30 décembre 2014

Mardi, après Noël

Le quatrième film du roumain Radu Muntean est passé un peu inaperçu en 2011 alors qu'il méritait le coup d’œil. Mardi, après Noël raconte peut-être la plus vieille histoire du monde, celle d'un homme trompant sa femme avec une autre évidemment plus jeune, et s'il ne la raconte pas avec la même force et la même exhaustivité, si l'on peut dire, que déployée par Ingmar Bergman dans les 2h40 de Scènes de la vie conjugale, auquel on pense malgré tout par moments, il parvient pourtant à nous intéresser à son récit et à nous plonger dans les plages de la vie quotidienne menacée de ses personnages. Le souci de nous immiscer au cœur de la sphère privée des êtres en passe par une mise en présence des corps qui s'impose dès la première séquence, où nous sommes pour ainsi dire in bed with le couple adultère.




Paul (Mimi Branescu) et Raluca (Maria Popistasu) sont d'emblée mis à nu et même plus qu'à nu puisque rien ne nous sera caché de leur ultime intimité. Si plus personne aujourd'hui n'est heurté par le portrait de deux amants nus allongés côte à côte, la vision du sexe rasé de la jeune femme, quand elle se lève du lit sans que la caméra ne redresse son cadre pour filmer son buste, restant au contraire sur ce sexe découvert, et sur le regard que lui porte l'amant, suscite quant à elle une vague gêne, ainsi imposée en préambule (le sexe de Raluca nous est pratiquement dévoilé plus tôt et plus complètement que son visage), gêne qui donne du poids à cette situation d'adultère quand, quelques secondes plus tard, on retrouve Paul en compagnie de sa femme dans un magasin, raccord sans transition où le personnage passe littéralement de la proximité du sexe nu de sa maîtresse à une situation anodine de sa vie maritale. La nudité initiale de Paul lui-même deviendra quant à elle pesante bien plus tard, quand elle se rappellera à notre souvenir au détour d'une autre scène banale, quotidienne, où l'homme sera nu aux côtés de son épouse légitime, Adriana (Mirela Oprisor), occupée à lui raser le crâne dans la salle de bain, sans que cette intimité-là n'ait plus rien de tant soit peu sexuel.




Mais, tout au long du film, c'est par la permanence d'un dispositif reposant exclusivement sur de très longs plan-séquences en caméra plus ou moins fixe, laissant le champ libre aux (excellents) comédiens et à leurs dialogues et silences, que le cinéaste nous laisse imprégner des situations appréhendées dans toute leur durée et restituées avec le nombre de leurs secrets. Le dispositif ne vire jamais au procédé et ne prend pas le dessus sur le récit, ses tensions et ses pointes d'émotion, au point d'ailleurs que l'on oublie parfois que le film fonctionne sur une succession de plans-séquences pour se laisser prendre par tout ce qui s'y vit.




Quand Paul accompagne sa femme dans un magasin pour acheter quelques vêtements, on est hanté, comme lui sans doute, par la séquence précédente où il était face au sexe nu de Raluca. Effet Koulechov longue durée, où chaque plan-séquence est hanté par le précédent, et où la durée de chacun permet au précédent de sourdre lentement, comme par en-dessous. La gêne et les tensions insoutenables sont palpables quand Paul et Adriana se retrouvent ensemble chez la dentiste de leur fille, qui se trouve être Raluca en personne, la maîtresse de Paul. Et quand le mari avoue tout à sa femme, la scène, filmée comme toujours dans la durée, comme en temps réel, est éprouvante car d'un réalisme exacerbé par la mise en scène quasi documentaire de Muntean. A la toute fin du film, le soir de noël et la veille du jour où Paul et Adriana ont prévu d'avouer leur divorce imminent à leur fille, ces derniers se livrent à une petite chorégraphie rituelle : Paul, disposant les cadeaux de Noël au pied du sapin tandis que ses propres parents occupent sa petite fille qui ne doit rien savoir de ce manège, passe à plusieurs reprises dans le dos de sa future ex-femme qui lui transmet les paquets à l'aveugle, en toute discrétion, sans quitter son enfant des yeux. Le réalisateur saisit le naturel complice de l'ancien couple déchiré, comme si le temps qu'il leur avait fallu pour parvenir à cette entente corporelle, à cette forme de synchronisation parfaite et inconsciente des mouvements, nous apparaissait condensé là grâce à la durée offerte pour les observer.


Mardi, après Noël de Radu Muntean avec Mimi Branescu, Maria Popistasu et Mirela Oprisor (2011)

21 décembre 2014

Young Ones

Jake Paltrow a l'air d'un type sympa. Déjà, il a une bonne tronche. Il ressemble à sa sœur, Gwyneth. Ça fait de lui un beau gosse, y'a pas à dire. En plus, il a bon goût. C'est sûr. Y'a qu'à voir son premier film, Young Ones, dont il a aussi signé le scénario. On pense à Mad Max, on pense à ces films de SF des années 70, pessimistes et hantés par la peur d'une apocalypse nucléaire. Ici, ça n'est pas la guerre atomique qui est redoutée, mais les conséquences d'un réchauffement climatique inéluctable. Le film, situé dans un futur proche, prend pour décor les contrées asséchées d'une Amérique méconnaissable où l'eau est devenue une denrée rare et précieuse, au centre de toutes les convoitises. Construit en trois chapitres, chacun consacré à un personnage masculin différent, il nous narre les mésaventures d'une famille encore animée par l'espoir de rendre ses terres à nouveau fertiles et mener une vie normale.




Jake Paltrow a une autre qualité : il sait également s'entourer. Michael Shannon, acteur désormais incontournable et presque symbolique d'un certain renouveau du cinéma indépendant américain, incarne un père désireux de protéger sa famille, auquel la première partie est consacrée. On a aussi le bonheur de retrouver la mignonne Elle Fanning, actrice à la présence toujours agréable, qui incarne sa fille. C'est donc bien volontiers, sans se forcer une seconde, que l'on donne une chance à ce qui s'apparente davantage à un néo-western et à une fable écologique séduisante. On sent le cinéaste débutant véritablement rempli de bonnes intentions. Il émaille son film de quelques belles idées, sa mise en scène ne prend pas beaucoup de risque mais essaie bien deux ou trois choses. Les éléments de pure science-fiction sont très rares mais toujours appréciables et bien vus. Le robot transporteur, que le père achète pour remplacer son âne, apparaîtra d'abord comme un gadget joliment fait mais assez inutile, avant d'avoir un rôle-clé dans l'intrigue et de quasiment devenir un personnage à part entière. Une autre belle idée visuelle est cette sorte de maison de retraite futuriste où vit la mère malade, reliée par tout un tas de fils et comme maintenue en vie par des prolongements mécaniques.




Hélas, tout ça ne suffit pas à faire de Young Ones une franche réussite, celle que l'on pouvait espérer pendant ses plaisantes premières minutes. Le film finit en effet par lasser, par nous désintéresser de ce qu'il raconte. Jake Paltrow se disperse dans quelques digressions inutiles, son second long métrage manque cruellement de force et d'enjeu dramatique. Ne parvenant pas à faire preuve d'efficacité dans des scènes où la tension devrait être au beau fixe, échouant à trouver une envergure suffisante pour justifier ses ambitions de grande tragédie familiale, Young Ones laisse finalement un goût d'inachevé et de regrettable gâchis. A l'image, d'ailleurs, du personnage campé par Elle Fanning, qui a l'air d'être là uniquement pour faire joli et pour servir la soupe, littéralement, aux trois personnages masculins (son père, son mec puis son frère) mis en avant par chaque partie. C'est dommage, car il y avait là matière à trouver une proposition de cinéma de genre intéressante et, surtout, nécessaire par les temps qui courent. On donne tout de même rendez-vous à Jake Paltrow pour son prochain film, à défaut de ne pas pouvoir rencarder sa sœur... 


Young Ones de Jake Paltrow avec Michael Shannon, Nicholas Hoult, Kodi Smit-McPhee et Elle Fanning (2014)

18 décembre 2014

Le Moine

Le dernier film en date de Dominik Moll raconte le destin de Frère Ambrosio (campé par Vincent Cassel, l'affiche vous avait peut-être mis sur la piste) dans l’Espagne catholique du XVIIe siècle. Abandonné à la naissance et par une nuit d'orage aux portes du couvent des Capucins, Ambrosio est élevé par les Frères dans le culte de Dieu. Devenu un prêcheur admiré de la paroisse et renommé dans toute la région pour sa ferveur inégalable et son sérieux impérial, véritable modèle d'austérité et de foi, il est craint néanmoins pour son exigence et sa dureté (notamment celle de son double-décamètre, que même une toge en grosse laine à double maille ne parvient pas toujours à garder secret). Mais l’arrivée d’un mystérieux jeune homme, coiffé d'un masque de Scream suite à une brûlure terrible, et accepté au sein de la communauté par un Ambrosio aussi bon que chaleureux, va ébranler les certitudes du moine et le détourner de sa voie de Saint pour le faire sombrer dans le péché et, de fil en aiguille, dans les filets du Diable.


Pas étonnant de renoncer à ses vœux face à ce genre de manifestation du démon...

La première partie du film est plutôt très bien, s'ouvrant avec charme et conviction sur une histoire intrigante, adaptée du roman fondateur de Matthew G. Lewis, instaurant une belle ambiance mystico-gothique proche de La Morte Amoureuse de Théophile Gautier, portée par une petite mise en scène plutôt simple mais efficace et par des acteurs, Vincent Cassel et Sergi López, aux présences et aux voix envoûtantes. Malheureusement le film s'essouffle après 45 minutes et faiblit à vue d’œil. Dès que le moine goûte aux plaisirs de la chair, l'histoire se perd un peu, et l'envoûtement ne prend plus. La relation qui unit le moine à la jolie Antonia (jolie brin de fille, interprétée par Joséphine Japy) paraît un peu soudaine, et même si l'épisode avec Déborah François joue comme détonateur, le basculement un peu simpliste d'Ambrosio, qui après avoir goûté à la carotte aimerait bien s'envoyer tout un ragoût, ne fonctionne pas véritablement. Et puis le film s'emberlificote dans quelque chose d'assez déceptif, à l'image de la résolution du rêve étrange que le moine confesse au début du film et dont le mystère réside dans une anonyme silhouette rouge agenouillée dos à la porte du monastère. Quand il s'avère que ce corps n'est que celui d'Antonia, le scénario se révèle plus faible qu'il ne le laissait augurer. Le film fait des promesses qu'il ne tient pas. Idem pour son acteur principal, Vincent Cassel, qui perd assez rapidement de sa superbe et se met à professer comme à l'Actor's studio, poussant son personnage vers les rivages d'un ridicule assez nocif.


Pourquoi est-ce merveilleux chez Manoel de Oliveira et pourquoi est-ce, au choix, anodin ou
risible, chez Domino's 'Pizza' Moll ?

C'est d'autant plus dommage que la toute fin du film, dans le désert, n'est pas si mal (juste après la révélation concernant le lien qui unit Ambrosio à Antonia, quant à elle trop attendue), mais entre le début et la fin, on lâche forcément prise. En somme c'est typiquement un film de Dominik Moll : on aime beaucoup la manière dont il parvient à instaurer une tension, la façon dont il lance son intrigue, mais tout cela ne tient pas sur la durée. Pour terminer sur une note plus positive, que le film ne mérite pas vraiment mais que le travail de son auteur réclame, disons que Le Moine reste plutôt agréable à regarder, que son univers angoissant et mystérieux se talonne parfois certains classiques de la littérature gothique du XIXème, et que c'est déjà pas si mal.


Le Moine de Dominik Moll avec Vincent Cassel, Sergi López, Déborah François, Joséphine Japy, Catherine Mouchet et Géraldine Chaplin (2011)

16 décembre 2014

Sous les jupes des filles

La fin d’année approche et, en bon blagueur ciné, je pense à mon top annuel H24. Mais qui dit top dit aussi flop. Et du coup j’ai repensé à cette horreur de film, Sous les jupes des filles, qui date de cette année et qui mérite l’opprobre comme peu d’autres. Je ne pouvais pas avoir vu cette ignominie et rester muet. Et puis c’est bientôt Noël et ce massacre fait partie de ces soi-disant feel good movies parfaits pour les périodes des fêtes, garnis d’acteurs (ou, ici, d’actrices), comme autant de cadeaux empoisonnés, ou de boules puantes accumulées sur un arbre mort (rappelez-vous de Happy New Year). Je dis soi-disant feel good movie parce que cette comédie française, comme la plupart de ses semblables ces dernières années, donne seulement envie de se pendre au lustre, ou au sommet du sapin si vous avez opté pour un séquoia, en slibard blanc, façon little tiny Jesus. C’est une infâme succession de moments horribles mettant en scène des personnages tous plus haïssables les uns que les autres.


Un vagin ? Trivago.

Prétendant dire la vérité sur les femmes (comme l'indique un titre qui salit à tout jamais le classique d’Alain Suçon), le film d’Audrey Dana, pour qui j’avais quelque vague sympathie comme actrice avant de la voir à l’œuvre derrière une caméra, dresse un bien triste portrait d’elle-même et de ses amies, à travers lesquelles elle croit dessiner la silhouette de la femme du 21ème siècle. Le résumé Allociné du film est très clair : « Toutes représentent une facette de la femme d'aujourd'hui : Complexes, joyeuses, complexées, explosives, insolentes, surprenantes... Bref, un être paradoxal, totalement déboussolé, définitivement vivant, FEMMES tout simplement ! » Beau programme… On prend onze femmes qui vont incarner une des facettes (belle la complexité) de la soi-disant femme moderne, pour aboutir à ça : la femme contemporaine est paradoxale, contradictoire, c'est un beau bordel sur pattes. On est en plein dans la comédie française chorale générationnelle façon Klapisch, qui nous déballait la même conclusion passionnante dans son grand chef-d’œuvre sur la jeunesse erasmus composée de têtes à bouffes il y a déjà presque quinze ans.


Encore une de ces scènes, passage obligé de la comédie française putride du 21ème siècle, où les comédien(nes) s'éclatent et se tordent de rire en espérant que ce soit communicatif, faute de pouvoir pondre une situation comique, ou rien qu'une vanne, sans faire gaffe.

De quoi s’agit-il plus précisément ici ? J’avoue avoir vu ce film il y a un certain temps, je me limiterai donc aux cas les plus marquants. Par exemple Vanessa Paradis, qui incarne la working girl accomplie, la femme d’affaires impeccable, la patronne infaillible, la connasse imbuvable, hautaine et vide de tout, en tailleur chic 24 heures sur 24, et pleine aux as, qui se rend compte par hasard à 40 ans qu’elle n’a strictement aucune vie affective ni aucune amie, et qui engage sa secrétaire personnelle (Alice Belaïdi, jadis hôtesse d’accueil horripilante sur Canal+, je ne me lasse pas de le dire) pour faire semblant d'être sa meilleure copine... C’est aussi Laetitia Casta, qui joue la fille coincée dépourvue de confiance en elle, qui fond littéralement en jouissance en croisant Pascal Elbé (elle part en courant parce qu’elle est en train de perdre les eaux, juste parce qu’elle a vu Pascal Elbé, passons). Elle finit par vivre une histoire d’amour avec lui, poussée par sa meilleure amie, Audrey Dana elle-même, mais elle cumule les gaffes, comme par exemple quand elle largue une grosse caisse devant Elbé le jour de leur première étreinte. C’est aussi ça les femmes, nous dit Audrey Dana, c’est aussi ça qu’il y a sous les jupes des filles, de gros pets.


J'éprouve une profonde et inépuisable animadversion pour tout ce que contient cette seule image.

Et puis il y a Géraldine Nakache dans le rôle de bobonne, qui passe sa vie à s’occuper de tenir sa baraque, de gérer des marmots intenables et de laver les slibards de son connard de mari, un blaireau qui ne pense qu’à son boulot et que la seule idée de passer cinq minutes avec ses propres gamins rend malade. Elle finit par en avoir ras-le-bol de cette situation et tombe amoureuse d’une grande blonde pulpeuse, Alice Taglioni, qui, parce qu’elle est homosexuelle, donc « masculine », est l’archétype du séducteur qui baise à droite à gauche sans vouloir s’attacher. Déçue par cette histoire d’amour, notre femme au foyer désespérée finit, à la fin du film, par retomber dans les bras de son enflure de mari. Pourquoi ? Parce que ce dernier, pour son anniversaire, demande à toutes les copines de Géraldine Nakache, tout le casting du film (rejointes par quelques potiches sorties de nulle part), de lui faire une surprise : elles se réunissent sur une place, dans Paris, et se mettent à danser, atrocement mal (mais elles sont atrocement mal filmées donc tout cela est assez cohérent), sur une chanson à la con, tout ça pour faire la surprise à Nakache, qui trouve ce flash mob si génial qu’elle vire sa cuti pour la deuxième fois en quinze jours et retombe aussi sec dans les bras de son mari, ce pauvre type qui n’a jamais eu une attention pour elle, qui lui parlait comme à une merde pas plus tard qu'hier et qui chopait la colique à l’idée de croiser le regard de ses enfants une demi-seconde. Organiser vite fait un petit show public à la con pour en foutre plein la vue à sa femme suffit à rattraper tout ça apparemment, à bon entendeur salut !


Sous les jupes des filles d'Audrey Dana, avec Audrey Dana, Laetitia Casta, Isabelle Adjani, Vanessa Paradis, Alice Belaïdi, Julie Ferrier, Audrey Fleurot, Marina Hands, Géraldine Nakache, Alice Taglioni, Sylvie Testud et Pascal Elbé (2014)

14 décembre 2014

The Wild Blue Yonder

The Wild Blue Yonder est, comme l'annonce son générique d'ouverture, "a science fiction fantasy by Werner Herzog". Bricolé à partir d'images d'archive et de documentaires divers (on reconnaît d'ailleurs des bouts du superbe Encounters at the End of the World), le cinéaste allemand signe là une sorte de petit docufiction à la forme très originale et au scénario drôlement ambitieux, digne d'un mauvais blockbuster estival. Brad Dourif, seul vrai acteur à l'écran, incarne un extra-terrestre qui a trouvé refuge sur notre planète il y a des années. Planté dans un décor de désolation, il nous raconte, face à la caméra, comment des astronautes humains ont fini par l'imiter, en partant eux-mêmes à la recherche d'une nouvelle terre d'accueil pour l'espèce humaine, la Terre étant devenue trop pauvre et insalubre pour continuer à nous abriter. On ressent encore tout l'amour de Werner Herzog pour la science, parfois même un peu trop, puisqu'il peut passer dix bonnes minutes à filmer en apesanteur le morne quotidien des astronautes dans leur vaisseau. C'est parfois assez fascinant (de les voir dormir à la verticale avec des attaches pour ne pas voleter dans le vaisseau pendant leur sommeil, de les voir s'obliger à faire des petits exercices physiques pour ne pas que leurs corps s'affaiblissent, etc) mais, il faut bien l'avouer, c'est aussi un peu long.




Herzog peut aussi prendre son temps à filmer amoureusement des scientifiques en train d'expliquer des formules mathématiques terribles et réaliser des calculs impossibles sur tableau blanc, il parviendrait alors quasiment à nous faire regretter d'avoir abandonné les maths en classe de 4ème. L'humour très particulier du cinéaste donne parfois lieu à des moments assez savoureux, comme quand Brad Dourif soutient que la première erreur irréversible de l'humanité est de s'être mis à élever les cochons, provoquant la sédentarité de l'homme et tout un tas d'autres erreurs à la chaîne menant, à terme, à la destruction du globe. Il faut aussi souligner que Brad Dourif prend son travail très à cœur et fait magnifiquement vivre le beau texte d'Herzog, quand il apparaît seul devant la caméra pour nous raconter son expérience en tirant des tronches pas possibles ou, en voix-off, pour illustrer les images soigneusement choisies par son compère. Même si nous sommes très loin des sommets de la filmographie du cinéaste teuton, The Wild Blue Yonder est en somme un petit film écolo assez beau, encore une fois très stimulant et formellement plutôt malin dans sa construction.


The Wild Blue Yonder de Werner Herzog avec Brad Dourif (2005)

11 décembre 2014

Maestro

Ce film retrace la rencontre entre Jocelyn Quivrin et Eric Rohmer sur le tournage des Amours d'Astrée et de Céladon. Le scénario est signé de Quivrin lui-même, qui voulait raconter comment il est arrivé sur ce tournage en ne rêvant que de tourner dans un gros film hollywoodien à la con et en se foutant à plein tube de la gueule d'un type comme Rohmer, puis comment il a progressivement pigé qu'en fait Rohmer était un sacré bonhomme, peut-être plus intéressant à fréquenter que les débiles aux manettes de Fast and Furious. Le film dépeint donc la belle épiphanie d’un ancien crétin, le tout co-écrit et filmé par Léa Falzar, à qui l’on devait déjà jusque là une belle poignée de saloperies (Notre univers impitoyable, Ensemble c’est trop, Cookie, etc.).




Rendre un hommage à Rohmer quand on filme comme Léa Fazer est une gageure, certes. Mais au fond on se demande à quel point ce film, qui est dédié à Quivrin et à Rohmer (morts à trois mois d’intervalle en 2009 et 2010, l'un à 30 piges, l'autre à 89), est un hommage à Eric Rohmer, rebaptisé Cédric Rovère pour les besoins (?) du film. Quand on voit l’idée que se fait Léa Fazer du cinéma de Rohmer, notamment dans cette scène où Pio Marmaï (il incarne Quivrin, et le supporter, aux côtés d'Alice Belaïdi, l'éternelle standardiste haïssable de Canal+, dans chaque plan de ce film, demande beaucoup d'indulgence et de philanthropie), où Pio Marmaï donc et son colocataire regardent dans leur canapé ce qui se veut un pastiche (mais qui est une vraie parodie, et pas finaude) de films tels que Le Genou de Claire ou Conte de printemps, on se dit qu’au fond la réalisatrice doit mépriser ce cinéma-là, ou du moins très mal le comprendre. Il est bien triste, mais pas si étonnant, que des gens aient pu prendre le film pour, je cite, une « satire du cinéma d’auteur ».




Léa Fazer ne parvient jamais à restituer un minimum de la beauté et de l’intelligence du cinéma d’Eric Rohmer, ni de sa personne (qui se limite ici, sous les traits sympathiques de Michael Lonsdale, au goût des lettres et de la vinasse, alors qu'il n'est pas bien difficile de savoir, quand on est censé s'intéresser de près au sujet, que si Rohmer était évidemment féru de littérature et capable de réciter des tas de poèmes sans forcer, il ne buvait en revanche jamais de vin, préférant se nourrir de thé à longueur de journée). Fazer se contente plutôt de faire passer le cinéaste pour une sorte de vieux sage discret qui, d’une seule phrase — comme si c'était si simple... — parvient à opérer un déclic dans la tête de son jeune protégé : le jeune homme devient en une fraction de seconde un bon acteur, Pio Marmaï, un bon acteur. Maestro (rien que le titre...) se concentre donc, à défaut d'avoir quoi que ce soit à dire à propos de Rohmer ou de son cinéma, sur une histoire d’amour sans intérêt entre Marmaï et Déborah François, soit entre un branleur pétomane fan de Bruce Willis sur le point de découvrir l'existence de Labiche, et une actrice hautaine, coincée et fan de Tchekhov, sur le point de découvrir l'existence de la bite.




Mais même sur ce chapitre, a priori plus dans ses cordes, Léa Fazer se vautre et donne envie de maudire son horrible patronyme sur sept générations au moins. Revoyons plutôt Pas son genre de Lucas Belvaux, autre film français récent traitant du rapport amoureux entre gens d'origines culturelles diverses, mais de façon intelligente et sensible. Pour le coup voilà un bel exemple de ce que le cinéma français populaire doit, ou peut, être, loin de ce que les Léa Fazer de France et de Navarre produisent à la chaîne en se plaçant abusivement sous son patronage, pondant des coquilles vides telles que ce film, coquilles dans lesquelles on ne trouve bel et bien rien mais sur lesquelles on retrouve toujours quelques traces tenaces de fientes (comme sur ces œufs bio qui sortent juste de la poule et qui coûtent bel et bien la peau du cul).


Maestro de Léa Fazer avec Pio Marmaï, Michael Lonsdale, Déborah François, Alice Belaïdi et Dominique Reymond (2014)

9 décembre 2014

Insomnies

A quelques menus détails près, Insomnies (Chasing Sleep, en VO) est une sorte de remake très sombre du fameux Dîner de Cons de Francis Weber. Jeff Daniels remplace Thierry Lhermitte dans le rôle du mari cocu et abandonné par sa femme. Désœuvré, il passe toute la durée du film à errer dans sa maison, se promenant de pièce en pièce, les bras ballants et la tête bien basse, répondant parfois à quelques coups de fil et recevant régulièrement la visite d'une flopée d'invités désireux de lui venir en aide, en vain. Prof de fac de son état, Jeff Daniels consacre parfois un petit quart d'heure à la correction de copies, mais abandonne bien vite, pour par exemple aller improviser quelques notes au piano. Une jeune étudiante fan de ses cours, endossant vraisemblablement le rôle de Catherine Frot, profite de son état de faiblesse psychologique pour abuser de lui. On apprendra bien vite que sa femme portée disparue le trompe aussi avec un prof de gym dont les traits efféminés rappellent inévitablement ceux de Francis Huster. Hélas, aucun avatar de Jacques Villeret ne sera là pour soutenir notre héros esseulé ni pour mettre une bonne ambiance dans un film décidément bien glauque. Malgré un pitch en tous points similaires à la comédie culte de Francis Weber, Insomnies est en effet un pur thriller psychologique.




A la différence de son modèle français, le personnage campé par Jeff Daniels ne souffre pas d'un mauvais tour de rein, mais d'insomnies répétées. Une impossibilité à trouver le sommeil qui altère grandement sa perception de la réalité. Des visions d'horreur permettent ainsi à l'acteur, déjà reconnu pour ses talents comiques grâce à des films comme Dumb & Dumber ou La Rose Pourpre du Caire, de faire étalage de tout son savoir-faire en brillant dans un nouveau registre : celui de l'effroi. Avec sa barbe de trois jours, ses cheveux en bataille et ses yeux aussi vitreux que cernés, Jeff Daniels porte véritablement le film sur ses épaules. Il est de tous les plans et mérite tous les compliments du monde ! Il parvient brillamment à nous faire ressentir de l'empathie pour son personnage, peu à peu au centre de tous les soupçons. Ceci dit, est-ce normal que cet acteur si talentueux cumule à lui seul, si l'on met bout à bout toutes les scènes de plomberies domestiques de sa filmographie, près d'un kilomètre de bobines à batailler avec des chasses d'eau ? Il doit avoir la tête de l'emploi... L'acteur est à nouveau confronté à de sérieux problèmes d'évacuation dans ce qui est peut-être la scène la plus réussie du film. La tension atteint en effet son paroxysme lors d'un nouveau face-à-face musclé qui rappelle évidemment celui de Dumb & Dumber. Jeff Daniels emploie ici tous les moyens pour réparer une chasse d'eau récalcitrante et faire en sorte que celle-ci daigne évacuer un doigt dégueulasse, retrouvé quelques minutes plus tôt sous l'armoire à linge de la chambre. Un détail macabre qui n'est pas sans évoquer l'oreille coupée de Blue Velvet [smiley avec des lunettes de soleil].




L'ambiance malsaine qui s'empare progressivement du film le transforme en un huis clos que l'on pourrait aisément qualifier de lynchéen tant l'ombre du réalisateur de Mulholland Drive plane sur l’œuvre de Michael Walker. Car si j'ai fait d'Insomnies un remake déguisé du Diner de Cons pour attirer votre attention et répondre à des impératifs éditoriaux, c'est davantage à l'univers de David Lynch que ce film pourrait se rattacher. Voire aux chefs d’œuvre de Polanski, pour le sentiment d'isolation et d'aliénation dont souffre le personnage principal. On pense également à The Machinist, les deux personnages étant en proie au même mal, l'insomnie, et ayant tous deux l'air de partir à la découverte de leurs subconscients dans une descente aux enfers irréversible. Cette conscience, on sait que Christian Bale la fuit à cause d'un sentiment de culpabilité trop lourd qui le pousse à chasser le passé et l'insoutenable réalité. Le personnage de Jeff Daniels est peut-être dans la même situation, qui sait, le film de Michael Walker, contrairement à celui de Brad Anderson, ne donne pas de réponse claire, et c'est peut-être mieux comme ça. Chacun pourra échafauder sa propre théorie devant un film qui nous laisse tout notre temps pour le faire. Insomnies souffre peut-être d'une certaine lenteur, une langueur moite qui participe totalement à son atmosphère très glauque, lourde et figée, mais qui finit un peu par ennuyer. Je conseillerai d'ailleurs volontiers ce film à tous les insomniaques. Assez paradoxalement, Insomnies est à l'évidence un remède efficace contre les troubles du sommeil. Je me suis moi-même endormi comme un loir la première fois que je me le suis mis, avant de le relancer le lendemain, encore plus réceptif à ses modestes qualités.


Insomnies de Michael Walker avec Jeff Daniels, Emily Bergl et Gil Bellows (2000)

6 décembre 2014

Hunger Games - La Révolte : Partie 1

Francis Lawrence... Putain... Dans ce blog on a déjà évoqué à de nombreuses reprises nos griefs contre ce type qui ne semble pas savoir faire de films autrement que comme des merdes (c'est pas une légende...). Le plus triste dans tout ça, c'est de voir que Francis Lawrence n'évolue pas et qu'il réalise ce nouveau film comme tous ses précédents. Il n'y pas d'améliorations dans son travail, il ne progresse pas, il fait toujours la même merde, avec l'air toujours aussi fier... Il doit avoir un glaucome ou déjà être aveugle, ou au moins borgne, voire miro avec -12 à chaque œil pour imaginer des plans aussi nazes. Il dirige sans doute les acteurs de loin avec de grands gestes... A moins qu'il ne soit tout simplement pas présent sur le plateau. Peut-être est-il muet et tente-t-il de se faire comprendre par des signes du majeur, ou bien c'est un timide doublé d'une couille molle qui se cache derrière son moniteur... Le seul truc qui le réjouit dans son travail doit être de hurler "Action !" dans son mégaphone près de l'oreille rougie de Jennifer Lawrence (cela expliquerait la tronche qu'elle tire tout le long du film). Son visage et le sourire béat qu'il affiche constamment sont probablement le signe d'une carence hormonale ou affective, ou sa satisfaction de ne pas avoir encore été démasqué pour ses CV truqués et son incompétence notoire. Il n'a pas l'air méchant, c'est sûrement un bon copain pour aller boire des bières ou aider à déménager en urgence. Mais pourquoi lui refile-t-on régulièrement des budgets de 200 millions de dollars pour mettre en boîte un nouveau blockbuster pour ados et participer ainsi à la crétinisation absolue du cinéma américain contemporain ?


"Si je dis rien et que je hoche la tête en souriant, ça devrait passer... Arrête de triturer ta fermeture éclair bordel ! Je stresse, je stresse mais j'ai pas grand chose à craindre à ma droite, il est aussi con que son frère... Et la pintade à ma gauche, tout le monde la prend pour ma fille, alors on se serre les coudes... pas les couilles LOL !... Concentre-toi putain !"

Mais attention, bien que notre ami Francis Lawrence ait une grande part de responsabilité dans cette débâcle qu'est "Hunger Games 3 partie 1 Les Révoltés du Bounty", il serait injuste de faire porter le chapeau à lui seul dans ce désastre long de 2h03, dont on voit s'écouler les minutes avec une lassitude accablée. Non, il est vraiment loin d'être l'unique couillon à blâmer. D'abord parce qu'il faut nécessairement se mettre à plusieurs pour concevoir un aussi gros étron (par exemple, pour ruiner Je suis une Légende, Lawrence a grandement bénéficié des deux expressions faciales de Will Smith et du boulot de quelques torche-papier au scénario), ensuite parce chaque composante du film participe avec entrain à la catastrophe.

Une pensée pour ceux qui ont flingué leurs carrières (voire plus...) avec cette saga en bois...

Les scénaristes ont fait un boulot impressionnant pour aider Lawrence dans sa quête de l'étron ultime, car atteindre ce niveau de nullité s'apparente à de l'art, m'est avis. Ils ont écrit le scénario sur un seul post-it qui a été brûlé par la suite. On me dit que c'est l'adaptation de la première partie d'un livre. Alors dans ce cas, soit le livre est une grosse purge, soit les deux scénaristes (aidés par l'auteure dans leur immense tâche !) ont choisi d'adapter les deux premières pages du livres. D'un point de vue strictement objectif, c'est cette dernière façon de faire qui serait la plus honnête car ce serait bien la première partie d'Hunger Games 3 qui serait adaptée. Mais ne comptez pas sur moi pour aller voir les 166 autres parties à 125 millions de dollars de budget mettant en image les 332 pages restantes ! C'est simple, le film dure deux heures et il ne s'y passe globalement rien. Il est rempli de vides et d'états d'âmes pour faire patienter (raquer) le spectateur (le consommateur abruti) jusqu'à l'année prochaine. Et si les invraisemblances affligeantes constatées dans le film sont les mêmes dans le livre, alors c'est un sacré bouquin de merde que l'histoire des Hommes finira par oublier, enterré sous un tas de fumier, où il trouvera enfin son utilité : nourrir les microorganismes du sol dans un retour à la terre salvateur...


Quand Katniss part se battre "sur le terrain", elle n'emporte qu'une dizaine flèches...

Pour résumer quand même le film, voilà la totalité de l'histoire en quelques phrases : Katniss Everdeen (J-Law) vient d'être secourue par les rebelles du District 13 à la tête desquels se trouve le fantôme de Julianne Moore aidée par Philip Seymour Hoffman (ce rôle a eu sa peau). On lui demande de devenir le symbole de la rébellion car elle est méga populaire suite aux Hunger Games 1 et 2. Après réflexion, elle accepte à condition qu'on aille libérer Peeta (son mec) et les autres anciens vainqueurs des Jeux de la Faim retenus prisonniers au Capitole (la capitale de ce monde hideux, j'imagine). Peeta est libéré facilement par une équipe de choc (l'héroïne n'ayant pas été invitée à participer à l'assaut !) mais, piqué par une abeille (sic !), il est devenu fou ! Il tente de tuer Katniss par strangulation mais, malgré le temps de réaction digne d'un paresseux tridactyle des 10 personnes qui trainaient dans les parages, il échoue dans sa triste tentative d'assassinat. Fin.


Cette scène inutile se déroule au début du film dans l’hôpital de fortune du District 8. J-Law rend visite aux malades, elle est filmée pour la propagande des rebelles, elle fait des "propaclips". Tout l’hôpital sera rasé par les méchants juste parce qu'elle s'y est pointée sans discrétion. Belle, l'héroïne...

Pour illustrer une histoire aussi colossalement minable et débile, le casting s'est mis au diapason. Il est d'une nullité insultante et aide avec une détermination farouche Francis Lawrence dans sa tentative de réaliser l'ultime navet capable de rendre jaloux Uwe Boll. Entre les acteurs confirmés et multi-récompensés qui viennent toucher leur cachet en éructant des lignes de dialogues insipides tout en regardant d'un œil mort la caméra car ils savent qu'ils flinguent leur respectabilité contre quelques liasses de billets verts, et les jeunes acteurs affligeants, J-Law en tête (elle joue comme si elle s'était pris une torgnole avant chaque prise), le spectacle est consternant et risible. Le pire est peut-être atteint avec l'acteur qui joue Peeta (traduit par "Puta" en espagnol et "Chawarma" en turque selon mes sources), celui dont J-Law est amoureuse, qui joue un traitre, mais en fait non, car il a été empoisonné (par une abeille donc...) pour devenir fou et tuer sa copine lors de leurs retrouvailles, tout ça pour suivre le plan machiavéliquement bête et foireux du grand méchant du film, un Donald Sutherland qui a probablement eu un gros redressement fiscal pour se retrouver là. En plus de ressembler à un mauvais acteur belge, Peeta doit donc jouer la folie, enchainé à un lit dans un pièce capitonnée dans l'une des ultimes scènes de cette daube, et à ce moment-là on a vraiment pitié pour lui. Notons aussi la présence de Liam Hemsworth, le frère de Thor avec lequel il partage un jeu d'acteur et une palette émotionnelle extrêmement limités.


L'héroïne fout un bordel monstre chez les rebelles et provoque la mort de nombreux innocents pour aller sauver ça. Et non ce n'est pas une photo du remake gay de Basic Instinct...

Le meilleur acteur de ce film n'est pas un humain, c'est une pauvre bête maltraitée. Je dis pauvre bête alors qu'il s'agit d'un chat roux. Et tout le monde sait que les chats roux sont l'engeance du diable, les envoyés de Belzébuth sur Terre, des créatures qui n'hésiteraient pas à venir vous crever les yeux dans votre sommeil gratos. Eh bien on finit par à avoir pitié d'un tel animal, maltraité et affublé d'un rôle très ingrat dans ce film. Un faire valoir qui se retrouve fourré par l'héroïne dans un gros sac lors de la visite de son ancienne maison, puis reçoit tout un tas d'objets et souvenirs sur la tronche sans moufter : cadre photo, couteaux de cuisine, salière, épices, planche à découper... Il reste des heures caché dans ce sac sous tous ces ustensiles avant d'en être enfin sorti pour retrouver sa maitresse (accessoirement la sœur de l'héroïne). Il sert aussi de pirouette scénaristique afin de mettre en danger inutilement la petite sœur de J-Law lors d'une scène de bombardement-évacuation à pleurer d'inutilité et de longueur.


Il paraît qu'il était noir et blanc dans les deux premiers films... Peut-être que le bombardement du District 12 (anéantissant tout apport de minerais et de charbon dans la capitale soit dit en passant) l'a rendu roux...

Enfin, un grand merci aux producteurs de ce massacre de masse sans qui tout cela n'aurait pu se faire. Un grand bravo d'avoir initié une telle purge, recruté les personnes adéquates à chaque étape du processus de création pour parvenir à un tel niveau de médiocrité, et pour s'être fait une montagne de dollars avec ce gros tas de merde qu'est Hunger Games 3 part 1, paragraphe 2, couplet 5, verset 7, ligne 2... On ne parlera pas de la direction artistique ni des effets spéciaux à part pour dire qu'ils participent de manière significative (p < 0,05) à la laideur et à la médiocrité du film.


Hunger Games - La Révolte : Partie 1 de Francis Lawrence avec Jennifer Lawrence, Liam Hemsworth, Julianne Moore, Philip Seymour Hoffman, Donald Sutherland... (2014)

3 décembre 2014

Sin City : j'ai tué pour elle

Ce qui saute d'abord à la gorge quand on a comme moi l'idée profondément débile de se lancer dans ce deuxième volet de la saga Sin City, c'est la laideur permanente du film. Contrairement au premier opus, sorti en 2005, dont les images recelaient quelque relief, un grain un peu crade permettant aux personnages et aux lieux de s'incarner peu ou prou dans le noir et blanc de l'image (pour le peu de souvenirs qu'il m'en reste, car je n'avais déjà rien à secouer de ce genre de film, encore plus quand ils sont signés par le papa des innombrables Spy Kids), ici tous les plans sont lisses, plats, sans profondeur, on glisse dessus de même que la voix-off qui inonde constamment la bande-son pisse joyeusement dans un violon (voix-off qui du reste nous prend tous pour des fans de la première heure, dans la confidence, déblatérant des noms de personnages à tort et à travers et faisant référence à des événements du premier épisode dont on ignore tout et dont on se fout éperdument). L'impression est assez pénible — la faute à ce lissage de l'image et à des cadrages surexplicatifs souvent hideux, notamment quand le dénommé Marv est aidé par des adjuvants fantômas au début du film — de subir une triste scène cinématique de jeu vidéo sans fin, que l'on rêverait de zapper d'un "start/select" libérateur.




Et puis on finit par essayer de s'intéresser quand même à ce que ça raconte. Et on découvre un pur film de beauf, fasciné par les gros bras, les belles bagnoles, le poker et les putes, où tous les hommes sont de vrais mecs bourrus et cabossés, ultra violents mais dotés de cœurs gros comme ça, et où toutes les femmes sont des trainées. Encore faut-il accepter d'endurer les monologues narratifs et les dialogues débités par tous les acteurs mâles (Mickey Rourke et Josh Brolin en tête) avec la même voix d'outre-tombe rocailleuse, surjouée et ridicule, de vieux routiers cyniques et endurcis. Tous les personnages sont des frimeurs-nés, à commencer par celui qu'interprète le pourtant freluquet Joseph Gordon-Levitt, antonyme humain de la notion même de charisme. Ils friment quand ils parlent, quand ils marchent, quoi qu'ils fassent, filmés par un frimeur fini, Robert Rodriguez, qui se la joue comme jamais. Rodriguez, sur ce plan, ne vaut pas plus cher que son ami de toujours, Quentin Tarantino, dont la carrière se découpe, si l'on veut, en deux grandes parties, l'avant et l'après Kill Bill, et qui depuis ce dernier diptyque se confond, lui aussi, dans la vacuité et dans la pose, à l'image de son Django, bellâtre de l'ouest, esclave metro sexuel, vengeur classe mannequin, coquille vide en parure de mode, avec ses répliques de fanfaron qui donnent bizarrement envie de le torturer. Rodriguez et Tarantino, qui ont déjà collaboré maintes fois, par exemple sur Une nuit en enfer (le premier à la réalisation, le second au scénario) devraient co-réaliser leurs prochaines daubes, tant qu'à faire, tels Alain Souchon et Laurent Voulzy qui, après avoir travaillé et couché ensemble toute leur vie, viennent de réaliser un album en commun. A ce propos, peu de gens le savent mais au départ ils s'appelaient Alain Souchy et Laurent Voulzon.


Sin City : J'ai tué pour elle de Robert Rodriguez et Frank Miller avec Eva Green, Josh Brolin, Jessica Alba, Mickey Rourke, Rosario Dawson, Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis (2014)

1 décembre 2014

Mister Babadook

Remarqué à sa sortie, pourtant survenue au beau milieu de l'été, Mister Babadook est le premier long métrage de l'australienne Jennifer Kent. Je l'ai lancé en ignorant tout de l'histoire et en craignant, de par les quelques visuels entraperçus, un énième film d'horreur à destination d'un public adolescent à la recherche du frisson facile, dans la lignée des petits tours de train fantôme à succès organisés par le triste forain James Wan (Insidious, The Conjuring...). J'avais tout faux et quel ne fut pas mon plaisir de découvrir une œuvre ambitieuse, singulière et maîtrisée, révélatrice de la personnalité d'une cinéaste dont on suivra les prochaines créations avec beaucoup d'espoir et de curiosité.




Mister Babadook est un film d'horreur adulte, sérieux, qui réussira peut-être rarement à vous faire sursauter (quoique...) car, aux frayeurs superficielles, sa réalisatrice préfère distiller un malaise profond en s'attaquant à des thèmes récurrents du cinéma horrifique quand celui-ci s'attache à creuser la psychologie de personnages sombrant dans la folie dépressive. C'est donc ce qui arrive à la pauvre Amelia, mère fatiguée d'un petit garçon de 6 ans, toujours pas remise de la mort brutale de son mari. La découverte d'un livre pour enfants particulièrement inquiétant mettant en scène un sombre personnage à l'allure menaçante, le fameux Mister Babadook, va être l'événement déclencheur qui accélérera la chute démente, en provoquant hallucinations et autres peurs incontrôlables, chez le garçon et, surtout, sa maman.




Deuil impossible, maternité pénible, enfant maléfique, désamour maternel et croque-mitaine métaphorique... Amelia, incarnée par une irréprochable Essie Davis, est le personnage central d'un film qui aborde des thèmes largement traités par le fantastique, ayant déjà accouché d’œuvres majeures bien ancrées dans les mémoires, que le récent et réussi Babycall s'était également approprié. Mais Jennifer Kent parvient tout de même à se distinguer en beauté et à trouver le ton juste. Elle se concentre sur le désarroi tragique d'une mère et de son fils, progressivement avalés par leurs démons, qu'elle filme avec une réelle sincérité, croyant fort en son histoire et en ses personnages. Sa mise en scène très soignée, épurée, au rythme ciselé, dégage un vrai style. Si le scénario ne brille pas par son originalité, on suit donc son déroulement sans aucun souci. On ne s'ennuie jamais.




À de très rares reprises, Jennifer Kent s'égare dans des effets de style propres au genre et un peu trop référencés, pas loin du grotesque, et quand le délire atteint son paroxysme, dans la dernière partie, le film n'est pas loin de nous perdre temporairement, de basculer du mauvais côté, mais c'est aussi parce que la jeune réalisatrice ose, et ose souvent, qu'elle ne peut pas toujours viser juste. On lui pardonne donc aisément, d'autant plus qu'elle parvient plus régulièrement à atteindre son but, à saisir quelques fulgurances, quelques visions marquantes. On se souvient ainsi d'une scène d'accident de voiture particulièrement efficace lors de l'unique apparition diurne du Babadook et d'un plan assez terrible illustrant une nouvelle hallucination, ce moment où la mère voit son fils recroquevillé sur le canapé, couvert de sang (désir refoulé ou vision de pur cauchemar ? la réalisatrice a le talent de provoquer ce questionnement avec subtilité). 




Jennifer Kent joue intelligemment avec ces peurs enfantines persistantes, ravageant ici une mère dépassée. Les premières scènes de frayeurs sont vraiment réussies, les apparitions du Babadook sont rares mais mémorables, systématiquement accompagnées de motifs sonores terrifiants. La cinéaste peut aussi s'appuyer sur une actrice idéale. Tour à tour séduisante, repoussante, inquiétante ou carrément flippante, Essie Davis porte aussi le film sur ses épaules. Notons qu'elle déploie une large gamme de vocalises, une diversité rarement observée dans ce domaine, réellement impressionnante. Ses hurlements d'effroi, ses menaces soudaines prononcées d'une voix grave et ses hoquets de surprise ont tous l'air très travaillé, pour un effet garanti. Face à cette actrice principale en grande forme, le petit gamin (Noah Wiseman) s'en sort avec les honneurs, sa tronche apparaît très bien choisie : on a souvent envie, comme la mère, de l'étrangler, ou de le prendre en pitié...




Les enfants, c'est l'enfer. Par petites touches furtives, l'air de rien, Jennifer Kent nous met dans des situations délicatement inconfortables. Lors d'une scène a priori anodine dans un resto lambda, une colonie de gosses excités inonde l'arrière-plan sonore, accentuant le stress de la mère et celui du spectateur. La réalisatrice fait parfois preuve d'un souci du détail très plaisant. On pourra peut-être regretter ces toutes dernières minutes trop explicatives, où l'allégorie devient trop lourdement surlignée. Mais c'est encore un bémol assez dérisoire face à la si belle impression laissée par ce modeste et élégant Babadook. J'aurais d'ailleurs du mal à réagir face à quelqu'un qui ne verrait pas la différence entre un tel film et, par exemple, Mama ou The Conjuring. C'est si évident... Mister Babadook est à n'en pas douter l'un des meilleurs films d'horreur sortis sur nos écrans cette année.


Mister Babadook de Jennifer Kent avec Essie Davis, Noah Wiseman, Daniel Henshall et Hayley McElhinney (2014)

29 novembre 2014

La Liste de mes envies

- Ne plus jamais mater un film dont je sais par avance qu'il va chlinguer la mort à ce point.

- Ne plus jamais mater un film dont le cinéaste s'appelle Didier Le Pêcheur.

- Ne plus jamais mater un film avec Mathilde Seigner.

- En règle générale, ne plus jamais mater un film. En tout cas pendant quelques heures, quelques jours, pour me remettre en forme. Les vertus du jeûne sont bien connues, surtout après avoir ingéré des ordures.


Mathilde Seigner, après vingt ans de carrière déjà, joue ici la tristesse ou un truc comme ça.

- Ne plus jamais mater un film, et ce même après le terme du jeûne, où Julien Boisselier, Julien Boisselier, joue les tombeurs.

- Me repasser plusieurs fois les deux scènes de ce film où Julien Boisselier, dans le rôle du tombeur, de l'homme parfait, irrésistible, à se foutre par terre, du haut de ses 32 kilos tout mouillé, avec son air de souffre-douleur et sa triste moustache de collabo mesquin, débarque dans le dos de Mathilde Seigner et lui sort des phrases de dragueur invétéré mais trépané d'une voix éraillée de vieillarde sénile en bout de course. Me repasser ces deux scènes plusieurs fois donc, pour me marrer, en parvenant à ne rien propulser sur mon poste de télévision, ni godasses, ni table basse.


Elle entend une voix dans son dos, la voix de Gollum, ni plus ni moins, qui lui susurre à l'oreille : "Laissez-moi vous aider...", elle se retourne, et elle voit ça. Scène d'après : elle est dans son pieu. Pige pas.

- Pour rester dans les acteurs : ne plus jamais mater un film où Patrick Chesnais (se prononce "chaise-nez", on ne le dira jamais assez) est malade. Je ne parle pas des films dans lesquels il jouerait en étant lui-même malade, victime d'un rhume malgré ses trois pulls et sous-pulls quotidiens par exemple, un de ces rhumes des foins auxquels il est tant sujet alors qu'il n'a jamais vu une meule de foin de sa vie, mais qui lui donnent somme toute cet air vaguement fatigué, qui lui font paumer encore plus de syllabes dans sa moustache, et poussent encore un peu plus sa petite voix dans les basses, toutes choses qui font son charme inégalable. Non, je parle de films où il incarne un souffrant. Dans cette enflure de film, Chesnais joue un malade d'Alzheimer. Je n'aime pas le voir comme ça, réduit à ça, pas lui. Une preuve de plus de la bassesse des gens qui ont organisé ce projet cinématographique  méphistophélique.


On souhaiterait presque que Pat' Chesnais souffre réellement d'Alzheimer, ça lui permettrait d'oublier qu'il a joué dans cette infamie.

- Chercher en revanche tous les films où Marc Lavoine souffre comme un iench et m'en faire une to watch with un putain de smiley Cyrus list.

- Chercher également s'il existe un film où Marc Lavoine ne joue ni un connard, ni un queutard, ni les deux à la fois.

- Chercher, de manière plus générale et encore plus désespérée, s'il existe un film où Marc Lavoine joue un connard doublé d'un queutard mais le joue bien.

- En parlant de Marc Lavoine : piger pourquoi les scénaristes français contemporains truffent leurs films de personnages de sous-enculés, et me convaincre que ce n'est pas parce qu'ils se projettent un max dans leurs créations. Lavoine interprète une belle ordure dans ce film (avant de se barrer avec tout le fric de sa femme, on le voit, dans une scène d'anthologie, la traiter de "poubelle" (sic.) et de "grosse truie" (re sic.), parce qu'elle vient d'accoucher d'un bébé mort-né...), mais il n'est pas le seul. Les connards pullulent. On pourrait mater ce film avec le détecteur de mouvements que les marines du deuxième opus de la saga Alien n'ont de cesse d'utiliser pour repérer les xénomorphes, sauf que ce serait un détecteur de fumiers. Pendant tout le film, le truc n'arrêterait pas de sonner et de clignoter. On se retrouverait, tel Bill Paxton, aka Hudson, dans Aliens le retour, à reculer dans son canapé, les yeux vissés tour à tour au détecteur et à l'écran de la télé, à moitié en train de chialer, les yeux écarquillés, incrédule, flippé : "Y'en a partout, ils sont lààààààà je vous dis..."


Des connards, ils sont partout. 4 mètres... 3 mètres... 2 mètres... ça se rapproche...

- Là pour le coup c'est moins une envie qu'un souhait, une recommandation pour moi-même, un mémo : si je rencontre un jour une meuf, ou un type, qui s'amuse à raconter n'importe quoi à son père souffrant d’Alzheimer, à lui "réinventer sa vie" à chaque visite, profitant de sa crédulité pour lui faire croire qu'il était un type génial, qu'il a marché sur la lune, que sa femme était Tabatha Cash en personne et qu'il a joué le rôle de Legola dans Le Seigneur des anneaux, quitte à le perturber encore plus qu'il ne l'est déjà et à aggraver sa maladie (c'est ce que fait Mathilde Seigner avec Pat' Chesnais dans ce film, vous l'aurez deviné), surtout garder mon self-control, rester cool, ne pas fondre un plomb et finir à Montfavet, chez les tarés, avec une camisole sur le dos et le masque d'Hannibal Lecter sur la tronche.

- En parlant de Lecter, puisque Mathilde Seigner prétend dans ce film qu'elle lit, première nouvelle, mais mieux, qu'elle adore plus que tout l'énorme pavé d'Albert Cohen, Belle du seigneur : me rendre un jour à une avant-première en sa présence et lui demander de me dédicacer mon exemplaire dans l'édition blanche Gallimard de 7 kilos, en lui "passant" mon bouquin depuis le fond surélevé de la salle d'un moulinet du bras doublé d'une triple-pirouette du corpus façon Gabriele Reinsch, record du monde de lancer de disque avec 76,80 mètres à Neubrandenburg, Allemagne de l'Est, le 7 juillet 1988, soit en droite ligne, chemin le plus court entre deux points.


Quelle personne normale ne fait pas de tirets pour établir une liste ? Ce film vous foutra les glandes jusque dans les moindres détails.

- A chaque fois que j'entrerai dans une librairie à compter de ce jour, me taper tous les rayons dont je me fous comme d'une guigne (cuisine, jardin, développement personnel, parapsychologie, nature, voyage, sport, politique, charcuterie) pour éviter de croiser le roman méga best-seller signé Grégoire Delacourt dont ce film est adapté. Peut-être qu'il vaut mieux que son adaptation, ça arrive, mais là j'ai un grooooooos doute.

- Consacrer dès demain une partie de ce blog au macramé, au point de croix, au scrapbooking (?) et à la tarte tatin, histoire de toucher en trois jours des milliards de lecteurs, comme le personnage de Seigner dans cette daube, et d'avoir l'impression de palper les bourses du CNOUS, comme au bon vieux temps, mais multipliées par 1000.

- Ou, plus simple, gagner 18 millions d'euros à la loterie, comme l'héroïne de ce film en bois vermoulu, voire beaucoup plus, infiniment plus, puis aller voir les gens qui produisent ce genre de film — qui font du cinéma comme on gratte un ticket de jeu ou comme on remplit une grille de loto, très rapidement, en faisant le moins d'efforts possibles, tout en espérant ramasser le pactole — et leur filer du pognon, ce qu'ils veulent, pour leur éviter la peine de réaliser de telles saloperies et de les soumettre sans honte au public. Un peu comme ce vieux type, dans le prologue de Rasta Rockett, qui va voir Sanka en train de chanter comme une chèvre assis dans la rue, et lui dit avec son accent jamaïquain de malade : "Tiens, je te donne un dollar pour que tu la fermes".

- Gober tout rond un gros kefta sauce samouraï roulé façon Calzone. En preums sur toutes les listes de les envies du monde, logiquement. Mais je ne devrais pas le noter dans ma liste perso parce qu'aussitôt dit aussitôt assouvi. Je trace au Chawarma le plus proche.


La Liste de mes envies de Didier Le Pêcheur avec Mathilde Seigner, Marc Lavoine, Virginie Hocq, Frédérique Bel et Patrick Chesnais (2013)

27 novembre 2014

Osterman Week-end

Osterman Week-end, dernier film de Sam Peckinpah. Adapté d'un roman de Robert Ludlum en 1983, le film raconte l'histoire de John Tanner (Rutger Hauer), présentateur vedette d'un show télévisé d'investigation consistant à mettre en difficulté des personnalités politique en "face à face" (c'est le titre de son émission). Après une interview particulièrement sensationnelle, Tanner est convoqué par Maxwell Danforth (Burt Lancaster), un ponte de la CIA bien décidé à le convaincre de la culpabilité de ses trois meilleurs amis, des traitres à la solde du KGB. Avec l'aide de l'agent Lawrence Fassett (John Hurt), Danforth prouve images volées à l'appui au présentateur vedette John Tanner que ses anciens collègues de chambrée, Richard Tremayne (Dennis Hopper), Joseph Cardone (Chris Sarandon) et Bernard Osterman (Craig T. Nelson), ses amis de longue date, qu'il est justement censé recevoir bientôt chez lui comme chaque année pour un de ces "Osterman Week-end" (du nom de leur instigateur) où les trois camarades et leurs épouses se réunissent de façon rituelle, sont des agents soviétiques infiltrés. Tanner se laisse persuader qu'il doit laisser le bras droit de Danforth, l'agent Fassett, intégrer sa demeure et la truffer de caméras et de micros pour mieux piéger ses futurs ex-amis, en échange bien entendu d'une bonne interview de Danforth dans son émission.




Sauf qu'évidemment le futur manipulateur est lui-même manipulé, et le spectateur avec, même s'il ne tarde pas à se douter de l'entourloupe. D'autant que Peckinpah nous montre la voie dès l'arrivée du personnage principal, John Tanner, dans le parking étrange où les pointures de la CIA lui donnent rendez-vous : déjà piégé derrière les barreaux de la cage d'ascenseur qui dessinent leurs ombres sur son visage, Rutger Hauer monte les étages en apercevant à chaque niveau un agent qui le dévisage, jusqu'à atteindre la tanière de Fassett, obscur bureau truffé d'écrans sur lesquels ce dernier diffusera bientôt les images volées des amis du journaliste. Et quand Tanner s'apprête à quitter les lieux, pas encore gagné à la cause de Fassett, Maxwell Danforth apparaît en personne dans la noirceur de l'ascenseur pour prendre le relai du jeu de persuasion. Entre deux changements de pièce, Fassett, resté à son poste de commande, allume un écran pour observer son supérieur en train de travailler le journaliste, ne ratant rien de l'événement grâce à ses caméras cachées dans tous les recoins, et l'on pressent déjà aussi que ce simple agent aura plus d'influence que prévu.




Le film a pourtant commencé par nous présenter l'agent Fassett comme une victime, un agent trahi par son patron (qui a fait assassiner son épouse) et supposé l'ignorer. La première séquence annonce la couleur par une mise en abyme qui nous montre cette trahison mise sur le dos du KGB : Fassett, au lit avec sa femme, va prendre une douche quand des hommes entrent dans la chambre et tuent la fille en toute discrétion, lui injectant un poison mortel dans le visage. La scène est filmée en vidéo, avec une image de basse résolution, assez sale. Nous découvrons quand elle s'achève que Maxwell Danforth et un collègue à lui sont comme nous en train de regarder cette bande, montée à partir d'images volées, prises au moment des faits par des caméras planquées dans la chambre de l'agent Fassett par ses propres soins (car l'agent est un malade de l'image, du contrôle et de la surveillance). Sauf que la scène est filmée comme au cinéma, avec des changements de cadre, des zooms et un montage impeccable que de simples caméras de surveillance incrustées dans le mobilier ne pourraient sans doute pas permettre. Peckinpah brouille ainsi la frontière entre le film et le film dans le film, et il faut bien un changement brutal de régime d'image pour qu'on s'aperçoive du basculement, la médiocre qualité d'image de la vidéo de la scène du meurtre inaugural cédant la place à une photographie précise et à une image très définie, qui fait saillir jusqu'à la trame du tissu des vestes des conspirateurs de la CIA. Mais la manipulation ne s'arrête pas aux frontières d'un changement de régime d'image puisque Fassett, contrairement à ce que croient ses employeurs, sait parfaitement qu'ils sont coupables du meurtre de sa femme, et leur tend à son tour un piège redoutable.




Toutes les images mentent aussi bien nous dit Peckinpah, et surtout celles de la télévision. Le film s'en prend évidemment à toutes les hautes instances américaines, dans la lignée de The Parallax View ou des Hommes du Président, mais aussi et surtout aux médias, qui montent les individus les uns contre les autres, à l'image d'un Tanner poussé à confondre ses plus vieux amis sous la simple influence d'un montage vidéo. Le week-end Osterman, filmé sous toutes les coutures par Fassett et littéralement organisé, scénarisé, découpé, monté par lui, va bien entendu dégénérer quand les quatre couples seront poussés — manipulés par l'agent caché dans un fourgon et surveillant toutes les parties de la maison en même temps, tel un Big Brother dégénéré — à un affrontement de plus en plus rude dans un huis-clos terrible. Peckinpah fait directement référence au déferlement de violence au sein du foyer modèle de l'américain moyen des Chiens de paille quand le fils Tanner découvre la tête du chien dans le frigo, en lieu et place du chat pendu dans le placard de Dustin Hoffman et Susan George dans l'un des scènes les plus frappantes de son chef-d’œuvre de 71. Le déchaînement de folie est assez semblable ici sauf que la lutte intestine n'a plus lieu pour préserver un territoire conquis en terre étrangère, et menacé par l'Autre, mais pour la sauvegarde de cet ultime foyer, légitime, familier, amical et intime, face à une invasion du cercle depuis l'intérieur, par une force soi-disant bienveillante pénétrant directement les esprits pour les forcer à agir selon son bon vouloir. Et l'outil de l'invasion, c'est l'image, qui attaque sournoisement, en douceur, dans le dos, à l'image des assassins de la femme de Fassett. C'est le montage, architecture du mensonge : le différé qu'on fait passer pour du direct par exemple, puisque c'est ainsi que Tanner retournera leurs propres armes contre Danforth et Fassett à la fin du film. C'est la télévision enfin, agent direct de cette infaillible manipulation de masse.




Dans une Amérique des années 80 qui venait de tirer un trait sur le Nouvel Hollywood, de suicider ses plus grands auteurs, à commencer par Michael Cimino, de sacrer George Lucas et Steven Spielberg vainqueurs et maîtres d'Hollywood à la sauce blockbuster et de réduire le cinéma à ces grands spectacles soi-disant seuls capables de concurrencer la toute-puissante télé, Peckinpah visait directement son ennemi juré, même si se dégage de son film la désillusion consommée de ceux qui savent qu'il ont perdu la bataille depuis longtemps. Après quatre ou cinq ans d'inactivité et après une crise cardiaque qui l'avait considérablement affaibli, le cinéaste accepta de tourner ce film complexe et éprouvant qui lui échappa en grande partie (comme la plupart de ses précédents chefs-d’œuvre déjà), puisque les studios passèrent par là et décidèrent pour lui de ce à quoi l'objet fini devait ressembler. Néanmoins le film est d'une grande force aujourd'hui encore, à mi-chemin entre le Délivrance de John Boorman (après que sa femme, jouée par Meg Foster, liquide un ennemi au tir à l'arc, il y a ce plan génial lors de la bataille finale où Rutger Hauer jaillit de la piscine familiale en flammes, arbalète au poing, pour abattre un ses assaillants) et le Network de Sidney Lumet, brûlot admirable sur le cancer de la télévision et des mass medias. Osterman Week-end se termine, Peckinpah oblige, sur un massacre surdécoupé au ralenti, moins grandiose qu'autrefois mais d'une efficacité au beau fixe, et, un peu plus loin, comme Jean-Baptiste Thoret l'a écrit, sur une chaise vide dans le studio de télévision de Tanner signant l'adieu d'un grand maître, qui fut l'un des plus grands cinéastes américains.


Osterman Week-end de Sam Peckinpah avec Rutger Hauer, John Hurt, Meg Foster, Burt Lancaster, Dennis Hopper, Craig T. Nelson et Chris Sarandon (1983)