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28 avril 2024

Sick

Les amateurs semblent d'accord sur ce point et j'aurais plutôt tendance à les rejoindre : avec John Hyams, artisan appliqué déjà auteur de l'efficace Alone, c'est bien simple, on a ce que l'on est venu chercher, ni plus ni moins. Scénarisé par Kevin Williamson qui, rappelez-vous, avait totalement relancer le genre en écrivant Scream, Sick est un slasher au temps du COVID. Deux amies s'isolent dans une immense baraque à la campagne où elles sont prises en chasse par un tueur soucieux de les exterminer tout en rappelant l'intérêt de respecter les gestes barrières. Inutile d'en dire plus sur un film court et direct qui, comme tout bon slasher, s'ouvre par une scène de meurtre assez intense lors de laquelle le cinéaste, décidément à l'aise dans cet exercice, annonce la couleur : cela sera sec et brutal. C'est en effet la mise en scène énergique de John Hyams qui fait ici toute la différence, le scénario de Kevin Williamson s'avérant efficace, certes, mais sans grande surprise, trouvant seulement dans la pandémie un prétexte pour, attention au spoiler, motiver les actes de tueurs remontés comme des pendules (oui, tueur de nouveau au pluriel, Kevin Williamson aimant décidément user de ce ressort scénaristique tout bête qui avait déjà contribué au suspense du film à succès de Wes Craven). Après une mise en place qui aurait encore gagné à être plus rapide, on se laisse donc prendre à un pur jeu du chat et de la souris plutôt bien mené et ma foi divertissant. Les deux héroïnes, incarnées par Gideon Adlon et Bethlehem Million) ont le mérite de ne pas être trop agaçantes et leurs physiques, pour une fois très ordinaires, ne constituent guère un point d'ancrage de la caméra (les temps ont décidément changé). Le décor, un grand chalet isolé au bord d'un lac, est plutôt astucieusement utilisé. Et le film parvient à monter en tension jusqu'à un final qui scotche convenablement au fauteuil et a le bon goût de se clore sur une combustion au petit matin du plus bel effet. Rien d'extraordinaire, donc, mais un slasher qui fait le job et, en se contentant seulement de cela, parvient déjà à se distinguer du tout-venant. 


Sick de John Hyams avec Gideon Adlon, Bethlehem Million et Marc Menchaca (2022)

2 décembre 2023

Terrifier 2

Le cinéma d'épouvante compte donc dans ses rangs un nouvel énergumène. Celui-ci a fait une entrée particulièrement remarquée, allant jusqu'à squatter les pages des Cahiers du cinéma après avoir provoquer évanouissements et vomissements dans les salles obscures. Il a été définitivement admis cette année à l'académie des pires boogeymens du septième art, auprès des Jason Voorhees, Freddy Krueger, Michael Myers et consorts, mais ne ferait qu'une bouchée de tous ces types qui passeraient presque pour des enfants de chœur à ses côtés. Il s'agit évidemment d'Art le clown, la création de l'esprit torturé de Damien Leone. Réalisateur, scénariste, producteur, monteur, en charge des effets visuels, Leone est un véritable esthète, un pro des SFX et un amateur de boucherie fine, le genre de type adorable au quotidien, doux comme un agneau, qui canalise toutes ses plus noires pensées dans son art, animé d'un amour sincère pour l'horreur et sans doute même pour la fantasy, ce qui suinte de son travail et réfrène notre envie de l'attaquer sur ses faiblesses et ses excès. 





Si Terrifier 2 marque ma première rencontre avec ce maudit clown, il s'agit déjà de sa sixième apparition sur les écrans, puisqu'il a d'abord commencé par sévir dans des courts métrages puis des segments de films à sketchs, toujours confectionnés par Damien Leone. C'est le deuxième long métrage qui lui est consacré, le premier avait déjà tapé dans l'œil de quelques amateurs vigilants, le deuxième, considéré comme supérieur et dont on peut très bien comprendre toutes les subtilités du scénario sans avoir vu le précédent, l'a fait exploser aux yeux du grand public, qui n'en demandait pas tant. Si le clown de Ça vous faisait peur, il y a des chances que celui-ci vous traumatise à vie. Personnage mutique, mime Marceau diabolique, expert en cruauté et en souffrance, Art entre directement au panthéon des plus infréquentables croque-mitaines en redonnant un sacré coup de fouet au sous-genre d'ordinaire moribond et ennuyeux du slasher surnaturel. Nous sommes ici en plein dedans, ne cherchez pas d'explications ni de repères tangibles. De la première à la dernière seconde, le film baigne pour son plus grand bien dans une atmosphère surréaliste inquiétante à souhait, déployant progressivement un univers visuel solide, empruntant beaucoup au monde forain et riche des créations multiples d'une équipe artistique motivée par un chef de chantier survolté, Damien Leone en personne.  



 
 
On tient donc là un slasher pur jus, sans sous-texte social, apparemment dénué de la moindre morale, et, à vrai dire, comme on n'en fait plus. Le genre de trucs clivant, sale et gratis qui aurait fait un ravage à l'époque révolue des vidéoclubs, alimentant les discussions des couche-tard, attisant la curiosité des plus jeunes. On peut très bien rejeter d'un bloc l'œuvre sanglante et abstraite de Damie Leone. Je ne vous jetterai pas la pierre, j'ai failli en faire autant. Déjà, il est assez culotté de proposer un slasher long de près de 2h20. Mais cela fait partie du délire, nous répondra-t-on, et c'est un fait. Cette démesure participe en effet au sentiment de malaise et à l'ambiance brumeuse et automnale de ce cauchemar qui semble sans fin, sans issue, sans queue ni tête. Accessoirement, cela permet à Terrifier 2 d'être le film gore le plus long de l'histoire (information que je vous invite tout de même à vérifier, on ne sait jamais qu'un hurluberlu se soit déjà amusé à commettre pire méfait). Pendant tout ce temps, Damien Leone esquisse une sorte de mythologie autour d'Art the Clown, ici accompagné d'une fillette fantôme particulièrement flippante, complice passive de ses exactions. On devine qu'il s'attachera à compléter cet univers et à l'enrichir lors des forcément nombreux opus à venir. Pour ma part, cela a suffit à m'intriguer et à me donner envie d'en savoir plus. Je préfère quelques petites touches intelligemment distillées ainsi, et une large part laissée au mystère, plutôt qu'une pénible anamnèse de l'origine d'un tel tueur, de ses motivations éventuelles et une présentation laborieuse de ses piteuses victimes, surtout dans un tel film, où les explications de texte correspondent en général à des passages douloureux ou pathétique. 



 
 
Cet horrible film d'horreur et d'horreurs est empli de visions proprement abjectes, d'images marquantes et révulsantes. Les corps, particulièrement les visages et plus précisément les yeux, subissent tout, éclatent, fondent, s'ouvrent en deux et éclaboussent de long en large les fameux décors bariolés avec un soin savant. Terrifier 2 est un spectacle baroque à l'humour noir en pointillé, farci de détails macabres, et ponctué de longues scènes gore jusqu'au-boutistes, outrancières, où la violence est déréalisée, ce qui la rend plus tolérable. Ces excès amènent une distance salutaire, qui permet de ne pas rendre son déjeuner et tout simplement de tenir bon, mais ils peuvent néanmoins choquer. Il y a là comme un acharnement qui fascine et révulse tout à la fois. Car si la surenchère amène un décalage nécessaire et que certains plans ne laissent aucun doute quant à la fausseté des matières ou fluides en présence ainsi qu'au malin plaisir pris en coulisse par les artisans souriants aux manettes, ils sont aussi associés à une pointe de réalisme glaçante qui peut secouer, mettre à mal. Quelques pures visions de cauchemar restent en tête, l'air de rien, et on se souviendra d'une scène de meurtre sauvage dans une chambre à coucher dont la brutalité et la cruauté laissent coi. Elle peut évoquer l'un des premiers meurtres particulièrement sanglants des Griffes de la Nuit, de Wes Craven, quand Freddy tailladait une jeune fille blonde en nuisette et la traînait jusqu'au plafond en défiant les lois de la gravité, mais tout est ici bien plus cruel et cru, et on ne doute pas que cette scène-choc aura le même effet sur toute une génération de nouveaux spectateurs impressionnés. En fin de compte, on peut noter qu'il n'y a là-dedans aucun jump scares, Damien Leone préfère provoquer notre dégoût et engendrer un malaise plus lancinant, par ces différents moyens. L'action a beau se dérouler principalement durant Halloween et le tueur être un clown sadique, Damien Leone s'affranchit de la franchise lancée par Carpenter et renvoie Pennywise dans son bac à sable, il ne tire pas sur les mêmes ficelles et s'entête principalement à mettre en forme ses sordides hallucinations, à nous proposer un grand huit horrifique plus sec et dénué des idioties hideuses d'un James Wan.



 
 
Damien Leone atteste donc d'une brutalité graphique assez inédite, qui est vierge de toute explication psychologique. On sent d'ailleurs que ça n'est pas là le fort du cinéaste, qui peine un peu à dépeindre une famille monoparentale avec une mère dépassée par les événements et les agissements incompréhensibles de ses enfants, en réalité obnubilés ou dictés par le clown maléfique ; une petite famille vivant toujours dans l'ombre du deuil de leur paternel, qui était lui aussi fasciné par le tueur en costume et ses crimes odieux. Plus occupé à faire traîner en longueur des scènes quasi oniriques vouées à s'achever dans un bain de sang plus qu'à faire avancer le semblant d'une intrigue, le réalisateur se concentre seulement sur deux personnages, son clown au nez crochu mais aussi sa jeune rivale (Lauren LaVera), inévitable final girl. Il les dessine, littéralement, plus qu'autre chose, de la même façon que l'héroïne se conçoit elle-même une armure inspirée des dessins de son défunt père (sa famille est donc liée au clown, mais ce background assez brouillon n'est pas vraiment le point fort du projet, vous l'aurez compris, il sera néanmoins creusé dans la suite déjà tournée). Et le cinéaste semble y croire très fort, essayant à fond, et donc parvenant au moins un peu, même au regard des plus sceptiques, à leur donner ce caractère quasi mythique tant recherché. On est curieux de retrouver Art le clown à l'avenir, mais aussi de recroiser cette héroïne aux ailes d'ange factices, énièmes déclinaisons du sempiternel combat du bien contre le mal. Le long duel final et l'ultime mise à mort du clown, à la dernière mimique effrayante, concluent avec une logique certaine cet interminable circuit en train fantôme, qui en dégoûtera beaucoup mais pourra ravir quelques amateurs.
 
 
Terrifier 2 de Damien Leone avec Lauren LaVera et David Howard Thornton (2023)

15 décembre 2020

Enragé

Selon l'Office québécois de la langue française, la rage au volant est l'agressivité excessive de certains conducteurs qui, à la suite d'une altercation, tentent de blesser ou de tuer un piéton, un autre conducteur ou un des passagers. Enragé nous narre un cas classique de rage au volant. Tu klaxonnes un type qui tarde à redémarrer quand le feu passe au vert et ça se termine en un véritable bain de sang, avec meurtre de sang froid devant une foule de spectateurs médusés, prise en otage de toute ta famille et pas mal de cadavres laissés en chemin, sans compter toute la taule froissée... Bon, admettons qu'on tient là un cas assez extrême de rage au volant, mais le film de Derrick Borte a au moins le mérite de nous sensibiliser sur ce sujet brûlant. Les termes de "road rage" sont employés au moins dix fois dans les dialogues, et il faut voir le générique d'ouverture, véritable spot de prévention de la Sécurité routière, qui nous propose une petite compilation d'épisodes de rage au volant tout bonnement édifiante. C'est à vous dissuader de prendre la route...


 
 
L'attraction du film se nomme évidemment Russell Crowe. L'acteur néo-zélandais est impressionnant là-dedans. Dans le premier sens du terme. Pas vraiment pour son jeu, mais pour son physique. On dirait un énorme ours mal luné. Il fout les j'tons. On ne sait pas s'il a pris du poids exprès pour le rôle ou s'il s'est juste laissé aller depuis quelques temps... Il paraît loin le temps où Maximus faisait chavirer les cœurs et récoltait les Oscars coup sur coup. Peut-être aussi que la mise en scène de Derrick Borte (définitivement pas un nom de star) fait tout son possible pour rendre le comédien plus imposant qu'il ne l'est en réalité, tire partie de sa corpulence nouvelle. On peut en tout cas regretter que le réalisateur n'exploite pas assez sa voix, sa grosse voix de contrebasse. Ce n'est pas un chat qu'il a dans la gorge ce type-là, c'est tout l'effectif du Chat va mieux, le bar à greffiers tendance qui vient d'ouvrir dans mon quartier (timing parfait). Mais les scènes de dialogues sont trop rares pour en profiter. Le fan de Crowe a de quoi se sentir un peu frustré.
 


 
Face au monstre, une de ses compatriotes, Caren Pistorius, une actrice bien choisie, au charme tout à fait banal mais bien réel, crédible en mère de famille débordée et en plein divorce. Il fallait bien une jolie dame gracile et ordinaire pour contrebalancer le colossal et effrayant Russell Crowe. Pour tout le reste, Derrick Borte ne fait pas dans la dentelle. Il n'y a là strictement aucun mystère, toute forme de suspense est évacuée dès la première scène, qui nous montre un Russell Crowe remonté comme une pendule défoncer une porte d'entrée à coups de marteaux puis commettre un gros carnage à l'aide du même outil avant de répandre un bidon d'essence sur le sol de ce qu'on suppose être la nouvelle maison de son ex-femme et de laisser tout un quartier en feu derrière lui. Car le gros Russell, qui nous rappelle un peu le Michael Douglas de Chute Libre, campe un homme qui a tout perdu suite à son divorce. Le film cherche manifestement aussi à nous sensibiliser là-dessus, à la cause des hommes aux abois, abandonnés et ruinés par leurs femmes. Il y a la détresse du personnage campé par Crowe mais aussi celle, hors champ, de l'ex-mari de l'héroïne, qui n'est pas dépeinte comme irréprochable (n'a-t-elle pas créé un monstre, elle aussi, en préférant s'acoquiner avec son avocat ?). On ne sait pas trop comment interpréter ce versant-là de cette œuvre décidément très engagée et ambiguë...



 
Avec son scénario de malheur où les forces de l'ordre sont étonnamment absentes ou incompétentes et où les personnages finissent par reproduire connement une stratégie ayant fait ses preuves à Fortnite mais qui s'avère moins efficace IRL (véridique !), Derrick Borte joue à fond la carte du thriller horrifique, simple, direct, bas de plafond. Vous pouvez laisser vos neurones en veilleuse pendant 90 petites minutes, rien à craindre. Horrifique aussi car le film est d'une violence assez surprenante. On ne s'attend pas à ça. Russell Crowe campe un psychopathe pur jus qui ne dénoterait pas en boogeyman inarrêtable dans un slasher lambda. Ses explosions de violence sont aussi sanglantes et inventives que soudaines et presque déplacées... Pour l'anéantir, il faut bien sûr être capable de la même fureur, sans oublier de placer une petite phrase qui tue avant de l'achever, une punchline qui nous conforte dans l'impression bizarre de mater un vieux truc ricain venu des années 80-90 (curieusement, le scénar s'avère aussi très proche du Red Eye de Wes Craven). Si l'on creuse assez loin, par amitié pour Russell, nous pourrions dire que le côté très primaire assumé du film constitue à la fois son petit charme et sa grosse limite. C'est très très bête mais certains pourront peut-être éprouver un plaisir régressif devant ça. Jamais autant cependant qu'à dû en ressentir l'ancienne vedette du Colisée en prêtant ses traits fatigués à ce sociopathe XXL.
 
 
Enragé de Derrick Borte avec Caren Pistorius, Russell Crowe et Gabriel Bateman (2020)

10 février 2015

It Follows

Déjà remarqué au Festival de Cannes l'an passé, It Follows a, depuis, suivi son petit bonhomme de chemin, en ne ratant aucune étape. Couvert de louanges et de récompenses, le film de David Robert Mitchell arrive aujourd'hui sur nos écrans auréolé d'une réputation écrasante qui entraîne logiquement des réactions passionnées. Moi-même, je n'ai pas pu m'empêcher de ressentir une petite pointe de déception à la sortie de la séance, rapidement dissipée. On en oublie en effet le film que l'on a devant soi, pour ne penser qu'à celui que l'on s'imaginait et que l'on s'était mis à attendre. Et pourtant, It Follows est peut-être bien celui-ci. Le film d'horreur nécessaire et espéré. Un film certainement voué à devenir culte et qui saura conserver une place de choix dans la cinéphilie de beaucoup de ses spectateurs. Une chose est sûre : il vaut le coup d’œil, mérite qu'on lui donne sa chance et justifie que l'on s'y attarde un peu.




Non, ce film ne révolutionne pas le genre. Mais pourquoi le cinéma d'horreur aurait-il besoin d'une révolution ? Quand déboule un film comique qui fait marrer tout le pays, on ne se plaint pas qu'il ne révolutionne guère la comédie, non ? Condamné à une certaine redite, inondé de navets intenables et purement commerciaux, baignant ainsi dans une médiocrité crasse et une répétition lassante qui lui semblent inhérentes, le genre horrifique devrait donc trouver son salut dans un indispensable bouleversement. On peut encore l'attendre, cette révolution... Si l'élégant It Follows parvient à susciter de tels éloges, c'est peut-être tout simplement parce que le second film de David Robert Mitchell se trouve au bon endroit, au bon moment. Avant d'aller plus loin, ouvrons une petite parenthèse pour établir un bien triste constat : avant, les noms des cinéastes spécialisés dans l'horreur avaient quand même autrement plus de gueule ! Wes Craven, John Carpenter, Dario Argento, Tobe Hooper, George Romero... C'est autre chose que "David Robert Mitchell", non ?! C'est quand même dommage... Je ne suis pas contre l'usage d'un pseudonyme quand on a un patronyme si plat et que l'on s'essaie à l'horreur. Enfin bref, passons. 




It Follows m'apparaît donc, à sa façon, comme le film d'horreur nécessaire et attendu. Pourquoi ? Parce qu'il est à la croisée des chemins de plusieurs tendances actuelles, qui généralement n'arrivent pas à s'entendre et à se rejoindre pour de bon, et parce qu'il parvient à tirer et à représenter le meilleur de chacune d'elles. Dès les toutes premières images, et ce superbe plan-séquence en panoramique dans un quartier pavillonnaire qui nous est étrangement familier, nous savons que nous sommes en présence d'un film issu tout droit du cerveau et de l'imaginaire d'un cinéaste ayant grandi avec le meilleur du cinéma de genre des années 70, 80 voire au-delà. Wes Craven, David Lynch et, bien sûr, John Carpenter, sont les premiers noms qui me viennent en tête. Nous tenons là une œuvre sous influences, qui ne cache pas sa filiation, et qui pourrait même être interprété, mais ce serait bien réducteur, comme une brillante variation autour d'Halloween, sa référence la plus voyante. Il est d'ailleurs à la fois amusant et consternant de constater que les mêmes griefs sont dirigés à l'encontre des deux films. A près de 40 ans d'intervalle, ils véhiculeraient un même puritanisme rétrograde, dangereux et nauséabond, ils consisteraient, somme toute, en un même appel grotesque et odieux à l'abstinence, car la relation sexuelle tue, transmet le mal. S'arrêter à une interprétation si terre-à-terre pour un film qui nous laisse si libre d'y voir ce que l'on veut, qui multiplie intelligemment les pistes et déploie une vraie richesse thématique, est surtout, en réalité, d'une grande tristesse et atteste d'une sacrée étroitesse d'esprit. 




It Follows se présente ensuite comme un film indépendant qui s'intéresse exclusivement à la jeunesse, ne montre quasiment pas un adulte, et porte sur ses jeunes protagonistes un regard attentionné et inquiet, doux et mélancolique. Un dialogue délicatement amené et survenant assez tôt nous apprend que l'un des grands garçons souhaiterait tout simplement retourner en enfance, à cet âge où l'on est encore heureux car tout est encore possible. Cette jeunesse est donc plutôt blasée, pessimiste, cernée par la crise et par la mort, abandonnée par ses aînés ; elle ne sait pas quoi faire de sa vie, et paraît avoir accepté une certaine fatalité, le caractère inéluctable d'une existence sans éclat, d'un avenir morose, sans réelle liberté. Les sinistres "suiveurs" sont souvent des parents, des personnes âgées, qui symbolisent toutes leurs peurs. David Robert Mitchell n'oublie pas non plus de se doter d'un regard social bienvenu en filmant très frontalement les banlieues grises, délaissées et sacrifiées de la ville de Detroit. Des zones pratiquement interdites, dont on ne parle plus, où la petite bande se rend dans l'unique but de retourner sur les traces éventuelles de leur malédiction, à son origine. Avec ce double regard adroit et discret, le cinéaste convoque toute une frange de ce cinéma indé américain que l'on aime et que l'on défend, les Kelly Reichardt, Matthew Porterfield et compagnie, en remontant plus loin, on pourrait même citer Gus Van Sant.




Enfin, et c'est ce qu'il y a sans doute de plus agréable à observer, It Follows porte clairement la marque d'un nouveau cinéaste, encore en devenir certes, mais qui, de par la maîtrise formelle éclatante dont il fait de nouveau preuve, la capacité rare à investir et à s'approprier les codes d'un genre, ainsi que la cohérence avec son précédent film (le méconnu The Myth of the American Sleepover qui sera, je l'espère, redécouvert à la lumière de son poursuivant), vient ici confirmer son éclosion. On a comme l'assurance d'avoir là affaire à l’œuvre d'un auteur à suivre, et la vision d'un film d'horreur offre rarement cette intime conviction. Ces derniers temps, la plupart des réussites du genre apparaissent souvent d'emblée comme des coups uniques, laissés sans suite. Le prochain opus de Mitchell sera très attendu, et il ne s'agira sûrement pas d'un film d'horreur, mais il y reviendra peut-être, et celui qu'il a déjà réalisé atteste d'une vraie singularité, d'une personnalité polyvalente, et c'est bien là l'essentiel. Aussi banal soit-il, son nom à rallonge va désormais compter dans le paysage du cinéma indé US. Pour toutes ces raisons, on peut comprendre l'accueil réservé à It Follows, titre horrifique qui tombe à pic et saura séduire le cinéphile lambda.




Si la forte reconnaissance que ce film a réussi à obtenir permet enfin de faire prendre conscience que, oui, c'est bel et bien de ce côté-là qu'il faut aller chercher les pépites, dans les marges du cinéma indépendant, alors tant mieux ! C'est là que sont produits les meilleurs films de genre depuis maintenant un moment. It Follows n'est donc pas une révolution, peut-être pas un chef-d’œuvre ou quoi que ce soit, mais c'est un film nécessaire, arrivé au moment le plus opportun, qui réussit à cristalliser, en beauté, différentes aspirations, pour 100 minutes qui font un bien étonnant au cinéma de genre entier. On peut simplement prendre du plaisir à y repenser en le considérant comme une sorte de vaste cauchemar dont ses jeunes protagonistes ne sortent jamais. On sort d'ailleurs du film comme on se réveille d'un mauvais rêve particulièrement marquant, en essayant d'en trouver le sens, persuadé qu'il y a une signification forte, évidente, mais insaisissable. Son ambiance onirique et flottante, ses décors désolés et hors du temps (habilement, le réalisateur se plaît à mêler les époques, à travers des accessoires incongrus et très peu d'indices temporels clairs) ont tôt fait de nous envelopper, de nous installer pleinement et confortablement dans une atmosphère étrange, incertaine, où la peur peut surgir au fond de l'image, hors-champ, n'importe où, n'importe quand et, pire encore, être incarnée par n'importe qui.




Même si le film n'est pas le choc ou le traumatisme que certains auront peut-être eu le tort d'attendre puis de regretter, les pures scènes de trouille sont d'une vraie efficacité et rythment idéalement l'ensemble. Des ellipses savamment placées distillent également un malaise véritable, on en vient par exemple à croire que notre jolie et pure héroïne (incarnée par Maika Monroe, actrice à suivre !) a été poussée à s'offrir à trois étrangers pour transmettre, temporairement, son malheur. Cette idée de transmission maléfique, ce jeu permanent sur le hors-champ, et un autre clin d’œil anecdotique autour d'une piscine, viennent d'ailleurs rappeler les grands films de Jacques Tourneur (Rendez-vous avec la peur, La Féline). Le talent de DRM (c'est déjà plus classe que son nom complet !) a le mérite de titiller notre imagination, comme en ont été capables avant lui les grands noms du fantastique. Sa mise en scène, appuyée par une bande son au diapason qu'il faut vraiment saluer aussi, nous rend légèrement paranos et donne une nouvelle saveur à ces peurs enfantines et adolescentes qui, depuis toujours, nourrissent et inspirent le cinéma d'horreur. Mitchell connaît bel et bien ses classiques et s'amuse à nous faire scruter le cadre, à la recherche d'un rôdeur éventuel, d'une menace avançant lentement mais sûrement ; il nous pousse à essayer de reconnaître les signes distinctifs de cette mort qui rôde, constamment, inarrêtable, se tenant toujours prête à nous rattraper, à nous happer. Pour toutes ces qualités, pour la peur et l'espoir qu'il parvient à susciter, It Follows est un film digne d'éloges, un modèle du genre, et il serait bien dommage qu'à l'instar de ces jeunes filles qu'il fait frémir et disloque, il ne soit, en quelque sorte, victime de son propre charme.


It Follows de David Robert Mitchell avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Lili Sepe et Daniel Zovatto (2015)

22 juillet 2013

Evil Dead

Contrairement à John Carpenter, Wes Craven, Tobe Hooper et tous ces autres "maîtres de l'horreur" dont les classiques ont été revus et corrigés récemment, Sam Raimi s'est pleinement impliqué dans le remake de son Evil Dead et en revendique ouvertement la paternité. Il est donc en plein dans ma ligne de mire, au tout premier rang à la barre des accusés. Car disons-le tout net : cet Evil Dead version 2013 est un des trucs les plus moches et cons qu'il m'ait été donné de voir depuis un bail. On est typiquement en présence de ce que le cinéma d'horreur peut proposer de plus minable et de plus laid. C'est une insulte adressée à tous les amoureux du genre. C'est le genre de films qui pousse mon amour pour le cinéma d'horreur dans ses derniers retranchements, qui me fait me dire "Putain, mais pourquoi tu mates ces trucs-là ?". Evil Dead est une véritable abjection, un film d'une inqualifiable stupidité et d'une laideur de chaque instant. Je me répète déjà...




Bon, que nous raconte-t-on exactement cette fois-ci ? Grosso modo la même chose qu'il y a 30 ans, à quelques menus détails près. Ça valait donc bien le coup de s'y mettre à plusieurs pour écrire tout ça. Trois ou quatre scénaristes, dont Sam Raimi, sont en effet crédités au générique. Après une rapide recherche sur le web, on apprend que la savante Diablo Cody a également été mêlée au projet, sans doute pour apporter sa science pour tout ce qui concerne l'écriture de personnages d'adolescents américains crédibles et vivants. On sait la scénariste experte en ce domaine, depuis Juno, Young Adult, Jennifer's Body et toutes ces merdes révoltantes qui nous proposaient autant de portraits sans aucune épaisseur d'une jeunesse américaine qu'on avait simplement envie d'étouffer sous nos pets. Les personnages, incarnés par des acteurs tous lamentables dénués du moindre charme, sont ici autant de clichés insupportables qui n'existent à aucun instant, de la chair juteuse purement et simplement livrée à l'abattoir. On remercie encore Diablo Cody, la scénariste 2.0, pour son apport, on sent clairement sa patte personnelle...




Une bande de jeunes décident donc de nouveau de passer quelques jours dans une cabane perdue dans la forêt, à l'architecture plutôt inquiétante. On comprend qu'ils sont là pour tenter de faire décrocher l'une des leurs de son addiction à la drogue, en l'empêchant de décamper au premier bad trip. Des tensions naissent aussitôt dans le groupe, certains jugeant cette méthode un peu trop radicale. Un livre maudit est découvert dans le sous-sol (le "Necronomicon" de l'original, qui a ici perdu son nom car la grosse référence à Lovecraft a peut-être été jugée de trop haute volée pour la crétinerie du public cette fois-ci ciblé - l'écrivain de Providence ne s'en porte que mieux). Un personnage, le plus con du lot, lit quelques phrases à voix haute malgré le fil barbelés qui renferme solidement le bouquin et les contre-indications menaçantes griffonnées sur chaque pages. Il réveille ainsi une force surnaturelle malfaisante. Le carnage peut alors commencer pour de bon. Je raconte presque trop bien...




N'étant pas un amoureux de l'original, j'étais tout de même curieux de découvrir ce film dont le maketing avait tout osé. "Vivez l'expérience cinématographique la plus terrifiante" assène la gigantesque tagline sur l'affiche, tandis que les multiples bandes-annonces nous promettaient l'Enfer, un traumatisme assuré, une date déjà inscrite dans l'Histoire du cinéma d'horreur. En vérité, nous avons affaire à un pur produit dont la prétention de l'emballage n'a d'égal que le cynisme glaçant de ses fabricants. On jurerait que ce remake est le fruit d'une paresseuse analyse de marché. "Ils veulent de l'horreur qui tache, ils veulent du gore ?" se sont-ils dit dans les couloirs des studios, "Hé bien, ils en auront !". Assurez-vous de bien avoir débranché vos cerveaux, on vise simplement à vous retourner le bide, pas plus. On imagine aisément une douzaine de gars commandés par Sam Raimi, soucieux de redorer sa statue (lui qui s'était déjà adonné à l'auto-citation couillonne avec l'infâme Jusqu'en Enfer), réunis autour d'une table ronde pour l'opération de rajeunissement de son vieux bébé. A chaque fois que le moins débile de la bande levait la main pour dire "Ah ! J'ai une idée !", les autres l'écoutaient mollement, avant que le plus imbécile du lot ne prenne la parole pour dire "Ok, ok, mais on va essayer de faire encore pire !", et ainsi de suite. Bon, je me fais peut-être des idées, mais le film ressemble vraiment à un collage lamentable de scènes gores sans inventivité, à un déluge de sang et de cris animé par la seule incapacité totale et l'affligeant manque de talent de toute l'équipe aux commandes de ce si triste projet. Et le pire c'est que ça marche ! Le film a rapporté près de 100 millions de dollars pour un budget 10 fois moindre. On annonce désormais pour bientôt la suite du remake dont on ne sait pas s'il s'agira d'une suite à part entière ou du remake de la suite de l'original qui, rappelons-le, était elle-même un remake de l'original par son propre auteur, qui laissait dès son second film ses dernières idées de cinéaste.




On tient là un film dont l'énergie insupportable et le rythme trépidant paraissent totalement fabriqués, calculés, à des années lumières de la spontanéité réelle et rafraîchissante qui faisait le charme juvénile de l'original. C'est un obscène rouleau-compresseur de cruauté crasse et de violence sotte. On y voit entre autres une jeune femme se faire tronçonner la tête depuis l'intérieur, la lame de l'appareil enfoncée dans la bouche, dans un feu d'artifice barbare où éclate joyeusement dans le plan plus de sang que cent corps humains ne doivent en contenir. Une autre jeune femme se découpe le bras à l'aide d'une scie électrique curieusement retrouvée dans la cuisine de la vieille cabane abandonnée, pendant qu'une autre se taillade le visage avec la lame mal affutée d'un couteau rouillé avant que son petit-ami ne décide de lui fracasser compulsivement le crâne à l'aide d'un morceau de lavabo, en pleine hystérie. On regarde ça les sourcils légèrement relevés, profondément consternés et animés d'un mépris grandissant pour toutes les personnes impliquées là-dedans, à commencer par qui-vous-savez. Ces moments de violence sauvage sont filmés avec une complaisance qui fait se poser pas mal de questions. La mise en scène sans aucune personnalité est signée Fede Alvarez, un chicanos choisi par Sam Raimi himself, probablement pour le remercier d'un coup de main rendu pour régler une sombre affaire personnelle dont on ne veut rien savoir.




Le pire, c'est que la surenchère n'est jamais poussée assez loin. Ce n'est strictement jamais drôle, jamais effrayant, jamais dérangeant. Evil Dead 2013 est un sous-Destination Finale écarlate et condensé, auquel on aurait retiré toute espèce de second degré, toute esquisse de drôlerie et d'ironie. Autant dire qu'il ne reste plus rien, sachant que la franchise lancée par James Wong n'est déjà pas connue pour sa qualité... Le film de Fede Alvarez n'a aucun ton identifiable, et c'est peut-être la seule chose qui lui donne un semblant de mystère. On n'est ni dans la parodie ou dans l'humour, ni dans l'horreur véritablement sérieuse et premier degré, mais dans un entre-deux indéfinissable et inconfortable au possible. Bref, on ne sait pas trop où on est, si ce n'est face à une daube d'une envergure assez inédite pour la vague de remakes horrifiques qui n'en finit pas de déferler depuis des années et qui nous avait pourtant habitué à une moyenne terriblement basse.




Inutile de dire qu'on se demande un peu pourquoi un tel film n'a pas soulevé de débat du côté de la censure, quand la violence bien plus mesurée d'un autre, sorti au même moment, Only God Forgives, réalisé quant à lui par un cinéaste, un vrai, était pointée du doigt par nos ministres. Peut-être parce que l'étiquette de "film d'horreur" permet de tout faire passer, tandis que la vision d'un artiste, dont on connaît la radicalité, ne vaut plus grand chose et mérite qu'on s'y attaque. N'y voyez pas là les remarques réactionnaires d'un spectateur trop sensible, je me fiche un peu de tout ça et Evil Dead est un film si raté qu'il n'a strictement rien provoqué chez moi, malgré les litres d'hémoglobines à l'écran et l'enchaînement sans fin de scènes de massacres ridicules. En réalité, je me demande seulement qui peut prendre du plaisir à regarder un spectacle si déprimant et abrutissant. On est au niveau zéro de l'horreur filmée, face à un abîme de nullité aussi misérable qu'incompréhensible.




Par pur hasard, un autre film d'horreur produit récemment nous propose de suivre les mésaventures de personnages qui choisissent, eux aussi, de se cloîtrer dans une cabane perdue dans les bois pour les besoins d'une cure de désintoxication radicale. C'est diablement plus intelligent et original, ça a été fait avec trois euros en poche mais un véritable amour pour le genre, ça s'appelle Resolution et ça ne sortira pas au cinéma. En attendant de le découvrir par d'autres voies et d'en lire la critique par ici, ne perdez pas votre temps devant cet Evil Dead, ce film sans âme dont même les auteurs sont dépourvus car ils l'ont depuis longtemps revendue chez Prix Bas.


Evil Dead de Fede Alvarez avec une bande de cons (2013)

6 novembre 2012

Terreurs sur la ligne

Terreur sur la ligne (When a Stranger Calls, en vo), le dernier immondice signé Simon West, est le remake d'un film du même nom datant de 1979 signé Fred Walton, l'un des frères Walton. J'ai vu l'original quand j'étais petit et j'en garde un très bon souvenir. Sa seule séquence d'ouverture, redoutable d'efficacité, lui a permis d'accéder au rang de petit film culte. Une baby-sitter (Carol Kane), gardant toute seule deux enfants dans une grande maison de banlieue, est harcelée au téléphone par un monsieur qui lui demande sans arrêt, sur un ton monocorde et particulièrement flippant, "Êtes-vous allée voir les enfants ?". Inquiète, la jeune fille contacte la police et fait localiser l'appel. On lui signale alors que les coups de fil sont donnés depuis l'intérieur même de la maison ! Le tueur a le temps de liquider les deux gosses avant de prendre la fuite. Ainsi s'achevaient les vingt premières minutes particulièrement tendues et réellement terrifiantes de ce thriller horrifique qui s'appliquait à mettre en image une légende urbaine bien connue outre-Atlantique.


Le visage de Carol Kane vous dira sans doute quelque chose. L'actrice a joué dans quelques chouettes films dans les années 70 : The Last Detail, Une Après-midi de chien, Ce plaisir qu'on dit charnel et Annie Hall.

La suite du film n'était hélas pas tout à fait du même niveau. On y voit le tueur sortir de l'asile psychiatrique et se mettre à la recherche de l'ancienne baby-sitter, en épluchant l'annuaire des télécoms. Lors de la toute dernière partie du film, il la retrouve enfin et le réalisateur nous offre à nouveau une séquence d'angoisse assez réussie. Tout cela fut donc suffisant pour que l’œuvre s'installe modestement au panthéon des amateurs d'épouvante et influence assez clairement toute une catégorie de films d'horreur (les slashers), un peu de la même façon que Black Christmas (bien que le film de Bob Clark, réalisé cinq ans plus tôt, soit infiniment plus réussi et d'une bien plus grande importance pour le genre). Il est en effet évident qu'un type comme Kevin Williamson s'est largement inspiré de quelques situations de ces films pour écrire le scénario de Scream. L'idée de l'appel téléphonique localisé à l'intérieur même de la maison, et tout le suspense qui va avec, a en effet fait son chemin. Sorti en 2005, le remake de Terreur sur la Ligne est quant à lui une preuve de l'essoufflement irréversible de l'importante vague de slashers générée par le succès du film de Wes Craven. Revenons à présent sur son triste cas.


Camilla Belle porte plutôt bien son nom de famille. Heureusement qu'elle ne s'appelle pas Camilla Bonnactrice.

En réalité, le remake de Simon West (aucun lien de parenté avec le célèbre auxerrois Taribo) réitère seulement la situation de la première séquence du film original, celle où une baby-sitter est donc malmenée au téléphone par un psychopathe dont on apprendra, ici au bout d'une heure, qu'il se trouve dans le salon, les pieds en éventail sur la table basse. Simon West transforme ainsi les 20 premières minutes extra de l'original en une heure et demie d'ennui profond où nous voyons la jeune fille répondre à d'autres coups de fil, visiter la maison, manger une glace, se faire les ongles, regarder Le Roi Lion, jouer avec les interrupteurs et, surtout, sursauter au moindre bruit ! Bref, un véritable supplice, d'autant plus intenable pour quelqu'un qui a déjà vu l'original et qui sait par conséquent tout ce qui va se passer puisqu'ayant connaissance du seul petit coup de théâtre du film (je vous le rappelle une énième fois car c'est la clé de voûte du scénario : le tueur est déjà dans la maison, il pète entre les coussins du sofa !). 

"À 20 ans, On est invincible, À 20 ans, Rien n'est impossible, On traverse les jours en chantant"

Parlons à présent des subtils changements apportés par ce remake. La maison de banlieue glauque et banale est ici remplacée par un immense chalet en montagne, situé au bord d'un lac, à l'architecture très moderne et protégé par un système d'alarme très complexe mais qui, bien sûr, s'avérera totalement inutile. Cette modification a le seul avantage de rendre l'histoire encore moins crédible. Ensuite, l'actrice de 1979 au physique qui ferait même débander un ours blanc gay est substituée par une Camilla Belle qui ferait amèrement regretter sa condition à un castrat ! Hélas, Simon West n'est pas que la moitié d'un con et il choisit de ne pas exploiter cet atout. Il n'aura jamais le bon sens de cadrer convenablement sa brunette au corps d'athlète et au regard libidineux. Il préfère ajouter à son film une sous-intrigue niaise dont on se contre-fout éperdument et qui nous apprend seulement que notre héroïne a de terribles problèmes sentimentaux, du type que seule une collégienne perturbée peut avoir. De plus, les vêtements de l'actrice sont apparemment si épais qu'une fois mouillés, rien de plus ne nous sera dévoilé sur sa pourtant très sympathique anatomie. L'unique intérêt du film s'envole donc, et nous restons sur notre faim !


A t-elle dans la lignée de son regard légèrement strabique un monstrueux gland tuméfié pour tirer une telle tronche ?

Il faudrait vraiment se lever très tôt le matin pour trouver des qualités à ce film de Simon West, ridicule du début à la fin et qui provoquera une sensation de "déjà-vu" énorme à quiconque a subi un slasher où le méchant sait se servir d'un téléphone. Terreur sur la ligne version 2005, dont je serai sans doute le seul à parler en 2012, est donc un nouveau remake inutile et méprisable. Un film si triste et fade qu'on ne peut même pas s'en moquer et rigoler en le prenant au second degré. Un modèle de pseudo film d'horreur minable, suffisamment débile et soft (les amateurs de gore seront déçus, on ne voit pas la moindre goutte de sang, ni le moindre meurtre !) pour que les ados américains puissent le regarder tranquillement tout en se goinfrant de pop-corn, profitant de l'occasion pour gagner ces quelques kilos qui les enfonceront davantage dans leurs sièges et rendront leur obésité encore plus morbide. Si perdre mon temps à voir ce film et dire tout le mal que j'en pense vous a permis de ne pas perdre le votre, c'est déjà ça. En revanche, donnez donc une chance à l'introduction terrible de l'original, bien plus aimable !


Terreur sur la ligne de Fred Walton avec Carol Kane (1979)
Terreur sur la ligne de Simon West avec Camilla Belle (2005)

25 avril 2011

Scream 4

Nous avons donc droit à un nouveau Scream, plus de dix ans après la sortie du troisième opus qui était supposé avoir clôt la saga sans éclat. Une bonne idée motive-t-elle ce retour en fanfare ? Pas vraiment, puisque si Scream 2 suivait les soi-disant règles d'une suite et Scream 3 celles du "dernier acte d'une trilogie", celui-ci donne tout simplement l'occasion d'un remake du premier épisode, avec tout ce que cela implique. Il s'agit donc plutôt d'un retour aux sources : Scream 4 renoue avec le ton référentiel puis auto-référentiel des deux premiers opus et les procédés a priori bienvenus de mise en abyme qui font l'originalité de cette saga horrifique. Dès ses premières scènes d'introduction gigognes, qui apparaissent au bout du compte comme le moment le plus osé et le plus amusant du film, Scream 4 se présente comme la copie conforme des Stab, cette série de films d'horreur ridicules tirés des sinistres évènements survenus à Woodsboro dont le personnage campé par Neve Campbell est l'éternelle survivante. Scream 4 met ainsi le spectateur pointilleux dans une drôle de position dès cette introduction suicidaire...


Le regard éternellement taquin du vétéran Wes Craven, ce prof de philo reconverti en cinéaste, spécialisé dans l'horreur par défaut et non par vocation

Comment pourrait-on en effet dire du mal d'un film qui se moque à ce point de lui-même mais aussi de nous autres, ses propres spectateurs ? Peut-être en regrettant que Scream 4 se contente justement de n'être que cette auto-caricature pathétique, alors que, tout naïf que je suis, j'espérais que Wes Craven aille au-delà, et qu'il finisse enfin par surprendre véritablement. Hélas... Le bonhomme est coutumier du fait et ce n'est pas à 70 ans passés qu'il allait changer. Ce bon vieux Wesley Earl Craven a effectivement toujours démontré qu'il était un adepte de la mise en abyme. Cela pouvait notamment se voir dès le premier Freddy, où l'on avait parfois du mal à faire la distinction entre rêve et réalité, et le cinéaste allait plus loin dans l'ultime épisode de la saga originelle, celui qui porte justement pour titre dans sa version française Freddy sort de la nuit. Dans ce film sorti en 1994, le fameux croque-mitaine à la main droite acérée et au célèbre pull à rayures se montrait désireux de sortir de la fiction et choisissait pour cela de s'en prendre directement à son créateur, Wes Craven (dans son propre rôle donc), et à l'ensemble du casting du film original. Mais là encore, le film n'allait pas vraiment au bout de son intéressante idée de départ et, d’après mes souvenirs, finissait par répéter bêtement la même recette que les précédents opus. Hé bien c’est exactement la même chose qui arrive à ce quatrième Scream, où (ceux qui redoutent les spoilers, sautez la fin de ce paragraphe !) nous avons finalement droit au sempiternel duos de tueurs auxquels on ne croit pas une seconde et qui, lors d’un final lourdingue retombant comme un soufflé, nous expliquent le pourquoi et le comment d’un tel carnage. L’impression de déjà-vu était le risque d’un tel procédé, elle annule ici tout effet de surprise et, pire encore, ne manque pas de provoquer un agacement certain. Si, pour conclure le film, on avait simplement eu droit à un nouvel effet de mise en abyme jusqu’au-boutiste nous révélant cette fois-ci un Wes Craven au regard narquois, tranquillement installé sur son canapé face à sa téloche, mettant fin à son propre film via sa télécommande avant de s'en moquer ouvertement, j'aurais trouvé ça autrement plus réussi. La boucle aurait été bouclée, le film se terminant comme il a commencé. Et cela aurait été un joli pied-de-nez du cinéaste vieillissant adressé à son public et à sa propre filmographie. J'imagine malheureusement qu'un tel scénario est inimaginable dans un film destiné à s'emparer du box office et ne devant donc pas trop décontenancer son audience. Un public dont il ose pourtant se moquer allègrement...


Toute la fine équipe est de retour pour ce film, dont l'inénarrable David Arquette, que l'abus d'alcool a curieusement très bien conservé, le gars n'a pas bougé d'un poil !

Au-delà du fait que le choix des acteurs fait sens (en autres, la charmante Emma Roberts et le hideux Rory Culkin apparaissent particulièrement bien choisis pour camper ces deux individus cherchant désespérément à se faire un prénom, la première étant la nièce de Julia Roberts et le second le frérot de Macaulay), la chose la plus intéressante de Scream 4 est clairement ce sado-masochisme étrange dont il fait preuve. Il aime se tirer une balle dans le pied en se foutant des Stab dont il est pourtant la réplique exacte ; et, dans le même temps, il se moque de son public de jeunes gens plus ou moins abrutis. Bien qu'il s'aventure plus souvent que ces prédécesseurs dans la parodie pure, Scream 4 n’est en réalité rien d’autre qu’un slasher de plus, peut-être plus efficace que la moyenne (ce qui n’est pas véritablement un compliment), mais finalement pas beaucoup plus malin. Un film justement destiné à ce jeune public dont il épingle les travers, sans réelle méchanceté toutefois : ces gros accros aux réseaux sociaux, toujours scotchés à leurs écrans de portables ou d'ordinateurs, qui s’envoient des films comme Windows lance en douce des programmes inutiles, en fond de tâche, sans réellement les mater, y trouvant par exemple autant de prétextes pour des jeux à boire. C'est une démarche pour le moins cynique et contradictoire qui ne grandit pas spécialement le film de Wes Craven, mais qui lui donne paradoxalement une certaine singularité... Malgré ses défauts, j'imagine que Scream 4 satisfera sans aucun mal les moins regardants, dont les personnages à l'écran sont des reflets. D'où l'assurance d'une suite prochaine, en cas de bons résultats au box-office. Et donc Scream 5 (ou 5cream, pour anticiper), serait alors le remake de Scream 2 et son ou ses tueurs y suivraient les règles communes aux remakes de suite ? Ouais... Pas obligé non plus de le tourner, Wes.


:-(

Je ne peux écrire une critique de ce film sans réserver quelques lignes à l'actrice Courteney Cox, que l’on pourrait sans forcer son imagination renommer Courteney Botox. Je vais vous faire une confession de derrière les fagots : ado, je faisais partie de cette petite minorité de téléspectateurs de Friends qui disaient préférer Monica à Rachel. Mais c’était sincère : elle était alors l'incarnation de mon idéal féminin, je préférais la brune aux yeux bleus que la bombe H aux tétons aux aguets. Maintenant je kiffe les deux, je dégommerais même Chandler. Mais je m'écarte du sujet. Mes premières navigations sur internet avaient souvent pour but de zieuter quelques photos d’elle et je le reconnais sans honte (quoique...). Dans Scream 4, je ne sais pas si c’est pour correspondre à son personnage de vieille garce aux dents qui rayent le parquet qu’elle a choisi de ressembler à un sac plastique Leclerc géant, mais j’en doute fortement ! Je crois plutôt que l’on assiste au spectacle tragique et bien connu d’une actrice qui a été très belle et qui, dans la peur de vieillir (et, d'après elle, de s'enlaidir), en vient à commettre l’irréparable. Emmanuelle Béart Syndrome ! Courteney Cocks semble à présent venir d’une autre planète. Et là encore, ça n’est pas du tout compliment, il ne faut pas l’interpréter dans le sens « une telle beauté vient d’ailleurs ». Non, bien au contraire. Ce serait plutôt un extra-terrestre dans le genre de ceux qu'on doit éjecter dans l'espace par le sas d'aération pour pas qu’il nous bouffe tout cru. A un moment du film, son personnage en vient à porter le fameux masque du tueur pour passer incognito. Hé bien sachez que c’est à ce moment précis que l’actrice fout le moins les j’tons et que sa tronche correspond le plus à celle d’une femme de son âge lambda. Dans Scream 4, c'est la nouvelle tronche de Cox qui m'a le plus captivé, ça, et l’œil gauche bizarroïde d'Emma Roberts. Ça fait toujours un petit pincement au cœur quand on constate d'un seul coup la dégringolade terrible d'une idole passée, et je vous prie de bien vouloir m’excuser d’avoir dû vous en parler…


Scream 4 avec Neve Campbell, Emma Roberts, David Arquette, Courteney Cox, Rory Culkin et Hayden Pannetiere (2011)

22 avril 2011

The People Under the Stairs

Dans mon article à venir sur Scream 4, peut-être ma façon de causer de Wes Craven vous indiquera-t-elle que je conserve toujours une part d'affection pour ce bonhomme, malgré sa filmographie en dents de scie faite de ratages considérables et de quelques titres plus glorieux qui, on pourra en penser ce que l'on veut, ont réussi à marquer trois décennies du cinéma d'horreur. J'ai découvert et aimé ses films pendant mon adolescence et je ne suis pas du genre à renier ceux que j'ai un jour aimés, un trait de caractère dont je ne me vante pas non plus lorsque cela m’oblige à ne pas décrocher les posters pourris des murs de ma vieille chambre : Posh Spice y côtoie Thom Yorke, Cindy Lauper et autres membres de la famille Manson, dans un décor morbide peu harmonieux mais tristement représentatif de l'état de mon ciboulot à cette période. Mais revenons au cas Wes Craven : pour que vous compreniez mieux, je vais à présent vous expliquer d'où provient toute la sympathie que j'éprouve à l'égard de cet ancien hippie, pote de Carpenter et Romero, fan de la Nouvelle Vague et de Frank Zappa.


Miracle pour un film d'horreur : les personnages de gosses ne donnent pas envie qu'on les trucide, au contraire, ils sont attachants, et les jeunes acteurs n'y sont pas étrangers.

Ce n'est certainement pas en découvrant ses deux premiers films que je me suis mis à apprécier ce réalisateur spécialisé malgré lui dans l’horreur. Au-delà de leurs jolis titres et de leur statut de films cultes ayant d'ailleurs chacun eu droit à un remake, La Dernière maison sur la gauche et La Colline a des yeux sont d'après moi deux films ayant assez mal vieilli qui supportent difficilement d’être revus aujourd’hui. Ils frisent parfois l’amateurisme, et c'est surtout leur violence assez extrême qui a fait leur réputation. Non, si je me suis mis à apprécier ce type et à ensuite regarder tous ses autres films, c’est surtout grâce à The People Under the Stairs, vulgairement renommé dans sa version française Le Sous-sol de la peur, un titre qui abandonne hélas le double-sens original. Ce film nous raconte en effet l'histoire d'un petit garçon noir impliqué dans le cambriolage d'une immense demeure de la banlieue chic de Los Angeles, animé par l'espoir d'y dérober un butin suffisant pour payer l'opération qui pourrait sauver sa mère d'une mort certaine. Un cambriolage qui, évidemment, ne se passe pas du tout comme prévu. Le petit garçon se retrouve enfermé dans la maison et celle-ci s'avèrera être habitée par une petite fille tenue prisonnière qui lui viendra en aide. Les choses se compliqueront encore davantage pour lui avec l'arrivée du couple de gros malades propriétaire des lieux. Des dégénérés pleins aux as qui se font justement leur fric sur le dos des pauvres du ghetto malfamé dont le jeune héros est issu.


Wes Craven (au centre) semble ici très fier du duo décapant que forment Everett McGill et Wendy Robie, déjà partenaires dans la série Twin Peaks.

Les gens sous les escaliers et, pourrait-on aussi dire, tout en bas de l'échelle sociale, ce sont donc tous ces miséreux qui survivent tant bien que mal tandis que les riches et les puissants vivent à leurs dépens. Wes Craven profite ainsi de ce film d'horreur pour étaler ses idées humanistes et gauchisantes, de façon certes assez naïve (il faut voir la toute fin du film, et la vision très terre-à-terre que Wes Craven nous offre de la redistribution des richesses), mais ça reste tout à son honneur. Le père de Freddy nous propose donc une critique au vitriol de la société américaine, en dépeignant l’avilissement des classes aisées par l’argent, et leur désir de littéralement écraser les minorités. De façon plus littérale, les gens sous les escaliers sont évidemment toutes ces personnes maintenues captives par le couple démoniaque, pour une raison que je ne vous dévoilerai pas. Je vous en ai de toute façon déjà trop dit sur le scénario particulièrement riche en rebondissements de ce film surprenant. Un film qui conquiert d'abord grâce au rythme trépidant qu'il parvient à installer et surtout à maintenir du début à la fin. Comme dit précédemment, nous allons véritablement de surprise en surprise grâce au scénario d'un Wes Craven inspiré qui parvient toujours à sortir des impasses vers lesquelles il se dirige pourtant tout droit. Wes Craven réussit aussi avec talent à rendre menaçante la grande maison de banlieue, apparemment banale mais pleine de secrets, dans laquelle l'action du film se déroule presque intégralement. Il rend cet univers typiquement urbain propice à l'horreur, il en fait très intelligemment une terre fertile à l'imagination la plus macabre et malsaine. Un tour de force rarement accompli par le cinéma d'horreur américain, qui préfère généralement s'éloigner des villes et s'aventurer dans des endroits reculés pour nous faire peur. Faire peur, le film de Wes Craven y parvient parfois, mais ça n'a pourtant pas l'air d'être le premier objectif du cinéaste.


La fin du film est un spectacle grand guignol réjouissant.

Non, à l'évidence, Wes Craven cherche avant tout à nous divertir, et il y parvient merveilleusement, en faisant notamment preuve d'un humour noir et totalement débridé tout à fait bienvenu. En outre, le cinéaste semble s'être fait plaisir sur certains dialogues de son film. Même en VF, quelques tirades sont véritablement croustillantes, surtout lorsqu'elles sont déblatérées par un Ving Rhames au top de sa forme (son doubleur l'est aussi !). Je me souviens notamment d'une ligne savoureuse, au début du film, lorsque le petit malfrat qu'incarne Ving Rhames force la porte d'entrée de la maison et lance au jeune héros crédule : "Sept ans, c'est pas le bon âge, t'es trop vieux pour téter et trop jeune pour te faire sucer". C'est immensément laid et bête, certes, mais dans la bouche de son personnage débile et d'un tel acteur, ça fait mouche, croyez-moi !

Au bout du compte, Le Sous-sol de la peur est une sorte de film d'horreur social en huis-clos très divertissant, avec des idées à revendre, des personnages haut en couleurs, et n'hésitant jamais à faire dans la démesure pour notre plus grand plaisir. A l'évidence l'un des meilleurs films de son auteur, même si je rappelle qu'il sera pour moi toujours associé au bonheur que fut sa découverte quand j'étais ado.


The People Under the Stairs (Le Sous-sol de la peur) de Wes Craven avec Brandon Adams, A. J. Langer, Sean Whalen et Ving Rhames (1991)

17 mars 2011

Black Christmas

On associe systématiquement Black Christmas au fameux Halloween de John Carpenter. Les deux films sont en effet similaires sur bien des points et le premier a sûrement été une importante source d’inspiration pour le second. Ces deux films ont fondé peut-être bien malgré eux l’un des pires sous-genres du cinéma d’horreur, à savoir le « slasher », c'est-à-dire tous ces films où un individu généralement masqué s’en prend à une bande de jeunes et les liquide un à un. Un sous-genre qui a engendré un nombre incalculable de mauvais films d’exploitation pendant les années 80 avant de s’essouffler au début des années 90 puis d’être relancé grâce au succès de Scream ; le filon s’étant à nouveau épuisé, on espère que le quatrième volet de la saga de Wes Craven ne lui redonnera pas une nouvelle jeunesse. Réalisé en 1974 par Bob Clark, Black Christmas est souvent présenté comme le premier véritable slasher. Dans ce film, une pension occupée par une confrérie universitaire de jeunes étudiantes est prise pour cible par un serial killer. Celui-ci commence par harceler les jeunes femmes au téléphone en leur déblatérant des obscénités puis finit par s’en prendre véritablement à elles.




Le rapprochement avec Halloween peut se faire dès les premières images puisque Black Christmas s’ouvre également par une séquence en vue subjective où nous nous retrouvons donc dans la peau du tueur en train de s’infiltrer dans la maison. Dès cette première scène, l’ambiance est posée : l’atmosphère du film est tout de suite angoissante et elle le restera. L’efficacité de Black Christmas est toujours intacte presque quarante ans après sa sortie, alors qu’entre temps, des centaines de films ont repris la même recette, sans le même savoir-faire. Mais ce qui m’a le plus intéressé dans ce film est l’interprétation que l’on peut en faire, ou en tout cas celle qui m’est apparue et que l’on peut encore une fois rapprocher du film de Carpenter, sorti quatre ans après. On reproche à John Carpenter d’avoir signé avec Halloween une œuvre réactionnaire et puritaine où l’unique survivante est la seule jeune fille qui ne s’est pas adonnée aux plaisirs de la chair, de l’alcool et autres substances illicites. On a ainsi attribué au film une morale douteuse et insidieuse, par ailleurs contredite par tout le reste de la filmographie du cinéaste, aux relents parfois quasi anarchiques, et à laquelle Carpenter en personne s’est souvent défendu d’avoir intentionnellement réfléchi, en regrettant par la même occasion que son film puisse être interprété de cette façon. Sur ce terrain-là, Black Christmas paraît plus significatif et sans doute plus clair. Laissez-moi donc vous dire à présent comment j’ai perçu ce petit jeu de massacre.




Bob Clark s'applique à nous dépeindre les personnalités de ces étudiantes, représentatives des jeunes femmes américaines de ce début des années 70. Il semble nous décrire la nécessité de leur émancipation vis-à-vis des générations passées avec lesquelles elles sont en décalage complet. Ces jeunes étudiantes boivent, clopent, s’amusent et parlent cul crument. Surtout, on voit ces filles faire preuve d’une certaine insolence à l’égard de leurs aînés, et de toutes les figures d’autorités qui se présentent à elles. Celle incarnée par la charmante Margot Kidder (dont le personnage principal de The House of the Devil est volontairement le sosie) est sans doute la plus dévergondée : on la verra se moquer d’un policier benêt ne comprenant pas le sens du mot « fellation ». La première de ces jeunes femmes à mourir est celle dont on sait seulement qu’elle était encore vierge, d’un caractère timide et sérieux. C’était aussi la seule qui prévoyait de retourner chez ses parents pour les fêtes, tandis que ses copines de la sororité ont choisi de festoyer ensemble en restant à la pension, en toute liberté, sans doute en pleine débauche. Le père de cette première victime est la seule figure paternelle que l’on verra dans le film : c’est un homme vieux qui a plutôt l’allure et le physique d’un grand-père, c’est un vieillard lent et apparemment déconnecté du monde dans lequel vivait sa fille disparue.




Bob Clark filme donc les jeunes américaines de ce début des années 70, il filme une jeunesse dont le décalage avec la génération précédente est profond et qui doit à présent s’en affranchir définitivement. Une situation symbolisée par une scène marquante où l’on voit un jeune homme, que l’on sait austère et privé d’amusement, laisser exploser la violence qui l’habite lors d’une répétition au piano face à un jury ridé, immobile et médusé. Le tueur, c’est peut-être lui, cet individu renfermé et enfermé, vieux jeu et appartenant résolument au passé. C’est en tout cas ce que l’on se met à croire jusqu'à la fin du film, rappelant elle aussi la conclusion inoubliable d'Halloween. Mais en réalité, le tueur du film est invisible, on ne le voit jamais, même pas furtivement. Il peut donc d’autant mieux être une entité irrationnelle, une sorte de puissance invisible qui n’existerait que par le sens donné à ses actes. Lors de ses terrifiants appels téléphoniques, le tueur parvient à prendre des voix multiples, des voix d’hommes et de femmes manifestement âgés, dégueulant des obscénités particulièrement brutales. On ne sera pas étonné d’apprendre par la suite que l’appel provient de l’intérieur même de la maison où vivent les étudiantes, un effet de surprise maintes fois réutilisé après ce film (je pense notamment à Terreur sur la Ligne), mais là encore assez significatif. Bien entendu, le tueur s’en prend seulement à des femmes. Et en toute logique, la seule survivante du film est celle qui refuse de se marier, celle qui veut avorter pour continuer sa carrière. Elle est jouée par la mignonne Olivia Hussey, et il s’agit évidemment du personnage le plus dynamique et volontaire, la figure de proue de cette génération qui s'affirme. C'est elle qui tue le reliquat figé de l'étouffante génération passée, c'est-à-dire le jeune homme précédemment évoqué. A travers elle, Bob Clark nous montre la nécessité de ces jeunes femmes de sortir d'un carcan mortifère, étouffant et dépassé, pour mieux se saisir entièrement de l'avenir qui s'offre à elles.




Ce salmigondis personnel mis à part, Black Christmas est avant tout un thriller très efficace en plus d’être un film particulièrement intéressant sur son époque et une œuvre d’un intérêt quasi historique pour le cinéma d’horreur. Black Christmas n’a peut-être pas la même qualité formelle qu’Halloween, pas la même virtuosité dans sa mise en scène, qui est sans doute moins profondément déterminée à surprendre et à faire peur. Mais Black Christmas est peut-être plus riche sur le fond, et il n’en reste pas moins assez brillamment filmé, Bob Clark jouant parfaitement du hors cadre et de la profondeur de champ pour mieux nous flanquer la trouille. Il me revient aussi à l’esprit cette scène toute simple, lors d’un coup de fil du tueur, où la caméra passe d’un visage à un autre, en très gros plan, captant superbement toute la tension grandissante. Une tension qui n’est ici jamais installée par le renfort d’effets lourdingues. On pourra ainsi agréablement noter l’absence des effets sonores chocs, ceux-là même qui n’en finissent pas de pourrir les films d’horreur actuels. Black Christmas est une œuvre ambiguë et subtile, un film assez rare. Il n’a donc clairement pas volé son statut de classique du cinéma d’horreur, et il mérite d’être redécouvert, lui qui à sa sortie fut d'abord éclipsé par le non moins fameux Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper et qui fut ensuite poussé dans l’ombre par le classique de John Carpenter.

 

Black Christmas de Bob Clark avec Olivia Hussey, Margot Kidder et John Saxon (1974)