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2 octobre 2021

BAC Nord

Du réalisateur de La French et HHhH, je ne m'attendais pas à une fine analyse de la situation actuelle des quartiers les plus sensibles du pays, gangrénés par le trafic de stupéfiants. J'avais déjà pu mesurer de quoi était capable Cédric Jimenez devant son biopic de Reinhard Heydrich où il filmait la Solution finale avec une délicatesse et une intelligence qui n'étaient pas celles que l'on pouvait raisonnablement attribuer à un cinéaste s'embarrassant de questions morales ou s'adonnant à une vraie réflexion. Le point de vue adopté ici est celui d'une petite équipe de flics de la brigade anti-criminalité des quartiers nord de Marseille : trois gars, plutôt bas du front et du genre impulsif mais pleinement investis dans leur tâche. Ils apparaissent comme les derniers rouages d'un système dépassé, impuissant, qui finira par les trahir et les lâcher, du jour au lendemain, une fois leur objectif atteint. Le portrait qui nous est proposé de la banlieue chaude de Marseille est celui d'une zone de non-droit, tenue par des gangs cagoulés et armés, où rien n'est à sauver puisque même un gamin d'une dizaine d'années s'avérera capable de poignarder l'un des policiers dans le dos. A première vue, on comprend donc aisément pourquoi ce film a illico intégré le top 2021 de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Alexandre Benalla... Que du beau monde !


 
 
Malgré le prudent intertitre d'introduction qui nous avertit que si le film s'inspire d'une histoire vraie, les événements et les personnages sont fictifs, il y a quelque chose de problématique dans la posture adoptée par Cédric Jimenez, qui se défend d'avoir réalisé une fiction et non un documentaire, mais dresse un tableau univoque d'une situation complexe et explosive, et prend fait et cause pour des protagonistes dont les modèles sont impliqués dans une affaire épineuse toujours en cours d'instruction. En outre, en nous donnant aussi à voir dans sa dernière partie des images d'archives télévisuelles de 2012 où le Ministre de l'Intérieur d'alors, Manuel Knacky Ball's, réagit à l'affaire réelle, le réalisateur a encore le tort d'être maladroit et ambigu sur un terrain pourtant glissant. Après la Shoah et les quartiers nord de Marseille, quel terrain de jeu choisira Jimenez pour son prochain film ? Une rapide recherche m'informe que celui-ci reviendra sur les attentats du 13 novembre 2015...


 
 
Si l'on sait désormais que la subtilité et la nuance ne sont pas les points forts de ce cinéaste, je ne le pensais pas non plus en mesure de pondre des scènes d'action potables car je crois que c'est surtout ça qui l'intéresse, après tout. Et, là-dessus, Cédric Jimenez m'a presque agréablement surpris. Je dis "presque" car ça reste à mille lieues des grands modèles américains cités dans les critiques enthousiastes et reconnues par le cinéaste (Friedkin, Mann...), mais je reconnais que c'est assez enlevé, que l'intensité est bien là. Au milieu du film, l'opération policière consistant à repérer l'appartement "nourrice" est d'une certaine efficacité, on est saisis. Le cinéaste n'a jamais rien fait de mieux auparavant. Mais vous aurez toutefois compris qu'il s'agit venant de moi d'un compliment des plus relatifs. Et par ailleurs, cette séquence n'en reste pas moins gênante puisque c'est au cours de celle-ci qu'un gamin de la cité plante l'un des trois flics, venu trouver refuge en plein chaos dans son appartement, quand la possibilité d'un regard plus ambivalent tendait les bras au réalisateur.


 
 
Après ce morceau de bravoure central, le film dégonfle et s'écrase progressivement. Si les deux premières parties de BAC Nord ont quelque chose de bêtement captivant par leur rythme soutenu et l'énergie indéniable qui les anime (notamment due à l'implication des comédiens en flic sanguin et un brin débile, Gilles Lellouche est totalement crédible, je le reconnais), le dernier acte est beaucoup plus laborieux. Il achève de faire des trois policiers, pour lesquels nous éprouvons si peu d'empathie, des martyrs de la République défaillante, des victimes de la perfidie d'un système qui les aura broyés jusqu'au bout et dégoûtés à jamais. Alors qu'il avançait jusque-là comme une sorte de western urbain nerveux, plutôt efficace, le film se perd donc complètement, et la faiblesse de sa construction, les failles de son scénario et les problèmes qu'il pose sautent encore plus aux yeux. Les dernières phrases qui apparaissent à l'image juste avant le générique final pour nous informer du devenir de chaque flic terminent de nous laisser un drôle d'arrière-goût en bouche... Après tout ça, nous avons la certitude non pas d'avoir vu le "grand polar français de l'année" promis par les affiches, mais simplement la dernière bévue en date du nouveau poids lourd, vraiment très lourd, de notre cinéma d'action national. 
 
 
BAC Nord de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, François Civil, Karime Leklou, Kenza Fortas et Adèle Exarchopoulous (2021)

3 septembre 2019

Criminal Squad

Criminal Squad est long (2h30 !), se passe à Los Angeles et oppose une petite équipe de flics à cran à une bande de braqueurs de banques particulièrement méthodiques. Devinez donc à quel autre film policier américain celui-ci est systématiquement comparé ? Facile ! Heat, bien sûr ! Le film de Michael Mann est clairement la plus grande source d'inspiration de Christian Gudegast, qui cherche aussi à s'intéresser aux vies intimes et familiales de ses personnages, qu'ils se situent du bon ou du mauvais côté de la loi (la frontière est mince, nous apprend le cinéaste, merci pour ce scoop d'enfer, a-t-on envie de lui répondre). A la tête de la team de la LAPD, nous retrouvons le gros Gerad Butler en flic alcoolo, au visage plus buriné que jamais. Le mec est en plein divorce et traverse une bien mauvaise passe. L'acteur écossais trouve peut-être là son meilleur rôle, ce qui en dit très long sur sa brillante carrière...





Curieusement, les meilleures scènes du film sont justement celles qui nous proposent d'assister à quelques épisodes glaçants de la vie de ces hommes, des vrais durs. Chris Gudegast nous offre alors quelques beaux moments d'un humour (plus ou moins volontaire) réjouissant. Je repense par exemple à ce gangster (auquel un énorme Fifty Cent prête ses traits délicats) qui surveille sa fille de très près et met en garde son nouveau petit-copain aux dangers auxquels il s'expose en cas de mauvaise conduite en lui présentant ses potes ultra baraqués. C'est d'un niveau... Bien entendu, la femme est toujours réduite à un rôle merveilleux, là-dedans. Elles compliquent seulement la vie de ces types absorbés par leur tâches et qui ont des problèmes bien plus sérieux à régler. Dans un registre plus grave mais tout aussi amusant, les altercations entre Gerard Butler et sa femme sont de purs moments de bonheur. Butler fout tout le monde mal à l'aise, toujours à deux doigts d'exploser, de péter les plombs pour de bon !





Côté action, le film déçoit lourdement. Le climax de ces 2h30 laborieuses est une pauvre fusillade sur le périph', en plein bouchon, très statique et pauvre en tension. Assez peu à l'aise quand il s'agit de faire autre chose que des plans aériens de la cité des anges, Chris Gudegast se contente alors de nous montrer un tireur vider son chargeur, puis un autre, et ainsi de suite, sans le moindre effet sur le spectateur. En revanche, côté sonore, il n'y va pas de main morte ! Ça pétarade sec, les bruitages sont soignés, on sent qu'il s'agit des détonations propres à chaque type de flingue. Les experts pourront confirmer ! Ça participera peut-être à contenter les moins exigeants... Le film a longtemps flirté avec le 8/10 sur IMDb !





Criminal Squad se veut ample, épique, réaliste, dur. Christian Gudegast, pour son premier long métrage, a beau s'appliquer par intermittence, en filmant notamment Los Angeles avec une certaine fascination, il ne parvient pas bien longtemps à faire illusion, faute à un scénario finalement très mince et à de trop nombreux plot holes. Un twist assez crétin vient même transformer tout ça en une simple histoire d'arnaque à la con. Au bout du compte, on est plus proche d'un Fast & Furious moins cylindré et plus urbain, voire d'un Triple Nine de sinistre mémoire, que d'un digne rejeton du sacro-saint Heat. Le film ayant toutefois bien marché, une suite est d'ores et déjà en chantier. Je ne répondrai sans doute pas présent. J'ai eu la désagréable sensation d'avoir perdu beaucoup de temps devant ça. Je suis un cinéphage, je me nourris littéralement de films, j'en suis accro, et Christian Gudegast a réussi à me mettre à la diète pendant deux jours.


Criminal Squad (Den of Thieves) de Christian Gudegast avec Gerad Butler, Pablo Schreiber, O'Shea Jackson Jr. et 50 Cent (2018)

24 mars 2019

Heat

A l'orée des années 90, Michael Mann était le seul cinéaste en mesure de réunir les deux plus grands acteurs de notre temps. Val Kilmer et Danny Trejo. Avec, entre les deux, la star absolue du cinéma de 1995 : Tom Sizemore. Comment évoquer Heat sans revenir sur la scène-monstre du film, celle qui en a inspiré plus d'un, et qui compte pour 20% de la durée totale du métrage (soit vingt minutes), nous voulons évidemment parler de l'ouverture du film en forme de long face à face entre les deux monuments du 7ème art, Kilmer et Trejo, de part et d'autre de la table d'un diner, plan-séquence tourné en champ contrechamp (alors que les deux acteurs ne se sont jamais croisés durant les 24 semaines de tournage : magie du cinéma), dénuée du moindre dialogue. Le flic et le voyou (pris à contre-emploi, puisque Trejo incarne le flic idéal, le serpico des 90s, et Kilmer le grand voyou, le Corleone aux tempes grisonnantes fin de siècle) se retrouvent autour d'un bon kefta et n'échangent pas le moindre mot. Des grands critiques ont même poussé l'analyse jusqu'à dire que les deux comédiens n'échangent pas non plus le moindre regard. Après calcul des trajectoires de mirettes, la preuve est faite que ces quatre globes oculaires ne se rencontrent jamais. On devrait dire trois, quitte à révéler l'un des secrets les mieux gardés de Trejo, dont l'un des capteurs visuels a rendu l'âme lors d'un passage de frontière mexico-états-unienne mal négocié. 




On ne compte plus le nombre de films qui restent de pâles imitations de ce pilier du cinéma contemporain. Beaucoup s'y sont frottés, parmi lesquels Christopher Nolan qui a avoué sa dette envers Michael Mann sur les plages de Dunkerque, filmées exactement comme les rues, la banque et le diner de Los Angeles dans le film-modèle, qui aura servi de mètre-étalon pour tout un genre, et que l'on ressort régulièrement du placard pour mesurer des dimensions.




Petit retour sur le titre, Heat, soit "Condensation". Depuis le film, autrement dit depuis circa 1995, nous ressentons la pression qui grimpe à chaque fois qu'un costume de flic tourne le coin de la rue. Sueur aux tempes, moustache moite, aisselles Niagara, palpitant qui s'envole, entre-doigts de pieds enduits de graisse de phoque, genoux qui tremblent, raie du cul qui fait rigole. Et ce alors que nous sommes blancs comme neige aux yeux de la justice. On s'est juste retapé Heat dans le week-end, comme chaque week-end, et on a pu constater la force de frappe toujours intacte du cinéma de Mann. Aucun film ne porterait mieux son titre. Et aucun titre ne porterait mieux ce film.


Heat de Michael Mann avec Val Kilmer, Danny Trejo et Tom Sizemore (1995)

17 décembre 2016

Rush

A priori, un film sur la F1 nous narrant la rivalité entre deux pilotes (incarnés par deux ploucs du cinéma) qui ont marqué leur époque, le tout mis en scène par un faiseur rarement inspiré : nous chions dessus. Mais quelques voix s'élevaient dès sa sortie pour pointer du doigt cet ODNI (Objet Déboulant Non-Identifié), parmi lesquelles celle du Bleu du miroir (blog qui présente une fameuse page concours, grâce à laquelle nous allons deux ou trois fois par semaine au cinéma, par le biais de nos très nombreuses boîtes postales factices et autres noms d'emprunts voués à multiplier nos chances). Un beau soir, on a sauté le pas : nous avons invité Ron Howard et ses deux pilotes de F1 dans notre chambre à coucher. Et c'est bien la première fois qu'on laisse autant de traces de frein dans notre plumard... car Rush est, tenez-vous bien, une petite bombe.


L'amitié des trois stars s'est poursuivie après le tournage. Ils sont ici en vacances dans la capitale anglaise, venus à la rencontre du fan londonien de leur film.

Dans chaque ville se terre un fan absolu de ce film, qui l'aime et le défend sans vergogne auprès de tous ceux qui ne veulent plus l'inviter. Quand nous partons en vacances, c'est la mort dans l'âme, car nous quittons nos postes respectifs de fans, dans les deux villes les plus ensoleillées de France, vidées pour un temps de leur représentant légal de Rush. Il existe des forums consacrés à ce film, des cercles de lecture, des partis politiques, des centres de désintox. On se serre les coudes entre fans, on se convainc les uns les autres, on se remotive aussi, quand il y a une petite baisse de motivation sur Rush. On se regroupe, on se retrouve autour du film, élément fédérateur : ce n'est pas un film culte, c'est un culte à proprement parler.


Ron Howard, à l'écoute, avoue avoir passé un tournage de rêve : ses trois idées griffonnées sur un post-it étaient toujours contrecarrées par des acteurs impliqués.

En têtes d'affiches, ceux que nous avons au préalable qualifiés de ploucs. A notre gauche, le blond le plus laid actuellement en salles, Chris Hemsworth, membre proéminent d'une fratrie qui nous débecte, celui-là même qui a participé à la médiocrité du dernier Michael Mann ; à notre droite, l'acteur allemand venu de la forêt noire, Daniel Brühl, qui est une jauge à bon goût chez les dames (celles qui prétendent avoir flashé sur lui dans Good Bye Vietnam sont aussi sec disqualifiées), l'éternel collégien en flagrant délit d'excès de sébum, dont le nom d'emprunt américain (Jim Sturgess) ne trompe personne. Eh bien ces deux glandus composent le casting d'une vie. Il fallait deux imbéciles comme eux pour donner vie à des pilotes qui étaient réellement cons comme leurs pieds dans le fait réel dont s'inspire le film. La rencontre entre les acteurs et les hommes qu'ils incarnent l'a d'ailleurs prouvé : ils sont devenus les meilleurs amis du monde (même si les deux vrais pilotes sont bourrés d'acouphènes et n'entendent strictement rien - quoique l'un des deux prétende lire sur les lèvres tandis que l'autre affirme avoir lu et relu son bouquin de chevet : Les gestes qui nous trahissent, pour s'en sortir dans sa chienne de vie). Les comédiens sont parfaitement choisis. Hemsworth, avec son air bonhomme de gros labrador, Brühl, avec ses sourcils étroits, dans le rôle du petit clebs teigneux. Ce dernier aurait d'ailleurs dû s'appeler Daniel Brühlàmoitié puisque son personnage fini à moitié cramé dans sa bagnole. Mais aucun acteur ne s'appelle Daniel Brühlàmoitié, ni Daniel SemiBrühlé.


Le seul moment du film où Daniel Brühl lève le pied pour ralentir.

Rendons à César ce qui appartient à Ron Howard : après avoir lu ce scénario, Ron Howard s'est découvert une passion pour la F1, et pour cette histoire de rivalité entre deux pilotes rendus encore plus bêtes et aveugles qu'ils n'étaient déjà par excès de ressentiment. La haine que les deux hommes se vouent les conduit à un véritable zèle de débilité, quitte à cramer toutes les règles de la F1 : démarrer au feu vert ; ne pas chevaucher un autre véhicule sur la ligne d'arrivée ; ne pas conduire en état d'ébriété ; ne pas affubler ses adversaires de tous les noms d'oiseaux en conférence de presse ; ne pas éclater la bouteille de champagne du vainqueur sur la tronche du deuxième ; ne pas faire de tête-à-queue en plein stand et ainsi sacrifier la vie de quelques réparateurs seulement pour gagner une paire de secondes ; ne pas traverser une tribune bondée de spectateurs médusés pour couper un virage ; ne pas conduire nu et sans casque pour économiser quelques précieux grammes qui feront la diff' au chrono ; ne pas faire de son réservoir une arme de destruction massive radioactive pour un départ canon ; ne pas transformer sa F1 en dragster pour fumer tout le monde au sprint final quitte à finir dans le décor dès le démarrage en sacrifiant de nouveau quelques vies (celle du type qui brandit son drapeau avec enthousiasme et un sourire figé sur le capot avant, et celles de tous les pilotes derrière, aveuglés par le parachute salvateur ouvert un peu trop tôt). Ron Howard, qui a su donner une identité visuelle à son film, fait de toutes ces courses des moments d'anthologie, d'où les traces de frein dans nos draps et notre nouvelle passion pour la F1 (qui fut comme un feu de paille, puisque depuis, on ne suit pas du tout l'actualité des courses - d'ailleurs Michael Schumacher est-il toujours le numéro 1 ?).


Les vrais Niki Lauda et James Hunt : La Guerre des Roses sur l'asphalte, et un mariage homo à la clé.

Les couleurs dominantes de ce film sont le rouge, le blanc et le feu. Autre atout : la présence au casting d'Erich Maria Remarque, l'actrice allemande prix Nobel de nos cœurs, trimbalée dans ses valises par Daniel Brühl. Premier jour du tournage : un Ron Howard tout sourire affirme à son acteur : "Tkt, on va lui trouver un rôle...". Et Hemsworth de conclure : "Quitte à trahir l'histoire vraie : bat les couilles". La rivalité des deux personnages nous captive jusqu'à la fin car ils vont toujours plus loin, nous rappelant que le sentiment de haine est celui qui pousse aux pires écarts de conduite. Le film véhicule ainsi un triple message sur l'amitié : Hemsworth n'existerait pas sans Brühl, Brühl serait intègre physiquement sans Hemsworth, et ces deux benêts mettent du temps à s'en rendre compte puisque ce n'est qu'au crépuscule de leur vie qu'ils s'adressent enfin un sourire. Qui plus est, pour une fois la ressemblance physique entre les comédiens et leurs personnages n'a pas dicté le choix d'un directeur de casting que nous tenons de nouveau à saluer bien bas (et qui depuis vit à Hawaï, estimant avoir fait le tour du job). Daniel Brühl est particulièrement admirable, car il porte de fausses dents pour ressembler à Niki Lauda, l'homme aux chicots impressionnants, ces dents de malade qui franchissaient toujours la ligne d'arrivée avec quelques secondes d'avance (la fédération avait même fini par disqualifier ses canines pour qu'elles arrêtent de fausser les chronos) : on ne comprend pas un traitre mot de ce que dit le comédien durant tout le film. C'est bien la ressemblance d'âme entre les deux acteurs qui les a réunis. Seul regret : l'absence au casting d'Olivia Wilde (aka Roswell). 


Rush de Ron Howard avec Daniel Brühl, Chris Hemsworth, Alexandra Maria Lara et Olivia Wilde (2013)

25 février 2015

Willow

Comment ne pas se laisser embarquer dans les aventures de Willow Ufgood, bon père de famille et apprenti magicien Nelwyn (nain), placé à la tête d’une petite communauté chargée non pas de cramer un anneau mais de confier à une personne responsable la petite Elora Danan, bébé daïkini (humain), trouvée au bord d’un fleuve par les enfants de Willow, et qui, selon la légende, est censée mettre fin au règne de la despotique Reine Bavmorda (Jean Marsh). Comment surtout ne pas tomber sous le sortilège de Joanne Whalley (voir paragraphe ci-dessous) dans le rôle de Sorsha, fille de Bavmorda, ou ne pas craquer face au charme ravageur de Val Kilmer, dans la peau de Madmartigan, chevalier déchu qui deviendra l’ami de Willow. Ces deux-là ont d’ailleurs fini en couple, à la vie comme à l’écran. Comment ne pas souhaiter, enfin, vivre dans le village des Nelwyn, parmi toutes ces personnes de petite taille si bonhommes et affables ? Bon, à toutes ces questions, on peut certes répondre qu'il suffit d'être allergique à l'empire Lucasfilm, à l'héroïc-fantasy, aux films pour enfants ou à Ron Howard. Mais, je l'avoue, difficile pour moi de résister à la sympathie sans limites de Willow Ufgood et de son ami Meegosh, aux facéties du grand Aldwin, sans oublier, parmi les compagnons qu'ils croiseront au cours de leurs aventures, les cabotins Rool et Franjean, deux brownies (lilliputiens) hauts comme une pomme et timbrés.




Mais qui dit film de nains dit aussi acteurs nains, et nos amis de petite taille sont souvent traités par-dessous la jambe au cinéma. On est habitué à ce que les bébés se relaient à l’écran dans les films impliquant des nouveaux nés, pour des raisons tout à fait évidente de planning, de couches pleines de fientes et de biberons, mais aussi parce qu’ils ont tous plus ou moins la même tronche. C’est d’ailleurs le cas dans Willow, avec la petite Elora Danan, à laquelle deux gamines, les sœurs Greenfield, Ruth et Kate, ont prêté leurs traits poupins. Plusieurs acteurs pour incarner un même personnage dans un film, ça passe quand il s’agit de bébés (les personnages adultes qui changent de façade d’un film à l’autre au sein d’une même saga, parce que le comédien d’origine avait un semi-marathon ce jour-là ou juste parce qu’il avait flairé la suite merdique, c’est déjà moins évident). Mais on admet. Par contre un seul acteur recyclé dans plusieurs scènes, au sein d’un seul et même film, là, perso, ça coince ! Et c’est trop souvent le cas pour les acteurs nains, à qui l’on demande de jouer plusieurs rôles en croyant que personne ne le remarquera. Passe encore quand ils sont grimés, planqués sous un costume et donc méconnaissables. Exemple : Kenny Baker, le seul et l’unique R2-D2, qui, dans Le Retour du Jedi, s’est aussi glissé sans prévenir dans la fourrure d’un Ewok nommé Paploo (l’acteur était ravi de pouvoir, une fois dans sa vie, bouger ses bras et ses jambes sous l’objectif d’une caméra, quitte à le faire devant un AT-ST, engin de transport bipède de l’empire, sur le point de lui cramer la touffe).




Mais que dire de ce brave Warwick Davis, l’éternel Willow ? Saviez-vous qu’il a joué Pinocchio et Gepeto dans Pinocchio et Gepeto ? L’acteur a aussi prêté sa petite taille à six Leprechauns différents (dont le personnage éponyme, Lepre Chaun) dans la saga des Leprechauns. Six ! A quoi ça rime ? Plus difficile encore à avaler, ses multiples interventions dans la saga Star Wars, encore elle… Il était bien sûr et avant tout Wicket, le plus mignon de tous les Ewoks, à deux doigts de se serrer la princesse Leïa entre deux séquoias, sur la planète forestière Endor, dans le Retour du Jedi. Mais dans Star Wars : épisode 1 - La menace Fantôme, il devient subitement un dénommé Wald, ami d’Anakin Skywalker doté d’une gueule pas possible, ainsi qu’un spectateur lambda de la course de pods, amateur de vitesse et de sensations fortes, les mains plongées dans un pot de pop-corn plus grand que lui, mais aussi un citoyen sans histoires de Mos Espa, habillé comme un clodo… Qui incarnera-t-il dans Star Wars : épisode VII - Le Réveil de la force ? L’animal de compagnie de ce vieux con de Mark Hamill ? Le cul de Chewbacca ? Un jawa numérique sur Tatouïne ? Un 7ème Leprechaun ? Idem dans la série de films Harry Potter, où Warwick est à la fois Craspec le gobelin, le professeur Filius Fistfuck et un type tristement nommé Griphook, sans oublier Magicien (c’est le prénom du personnage, pas sa fonction, vérifiez sur l’encyclopédie en ligne du cinématographe si vous ne me croyez pas) dans le meilleur épisode de la saga, Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban.




Warwick n’est pas le seul à cumuler les rôles dans un même film, c’est aussi le cas, par exemple, toujours dans l’épisode I de Star Wars, de Silas Carson, qui interprète Nute Gunray, Ki-Adi-Mundi, Idi Amin Dada et Lott Dodd, rien que ça... sauf qu’un seul de ces personnages ne porte pas (ou pas totalement) de masque. Alors que Warwick, quand il suit la course de pods  sur Tatouïne ou quand il fait la manche dans Mos Espa, le fait à visage découvert ! Sans véritables postiches et surtout sans être l'acteur principal du film, volontairement décliné dans plusieurs rôles, tel Peter Sellers dans Docteur Folamour. Comme si, de toute façon, personne n’allait le reconnaître. N'est-ce pas un brin insultant ? Car il ne s’agit pas d’un de ces films dont c’est le parti pris que de faire jouer plusieurs rôles à un même acteur, parce qu'il s'agit d'interpréter des jumeaux ou des clones (Van Damme s’en est fait une spécialité), parce que c’est la famille (Jerry Lewis dans Les Tontons farceurs, Eddie Murphy dans Professeur Foldingue, ou Alec Guinness, non pas dans Star Wars cette fois mais dans Noblesse oblige), parce qu'une descendance consanguine en a décidé ainsi (Michael J. Fox dans Retour vers le futur, ou les villageois de La Malédiction d’Arkham, affaire d’héritage et plus encore), parce que le héros se dédouble (Michael Keaton dans Mes doubles, ma femme qui n’en demandait pas tant et oim), parce qu'il est question d'un acteur qui devient tout un tas de personnages (Holy Motors), parce que c’est brillant (Smoking, No Smoking) ou parce que c’est nawak (Cloud Atlas).




Je concède, ceci étant, que c’est un bon moyen pour ces comédiens de cumuler les contrats et les paychecks. Il n’y a bien que Peter Dinklage pour rouler des mécaniques (sa jambe gauche plus courte que l’autre l’aide bien) à la tête de Games of Thrones, même s’il galère un maximum pour grimper sur lesdits thrones, perdant régulièrement aux fameux "jeux des trônes" rythmant chaque épisode, simple jeu de chaises musicales avec des trônes musicaux à la place des chaises, qui a donné son nom à la série et qui en a assuré le succès auprès des gosses. Mais il peut dire merci à Warwick Davis, qui méritait amplement ce rôle, pour faits d’armes. J’ai personnellement une molaire contre Peter Jackson qui n'a pas filé à Willow Davis le moindre nain à jouer dans sa trilogie de l'anneau et autres films de Hobbits, qui en sont remplis à ras-la-gueule, préférant sans doute engager des mecs de 2m10 pour ensuite les miniaturiser grâce à Paint ou autre logiciel de retouche d’image à la pointe, comme il l’a fait pour Froton et ses potes. Triste monde.




Mais revenons à nos moutons (pas d'offense). Vous me direz qu’il n’est pas rare, dans des films à petits budgets, voire dans des séries B, que des figurants jouent plein de rôles différents. Mais Star Wars, la deuxième saga, petit budget ? Soyons sérieux. Pire encore : Warwick Davis, un figurant... On aura tout vu. Vous me direz aussi que dans le cas de Warwick Davis il s'agit plus d'un caméo, d'un clin d’œil, qu'autre chose. Mais aurait-on imaginé Harrison Ford interprétant deux ou trois clochards anonymes au détour d'une paire de faux-raccords dans Star Wars : la menace I - l'épisode fantôme, pour faire coucou ? Caméo, mon cul... Alors quoi ? Ca veut dire que les nains sont interchangeables, comme les nourrissons, ou comme les chiens dans tous les films de chiens ? On s’était assez plaint, rappelez-vous, de l’utilisation de toute une portée de clébards pour incarner Sébastien dans Belle et Sébastien, mais ce maudit film n’était que l’arbre qui cache la forêt, car c’est le cas dans pratiquement tous les films du genre ! Un seul saint-bernard de Clairvaux dans Beethoven ? Croyez-le... Un seul Willy dans Sauvez Willy ? Tu parles ! L'équipe de tournage en bouffait un exemplaire entre chaque scène ! Un seul rat dans Ratatouille ? Mon œil... Un seul ours dans L'Ours ? Un seul frère dans Deux frères ? Non, il y en avait au moins deux. Quoique, ce fourbe de Jean-Jacques Annaud est capable de n'en avoir utilisé qu'un, avec tout un système de miroirs à l'appui, dans le seul film où il en fallait bien deux au casting ! Jean-Jacques Annaud parlons-en. Il sort aujourd’hui Le Dernier loup, mais je déteste déjà son film qui prétend nous faire admirer le dernier leup alors que le cinéaste, coupable du même subterfuge sur de nombreux films par le passé (on a longtemps cherché à se convaincre du contraire, mais il faut regarder la vérité en face), se vante encore en interview d’avoir utilisé 150 loups d’élevage différents au bas mot pour incarner son soi-disant héros, prétendue ultime bestiasse de sa race. Mais que dire quand il s’agit d’un nain ? Et pas de n’importe quel nain… Remarquez, Hollywood a fait pareil avec les indiens, qui (quand ils n'étaient pas tout simplement remplacés par de purs playboys comme Rock Hudson ou Burt Lancaster), devaient passer et repasser dans le champ, à l’arrière-plan, cinquante mètres au moins (distance de sécurité) derrière telle illustre star déguisée en cowboy, et changer de chapeau à plumes, de mocassins et de démarche chaloupée pour avoir l’air, à chaque passage, d’un autre indien. On sait gré à Michael Mann de voler un poil au-dessus de J.J. Annaud, puisqu'il a refusé de faire tourner 50 indiens différents pour incarner Chingachgook, le dernier des Mohicans, dans Le Dernier des Mohicans. C’était le dernier ou c’était pas le dernier ? Bon ben si c’est le dernier y’en a pas une chiée plus mille qui attendent leur tour derrière le combo, merde !…




Méditez là-dessus… Est-ce que tout le monde trouverait ça parfaitement banal si le fringuant Val Kilmer incarnait Madmartigan dans une scène, la sorcière Fin Raziel dans la suivante, la fée Cherlindrea dans la troisième et un poivrot sans répliques, assis dans le fond d’un plan de coupe, au milieu de la séquence de la taverne, celle où il est d’ailleurs déguisé en femme (mais toujours dans la peau de Madmartigan), et où l’un des deux brownies, celui joué par Kevin Pollack, est à deux doigts de se noyer dans une pinte de bière (un conseil : c'est bien meilleur trempé dans du lait) ? Permettez-moi d’en douter. C'est donc limite… Remarquez, pas plus que de les foutre dans tout un tas d’appareils ménagers (R2D2) et autres peluches (les fameux Ewoks), et que d’embaucher six ou sept nains à tout casser par mesure d'économies puis de les jeter dans quinze costumes différents pour tromper le spectateur (aujourd'hui, on n'hésiterait pas à les démultiplier numériquement...). Mon affection pour Willow n’en est pas altérée, parce que ce problème ne se pose pas dans ce film, tout connement. Au contraire, il n’en sort que grandi, d’abord parce que Ron Howard, cet homme d'exception, l'un des rares cinéastes rouquins de l’histoire d'Hollywood (le seul ?), qui en sait donc long sur les minorités visibles, a, quant à lui, fait tourner une foule de nains pour composer la population du village Nelwyn (parmi lesquels Tony Cox, le célèbre nain de Fous d’Irène), et a donné au cinéma (avant de lui prendre beaucoup...) l’un de ses rares héros nains, sans costume poilu pour le recouvrir de la tête aux pieds. Ensuite parce que Warwick Davis sera à jamais pour moi un caméléon, et l’un des meilleurs acteurs nains de l’histoire du cinéma.


Willow de Ron Howard avec Warwick Davis, Val Kilmer, Joanne Whalley, Jean Marsh, Patricia Hayes, Kevin Pollack, Billy Barty, Phil Fondacaro, Tony Cox et David Steinberg (1988)

26 août 2014

Texas Killing Fields

Film sans intérêt, sans surprise, sans qualités. Parlons des personnages de ce Texas Killing Fields, ah ben non, y'en a pas ! Ils n'existent tout simplement pas... On a droit en vrac à un flic du genre nerveux, Mike Soudeur, tête brûlée, gros bras, attardé profond, peur de rien, peur d'un chien (Sam Worthington), qui fait fi des consignes de ses supérieurs pour aller aider la femme dont il est divorcé, flic de métier elle aussi (Jessica Chastain), au cœur d'un district malfamé. Son binôme, Marcel Patulacci (Jeffrey Dean Morgan), gardien de la paix avant tout, est plus raisonnable, plus âgé, type grand cœur fatigué de suivre des détraqués et prêt à se sacrifier pour secourir une fille de pute (c'est pas une insulte, c'est dans le script) qu'il considère comme sa propre enfant, et qui sera sauvée in extremis tandis que le tueur libidineux bigleux et chauve sur le point de lui faire la peau finira, vous l'auriez senti venir, par être arrêté.




Ce que je viens de vous résumer là c'est absolument tout ce que contient le scénario, ni plus ni moins, je n'abrège pas. Les personnages s'en tiennent rigoureusement à ce minimum-là. Il n'existent bel et bien pas. Et les acteurs qui les incarnent non plus. Sam Worthington est encore plus paraplégique que dans Avatar, Jeffrey Dean Morgan est un Javier Bardem au rabais, et Jessica Chastain, même si son charme opère à nouveau, est encore plus sous-exploitée que dans The Tree of Life, puisque la flic qu'elle incarne n'apparaît à l'image que trois minutes à tout casser, ne sert scrupuleusement à rien, et ne fait même pas de tourniquet dans des jardins publics. Seule la jeune Chloë Moretz, déjà remarquée dans Hugo Cabret, confirme ici son talent dans un rôle beaucoup moins enfantin que celui qu'elle campait chez Scorsese. L'actrice est depuis apparue dans quelques films beaucoup moins recommandables, de Dark Shadows à Carrie, la revanche, et n'y a pas autant brillé (pour ne pas dire qu'elle y tutoyait le ridicule). Espérons qu'elle regagne ses galons dans le dernier film d'Olivier Assayas. Quoi qu'il en soit, elle rejoint la petite Elle Fanning dans la course aux jeunes comédiennes américaines les plus prometteuses, et en fin de compte, sa présence étonnante, son visage ultra expressif et son charme étrange sont le seul intérêt de Texas Killing Fields, qu'on se le dise.




Malheureusement la réalisatrice, Ami Canaan Mann (joli blaze, y'a pas à dire, comme quoi ça ne fait pas tout !), la fille de Michael Mann, qui a donc produit le premier film de sa progéniture, ne fait pas grand chose du potentiel de la petite actrice, comme elle ne fait rien des autres membres du casting, de son non-scénario, et de tout ce qui s'en suit, rien qui ne sera oublié très vite. Le film ne tire aucun parti de son décor marécageux (la mise en scène s'y embourbe joyeusement, pour faire un jeu de mot digne du magazine Première), et le script est d'un déjà vu à toute épreuve. L'affiche parle de 60 cadavres et promet un Texas Killing Spree alors qu'il n'y a que quatre ou cinq macchabées à l'écran (pas que je sois un grand fan de barbaque mais quand on annonce un truc on s'y tient). Elle évoque aussi un tueur "insaisissable" que nous aurons reconnu dès sa première apparition, au bout de dix minutes de film, et qui, en prime, finira par être saisi... Et pourtant je ne suis pas doué en général pour jouer aux devinettes devant les films policiers, d'abord parce que je manque de pratique, n'ayant moi-même jamais rien traqué à part quelques films sur le net, ensuite parce que le plus souvent je m'en fous royalement, pouvant apprécier les belles intrigues policières, par exemple celles des films noirs de l'âge d'or, sans forcément passer mon temps à échafauder des hypothèses. Mais si moi, avec ma gueule enfarinée, si moi j'ai tout pigé au bout de cinq minutes à ce film de traque qui n'a aucun autre argument à sa disposition, je n'ose imaginer l'ennui qui frappera les amateurs du genre, lesquels auront en prime le sentiment de revoir ce maigre polar pour la millième fois. Ne perdez pas une heure et demi devant un film que vous aurez totalement oublié une demi heure après.


Texas Killing Fields d'Ami Canaan Mann avec Sam Worthington, Jeffrey Dean Morgan, Jessica Chastain et Chloë Grace Moretz (2011)

3 février 2014

A Bittersweet Life

Commençons par le pitch. Un grand chef de la mafia peu commode suspecte sa petite amie, d'une trentaine d'années sa cadette, d'avoir une liaison avec un autre homme. Il demande donc à son bras droit, le fidèle et efficace Sun Woo, de surveiller la jeune femme et de l'éliminer, purement et simplement, s'il la surprend en galante compagnie. Peu indifférent au charme délicat de la demoiselle, Sun Woo ne saura, cette fois-ci, honorer sa mission ; il ignore que cela entraînera des conséquences tout à fait démesurées... Voici donc le point de départ de ce qui pourrait être un énième film de vengeance venu d'Asie, mais que Kim Jee-woon transforme en un pur exercice de style jubilatoire, que je pourrais même qualifier de « jouissif » si ce mot n’était pas employé, en général, pour de mauvaises raisons. Une chose est sûre : A Bittersweet Life est, à mes yeux, l'un des tous meilleurs thrillers coréens de ces années 2000 où l’on en a vu tant débarquer en fanfare sur nos écrans, très souvent couverts de récompenses et accompagnés d'une solide réputation parfois déceptive. J'annonce donc la couleur, ce papelard sera à la fois foutraque et à sens unique !




Il faut d'abord voir avec quelle efficacité Kim Jee-woon réussit à planter le décor, en quelques secondes, en quelques traits. Dès la fin du générique d'ouverture, on y est ! On se retrouve immédiatement plongé au cœur d'une ambiance feutrée, dominée par des intimidations et une hiérarchie malsaines, qui paraîtra très familière aux amateurs de films de gangsters ; on suit de près les agissements d'un homme de main tout en élégance et en charisme, droit dans ses bottes, opérant avec classe et sans bavure. Tout le talent du cinéaste est de nous amener directement dans un cinéma dont on connaît parfaitement les codes, de le faire avec une telle maestria et une telle aisance que l’on a un seul réflexe : accepter d'être en terrain archiconnu pour mieux être embarqué dans cette histoire linéaire, montant progressivement en tension, qui sera le prétexte à un réjouissant enchaînement de morceaux de bravoure et de scènes joliment envoyées.




A Bittersweet Life est constitué de deux parties assez distinctes et c'est surtout la première que j'apprécie tout particulièrement. Dans celle-ci, Kim Jee-woon prend son temps, développe une mise en scène très aérienne, extrêmement fluide, et procède aussi à un remarquable travail sur le son. Cette patience et ce souci du détail font du film un véritable travail d'esthète, un plaisir pour les sens. Des plages d'ambiance, des moments de quiétude quasi contemplatifs, précèdent des explosions brutales où la violence est toujours très stylisée, beaucoup moins grand-guignolesque et frontale que dans le thriller horrifique très remarqué que le cinéaste a réalisé par la suite, toujours avec son acteur fétiche, J'ai rencontré le diable. La première collaboration des deux hommes est également traversée par un humour noir et corrosif typique de ce cinéma coréen qui mélange souvent ces registres sans que cela ne porte jamais atteinte à la cohérence et à l'équilibre de l'ensemble. Ici, des situations absurdes viennent parfois tourner le genre en dérision, sans altérer la force et la sincérité du vibrant hommage qui lui est ici porté. D’ailleurs, ce travail sur le genre, et sur un thème très commun à ces films, la vengeance, Kim Jee-woon le poussera encore plus loin dans J'ai rencontré le diable, justement, avec plus de radicalité et peut-être moins de légèreté…




Quand, dans la deuxième partie, Kim Jee-woon filme la vengeance irrésistible de son personnage, on assiste à un véritable ballet sanguinolent, la chorégraphie des scènes de fusillade ou de combat est très travaillée, sans être surfaite, et leur cohérence compte assez peu (comment un homme, même très remonté et animé par une rage terrible, peut-il se débarrasser d'une trentaine d'opposants belliqueux et armés jusqu'aux dents ? on s’en balance !). Et puis il y a une scène particulièrement réussie et incroyable de suspense qui à elle seule pourrait m'amener à défendre le film entier ! Cerné de très près dans la planque de quelques revendeurs d’armes un peu idiots, notre héros, assis face à un ennemi découvrant progressivement la réelle identité de son vis-à-vis, doit, pour s'en tirer, réassembler une arme qu'il vient juste de démonter. Une course improvisée, inexplicable pour les autres personnages, spectateurs des évènements, est alors lancée entre les deux hommes. Elle se conclut par un échange de coups de feu aussi rapide qu'imprécis, qui nous laisse cramponné au fauteuil. La lisibilité et la limpidité idéales de cette scène, la façon qu'a Kim Jee-woon de filmer les regards de ses acteurs, leurs mimiques stressées ou hébétées, de jouer avec la lenteur paradoxale de la situation avant son dénouement pétaradant, tout cela en fait un vrai modèle du genre, que je ne me lasse pas de revoir, juste pour le plaisir ! C’est un sacré moment, qui nous fait retourner en enfance, à l’âge où l’on se fait des films, où l’on invente des bandes-dessinées de cow-boys, ce genre de choses. Un plaisir simple, donc.




Parmi les influences évidentes du Drive de Nicolas Winding Refn, on a souvent cité quelques titres plus ou moins cultes du polar moderne américain (Thief de Michael Mann, To Live and Die in LA de William Friedkin ou The Driver de Walter Hill…), mais plus rarement le film de Kim Jee-woon, référence pourtant ouvertement citée dans quelques interviews par le cinéaste danois. J'encouragerai donc les nombreux fans de Drive à lui donner une chance, ils ne pourront que l’apprécier. Le « driver » est une figure très proche de l'homme de main interprété par le beau Lee Byung-hun. Et si l'on a déjà pu se moquer du jeu apparemment fort limité de Ryan Gosling dans le film de NWR, il faut ici reconnaître au bellâtre asiatique une précision assez impressionnante et vraiment remarquable : dans un rôle certes un peu moins mutique que son homologue canadien, il livre une prestation très maîtrisée et dégage surtout une incroyable présence à l'écran. On a ainsi aucun mal à comprendre et à partager ses sentiments, et donc à accepter ce schéma revanchard que l'on ne connaît que trop bien. Afin de rassurer les anti-Drive, pour qui ce rapprochement serait rédhibitoire, je préciserais que cette vie aigre-douce est certainement moins vide, moins creuse émotionnellement, notamment grâce à ce que je viens d'évoquer ; sans parler du fait que les sublimes compositions de Yuhki Kuramoto planent à des années lumières de Kavinsky.




Malgré son aspect assez minimaliste et sa sècheresse narrative, et peut-être aussi grâce à cela, A Bittersweet Life parvient à éveiller l'imagination ainsi que les réflexions autour de son protagoniste. Lors de sa conclusion sanglante, nous arrivons même à la lisière du fantastique, sur les traces d'une sorte de fantôme vengeur défiant la mort pour achever ses représailles. Lee Byung-hun campe un personnage qui paraît condamné à une pauvreté sentimentale extrême et qui dérive soudainement d'une trajectoire toute tracée quand on lui enlève ce qu'il envisageait sans doute comme une dernière chance de ressentir, d’éprouver, de vivre, pour se lancer dans une vengeance méthodique et implacable tel un mort-vivant inarrêtable. L’ombre lointaine du Samouraï de Jean-Pierre Melville plane sur ces films-là. Il se dégage de ce "néo-noir" sud-coréen presque esthétisant une même symbiose, une même harmonie entre un acteur et son metteur en scène. Quand on revoit ce film aujourd'hui, on regrette que le cinéaste se soit par la suite perdu outre-Atlantique le temps d'une collaboration infructueuse avec une méga-star sur le retour, Arnold Schwarzenegger, pour un film, Le Dernier rempart, qui n'a rien donné et dont tout le monde est ressorti perdant. On espère à présent que Kim Jee-woon retournera très vite à ses premières amours, retrouvera l'excellent Lee Byung-hun, lui aussi égaré dans des productions hollywoodiennes sans âme, pour nous livrer un autre film de genre de cette tenue !


A Bittersweet Life de Kim Jee-woon avec Lee Byung-hun, Hwang Jung-min et Shin Min-a (2005)

18 janvier 2013

Abraham Lincoln, chasseur de vampires

Comme nous prévoyions d'aller voir le Lincoln de Spielberg au cinéma et que nous savions que ça traitait de Lincoln président durant la guerre de sécession, on a voulu savoir ce qu'il en était du Lincoln d'avant, quand il était chasseur de vampires dans le middlewest. Car avant d'être l'avocat élu par le peuple et concerné par le sort des noirs américains, Abraham Lincoln, et nous l'avons appris grâce à ce film, était chasseur de wampas, et c'est ce premier métier qui l'aurait sensibilisé au problème black. Après avoir organisé et ardemment participé à quelques "nuits de cristal" avec ratonnades de vampiros lesbos à la clé, et après s'être repenti de cette première carrière marquée par le sceau de l'intolérance, Lincoln aurait voulu mettre un terme aux persécutions raciales dans son pays, cqfd. Les deux films ont été pensés comme une trilogie et tournés en même temps dans un seul et même studio, d'où quelques scènes de plaidoirie glissées dans le film de vampires, qui cassent un peu le rythme, et, il faudra s'y attendre, de possibles apparitions de goules et de gousses d'ail dans le portrait-vérité de Spielberg. Daniel Day Lewis, sans nul doute parfait dans le rôle du Lincoln président chez Spielby puisqu'il a joué le rôle d'un esclave noir dans Le Dernier des mohicans de Michael Mann, buvait donc des coups entre deux prises avec Chris Rock, qui incarne le Lincoln chasseur à courre de vamps dans le film jumeau de Timur Bekmambetov.




Nous qui sommes souvent à côté de la plaque en matière de spin off et autres reboots, nous nous estimons bénis des Dieux d'avoir pu admirer Lincoln chasseur de vampires avant de courir nous extasier devant le biopic signé Spielberg. En effet ce n'est pas André Kaspi qui nous aurait appris ce qu'a été la vie de Lincoln avant son accession au pouvoir, ah ça non, ce n'est pas lui. Merci Timur. Et vivement la sortie de "Obama étrangleur de chats" ou de "Clinton tringleur de chiennes". Étant donné la qualité intrinsèque du film de Bekmambetov (nous restons lucides, faisons preuve ici de lucidité) il y a de très fortes chances pour que la saga Lincoln fasse partie de ces trilogies où le deuxième épisode (celui de Spielberg donc) est meilleur que le premier, avec Star Wars, Jurassic Park, Dirty Dancing et Philadelphia.


Abraham Lincoln, chasseur de vampires de Timur Bekmambetov avec Benjamin Walker, Dominic Cooper et Mary Elizabeth Winstead (2012)

4 novembre 2012

Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl

Ce n'est peut-être pas la bonne affiche, prévenons les fans courroucés, mais il faut dire que c'est la même pour chaque épisode à quelques mots près écrits en taille 2 sous le titre de la franchise et nous n'avons pas nos carreaux sur le nez pour vérifier. Un jour ou l'autre on devait se confronter à la saga des Pirates of the carabayans, cette série qui a engrangé peut-être plus de dix milliards de pesos si on additionne les recettes de chaque épisode, et qui a fait de Johnny Depp l'idole de nos filles après avoir été celui de nos mères (soit le pied tendre favori de trois générations de vagins). Il faut dire qu'il est boloss cet homme-là, avec son petit charme de gitan fréquentable. Les jeunes filles sont souvent frétillantes à l'approche de mâles faussement dangereux, au soufre de pacotille. On a tous connu des gars comme ça au collège, ceux qui s'étaient tailladé le sourcil d'un coup de rasoir idéalement placé et que les filles prenaient pour des petites frappes, des têtes brûlées aventurières, alors qu'ils avaient juste eu l'idée précieuse de se fendre l'arcade avec le rasoir Gillette pro-glide de papa un beau matin, d'une cicatrice en forme d'éclair qui ne manquait jamais d'atteindre sa cible : le cœur des jeunes femmes naïves. En réalité ces garçons-là rentraient chez eux pour déguster le petit goûter préparé par une mamie-gâteau avant d'aller jouer dans leur bac à sable perso. Quant à nous, nous n'avions pas de cicatrice sourcilière... mais nous ne le devions qu'à une adresse inégalable face aux arts martiaux et autres objets contondants quand, au moment de rentrer dans la tanière paternelle, on devait éviter un ou deux coups de machette dès la porte passée, papa étant un peu échaudé par l'énième défaite de l'équipe de France contre la RDA. Puis quand il se penchait sur nos devoirs c'était pour nous asséner quelques problèmes mathématiques "pour les nuls" selon ses dires, du genre : "Sachant qu'un cœur humain au repos bat à 65 pulsations minute et que celui d'un enfant de ton âge poursuivi par son père muni d'un jerricane d'essence et d'une allumette incandescente peut monter jusqu'à 365 pulsations seconde, combien de kilomètres peux-tu parcourir avec ton cartable sur le dos avant de nous faire un bel infarctus sous les applaudissements de toute la sagrada familia ?" Après la fin de la question notre père enchaînait en hurlant à toute allure un compte à rebours diabolique : "5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Cours connard !"


Trop boloss...

Retour au film. Que nous propose Goré Verbinski ? Quel est le programme établi par ce polonais docile et sans avis qu'Hollywood est allé piocher en Europe de l'Est dans une chasse à l'homme top secrète portant le nom de code : "Seeking the most obsequious human being on earth" ? Comment surtout croquer en quelques lignes ce film pour s'en débarrasser et repartir sur les cas Depp, Bloom et Knightley, qui nous intéressent bien plus que ce triste manège filmé. Car Verbinski s'est donc contenté d'aller à Disney Land, de payer un pack de coupons pour autant d'attractions gratuites à sa bande d'acteurs et de les filmer sur les radeaux en plastique du parc forain le plus cher du monde. Après Chris Noonan qui avait osé adapter l'attraction Babe le cochon devenu berger dans son film Babe le cochon devenu berger, Goré Verbinski a pensé (enfin, pensé, on a pensé pour lui, Verbinski n'a jamais pensé et on a tendance à appliquer la politique des auteurs avec zèle sur ce coup-là) qu'une attraction plus attractive pourrait récolter bien plus de deniers et donner lieu à une avalanche de films reproduits à la chaîne sur le même modèle avec à peine quelques nouveautés à chaque nouvel épisode, ici des fantômes de pirates, là des vampiros lesbos, ci-contre des méduses libidineuses et autres sirènes nymphomanes, et ça n'a pas loupé.


L'une des meilleures scènes d'action du film.

On se réjouit aujourd'hui que la saga soit enfin en stand by, bien qu'on sache de source sûre que ce n'est qu'une pause temporaire et que le reboot guette. En attendant ce sont les carrières des acteurs vedettes de ce show insupportable qui sont en jet-lag. On a déjà épinglé Johnny Depp à plusieurs reprises et toujours avec le même plaisir, ce plaisir qu'on peut éprouver quand on se nettoie d'une envie de tout casser. Que dire de plus sur son cas, sur son look de malade, sur ses lunettes fumées, sur ses cheveux fumés, sur ses habits fumés aussi et sur le lardon fumé qui se cache à l'intérieur de son caleçon de pirate ? Qu'ajouter sur son immonde carrière surtout ? Notre homme se vante d'être un homme-livre capable de jongler entre les projets, et se targue d'une filmographie où l'on trouve de tout et surtout de la merde. Entre deux épisodes des Carabayans, Depp s'en va faire le mariole chez le Jean-Louis David américain du miséreux, aka Tim Burton. Puis après s'être ravitaillé chez son fournisseur de marie-jeanne, Emir Kusturica, il va pavaner chez Jarmusch, Mann, Polanski ou Gilliam, choisissant ses réalisateurs avec un soin de sociopathe, obsédé par l'idée fixe de plaire à tout le monde et d'assurer ses arrières, qui donne surtout envie de ne plus le voir filmé, à tout jamais. Opportuniste à la manque, toujours apprêté au poil près, c'est le Yann Barthès du ciné. Sauf que lui ne reste pas tanqué dans son vieux combo costard/converse passé de mode depuis 99. Il est passé par tous les looks possibles et imaginables, du string-bretelles à la Borat au bleu de travail taché de cambouis en passant par le costard trois pièces classique surmonté d'un Stetson ou la tenue gothique avec bonnet de bain, et tout ça histoire encore une fois de plaire à strictement tout le monde au moins une fois, quitte à perdre autant de fans qu'il en gagne à chaque nouveau relooking extrême.


Johnny Depp ne sort jamais sans ses trois mini foulards savamment superposés autour du cou pour ne pas attraper un rhume, et un quatrième accroché à la ceinture, parce qu'avec toutes ces couches de fringues il transpire comme un porc et doit essuyer la sueur qui tombe au bout de ses doigts huileux.

Dans ce film magique et aux côtés de Depp, dans son ombre, il y avait Orlande Bloom, natif d'Orlando dans le Colorado, l'éternel Legolas (ne pas prononcer le "s" final, avis aux fans, Tolkien de son vivant l'a dit et répété et vu comment il s'est fait chier à inventer un langage ce serait triste de voir que ses premiers fans le traînent dans la boue au quotidien) du Seigneur des Anneaux (ne pas faire la liaison entre "des" et "anneaux", cf. Tolkien himself) et l'éternel idole des androgynes. Promis à un avenir brillant, l'acteur n'en revient toujours pas d'être au casting des deux franchises les plus juteuses des années 2000, regrettant de ne pas avoir prêté ses traits d'elfe à un éventuel Robin dans la trilogie Batman moisie de sieur Nolan, lui qui l'appelait chaque matin en disant : "Mais je suis un peu pédé !... J'adore Christian Bale !... Je passe niquel dans une combi moulante !... Mais le vert me va très bien... Mais puisque je n'aurai même pas à m'entraîner pour le rôle ni à faire de sport du fait de mon expérience chez Peter Jackson en tant que Legola...". En définitive, Orlande Bloom n'obtient aucun rôle depuis ElisabethTown et vient de se faire remarquer, à la manière de Raymond Domenech, en allant pointer au Pôle Emploi pour être inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi et avoir les transports gratuits, lui qui a de gros oursins dans les poches à défaut d'avoir des arbalètes dans le dos et des yeux derrière la tête, comme son éternel double fictionnel dans la trilogie de l'anneau. Nous n'ouvrirons pas Wikipédia pour vérifier la filmo de ce type histoire de ne pas pleurer pour le reste de la journée. Moins désœuvrée que son camarade Legola, Keira Knigthley avait son petit charme dans ce film, un charme qui s'est ensuite volatilisé au fil des ans et des tournages. Ayant tourné avec Joe Wright ou avec Cronenberg, elle aura eu un peu plus de pif que son pote elfe pourtant réputé pour son odorat de malade. Un pif tout relatif puisque lorsqu'on jette un œil plus attentif à sa carrière on y trouve des déchets non-recyclables du style London Boulevard ou Last Night. Keira Knightley a décidé de tout miser sur sa carrière et c'est pas de veine parce que si sa carrière était une famille ce serait la famille Adams, à base d'oncles fétides et de cousins machins.


Keira Knightley, pirate des calories.

Goré Verbinski s'en sort mieux que les seconds couteaux de sa trilogie en bois (devenue une tétralogie grâce à Rob Marshall, un réalisateur particulièrement dangereux, auteur entre autres de l'infamie nommée Nine). Après le troisième volet, il nous a raconté l'histoire de Rango, un caméléon pistolero toujours incarné par Depp, véritable caméléon de la mode et de l'acting. Est-ce qu'on peut parler de métafilm ? Peut-être pas. En tout cas le film a remporté un fier succès et a installé Goré Verbinski (qui enchaîne les gros coups médiatiques mais que personne ne connaît pour autant) dans le petit monde du western. Le réalisateur hollywoodien prépare en effet un nouveau film du genre, en prises de vue réelles cette fois-ci, toujours avec Depp au premier rang, qui semble déjà très original puisqu'il raconte l'histoire d'un Texas Ranger masqué luttant contre l'injustice et la criminalité, accompagné de son fidèle destrier Maïwenn et de son ami indien Tony Gatlift. On attend Goré au tournant.


Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl de Gore Verbinski avec Johnny Depp, Orlando Bloom, Keira Knigthley et Geoffrey Rush (2003)

18 août 2011

A bout portant / Pour elle

Il y a quelques années, Fred Cavayé vivait en Cité U et occupait son maigre temps libre à écrire des scénarios. Il s’octroyait parfois le plaisir d’aller au cinéma pour voir les derniers John McTiernan ou Michael Mann, des films qu’il regardait avec des étoiles plein les yeux, des rêves plein la tête. Aujourd’hui, Fred Cavayé est le cinéaste français qu’Hollywood nous envie le plus. Deux films l’ont fait exploser :  Pour elle et A bout portant, deux thrillers sans temps mort ou des pauvres types sans histoire se retrouvent dans la merde du jour au lendemain et doivent sauver leurs bonnes femmes si peu dégourdies en un temps record. Des tag-lines similaires fendaient les affiches de ces deux films : « Il a 72 heures pour sauver celle qu’il aime et la sortir de cabane ! » pour le premier, « Il a 3 heures et des brouettes pour retrouver sa femme et lui faire la peau ! » pour le second. En ce qui me concerne, quand je lance un film de Fred Cavayé, je lui donne un gros quart d’heure pour me choper. Si Pour elle avait réussi à me captiver du début à la fin, réalisant là une vraie prouesse, ce n’est pas le cas de son dernier rejeton, qui m’a très tôt perdu.




Il faut dire que dans Pour elle, on suivait Vincent Lindon en train d’échafauder un plan machiavélique pour extirper Diane Kruger de prison. Un Vincent Lindon égal à lui-même, capable de sauver n’importe quel film par sa seule présence, le regard fou, les tics survoltés et le front hyperactif. Dans A bout portant, le héros n’est autre que Gilles Lellouche. "Gilles Lellouche", "héros"… voilà des mots que je ne pensais pas devoir associer un jour. Et pourtant, Fred Cavayé a osé. L’acteur n’a cependant pas grand-chose à se reprocher, il fait de son mieux, avec ce que la Nature, dans un malheureux hasard, lui a donné : un profil d’aigle inélégant, une voix de beauf trop familière, une piètre allure générale, le dos toujours un peu voûté, le cou en avant, le regard vide et stupide. Cette piteuse panoplie ne fait pas de son personnage quelqu'un que l'on veut voir réussir et vaincre. Mais si le film n’est pas parvenu à me captiver, ce n’est pas spécialement sa faute. Je me suis simplement retrouvé face à l’impossibilité de me passionner pour cette histoire de flics ripoux et magouilleurs, très loin de la simplicité et donc de l’efficacité du pitch de Pour elle, qui passe désormais pour une vraie réussite dans le genre.




Qui plus est, j’ai très tôt repéré que le gros souci venait de Gérard Lanvin, qui campe donc le gros méchant tirant toutes les ficelles. J’ai vite compris que le comédien était dans un rôle de sale con inhabituel vu qu’il ne décroche jamais les mâchoires et parle toujours de sa voix la plus grave, sans jamais articuler. L’acteur a peut-être pris du plaisir à jouer un méchant de façon si grossière, mais pour nous autres spectateurs, c’est un bien triste spectacle qui s’offre à nous. A part ça, les personnages ne font que se courir après, se menacer, se tirer dessus, viser à côté, à court de munitions se tabasser et finissent souvent par se tabasser et s'invectiver en rappelant le peu de temps qu'il reste avant la fin du film ; un film qui, de mon côté, m'a paru bien long. Ces individus nerveux ne peuvent jamais se faire confiance et doivent toujours s'assurer que l'un a les mains vides quand l'autre fait mine de s'approcher. C'est un climat d'incertitude et de haine assez usant, pesant, d'autant plus quand on est, au quotidien, assez travaillé et miné par un avenir très flou, par la sale tronche de notre président, par des relations pas toujours faciles avec un animal domestique et par le triste état du monde en général. Las et abattu, j’ai vite décroché d'A bout portant. Des fois, on a pas envie de voir des gens passer leur temps à se foutre sur la gueule. 





Pour elle avait eu le bonheur d’être remaké par Paul Haggis et Russell Crowe via le film Les Trois prochains jours. Il paraît que lorsque Fred Cavayé a appris la nouvelle, il n’y a pas cru. Il se serait exclamé « Russell Crowe, le Russell Crowe de Point Break ? Non mais arrêtez les conneries, c’est de la folie douce, c’est un rêve de gosse qui se matérialise ! J’avais 8 ans quand j’ai écrit cette histoire à la con, dans ma Cité U à Nanterre-les-olives, et voilà que le grand Russell Crowe va l’incarner ?! Anything for She, a dream come true, sans blague ?! Je n’en reviens pas ! ». Après en être revenu, Fred Cavayé aurait plus tard ajouté « Quand j’ai vu mon nom accolé à celui de Russell Crowe sur le net, j’ai inséré mon doigt dans mon ventilo pour m’assurer que je ne rêvais pas. J’ai perdu un doigt. J’en reviens juste toujours pas ! » A bout portant, renommé Point Blank par des distributeurs internationaux visiblement bien peu soucieux que ce titre soit déjà pris mille fois, passera-t-il à son tour à la moulinette hollywoodienne ? On peut l’imaginer. Moi je vois déjà Shia LaBoeuf à la place de Gilles Lellouche, courir dans tous les sens, tout étonné de ne pas voir des twingos se transformer en Lego ! Et j'imagine bien Bob Duvall dans le rôle du flic véreux sans scrupule.


Pour elle de Fred Cavayé avec Vincent Lindon et Diane Kruger (2008)
A bout portant de Fred Cavayé avec Gilles Lellouche, Roshdy Zem et Gérard Lanvin (2011)