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24 mai 2021

Falling

Qui veut la peau de Viggo Mortensen ? Personne, strictement personne ! Il fait partie de ces quelques acteurs intouchables, sans que l'on sache vraiment trop expliquer pourquoi. Quoique si... Avec son charme romantique et sa gueule de viking, option trou de balle au menton incluse, il doit autant plaire aux dames qu'aux hommes, qui ont trouvé en lui le parfait Aragorn. Sur tapis rouges comme en interviews, le beau vieux Viggo a la classe, c'est indéniable. Aussi, monsieur parle couramment le français, ce qui fait toujours gagner un nombre incalculable de points par chez nous. C'est qu'il est très cultivé, il maîtrise donc plusieurs langues et se plaît à manier la nôtre de sa voix rocailleuse lorsqu'il foule nos contrées de son pas discret. Des moments durant lesquels il fait toujours preuve d'une élégante courtoisie et se montre irréprochable, avouons-le. Bref, Viggo Mortensen a l'air d'être un véritable gentleman, c'est comme ça. 


 
 
On avait envie de croire au passage derrière la caméra de ce chic type que tout le monde apprécie, de cet artiste multi-facettes qui, lorsqu'il ne joue pas la comédie, s'adonne à la peinture, à la musique et même à la poésie. Mais... bon sang, qu'a voulu faire Viggo Mortensen ?! On se le demande presque constamment devant son pénible Falling, dont il est aussi l'auteur du scénario. Avait-il des comptes personnels à régler avec son daron ? Cherchait-t-il à dépeindre un portrait au vitriol de l'Amérique divisée d'aujourd'hui en confrontant deux représentants de ses extrêmes ? Son premier film, d'une lourdeur terrible, est particulièrement chaud à encaisser. Il nous raconte les déboires d'un cinquantenaire homosexuel (lui-même), contraint d'accueillir son vieux père atteint de démence (Lance Henriksen) dans sa maison de L.A., où il vit avec son compagnon et sa fille.



 
Tout oppose le père et le fils, leur cohabitation sera chaque jour une épreuve qui ravivera toutes les blessures passées et fera remonter à la surface les souvenirs d'une relation pourrie... Un vaste programme dont Mortensen ne veut pas nous faire louper une miette. Son histoire de famille pèse des tonnes et on a un mal fou à s'y intéresser. Nous aurions pu être heureux de retrouver Lance Henriksen dans un tel film, mais on aurait souhaité que son rôle soit plus nuancé, plus subtil. Car il incarne ici la pire raclure possible. Raciste, homophobe, misogyne, colérique et vulgaire, cet homme-là a toutes les qualités et, en plus, il perd la boule, ce qui le rend totalement ingérable au quotidien. Il est à l'exact opposé de son fils, ouvert d'esprit, progressiste, sensible et délicat, qui finira toutefois par ne plus pouvoir contenir sa colère lors d'une scène de crise qui se veut peut-être poignante mais échoue à nous sortir de notre torpeur.


 
 
On ne peut pas en vouloir à Henriksen et Mortensen acteurs, ils assurent ce job-là correctement, notamment le premier qui fait tout son possible dans la peau de ce personnage impossible. On peut davantage en vouloir à Mortensen réalisateur, dont la mise en scène est d'une platitude abyssale. Elle ne fait rien pour dynamiser son laborieux scénario, régulièrement lesté par des retours en arrière au moins aussi chiants que le temps présent du récit, où l'on découvre que le père Henriksen était une crevure dès le départ. Soit dit en passant, Henriksen jeune est incarné par un acteur qui ne lui ressemble vraiment pas : cela pourrait ne poser aucun problème mais ici, la différence est telle que l'on tique forcément (difficile aussi, il faut bien l'admettre, de partager la tronche si spéciale et familière de celui qui était jadis si crédible en androïde).



 
Un cameo inutile de David Cronenberg en toubib impassible ravira les fans. Quelques plans sur des feuilles d'arbre où percent les rayons du soleil et d'autres sur des brins d'herbe pris dans la rosée du matin semblent glissés là pour nous rappeler que Viggo Mortensen est aussi un poète. Mouais... Il ne faudrait pas non plus oublier qu'il était également la vedette de l'un des films indés les plus faux jetons de ces dernières années, le crapuleux Captain Fantastic. Bien calibrée, sous son vernis rebelle, cette saloperie n'avait cependant guère entamé la formidable côte de popularité de l'acteur, bien au contraire, puisque le film fut quasi unanimement salué. Son premier long en tant que réalisateur, plutôt bien accueilli aussi par des critiques définitivement sous le charme, atteste que ce type-là a bel et bien le mojo. Falling est pourtant une expérience longue et douloureuse, dont on ne retire pratiquement rien. Ça m'a fait... une sorte de fussoir !
 
 
Falling de Viggo Mortensen avec Lance Henriksen et Viggo Mortensen (2020)

30 avril 2019

La Mouche noire

On connaît tous cette histoire grâce au film culte de David Cronenberg. Un brillant scientifique met au point une machine servant à la téléportation. Lors d'un essai, une mouche tape l'incruste et ce qui devait s'imposer comme la plus belle invention de l'homme depuis la roue vire au fiasco complet. C'est à l'écrivain et agent secret français George Langelaan que l'on doit cette chic idée qui a donc fait l'objet de deux adaptations cinématographiques à succès. J'ai tardivement découvert la première, sortie en 1958 et réalisée par un tâcheron notoire en la personne de Kurt Neumann, réintitulée par chez nous La Mouche noire. Si ce premier film n'atteint jamais l'intensité dramaturgique de celui de Cronenberg et scotchera forcément moins le spectateur à son fauteuil, il vaut tout de même largement le coup d’œil et constitue peut-être un jalon dans le cinéma fantastique et de science fiction. Il nous propose en effet un traitement adulte de cette histoire pourtant, ma foi, assez rocambolesque. Nous sommes à la fin des fifties et l'on s'éloigne des châteaux gothiques, des décors anciens ou futuristes, des monstres géants ou des soucoupes volantes pour découvrir la maison très banale d'une petite famille qui l'est tout autant avec, en son sous-sol, le laboratoire d'un scientifique qui n'est guère un savant fou excentrique mais un père bien trop absorbé par sa tâche. Ainsi, mine de rien, le film de Neumann atteste d'une approche assez nouvelle pour l'époque, avec la mise en place d'un environnement des plus familiers et la recherche d'un certain réalisme, une démarche qui fait très bon ménage avec le charme suranné propre au cinéma de SF des années 50. En outre, le personnage le plus important et le plus fort du lot est une femme, l'épouse du scientifique campée avec conviction par Patricia Owens, un fait assez rare, me semble-t-il, à cette période.






Quand on voit ce film aujourd'hui, on est aussi très agréablement surpris par la manière délicate avec laquelle nous est progressivement amenée cette drôle d'histoire. La première scène intrigue immédiatement puisque l'on arrive d'emblée sur les lieux de ce qui ressemble à un crime sordide : lors de sa ronde, le veilleur de nuit d'une usine voit une femme prendre la fuite devant un corps écrasé par une énorme presse hydraulique. Bizarre bizarre... Suite à cela, il y a bien une demi heure d'exposition très plaisante avant que l'on entre pour de bon dans le vif du sujet. Durant cette première partie, on comprend notamment les liens qui unissent les différents personnages et donc tous les enjeux du scénario, présentés avec une clarté, une efficacité et une simplicité admirables. Le beau-frère d'une femme éplorée (la pauvre, elle vient d'aider son mari à moitié transformé en mouche à se donner la mort !) arrive à son chevet pour écouter son témoignage aux côtés d'un inspecteur qui devra juger de l'authenticité et de la crédibilité de son récit. Ce beau-frère, au rôle finalement très passif (jusqu'au final où il agit, un peu par hasard, en véritable héros), est incarné par Vincent Price, un acteur mythique du cinéma d'horreur, au flegme imperturbale et à la voix reconnaissable entre mille, que l'on est toujours heureux de retrouver. De par sa bienveillance infaillible et sa diligence extrême à l'égard de sa belle-sœur devenue veuve, on comprend qu'il éprouve pour elle des sentiments amoureux jusque-là contenus, il fera donc tout son possible pour l'aider. Le cœur du film, c'est-à-dire le récit des événements passés, raconté du point de vue de l'épouse du scientifique, prend donc la forme d'un long flashback, dans lequel nous rentrons avec volupté.






Au-delà de sa construction si patiente et intelligente, La Mouche noire réserve aussi quelques belles idées qui font encore et toujours leur petit effet. A la différence de David Cronenberg, dont la démarche est à rapprocher de celle également adoptée par John Carpenter pour cet autre remake-supérieur-à-l'original qui a marqué le cinéma d'horreur des années 80 et au-delà (à savoir, The Thing), Kurt Neumann mise pratiquement tout sur la suggestion. Notre scientifique passe presque tout le film le visage dissimulé derrière un drap noir et la main rangée dans la poche de son ample blouse. Les bruits de succion répugnants qu'il émet lorsqu'il dévore le contenu des plateaux repas que lui descend sa femme nous laissent imaginer son triste état. L'une des meilleures scènes est celle de la téléportation du chat : pas encore tout à fait au point, la machine fait tout simplement disparaître l'animal, volatilisé dans les limbes ou une dimension parallèle, nous ne pouvons que le supposer, puisque nous n'en entendons plus que des miaulements lointains qui ne manquent pas de nous glacer le sang... Là encore, par un simple motif sonore, Neumann parvient à susciter bien plus d'effroi que par n'importe quelle image choquante ou autre effet. On apprécie aussi cette unique image qui épouse la vue subjective, et donc kaléidoscopique, du savant : celui-ci regarde, impuissant, son épouse démultipliée pousser un cri d'horreur à la vue de sa tête de mouche, enfin révélée au spectateur par le contrechamp qui suit ce fort bel effet.






Les différences avec le remake de Cronenberg sont légion et il serait fastidieux et inutile d'en faire l'énumération. L'une des principales est que la mouche et le scientifique ne fusionnent pas mais se mélangent et continuent à vivre séparément, collant ainsi de plus près à la nouvelle de Langelaan. Nous passons donc une bonne partie du film à la recherche d'une fameuse mouche à tête blanche, que le gamin aurait aperçue plus d'une fois dans la maison et en-dehors, et qui pourrait peut-être permettre à son papa de retrouver son état normal. Vain espoir... Si je parle de cette différence avec La Mouche de 1986, c'est parce qu'elle aboutit au point culminant dans l'horreur et la cruauté atteinte en 1958. Je fais évidemment allusion à la toute fin et à cette pure vision de cauchemar où nous découvrons une mouche à tête d'homme, captive d'une toile d'araignée et sur le point d'être dévorée, émettant des cris stridents et pitoyables mais à peine audibles, implorant pour qu'on lui vienne en aide. Ça fait froid dans le dos ! La Mouche noire se termine, si l'on peut dire, en beauté et fait bel et bien partie de ces véritables pépites du cinéma de SF des années 50, à même de procurer un plaisir sans équivalent aux amateurs du genre.


La Mouche noire (The Fly) de Kurt Neumann avec Patricia Owens, Vincent Price, David Hedison et Herbert Marshall (1958)

27 janvier 2015

Bilan 2014


Chaque année, nous faisons partie des derniers blogueurs ciné à livrer leur verdict sur l'année cinématographique passée. Chaque année, nous invoquons de nouvelles excuses ; cette fois-ci, nous attendions d'avoir vu Dracula Untold avant de boucler nos classements. En janvier 2011, c'est à reculons que nous nous étions soumis pour la première fois à cet exercice ; pas préparés, nous avions à peine été capables de fournir un malheureux top 5 chacun. En janvier 2012, c'est à reculons que nous nous étions adonnés pour la deuxième fois à cette pratique désormais incontournable et, pour la franchir, nous avions eu la chic idée d'unir nos forces, lors d'une froide après-midi d'hiver, autour d'un kefta-chocolat auch, passée à rédiger ensemble et sans effort une fine analyse de l'an de grâce cinématographique 2011, accompagnée du top officiel de QT, livré un exclusivité. En janvier 2013, rebelotte : kefta, chocolat, et c'était plié. Mais, déjà, l'écriture se  faisait plus laborieuse, la difficulté de l'exercice nous rattrapait et l'année suivante, cette "session" où la rédaction du top annuel était seule à l'ordre du jour, se transformait en un épinglage en règle d'un film de Rob Reiner que nous gardions depuis trop longtemps en travers de la gorge. C'est donc séparément, sans ardeur, que nous avions écrit puis regroupé nos grifouilles, surtout satisfaits de se débarrasser de ce fardeau régulier. Aujourd'hui, alors que des kilomètres nous séparent, nous avons choisi de faire plus court et, après des années de tergiversations, nous allons pour la première fois vous proposer un top commun, réunissant donc nos films préférés de 2014 en un seul et même classement de 20 titres. Une décision prise face à la si grande similarité de nos tops respectifs, et malgré la présence, un peu embêtante pour l'un d'entre nous, du Gone Girl de David Fincher. Voici donc notre top 2014 :



http://ilaose.blogspot.com/2014/02/tonnerre.html
 

http://ilaose.blogspot.com/2014/07/bird-people.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/04/night-moves.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/05/the-battery.html
 
http://ilaose.blogspot.com/2014/04/aimer-boire-et-chanter.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/03/her.html

http://ilaose.blogspot.com/2014/12/mister-babadook.html

 


1/ Under the Skin
2/ Tonnerre
3/ Deux jours, une nuit
4/ Bird People
5/ Night Moves
6/ The Battery
7/ Aimer, boire et chanter
8/ Her
9/ Mister Babadook
10/ Sils Maria
11/ Still the Water
12/ Les Bruits de Recife
15/ Sunhi
16/ P'tit Quinquin
18/ Boyhood


Il aura été assez difficile cette année d'établir un ordre précis, surtout en tête de classement. Aucun film ne s'est véritablement et très nettement détaché à nos yeux. Au lieu d'un élu écrasant, trônant seul et de façon incontestable sur l'année, on perçoit plutôt, couronnant le tout, un lot de très beaux films avec leurs petits défauts, des œuvres pour le moins différentes mais ô combien estimables. Puisqu'il en faut une, la première place revient à Under the Skin du surdoué Jonathan Glazer, peut-être le film le plus surprenant, le plus remuant, le plus ambitieux, qui sait, de l'année. Nous ne l'avons pas encore critiqué dans ces pages mais il a suscité une longue et foisonnante conversation entre tous les membres de la rédaction, trop longue et trop foisonnante sans doute pour que l'un d'entre nous trouve le courage de s'y attaquer dans un article. Pourtant le cœur y est.


Kleber Mendonça Filho, retenez ce nom, il aura une Palme un jour ! Les Bruits de Recife, son "soap opera filmé par Carpenter" est déjà une belle proposition de cinéma et, surtout, une sacrée promesse.

Deux autres films de notre top 10 n'ont pas généré de bafouilles sur ce blog, à commencer par l'excellent film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit, œuvre profondément bouleversante, aussi galvaudé que soit ce mot. Comme d'autres grands films de cette année (ceux de Pascale Ferran ou de Spike Jonze, par exemple), celui des Dardenne prend notre époque à bras-le-corps (avec une triste mais évidente justesse, n'en déplaise à certains critiques pourtant habitués à mieux, qui lui ont reproché de s'arranger avec la vérité et n'ont que prouvé leur terrible méconnaissance de ladite vérité, celle du monde contemporain en général et de l'entreprise en particulier), et hausse à un niveau encore jamais atteint le cinéma des frères aux pieds palmés venus tout droit des Awires, mot compte automatiquement double au Scrabble. Tout compte double avec les Dardenne : ils sont deux, ils ont deux Palmes, l'histoire de leur dernier film se déroule sur deux jours, et ils possèdent bien deux paires de couilles grosses comme des marmites.


Le petit Ellar Coltrane zieute la même chose que nous : ce petit téton qui pointe sous le débardeur de sa mère.

L'autre "lauréat" de notre bilan qui ne figure pas encore parmi les 1040 titres (toujours bon à rappeler) de notre index, c'est Sils Maria, de l'ami Olivier Assayas, qui fêtait ses 60 ans hier (bon anniv Ounivié !). Ce film à double visage, qui puise dans toute une histoire du cinéma au risque de manquer de surprises, mais se révèle par ailleurs d'une rare maîtrise et permet à son auteur de renouer avec les sommets, trouve une place logique et somme toute assez confortable à mi-chemin de notre grand classement commun. Les autres films ? Inutile d'en dire plus, nous les avons pour la plupart critiqués (cliquez sur les liens, y'a de l'hypertexte à tous les étages sur ce blog à la pointe). Mais ne tardons plus et passons directement à l'essentiel, autrement dit à vos classements, le top et le flop de nos chers lecteurs :



http://ilaose.blogspot.com/2014/03/12-years-slave_4.html


Même si nous avons chaque année beaucoup de titres en commun, c'est la première fois que nous partageons le même n°1 que vous, et nous en sommes ravis. Under the Skin, pour le coup, domine votre classement de la tête et des épaules. L'écart qui le sépare des suivants est vertigineux. Pour le reste, le classement a somme toute bien fière allure et, si cette phrase a le moindre sens, nous pouvons dire que nous ne sommes pas peu fiers de nos lecteurs.

Autant d'ailleurs pour votre Top que pour votre Flop, qui réunit une belle envolée d'oies galeuses sur lesquelles, pour une bonne partie, nous avons tiré à feu nourri cette année (à commencer par vos trois vainqueurs, 12 Years a Slave, Lucy et Maps to the Stars, mais aussi l'inévitable Gilliam qui obtient un zéro pointé pour son archi-naze Zero Theorem). Autant d'oiseaux de mauvais augure que nous sommes ravis de voir s'éloigner pitoyablement vers les rivages de l'opprobre avec des tonnes de plomb dans l'aile. Un seul film nous semble injustement mitraillé, le très clivant Her de Spike Jonze, qui arrive 7ème de ce par ailleurs très juste flop infamant et 10ème de votre glorieux top (exploit déjà réalisé par David Cronenberg avec Cosmopolis en 2012 et par Harmony Korine avec Spring Breakers en 2013).

On remarque, statistiquement parlant, et on en terminera sur cette analyse, que le flop contient six titres de films en un seul mot. Six sur dix ! Après un petit calcul nous pouvons assurer que cela représente 60% des suffrages. Hasard ou coïncidence ? Claude Lelouch hésite en clignant des paupières comme un dingue, mais une chose est sûre, c'est que les films dont le titre tient en un mot sont manifestement plus menacés d'être à chier et de finir épinglés sur le mur de la tehon en fin d'année. Ceci expliquerait peut-être la présence forcée de Her dans le flop, malgré ses indéniables qualités. Et aurait pu justifier que Nymphomaniac y finisse aussi, qui le mérite, du coup, objectivement. Ceci est, quoi qu'il en soit, un sérieux avertissement lancé aux cinéastes qui s'apprêtent à sortir un film en 2015.


 A coup sûr, l'une des tronches marquantes de l'année 2014.

Que dire pour conclure ? Sinon merci. Cette année encore, vous avez été nombreux à participer aux votes, et nous tenons à vous remercier. Notamment Fabrice Guedon (aussitôt rebaptisé, au vu de son top tonitruant, Fabrice Guedin), Sylvain Métafiot (notre ptit, ptit, ptit, ptit métafillot), Pierre Guilho (qui a toujours du mal à établir son top de fin d'année, la faute à une persistance rétinienne de malade qui fait que les images des films de l'an passé sont encore imprimées dans sa tronche) Olivier Père (et Dieu sait que nous vous engageons à régler votre pas sur le pas de notre Père), Hamsterjovial (nous aimerions que ces jours où il est en verve et nous lâche quelques uns de ces commentaires dont il a le secret soient des jours sans fin), Le Ciné-Club de Caen (des années que nous envoyons nos souscriptions sous forme de chèques et toujours pas reçu le moindre programme, ça tourne au moins ?), Gondebaud (qui cette année nous a un peu fait faux bon de gaud), Thibault et Olivier (nos dirlo photo travelo), Édouard Sivière (qu'on attendait au tournant sur Night Moves - Nage Nocturne en VF - cette année), Max L. Ipsum (dit "Max l'Opossum" sur Senscritique.com), Camille Larbey (dont le top est tout à fait zarbey), Céline P. (que nous remercions pour les triples glaucomes dus à l'ancienne présentation de son, au demeurant, très chouette blog), le dr. Orlof (accro à la piquouse, et qui ne nous en a donc pas trop voulu d'avoir loupé son giga anniversaire cette année, une patte ce doc, bon anniv ! on est dans les temps ?), Inisfree (c'est quand que tu payes ta tournée ?!), Guillaume A. (la ramasse sur le flop, comme d'hab), Josette K. (notre chef machino, à gauche, sous le lien, sur la photo), Émilien (qui n'a pu voir que les films qui passaient dans le quartier chinetoque de Paname...), Jean-Pascal Mattéi (qui n'a pas mattéi grand chose cette année, si ce n'est son pote Taddéi), Asketoner (littéralement "demandez-le à elle", donc vous gênez pas), Fred MJG (quand se décidera-t-elle a changer de boîte mail ? Pour la 3ème fois, on ne reçoit pas tes messages !), Kevin Watrin (il a changé la première lettre de son nom, ça a changé sa vie), Victor Coulon (& the gang), Tepepa (test), Semmelweis (si vous pouviez nous en ramener un ou deux de votre prochain séjour en Suisse ? paraît que ça porte la chkoumoune !), Nolan (le changement de nom, ça suit son cours ?), Rick et Pick (mais aussi leurs acolytes Colégrame, Bour et Bour et Ratatam), Mathieu Ash (tes souhaits), Magenta Prod (frère de Pascal ? On espère pas...), et d'autres, nous avons sûrement oublié des noms, que leurs porteurs se manifestent gentiment et nous pardonnent, ou se taisent à jamais.


On espère à présent que l'année 2015 sera faite de moments de grâce, comme ceux qui parsèment le beau Still the Water de Naomi Kawase.

Mais remercions aussi nos collaborateurs fidèles de cette année, à commencer par celui qui, pour la première fois, a maté des films, déjà, puis a chaussé ses lunettes et pris la plume, nous avons nommé Vincent, routier cinéphile en direct de Salamanque (où il est connu comme le loup blanc sous le surnom de Piso 2C), mais aussi les vieux routards : Poulpard, jamais avare en racontards, Joe G. et ses multiples avatars, qui ne perd pas une occasion de foutre tout le monde mal à l'aise, Nônon Cocouan, juge et parti dans cette affaire, toujours prodigue en coups de latte pour ses têtes de turcs favorites, et puis Simon, le "darron", fan de Dominique A.(bus de voix aigüe est dangereux pour la santé) et dénicheur de gros coups invétéré (mais après coup).

Merci à tous d'avoir participé à ce bilan 2014 et, d'une manière ou d'une autre, à la vie de ce blog, que nous espérons encore longue en votre compagnie.

8 novembre 2014

La Femme-guêpe

Dans cette série-B de Roger Corman, que certains ont prise à sa sortie pour un mockumentaire sur les femmes blanches, anglo-saxonnes et protestantes, la directrice et égérie d’une agence de cosmétiques, Janice Starlin (Susan Cabot), ayant atteint la quarantaine, recrute un savant de premier choix (il est allé jusqu’en classe de troisième avec accent allemand troisième langue) qui vient de mettre au point un vaccin de jouvence à base de gelée royale de guêpe ("wasp" en anglais, donc). Starlin teste le miel rajeunissant sur elle-même (un ptit déj lambda où les Cheerios habituels sont remplacés au pied levé par des tartines de miel miraculeux), et avec succès ! Grisée de retrouver ses vingt ans, notre Dorian Gray du pauvre et au féminin s’injecte des doses de plus en plus importantes de la solution miracle et en découvre peu à peu les effets secondaires, lorsqu’elle commence à méchamment ressembler à Jeff Goldblum période mid 80s.


Ce type a vu le film, aucun doute là-dessus.

Le film tire sur la corde pour durer ses 73 minutes alors qu’il n’a, au fond, rien à dire. La patronne vieillissante de la boîte de cosmétiques, entre deux regrets amers, se transforme régulièrement en guêpe humaine et tue les quelques gêneurs qui rôdent autour d’elle. Tout est là. Vu son budget, Corman a eu raison de ne pas transformer entièrement Susan Cabot en guêpe géante, préférant l’affubler d’un masque d’insecte et de collants noirs. On aurait préféré que l’actrice porte une guêpière : le résultat eût été couillon mais plus amusant, et Corman aurait ainsi pu jouer sur le côté femme fatale de son héroïne à taille de guêpe (j'enchaîne !), ce qu’il ne fait jamais, sans non plus opter pour l’option inverse, tendre vers l’horreur répugnante pure façon Cronenberg, puisque la métamorphose est passagère et peu douloureuse, tandis que les scènes d’action ne montrent pratiquement rien et échouent à faire naître la moindre tension. Une piqûre de moustique. (Je suis en feu, moi et mes trois jeux de mots nous frelons le génie).


La Femme-guêpe de Roger Corman et Jack Hill (II), avec Susan Cabot, Anthony Eisley et Barboura Morris (1960)

4 juin 2014

Maps to the Stars

Rarement une bande-annonce aura aussi bien annoncé un film. Si vous n'avez pas encore vu Maps to the Stars, prenez la bande-annonce, faites-la tourner en boucle pendant deux heures, et vous aurez une bonne idée de l’expérience que constitue le visionnage de ce film terriblement ennuyeux, vulgaire, cynique, bête et, par-dessus le marché, souvent laid. A l’image, et l’équation n’avait rien d’obligatoire, des personnages, tous plus creux les uns que les autres, la mise en scène est sans aucun intérêt (sauf sur un ou deux plans égarés dans une uniformité qui finit par les avaler, au point qu’on serait bien en peine de s’en rappeler précisément même au sortir de la salle). Les acteurs font leur boulot, mais leurs personnages sont tellement irritants, hideux, haïssables, unanimement débiles et tarés, que ceux qui les incarnent en deviennent insupportables à leur tour (pompon à Julianne Moore, que nous aimons pourtant beaucoup, mais qui joue là une actrice vieillissante refusant de vieillir, grimée en une sorte de Madonna d’aujourd’hui au rabais, et qui le fait comme elle peut mais sans briller).




Les personnages, surchargés de défauts, sont tous complètement psychotiques (du traumatisme personnel bien gras aux enfants nés du péché d’adultère, le ver est dans la pomme et n’en sortira pas), et le fait qu’ils évoluent dans le milieu bien malsain d'Hollywood leur ajoute une couche de névrose supplémentaire. Sauf que Cronenberg ne dit rien sinon, d’abord, d’énormes clichés déjà dits mille fois sur le fameux miroir aux alouettes du star-system et sur les dérives du show-business : tout y est question de fric, de drogue, de cul (dégueulasse si possible), de violence imbécile, et pour illustrer tout ça, Julianne Moore se fait malaxer l’anus par son maître de yoga (John Cusack) pour exorciser, entre autres, un complexe d’infériorité vis-à-vis d'une mère actrice morte dans un incendie ; un enfant-star (Evan Bird), qui à douze ans touche des millions de dollars et couche avec ses concurrentes féminines, flingue un chien à bout portant pour jouer ; Julianne Moore, encore, danse comme une abrutie pour fêter la mort du fils de sa concurrente ; Julianne Moore toujours largue d’horribles pets sur les chiottes, en présence de sa bonniche, en s’écriant que ça chlingue à mort, et ainsi de suite... Cronenberg, que son immémoriale investigation de la chair et de l’intestin grêle ne porte pas toujours vers les meilleurs cieux, n’estime apparemment pas être allé assez loin dans la lourdeur puisqu’il fait aussi tuer son actrice vieillissante à coups de statuette des Oscars, quand la bonniche, incarnée par (une assez remarquable) Mia Wasikowska, grille un plomb à force de se faire insulter et marcher dessus par une patronne qui, en prime, vient de se faire monter par son fiancé sous ses yeux. Dans une spirale sans fin de name dropping pathétique, Cronenberg croit original de nous dire ensuite que l’horreur, déjà dépeinte par Wilder ou Aldrich en leur temps, a débordé les frontières hollywoodiennes, que les chauffeurs de limousine en font aussi partie (auto-clin-d’œil assez triste, c’est le Robert Pattinson de Cosmopolis qui tient le rôle), et que la jeunesse dans son ensemble est pourrie, vérolée par des rêves de gloire illusoires et par des parents incestueux et horribles.




Le film évoque immanquablement Mulholland Drive et finit ainsi de s’enterrer dix pieds sous terre. Il rappelle aussi, outre le propre cinéma de Cronenberg, le dernier film en date de Martin Scorsese, Le Loup de Wall-Street, en faisant le portrait univoque, définitif, sarcastique et ricanant d’une époque sinistre, où les cyniques sont convaincus et fiers d’avoir insolemment gagné, où les salauds ne se cachent plus, où la vulgarité a tout contaminé et où la jeunesse, à qui l’on a dressé pour uniques totems le pouvoir et la violence, n’a plus qu’une chance de liberté : le suicide. Les deux films partagent le projet de nous faire subir, durant d’interminables minutes, et sans interruption, des horreurs pures et simples, de nous confronter à une misère contemporaine sans faille, totale, sans espoir. Et même si Cronenberg est peut-être plus directement critique vis-à-vis de ce qu’il montre, ne laissant planer aucun doute sur son opinion quant à la situation, restent deux films morbides et désespérants, qui se contentent de faire le portrait de toute les saloperies qui nous entourent, que l’on connaît déjà pour y être empêtrés jusqu’au cou chaque jour, un portrait esthétiquement peu brillant de surcroît et qui a l’immense tort, à nos yeux, de ne proposer strictement aucun contrepoint. Les deux cinéastes plient leurs films au sordide absolu des personnages qu’ils déploient sans faire preuve d’une once d'humanisme, préférant dérouler avec complaisance la longue démonstration d’une corruption généralisée, et dresser un constat pontifiant et satisfait.




Saïd Ben Saïd a aussi produit le très médiocre Passion de Brian De Palma. Espérons pour lui qu’il ne soit pas de ces producteurs qui, comme au temps de l'âge d'or notamment, imprimaient leur patte sur les films, parce que les derniers rejetons de Cronenberg et de De Palma sont aussi bêtes, froids et mauvais l’un que l’autre. On se dit surtout qu’il ne fallait pas forcément se déranger… Noble ambition que vouloir produire les derniers films de ces cinéastes adulés sur le retour, mais il est des projets qu’il vaut mieux laisser congeler dans la tronche de leurs auteurs, et sur lesquels les fans gagneraient à fantasmer jusqu’à la nuit des temps. Quand bien même on ne l’avait pas adoré, Cosmopolis laissait espérer un vrai réveil de la part de celui qui s’était totalement endormi sur les débats de Freud et de Jung dans A Dangerous Method ; la déception est d’autant plus lourde de le voir s’enfoncer dans une satire datée, facile et sans âme.


Maps to the Stars de David Cronenberg avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, John Cusack, Robert Pattinson et Evan Bird (2014)

6 janvier 2014

Prisoners

Ces dernières années, il fallait plutôt regarder du côté de la Corée du Sud pour dénicher des thrillers tendus, aux ambiances pesantes et malsaines, les Américains s'avérant bien incapables de rivaliser avec leurs concurrents asiatiques sur ce terrain-là. Ce manque évident explique peut-être en partie l'accueil dithyrambique réservé à Prisoners, largement présenté comme la plus grande réussite américaine en ce domaine depuis Seven, voire Le Silence des Agneaux. Zodiac et Mystic River sont les autres titres les plus souvent cités pour situer le film de Denis Villeneuve. Si cette filiation est plus ou moins justifiée et si Prisoners s'impose effectivement comme l'un des thrillers américains les plus efficaces sortis dernièrement, il ne s'agit pas pour autant d'une réussite entière et le film peut décevoir quand on attend un peu plus que 153 minutes de divertissement.




Alors il pleut beaucoup, certes, tout le temps même, comme dans Se7en. Emportés par leur malheur, les personnages agissent bêtement, guidés par leur ressentiment et leur amertume, comme dans Mystic River. On a bien du mal à dénicher le tueur, et on finit même par penser qu'on ne parviendra jamais à mettre la main dessus, comme dans Zodiac. Il y a une battue dans la forêt pour dénicher les gamines disparues, ce qui rappelle inévitablement La Règle du jeu. Et enfin, l'Amérique dépeinte par Denis Villeneuve semble surpeuplée de monstres, de détraqués, un peu comme dans Le Silence des Agneaux, dont la filiation est tout de même bien plus floue à nos yeux. On a d'ailleurs eu un mal de chien à en inventer une. Et on va arrêter là ce petit jeu des références parce que nous en avons nous-mêmes très très peu et ça commence à se pifer. Finalement la vraie bible de Denis Villeneuve c'est KidA, qui défile en intégralité dans Prisoners comme dans Incendies (film dont on a vu l'affiche !), son précédent film. Le réalisateur québécois ne jure en effet que par Radiohead, le groupe anglosaxon incontournable, celui qui réunit des gens aussi différents qu'Yvan Attal, David Fincher, Brad Pitt, Guillaume Canet, Alfonso Cuaron, Richard Linklater, Cédric Klapisch, Cameron Crowe et Smaïn. Au point qu'on se demande finalement si ces gens sont si différents... Quelle est la frontière entre Fincher et Smaïn ? Elle est maigre, ça c'est sûr, et Johnny Greenwood est assis dessus, avec une guibole osseuse qui pend de chaque côté. Pour la petite histoire, on aurait aperçu David Fincher, Smaïn, Ed Norton et Brad Pitt échanger quelques verres dans le carré VIP du dernier show privé de Radiohead à Milan (Italie). Aurons-nous droit à un biopic de Smaïn par le grand duc d'Hollywood, l'auteur de Fight Club ? La rumeur cavale depuis maintenant !




Puisque le paragraphe précédent sur les influences de Villeneuve est un semi-échec, concentrons-nous sur l’œuvre en tant que telle, pour dire d'emblée qu'en 2h33, on est en droit d'attendre des personnages plus étoffés, plus mémorables. Si les acteurs font tout leur possible pour leur donner de l'épaisseur, à commencer par un honnête Jake Gyllenhall, les personnages ont bien du mal à exister en dehors de leur fonction. Jake Gyllenhall est enquêteur, alors il enquête. Hugh Jackman est un papa brisé par la disparition de sa fille, alors il se met en colère et perd la raison. Ne parlons pas des mamans, Maria Bello est condamnée à rester au plummard en s'enfilant des cachetons. A propos de Maria Bello, saviez-vous qu'elle a récemment fait son caméo ? On pouvait deviner qu'elle était au moins des deux bords, bi-sexuée, en regardant attentivement les scènes trash dont regorge sa filmographie, à commencer par A History of Violence, dans la version longue recommandée par David Cronenberg, le cinéaste de la chair, des muqueuses et de tout ce qui chlingue. Qui a vu cette version uncensored, le devil's cut du film, n'a pas pu oublier ces scènes supplémentaires, ces bonus bonnards où Maria Bello, après s'être grimée en pom-pom girl de pacotille pour satisfaire les bas besoins de son macho de mari, plie ce dernier à ses propres désidératas en le déguisant en écolière et en le labourant dans les escaliers avec un ustensile qui a perdu son nom lors de ce tournage et qui n'en a pas retrouvé depuis. D'ailleurs, même pour les miséreux qui n'ont vu que le fameux 69, transformé en 96 dans la version x-rated, il suffisait de décoller le regard de ce putain d'artiste qu'est Aragorn pour mater le regard haineux, rêveur, ailleurs, de Mario Bella, pour le moins "not interested".




Comment revenir au film après ça ? Peut-être en disant que la fin retombe comme un soufflet. On aurait carrément préféré que le personnage tourne en rond encore longtemps, cherche le criminel toute sa vie, que le film dure, dure, dure, des heures, des jours, des semaines qui sait ? Mais qu'il ne s'arrête pas comme ça... Pas là-dessus. Le film semble chercher son souffle à la fin. C'est pas tous les jours qu'on mate un film qui ventile, qui cherche de l'air, qui tire des taffs dans le vide pour pas clamser sous nos yeux faute d'oxygène, tout bleu. On conseillera quand même peut-être ce film asphyxié à tous les jobastres qui se ruinent la vie devant les documentaires glauques de la TNT à base de criminels malades et de serial killers en folie, et qui ne zappent que pour atterrir sur les séries TV policières de TF1 ou de Canal+, Cold Case, Cold Squat, Portés disparus, l'instit, Les Experts, C'est pas Sorcier, Mentalist, Nip Tuck, True Blood, Médium, Lie to me, Profiler, 36 chiens des quais des orfèvres, La Planque, Narco, Trafico, La Garde-à-vue, Le Prisonnier, Crimes, Missions pas possibles, Affaires congelées, Dexter, JAG, La Crim', Central Nuit, Les Cordier Juges et keufs, Braquo, Esprits criminels, Body of bullet proof et consorts. Prisoners vous permettra de conjuguer votre passion pour le meurtre et ce grand écran que vous délaissez tant, même si c'est le genre de film dont on ressort en disant "Ouesh...", ou, pour les plus bavards : "Ouesh, ouesh, qu'est-ce qu'y se passe ?".


Prisoners de Denis Villeneuve avec Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal et Paul Dano (2013)

28 mars 2013

Antiviral

Film de fils. Dans tous les sens du terme. On dit que "la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre". Dans le cas de Brandon, fiston Cronenberg, la pomme n'est même jamais tombée, elle a littéralement pourri sur sa branche, elle a cramé collée au tronc. Antiviral est un film froid, théorique, contrôlé, qui planche sur la question du corps, de la contamination de la chair, de la réduplication des cellules, de la corruption des tissus, bref, sur la détérioration plus ou moins volontaire de l'enveloppe physique. Les thèmes et une bonne partie de l'esthétique chers à "Crony" père sont au principe même du premier film de "Crony" fils, aka Grany Smith. Tel père tel fils. Si bon chien chasse de race, les clebs ne font pas des greffes. Bon sang ne saurait mentir mais grande chère, petit testament… Qui plus haut monte de plus haut chie. A père avare, fils prodigue, sauf que toujours le vin sent son terroir. Plus d'un âne à la foire s'appelle Martin et les mauvaises langues diraient même qu'on reconnaît l'arbre à son fruit, surtout si le ver est dans la pomme. Une chose est sûre : c'est un vilain oiseau que celui qui largue un pet-flamme dans son nid. Brandon règle son pas sur le pas de son père et se fait un croque-en-jambe tout seul : il se vautre à mort et son film ne vaut pas cher, pour être plus clair.




Film de petit malin qui croit faire dans l'anticipation visionnaire en prenant un fait de société connu pour le pousser à peine plus loin que le bout de son nez : dans le monde dépeint par la fiction, les gens se font injecter les virus de leurs stars de pacotille préférées puis collectionnent ces maladies de rêve. Et Brandon espère nous laisser méditer là-dessus comme des malades après nous avoir pompeusement gonflés avec ses personnages ineptes, ses fonds blancs aveuglants et son ambiance aseptisée. Les amateurs de films à thèse et de scénarios à double-fond d'une profondeur à rester tétanisé y trouveront peut-être leur compte. On pense à Sleeping Beauty, à Canine et à tout un tas d'autres pensums esthétisants écrits par des cerveaux en sous-régime mais déjà en surchauffe qui non contents de prendre leurs vessies pour des lanternes se gargarisent de pisser dans un violon.


Antiviral de Brandon Cronenberg avec Caleb Landry Jones (2013)

20 janvier 2013

Lincoln

Nous accueillons aujourd'hui notre valeureux pigiste Paul-Émile Geoffroy, que nous avons envoyé à la projection presse du nouveau Spielberg, pour couvrir la sortie de ce film très attendu et bien placé dans la course aux Oscars. Son verdict :

Pourquoi un film historique ? C'est vrai après tout, pourquoi ? Pas pour le public, le grand : peu lui importe semble-t-il et il sortira probablement de la séance (en tout cas c'est ce que j'ai pu entendre) en regrettant l'époque où Abe chassait des vampires. Rappelons-nous un instant qu'à l'origine un film était l’œuvre d'un artiste, d'un créateur, d'une subjectivité, d'un individu (et de ses assistants) et posons-nous la question de la motivation de Spielberg. Coutumier du fait, ses précédentes tentatives (les Amistad!, Il faut sauver le soldat Ryan et autres La Liste de Schindler - j'évite sciemment l'Empire du Soleil) tendaient à le placer dans la catégorie de ceux qui au jeu de celui qui se touchera la nouille avec le plus d'effet préfèrent l'artisanat de l'éveil des consciences. Lincoln ne déroge pas à la règle et est un beau montage correctement représenté de l'avènement du 13ème Amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique : l'abolition de l'esclavage, en 1865, à quelques mois de la défaite de la Confédération des États du Sud, après quatre ans de Guerre de Sécession.




Le film ne doit donc pas seulement être jugé sur ses qualités cinématographiques mais sur l'art de son auteur à user du cinématographe pour animer la conscience égalitaire de ses spectateurs. Or des premières dépend implicitement le second et il faut bien tirer un constat à la sortie de Lincoln : Steven Spielberg n'est pas plus un grand cinéaste que John Williams n'est un grand compositeur (certains sans doute aimeraient voir s'arrêter là la sentence) dès lors que leur intention n'est pas de se faire violence. Leurs travaux depuis dix ans ont ceci d'harmonieux (à l'exception notable du Tintin d'il y a deux ans - lequel était d'une certaine façon une tentative tardive de se faire violence et d'entrer dans un futur possible) qu'ils embrassent le passé avec tant de franchise et d'amour que chacun sait sans peine où mettre les pieds : qui se souvient des thèmes écrits par Williams pour Cheval de Guerre ou Munich ? qui chérit tel plan d'Indiana Jones 4 ? qui s'est vu surpris par Le Terminal ? De Duel jusqu'à Schindler (et même Ryan), Spielberg écrivait une histoire du cinéma, époustouflait des enfants et impressionnait des adultes, jonglant entre un sérieux biblique et un insatiable besoin de parler à l'enfant qu'il était encore (et que l'on sent reparaitre devant Tintin). Lincoln est le film d'un vieil homme dépassé, mis en musique par un vieil homme dépassé, et au vu de ses objectifs humanistes, c'est regrettable.




C'est d'abord en s'abîmant dans les stéréotypes de son propre cinéma que Spielberg perd de la force. Le cliché de l'enfant si cher à ses habitudes est ici servi en triple exemplaire : Robert Lincoln (Joseph Gordon-Levitt) incarne sans intérêt aucun le jeune adulte désireux de se soustraire à l'ombre du modèle paternel, William Lincoln en enfant perdu dont le deuil ne peut être parce que la politique ne le permet pas, Tad Lincoln en prodigue petit malin posant les questions pour le spectateur, observateur silencieux. Trois caractères aussi futiles qu'alourdissants pour un film dont la durée (2h30) est un handicap certain à ses vues et qui devrait se contenter, comme sa chronologie le lui permet, de se concentrer sur l'émancipation des esclaves plutôt que sur une hypothétique biographie d'un Lincoln, que le seul mois concerné par le film ne suffit pas le moins du monde à éclairer. On aura aussi droit au regard caressant sur les opprimés, comme nous y a habitué Amistad!, et ce au détriment de vérité historique puisque la haine quasi absolue (dans quelque État que ce soit) des noirs se voit largement tamisée pour la bonne cause. On en vient même à croire que les bataillons "colorés" étaient légion en cette année 65 tant on voit de soldats de couleur, auxquels sont confiées d'importantes missions (accueillir les confédérés venus traiter de paix...), une manière aussi peu élégante de faire entendre son propos que les tractations et les arrangements de Lincoln et de son cabinet en vue de faire voter l'Amendement. Sauf que ça ne prend pas. Dès le début du film, ces deux soldats noirs s'adressant à un Lincoln spectateur du théâtre de guerre, le Caporal tournant le dos au président, récitant la fin du discours que ce dernier a prononcé quelques temps auparavant, complicité hollywoodienne factice, c'en est trop. Tout cela ne sert pas un film ayant valeur de testament autant (sinon moins) que de lettre de rappel. Pas plus que ces plans ratés jusqu'au ridicule qui accompagnent quelques transitions en fondu et notamment celui, posthume, d'un Lincoln-bougie tenant discours face à la foule. Ces sentimentalismes niais ont fait leur temps et je crois que tout le monde en a assez : les ficelles se voient bien trop pour que l'on se laisse pénétrer d'un message ni subtil ni subtilement amené. Certes l'humour peut encore aider, et la salle entière se laisse prendre à la légèreté des trois Stooges auxquels échoit la lourde tâche de convaincre suffisamment de membres de la Chambre pour que l'Amendement passe (une mention particulière à James Spader, à qui l'âge va bien au teint et que l'on espère déjà revoir en gras amuseur) et au tempérament "héroïque" de Thaddeus Stevens (le personnage le plus complet et le plus intéressant du lot, joué par Tommy "Lee de mort" Jones, en roues libres), mais là encore la subtilité est hors de propos.




C'est sans talent, bien que sans réel accroc, que Spielberg mène lentement sa barque d'un bout à l'autre du mois de Janvier 1865, sans passer par de grandes échauffourées spectaculaires (hormis une écharpade inauguratrice, la seule grande bataille de ce mois-là, celle de Fort Fisher, nous est entièrement diffusée depuis le centre des communications de la Maison Blanche) ni non plus nous dépeindre vraiment la souffrance du peuple opprimé (Amistad! suffisant). C'est un film politique, dont le coeur a trait aux manigances et aux stratégies politiciennes d'un petit nombre d'individus : il s'agit donc de parlotte. C'est dans l'air du temps, de faire passer le cinéma dans le langage : Cronenberg, Sokurov, Resnais en 2012 s'y sont essayé et n'ont pas démérité. Spielberg se brise les reins sur son personnage : Lincoln est un ex-avocat friand d'anecdotes, par lesquelles il explique ses décisions. Ce qui est une jolie façon de simplifier la tâche d'un auteur (2h30 de parlotte, même Cronenberg ne s'y est pas risqué) simplifie aussi l'art du langage qui est à l’œuvre et même l'art de la personnification du toujours-très-bon Daniel Day-Lewis mais que l'on a l'impression de voir cabotiner tant son vieux Abraham ressemble à une caricature.




Certes le message passe. Tout de même... Pourquoi faire ce film ? Faire plein feux sur l'émancipation - non, ça n'est pas ça. "Émancipation" impliquerait que le film montre des hommes et des femmes de couleur brisant leurs chaines. Disons plutôt : Faire plein feux sur une manœuvre politique (tordue, irrégulière), sur des compromis politiques, dans un but d'avancée sociale... Aujourd'hui... Serait-ce vraiment anodin ? Spielberg est-il un homme si naïf qu'il filme "oui" en pensant "peut-être" ? Je n'y crois pas. Amistad! existait, pourquoi revenir sur l'esclavagisme ? Pourquoi le faire d'un point de vue politicien ? Pour un portrait de Lincoln, ce président on l'aura compris admirable (il a aussi été l'instaurateur de l'impôt sur le revenu outre-Atlantique), pour le seul intérêt du biopic, parce que le personnage le passionnait ? Allons... Steven Spielberg n'est pas le cinéaste politique par excellence mais on sait qu'il a une conscience plutôt humaniste. Je ne puis m'empêcher de me poser la question que cache Lincoln : pourquoi ce film maintenant ?




Et quelle qu'en soit la réponse, de me décevoir du résultat. Un film qui tient la route mais dont la portée d'éveil me semble trop courte. Un film facile à suivre mais trop long. A tout prendre, un film sur l'art de convaincre par la parole devrait s'éviter l'écueil du sophisme par anecdote et se concentrer plutôt sur la magie-même du langage, comme Alexandre Sokurov, Alain Resnais ou dans une moindre mesure David Cronenberg ont su le faire ces derniers mois.


Lincoln de Steven Spielberg avec Daniel Day-Lewis, Tommy Lee Jones, Sally Field, Joseph Gordon-Levitt, James Spader et John Hawkes (2013)