, une chambre ouverte sur la campagne de Louisiane que Maureen se met en robe de nuit pendant que sa petite sœur, en pyjama, à plat ventre sur son lit, jalouse la beauté et l'intelligence de son aînée et rêve, vinyle à l'appui, d'Elvis Presley.




Il y a de belles scènes dans le film, qui surviennent après des drames, et en particulier celles qui réunissent Dani à son père, dans la voiture, où la jeune fille pardonne à son père la gifle qu'il lui a donnée, ou plus tard à bord d'une barque, lors d'une partie de pêche sur le lac, où le père tente d'adoucir sa fille, en colère contre sa soeur. Mais, quand je repense à ce film, les images qui me viennent sont celles de la chambre-véranda, et celles qui surviennent peu après, de Reese Witherspoon quittant le cercle familial à la première occasion, courant comme une dératée, ouvrant la barrière qui mène hors du domaine, courant encore à travers bois, à une vitesse qui dit combien ce trajet est connu, est le sien, quittant tous ses vêtements dans sa course pour finalement sauter d'une passerelle dans une rivière en contrebas pour s'y baigner. C'est là qu'elle rencontre le jeune Court (Jason London), son nouveau voisin, dont elle tombe amoureuse, naissance d'un récit d'amours adolescentes et d'apprentissage. Je pourrais m'arrêter là, mais revoir ça souvent, la brave Dani écoutant Elvis dans sa chambre ouverte sur la fraîcheur d'une nuit d'été et courant de toutes ses forces vers un plongeon dans la rivière.


Un été en Louisiane (The Man in the Moon) de Robert Mulligan, avec Reese Witherspoon, Emily Warfield, Sam Waterston et Jason London (1991)

23 avril 2020

Green Green Grass of Home

Pas totalement exclu que les créateurs de la série L'Instit, avec Gérard Klein dans la peau de Kim Novak, instituteur itinérant et sauveteur de la veuve et l'orphelin, jadis diffusée sur France 2 (et bientôt sur Netflix !), se soient inspirés du troisième film de Hou Hsiao Hsien. Le scénario est proche. L'histoire tourne autour d'une école de campagne et de l'arrivée d'un nouveau maître d'école. Il s'agit du frère de la maîtresse en poste (obligée de déménager pour suivre son époux), qui débarque par le petit train bleu, que l'on installe dans le théâtre local, qui apprivoise ses élèves, en particulier un trio déjà célèbre surnommé "les trois mousquetaires", et qui tombe sous le charme d'une enseignante de l'équipe. Le tout sur fond de musiques ou chansons guillerettes, de parties de pêche dans la rivière du coin et de jeux d'enfants. Le nouvel instituteur n'est d'ailleurs pas réellement le personnage principal, pas plus que son idylle avec sa collègue n'est au centre du récit. 




Le cœur du récit, c'est tout ce petit monde, presque le village, pas de personnage principal, on passe du jeune maître d'école à un enfant et sa famille, puis à un autre, naviguant parmi eux dans un film joyeux, très musical, émaillé de gags, avec pour principaux drames le retour gênant d'une conquête un peu collante pour notre instituteur remplaçant, ou la tentative de fugue d'un des enfants dont le père est accusé d'électrocuter les poissons de la rivière. Ce qui ouvre à un discours écologique avant l'heure, dans un happy end en forme de spectacle de fin d'année et de lâcher de poissons organisé par l'école et son équipe, désormais au centre d'un nouveau programme de protection des eaux et de la faune aquatique locales.




Touchant et profondément agréable, le film est quelque part entre le Bonjour d'Ozu, notamment à travers la fameuse séquence de la "boîte à caca" qui rappelle les enfant pétomanes du cinéaste japonais, et L'argent de poche de Truffaut, en nettement moins tragique, par la grâce du portrait des enfants (en particulier le membre des trois mousquetaires qui tombe amoureux de sa petite cousine citadine, avec laquelle il entreprend d'adopter et de soigner un hibou ; mais aussi le petit fugueur et sa sœur, honteux des méthodes de pêche de leur père et partis en quête de leur mère disparue — seule excursion en ville du film — personnages qui évoquent un peu, par anticipation, ceux de Kore-Eda), et par le subtil et discret soubassement nostalgique qui imprègne chaque image d'un film d'enfance pourtant lumineux et léger, nostalgie cristallisée par l'arrêt sur image final où les enfants courent à côté du petit train bleu sur le point de quitter le village.


Green Green Grass of Home de Hou Hsiao Hsien avec Kenny Bee, Meifeng Chen et Ling Jiang (1983)

21 avril 2020

L'Extraordinaire Mr. Rogers

Ce film devrait pouvoir être délivré sans ordonnance dans toutes les pharmacies. On tient là un remède d'une efficacité radicale contre les insomnies. Dès les premières minutes, il vous enveloppe dans une ambiance feutrée qui vous prépare au sommeil le plus profond et réparateur. On ne sait pas où le film nous amène et cette désorientation, mêlée à un désintérêt rapide pour ce qui nous est montré, participe à notre endormissement. Si l'on résiste au vingt premières minutes, ce qui est déjà une belle performance, on comprend que Marielle Heller, la réalisatrice du plutôt sympathique Les Faussaires de Manhattan, nous retrace cette fois-ci l'amitié entre l'actuel entraîneur de l'Olympique de Marseille, André Villas-Boas, et l'animateur d'une émission télé pour enfants qui fut longtemps la personnalité préférée des américains, Mister Rogers, campé par l'inévitable Tom Hanks.




Tu m'étonnes que ce type-là ait eu du succès... Son show devait anesthésier les gosses un vieux coup et soulager bien des parents. C'est mortel ! Il y a quelque chose, dans la diction de Tom Hanks, dans sa manière de poser chaque mot calmement et de respecter systématiquement des blancs entre chacune de ses phrases, qui est terriblement apaisant, qui nous berce à un point... Pendue aux lèvres de sa star, la caméra de Marielle Heller est toute ramollie, on croirait mater un film d'un autre âge. Le rythme, la musique, tout est soporifique en diable, tout est là pour faire de ce film un sédatif surpuissant auquel il semble impossible d'opposer la moindre résistance.




Il y a même un pur moment d'hypnose vers la moitié du film, histoire d'achever les plus coriaces qui auraient encore un œil à demi ouvert. C'est une minute de silence, demandée par Tom Hanks et respectée au centième près par la réalisatrice. Cette scène s'achève par un travelling avant très lent vers le visage souriant et serein de l'acteur, impérial, qui, à mi-parcours, oriente son regard plein de bonté, de bienveillance, vers la caméra. Ses yeux d'un bleu si doux viennent alors transpercer notre cerveau pour mieux chatouiller l'hypothalamus et nous administrer le coup fatal. Sous le saint patronage de Tom Hanks, qui aurait encore mérité un Oscar pour cette performance littéralement hypnotique, les beaux rêves sont garantis.




Franchement, j'ai pas détesté, j'ai pioncé comme un bébé loir à poings fermés, et il n'y a rien de condamnable dans la démarche de Marielle Heller et de ses acteurs qui consiste à nous proposer un rencard en or avec Morphée. Je me suis réveillé en me sentant tout neuf, requinqué comme jamais. Pas de bol, c'était l'heure de se coucher. J'ai aussitôt fait de L'Extraordinaire Mr. Rogers mon film de chevet. Non pas parce que je le kiffe particulièrement, mais juste pour le garder sous le coude, littéralement posé sur ma table de nuit, en cas de souci, pour être sûr de bien faire mes nuits.


L'Extraordinaire Mr. Rogers (A Beautiful Day in the Neighborhood) de Marielle Heller avec Tom Hanks et Matthew Rhys (2020)

16 avril 2020

Les Naufragés de l'île de la tortue

Film déconfiné s'il en est, Les Naufragés de l'île de la tortue, de Jacques Rozier, s'offre comme un grand souffle d'air frais (comme d'autres films du cinéaste, même quand la bouffée est contrebalancée par la guerre d'Algérie, dans Adieu Philippine en 62, ou par la mélancolie d'un homme non-aimé dans le magnifique Du Côté d'Orouët en 73). Le personnage principal, répondant au doux nom de Jean-Arthur Bonaventure (Pierre Richard), commence par vivre quelques turpitudes amoureuses à Paris : pour rendre sa compagne jalouse, il couche avec une inconnue qui, au bout d'une seule nuit d'amour, se comporte comme une amante de toujours et lui fait une crise de jalousie... Après quoi notre homme, employé d'une agence de voyage, décide, avec son ami et collègue Joël « Gros-Nono » Dupoirier (Maurice Risch), de monter une opération supposée les faire bien voir de leurs employeurs : le projet « Robinson, démerde toi – 3000 F, rien compris », qui consiste à envoyer des touristes sur une île déserte dépourvue du moindre confort pour vivre le rêve d'une robinsonnade. La direction est enthousiaste et envoie Bonaventure et Gros-Nono, remplacé au dernier moment par son petit-frère Petit-Nono (Jacques Villeret), en repérages sur des îles inconnues (en Martinique). Sauf que les deux compères ne sont pas préparés et ont à peine exploré la moitié d'une île que les premiers touristes débarquent à l'aéroport local, délestés de 3000 balles et avides de démarrer l'aventure, à condition toutefois qu'on ne les prive pas non plus de tout leur confort...




Cet ancêtre des comédies burlesques d'Antonin Peretjatko (La Loi de la jungle, en particulier, doit beaucoup au film de Rozier), quant à lui beaucoup moins porté sur la vitesse et le gag visuel que sur la drôlerie des situations et des dialogues, portés par des personnages qui existent d'autant plus que du temps leur est accordé, qu'ils soient décalés (Bonaventure, doux rêveur, pas cynique pour un sou contrairement à ce que son piège à touristes pourrait laisser croire, s'illustre par son grand discours, devant une cascade, après des heures de marche dans la jungle pour trouver un premier couchage), nerveux (certains candidats à la robinsonnade, dont un très jeune Patrick Chesnais) ou très attachants (Petit-Nono, qui se retrouve esseulé sur l'île finalement convoitée avec l'une des touristes, Julie, dont on entend le journal de bord en off, interprétée par Caroline Cartier, actrice touchante qui incarnait déjà l'une des trois vacancières de Du Côté d'Orouët). Le film prend même largement son temps, durant 2h18, et l'impression de grande respiration pour nous tient aussi à cela, aux durées créées par Jacques Rozier, dont Jacques Villeret évoquait le dégoût du "travail", le refus de la discipline, la passion pour la paresse et le côté farfelu, qui poussa les membres de l'équipe de tournage à mettre les voiles les uns après les autres, le plateau finissant par se limiter à Rozier, Richard, Villeret et Caroline Cartier. On ressent ce rythme de croisière non-organisée devant le film, ce goût pour la dérive, à l'image de Jean-Arthur Bonaventure sautant à l'eau malgré les courants, emporté au loin pour ne réapparaître que plus tard, cette liberté improvisée qui n'a rien d'un je-m'en-foutisme mais tout d'une forme de légèreté finalement très rare, et très précieuse.


Les Naufragés de l'île de la tortue de Jacques Rozier avec Pierre Richard, Jacques Villeret, Caroline Cartier, Maurice Risch et Patrick Chesnais (1974)

11 avril 2020

Ne coupez pas !

D'ordinaire assez peu client des films de zombies, je dois reconnaître que celui-ci m'a conquis. On comprend facilement qu'il ait connu une telle success story. Tourné dans le cadre d'un atelier d'une école d'art dramatique de Tokyo pour un budget dérisoire, le film a d'abord été projeté dans une petite salle d'art et essai de la capitale japonaise, fin 2017, où il ne devait rester à l'affiche qu'une seule semaine. Quelques mois plus tard, le bouche à oreille ayant fait son effet, il était distribué dans tout le pays et engrangeait les billets. Le phénomène devint rapidement international et c'est ainsi que le film de Shin'ichirô Ueda a même fini sur nos écrans français en avril 2019, sous le titre Ne coupez pas ! Un parcours totalement atypique. Au bout du compte, One Cut of the Dead a rapporté à ce jour plus de cent fois son budget et cela n'est sans doute pas prêt de s'arrêter. Derrière ce genre de phénomène se cache parfois une astuce, un truc, une raison toute bête à l'origine du buzz, qui permet de l'expliquer. Ce n'est pas vraiment le cas ici. Ou bien si, mais l'astuce, le truc, le secret de ce succès, est tout à fait digne d'éloges et ne semble pas être le fruit d'un fin calcul opportuniste (chez les distributeurs peut-être, c'est un peu leur boulot, mais chez le réalisateur et son équipe, je ne crois pas).




Le film dégage en effet une vraie sincérité, un enthousiasme communicatif, une espèce de folie contagieuse, à la seule condition de survivre à son premier plan. Son idée, car il y en a évidemment une, est aussi simple que géniale. Nous assistons donc, pendant les 40 premières minutes, au plan-séquence de la mort promis. Nous voyons une petite équipe d'amateurs essayer de tourner un film de zombies en un seul plan dans un vieil entrepôt abandonné. La situation dégénère progressivement, la peur, désormais bien réelle chez les acteurs et les techniciens, s'installe. Les couacs se multiplient, cela passe d'un moment de flottement bizarre à un goof énorme, et on ne sait pas trop si c'est du lard ou du cochon. De véritables zombies débarquent et provoquent quelques effusions gores comiques, tout part sacrément en vrille. Et malgré toute l'agitation à l'écran, on trouve le temps un peu long et le plan-séquence assez lourdingue. Ainsi, le film paraît d'abord laborieux et ressemble à une parodie de found footage plutôt confuse, on a l'impression de regarder une série B certes peut-être faite avec cœur mais vraiment brouillonne. Et puis tout s'explique !




Le film se termine, avant de recommencer de plus bel. Constitué de trois parties, le moyen métrage éponyme, sa préparation difficile et son tournage abracadabrant, One Cut of the Dead s'apprécie comme une sorte de kinder surprise à l'envers : on commence par découvrir un petit jouet inutile et mal fichu, puis on se repait avec délice d'une petite friandise dont on reprendrait volontiers un autre morceau sitôt après l'avoir engloutie (ma comparaison n'est pas très heureuse, certes, mais doit être inspirée par la saison...). Les errements de la première partie trouvent tout leur sens lors d'un final délirant et terriblement ludique, où s'enchaînent les gags et les idées cocasses dans une ambiance déjantée et un rythme fou. Les acteurs, qui campent tous des personnages sympathiques ou marrants, ont l'air de réellement s'éclater, on apprécie tout particulièrement la bonne bouille de celui qui joue le metteur en scène, Takayuki Hamatsu, ici appelé à dépasser sa fonction. Le film se termine en fanfare et nous offre un spectacle amusant et franchement réjouissant, un bel hommage à l'aventure collective qu'est le tournage d'un film, au plaisir de faire du cinéma. On sort de là avec l'envie vivace de réunir quelques potes, une caméra, deux ou trois gadgets (un rien suffit), et d'aller tourner un film ensemble, pour s'amuser.


Ne coupez pas ! (One Cut of the Dead) de Shin'ichirô Ueda avec Yuzuki Akiyama, Harumi Syuhama, Mao et Takayuki Hamatsu (2017)

7 avril 2020

Vif-Argent

Premier film de fiction de Stéphane Batut, auteur jusqu'ici de deux documentaires, Vif-Argent est une réussite prometteuse. Le film s'ouvre avec un jeune homme (Thimotée Robart), allongé au bas de la falaise des Buttes-Chaumont, qui se réveille, manifestement inquiet, interpelle une bande de jeunes qui l'ignore, tente de les rattraper, dévale une pente et tombe sur les rails que les jeunes arpentent. Mais quand ces derniers arrivent à son niveau, ils ne le voient pas, et une fille de la troupe trébuche sur lui sans le remarquer. On comprend vite que le jeune homme n'est plus de ce monde. Heureusement, un homme est là qui le voit et le prend sous son aile, rassurant, réconfortant. Et le reste du film ne nous privera pas du ton bienveillant, doux, accueillant de cette première rencontre programmatique entre notre jeune fantôme et son passeur, Alpha (Djolof Mbengue), cet homme si sympathique qui devient aussitôt et restera pour lui (et pour nous) un ami.




Puis notre garçon, Juste, rencontre une femme (exit Saint-Pierre), Kramarz (Saadia Bentaïeb), pour un jugement dernier en toute sobriété, et ressort de cet entretien avec une mission. Ellipse. Quelques années plus tard, Juste, devenu passeur à son tour, sillonne Paris, invisible, attendant de croiser la route de nouveaux morts à accompagner ; toujours selon le même rituel : il demande à celle ou celui qui vient de mourir de faire le récit d'un souvenir, que Juste visualise en fermant les yeux, et dans lequel il se déplace en même temps qu'il y convie le trépassé, invité à réintégrer une scène du passé qui lui servira de sas paisible vers l'au-delà. Cette très simple mais belle idée décloisonne le film et nous déplace, le temps de quelques sorties bienvenues, dans la jungle, sur les contreforts des Alpes ou au bord de la Méditerranée, en Italie. Mais dans le métro, Agathe (Judith Chemla), une femme bien vivante, voit Juste, et pense le reconnaître.




Le film, au casting parfaitement réussi, invente de beaux personnages, intéressants et touchants, qui existent très fort parfois en très peu de temps, à la faveur de textes bien écrits (ce sont les différents morts, dont un joué par Jacques Nolot, que l'on est toujours content de recroiser ; l'ami passeur de Juste, le fameux Alpha, mais aussi sa femme, personnages qui bénéficient de quelque largesse de la part de Sainte-Kramarz, et on la comprend ; le père de Juste ; Agathe, et sa grand-mère). Vif-Argent s'inscrit donc dans la lignée de ces quelques films qui se consacrent à l'un des grands pouvoirs du cinéma : filmer des fantômes, montrer l'absent. Sans le comparer à des films récents comme Oncle Boonmee ou L'étrange affaire Angelica, on peut lui reconnaître une certaine originalité, un scénario bien pensé, une réalisation inspirée, par exemple lors d'une scène d'amour particulièrement sensuelle, et quelques belles idées, comme la séquence presque finale (et sans doute vaut-il mieux ne pas lire ce qui suit avant de regarder tout ça). Dans un film qui par ailleurs évoque dans les grandes lignes le célèbre Ghost (et Stéphane Batut semble assumer cet héritage disons populaire, qui, non sans risque, clôt le film sur une version musicale de la chanson All by Myself), c'est le souvenir du film d'Amenabar, Les Autres, qui se rappelle à nous, sans citation ni twist final, mais par la grâce d'un revirement où les morts restent seuls dans un monde désert dont les vivants, bien que présents, sont invisibles.


Vif-Argent de Stéphane Batut avec Thimotée Robart, Judith Chemla, Djolof Mbengue, Saadia Bentaïeb et Jacques Nolot (2019) 

4 avril 2020

The Hunt

On ne compte plus les films basés sur cette idée de départ forcément dérangeante où des hommes sont réduits à l'état de gibier par d'autres, plus puissants ou fortunés, qui les traquent le plus souvent pour le plaisir. Des Chasses du Comte Zaroff à Bacurau, cela a donné une paire de grands films, d'autres beaucoup plus anecdotiques, et enfin quelques pures pertes de temps. The Hunt s'inscrit sans grande surprise dans la troisième catégorie. Il faut dire qu'avec Craig Zobel à la réalisation et Damon Lindelof au scénario, je ne m'attendais pas non plus à prendre mon pied... Le premier semble vouloir persévérer dans les petits thrillers légèrement provocateurs condamnés à faire un mini buzz à leur sortie puis à être oubliés aussitôt. On lui doit déjà Compliance. Mais si, rappelez-vous, c'est ce film basé sur un fait divers où la directrice d'un fast-food martyrisait une de ses employées soupçonnées de vol en suivant à la lettre les consignes que lui donnait un soi-disant flic par téléphone. Vous ne vous en souvenez plus ? Normal. Il a aussi réalisé Z for Zachariah mais celui-ci, on s'en tape encore plus, bien que nous gardons un souvenir plus amusé du triangle amoureux cocasse qu'y constituaient Margot Robbie, Chris Pine et Chiwetel Ejiofor. Quant à Damon Lindelof, il peut peut-être compter sur une petite chapelle de fans convaincus grâce aux séries auxquelles il a participé plus (The Leftovers) ou moins (Lost) activement, mais si l'on se penche sur ce qu'il a fait au cinéma, il y a vraiment de quoi chialer, de quoi lui interdire d'intervenir de nouveau dans le secteur (Star Trek, Prometheus). Son idée de génie, pour The Hunt, est d'avoir fait des gibiers des rednecks, des républicains, des conservateurs, bref des électeurs de Trump grosso mierdo, tandis que les chasseurs ne sont autres que des démocrates, des personnes aux idées a priori plus éclairées et progressistes. C'est ce qui explique ces commentaires que l'on peut lire en gros sur l'affiche hideuse et ridicule du film. 




L'autre idée présentée comme brillante par ces quelques spectateurs que le film a réussi à foutre sur le cul, c'est de choisir de désintégrer dès les premières minutes 90% du casting, star comprise (enfin, quand la « star » s'appelle Emma Roberts, il n'y a pas de quoi non plus être traumatisé par la chose). The Hunt prend donc vite la forme d'un survival satirique aux sabots énormes dont l'héroïne est une femme assez difficile à cerner, une sorte de croisement entre Terminator et... un autiste, campée par Betty Gilpin, que beaucoup ont désigné comme la grande révélation du film ou en tout cas l'un de ses principaux atouts, ce que je ne ferai pas, même s'il est certain que l'espèce de bizarrerie de ce personnage est peut-être ce qu'il y a de plus intrigant dans tout ce cirque. Ainsi, le film se veut une allégorie fun et maligne de l'Amérique d'aujourd'hui, profondément divisée, où chaque camp se montrerait incapable de comprendre l'autre, cultiverait le mépris pour l'adversaire en le caricaturant systématiquement à outrance. Cela pourrait être bien vu si, par ailleurs, on tenait là autre chose qu'un petit truc de rien du tout, une farce de mauvais goût, où l'humour, fait de bons mots faciles, tombe le plus souvent à plat et s'accompagne d'effets gores pénibles, comme c'est désormais la règle dans ce genre de comédies horrifiques, toujours plus sanguinolentes et gerbantes. Ce jeu de massacre n'a pas grand chose d'amusant. La mise en scène de Zobel ne lui confère aucune énergie particulière et elle échoue à rendre mémorables des confrontations qui cherchent pourtant très très fort à l'être : je pense tout particulièrement au long face à face final entre notre héroïne blonde et la grande instigatrice de tout ça, jouée par la revenante Hilary Swank (qui, en réalité, n'est jamais vraiment partie, elle aligne juste les daubasses en cachette). Nous saluons les efforts des actrices, qui ont sans doute passé plus de temps en salle de sport que Craig Zobel à penser la chorégraphie et réfléchir à sa direction. En fin de compte, le film n'a pour lui que son rythme très soutenu et sa courte durée, qui permettent d'en venir à bout facilement et presque malgré soi. Car si ça avait duré un quart d'heure de plus, je n'aurai très vraisemblablement pas survécu à cette traque lourdingue. Pas de quoi regretter que cette chasse ait autant joué de malchance dans sa distribution en salles : sa sortie a d'abord été repoussée aux States suite aux fusillades de Dayton et d'El Paso avant d'être mise ici en suspend par le confinement. A la prochaine, Craig !


The Hunt de Craig Zobel avec Betty Gilpin et Hilary Swank (2020)