29 septembre 2019

Prospect

Agréablement surpris par ce petit film de SF à l'univers visuel très réussi malgré un budget que l'on imagine des plus modestes. Prospect tend vers le western à l'ancienne où s'affronteraient quelques chercheurs d'or obnubilés par leurs rêves de fortune et de lendemains plus tranquilles, partis à la recherche d'un trésor mythique caché là quelque part. Cette quête est transposée ici sur une planète éloignée à la végétation luxuriante, dont l'air est infesté par un pollen toxique et dont les forêts abritent des cosses étranges desquelles les "prospecteurs" peuvent extraire, avec maintes précautions, des gemmes d'une valeur inestimable. Parmi eux, un homme (Jay Duplass) et son adolescente de fille (Sophie Thatcher) atterrissent en catastrophe sur cette lune mystérieuse avec comme seul objectif de récupérer un magot suffisant pour rentrer chez eux. Ils croiseront rapidement la route de deux mercenaires qui vont compliquer tous leurs plans...




Sorti directement en VOD alors qu'il aurait pu mériter un bien meilleur sort, Prospect est l'adaptation en long métrage d'un court signé par le même duo, Zeek Earl et Chris Caldwell. On sent que les deux compères ont mûrement réfléchi leur film et son univers, chaque détail paraît à sa place et bien pensé : de l'aspect des différentes combinaisons que porte chaque personnage aux intérieurs bigarrés de leurs capsules spatiales, en passant par leurs armes à l'apparence rudimentaire trompeuse et par ces petits outils qu'ils utilisent pour se soigner ou manipuler les cosses. L'idée pourtant très simple de ce pollen qui flotte dans les airs, quasi constamment présent à l'image, parasitant joliment chaque plan, suffit à nous procurer cette impression indispensable de dépaysement, d'inconnu, que bien des films de science-fiction aux budgets colossaux ne parviennent jamais à nous faire ressentir.




On est immédiatement persuadé que les personnages évoluent bel et bien dans un ailleurs étrange, aux risques bien visibles et omniprésents, mais peu clairs ni vraiment explicités (et c'est tant mieux). Une scène assez réussie d'amputation d'un bras infecté par l'atmosphère extérieure nous en dit assez long sur les dangers encourus par les protagonistes... L'ambiance générale et le rythme du film contribuent à nous envelopper dans ce sentiment d'agréable étrangeté. Si Prospect finit tout de même par s’essouffler un chouïa au bout d'environ une heure, il n'en vient jamais à perdre une once de notre intérêt et réussit à nous maintenir intrigués tout le long. Cela rappelle à notre bon souvenir les films scénarisés par Brit Marling : eux aussi savaient s'inscrire dans un genre avec intelligence, en toute humilité et ce qu'il faut d'originalité (Sound of My Voice, Another Earth).




Les acteurs sont impeccables, à commencer par la jeune et charismatique Sophie Thatcher que nous ne quittons jamais d'une semelle et qui incarne avec une belle présence cette héroïne courageuse et dégourdie. Malgré les promesses introductives, son rôle paraît finalement assez sous-écrit, mais la prestation de l'actrice le sauve totalement de la médiocrité. Pour ne rien gâcher, la bande son, que l'on doit au frère de l'un des réalisateurs, est très soignée aussi. On peut regretter, au bout du compte, que le film n'arrive jamais à dépasser son petit scénario, à pousser vers une réflexion plus large, mais c'est également cette modestie et cette simplicité qui participent à le rendre sympathique, qui lui évitent sans doute quelques lourdeurs et un discours trop rebattu sur l'humanité et ses vilains défauts, comme sa faculté à détruire son propre environnement pour en voler les richesses. On a donc hâte de voir ce que ce duo fera par la suite. 


Prospect de Zeek Earl et Chris Caldwell avec Sophie Thatcher, Jay Duplass et Pedro Pascal (2019)

25 septembre 2019

Deux moi

Pour la promotion de son nouveau film, Cédric Klapisch a accepté de répondre à l'une de ces interviews très courtes qui pullulent sur les réseaux sociaux. Sur un fond sonore insupportable qui se veut entrainant et rythmé, des questions toutes simples, parfois un peu décalées, apparaissent à l'écran et s'enchaînent à vitesse grand V ("le dernier film qui t'a fait pleurer ?", "la dernière scène qui t'a collé la gaule ?"). Les personnalités interrogées n'ont généralement pas le temps de développer quoi que ce soit d'intéressant mais juste assez pour sortir parfois des énormités propices à faire le buzz. Tout le monde est alors ravi. Car tandis que l'objectif du site concerné (Konbini, Sens Critique...) est d'atteindre un maximum de "vues", le souci, pour les interviewés, est d'avoir l'air cool, et donc de répondre du tac au tac, avec aisance et franchise. A ce petit numéro, Cédric Klapisch s'en sort plutôt bien, osant même se lâcher sur le sacrosaint Tarantino, dont il confie ne pas avoir aimé le dernier film. Quel toupet ! Il ajoute alors, visiblement assez sûr de lui : "C'est un peu effrayant, quand on est un réalisateur de mon âge, de voir d'autres réalisateurs dont on sent qu'ils n'ont plus rien à dire. Moi c'est un peu ce qui m'effraye, j'essaye de repousser le moment où je n'aurai plus rien à dire." Ahah.




Après avoir vu Deux moi, ces petites phrases ont comme un double effet kiss cool. Notre ami Klapisch a l'habitude de donner le bâton pour se faire battre : malgré leur insignifiance, ses films sont des collections de perches tendues pour qu'on lui tombe dessus à bras raccourcis. Alors pourquoi élargir cette attitude autodestructrice à la promotion même de ses œuvres ? Comment peut-il faire cette déclaration sans trembler du menton alors que cela fait plus de vingt ans qu'il nous bassine avec les mêmes tics, la même recette ? Cédric Klapisch n'a jamais eu grand chose à dire et cela ne va hélas pas en s'arrangeant, quand bien même on sent chez lui la volonté de coller à la société actuelle, de s'intéresser à la génération Y, de rester à jour. Deux moi n'est pas pire qu'un autre Klapisch, c'est un Klapisch de plus. C'est à un docteur ès Klapisch qu'il faudrait demander son avis, à quelqu'un capable d'examiner l'infiniment petit, maître au jeu des sept différences, apte à se prononcer sur des subtilités indécelables à l’œil nu pour le quidam lambda. A travers cette histoire de deux trentenaires vivant dans le même quartier de Paris, victimes de la solitude des grandes villes, Klapisch s'essaie au drame existentiel. Le cinéaste prétend encore une fois capter l'air du temps, en nous montrant ces deux êtres qui finissent par "aller voir quelqu'un" (comprendre : consulter un psy) pour relever la tête, et par s'inscrire sur Tinder pour rompre leur marasme quotidien. En dépit de la tendresse manifeste du regard qu'il porte sur ces jeunes gens, Klapisch a l'air un peu à côté de la plaque, à l'image de sa bande originale faisandée, et ne prend jamais aucun risque. Surtout, on a bien du mal à se passionner pour ces deux personnages trop creux pour exister vraiment.




Ana Girardot incarne une chercheuse en laboratoire peu crédible, suffisamment cruche pour demander à sa supérieure si elle doit "apprendre par cœur" sa présentation orale, et dont on se moque bien des rapports conflictuels qu'elle entretient avec sa daronne absente et de la relation, plus douce, qui l'unit à sa petite sœur. François Civil, que l'on a déjà vu plus à l'aise, plus frais, notamment dans Mon Inconnue, traverse ici, comme son homologue féminin, un petit épisode dépressif, il passe donc les 30 premières minutes inerte, incapable de terminer ses phrases, ne communiquant que par des borborygmes fatigants. Dans la peau du héros klapischien, Romain Duris, à l'époque, s'en tirait peut-être mieux. Difficile de s'intéresser à un tel énergumène, que l'on a simplement envie de secouer... Le récit de leurs rencontres Tinder, de leurs consultations chez le psy, de leurs vies professionnelles et familiales compliquées et de toutes leurs petites contrariétés n'est pas assez ceci pour émouvoir, pas assez cela pour faire marrer. On est supposé espérer durant tout le film que ces deux âmes perdues finissent enfin par se télescoper, ce qui n'arrivera pas avant les dernières secondes, évidemment. Tout cela est inoffensif et plat, mais soyons honnête : ça n'est jamais totalement désagréable (quoique, j'y reviendrai dans mon dernier paraphet), ça se laisse regarder, ça coule tout seul, c'est du Klapisch. Soulignons cependant que cela paraît tout de même plus long et laborieux qu'à l'accoutumée. On s'étonne que certaines critiques en viennent à parler d'un "bon Klapisch"... C'est ce type d'affirmation qui m'amène à penser que je ne suis pas la personne idoine pour vous parler de Deux moi, à l'évidence je n'ai pas les armes ni les connaissances suffisantes, je ne maîtrise pas assez bien mon petit Klapisch illustré. Je n'ai vu que les deux tiers de sa filmographie. A partir de quand peut-on parler d'un "bon Klapisch" ? Quand le film étudié est supérieur au plus faible tiers de sa filmo ? Alors si, avec un peu de chances, ce sont ceux que je n'ai pas vus, je ne peux pas m'exprimer en toute légitimité. C'est un "bon Klapisch", soit, ça n'en fait pas pour autant un bon film !




Alors qu'il avait situé son précédent opus à la campagne, en plein vignoble bourguignon, en quête d'un nouveau souffle, Klap' revient gonflé à bloc dans les rues de sa ville fétiche, Paris, qu'il dépeint encore comme un village-monde merveilleux, rempli d'individus sympathiques, dont on se plaît à pointer gentiment du doigt les petits travers : on pense particulièrement à cet épicier de quartier, incarné par Simon Abkarian, au sens du commerce impitoyable mais qui a bon fond et tient un rôle indispensable puisqu'il permet de faire le lien entre les uns et les autres. Devant tant de bons sentiments, on ressent parfois comme une légère envie de vomir. Dès qu'il peut, Klapisch enfile sa casquette de l'office du tourisme et nous propose quelques-uns de ces plans carte postale dont il a le secret. On se souvient qu'il avait eu la même démarche en Bourgogne, assurant la promotion de cette région comme personne ne l'avait aussi grossièrement fait avant lui sur grand écran. Il faut que le film puisse plaire à l'étranger, c'est peut-être aussi pour cela que le générique final est ici accompagné de cartes postales, littéralement, de la capitale : des vignettes de la Tour Eiffel ou du Sacrée Cœur qui viennent décorer les noms défilant à l'écran... Ce genre de conclusion n'a pas pour effet de nous laisser sur une très bonne impression. Auparavant, Cédric Klapish n'a donc fait que reprendre sa petite formule habituelle, en nous concoctant au passage quelques dialogues dont il doit être très fier alors qu'ils n'ont que pour effet de nous déprimer encore un peu plus ("Il faut que les deux moi soient soi pour que deux moi fassent nous" débite Camille Cottin). Je suis sévère, je le reconnais, mes mots dépassent peut-être ma pensée mais, à la longue, notre cher Klap' n'appelle guère à l'indulgence.




Pour finir, relevons quelques moments particulièrement douloureux, à la limite du hors jeu, qui expliquent sans doute notre humeur du jour. Lors de deux digressions oniriques pénibles et sans le moindre intérêt, Cédric Klapisch se présente comme le pendant français du regretté Lucio Fulci, le "poète du macabre" italien. Sauf qu'ici, l'effroi n'est guère provoqué par l'atmosphère sombre et lugubre savamment mise en place lors des scènes proprement dites, mais par la pulsion de mort et de destructivité qu'elles font naître insidieusement chez le spectateur qui n'était pas prêt à subir une telle épreuve. Ces deux cauchemars censés matérialiser les peurs intimes de nos tourtereaux en plein délire sont des moments ultra gênants, dénués de la moindre idée visuelle ou comique valable, des trous noirs qui nous saisissent à la gorge. Autre climax pour nos nerfs, cette non moins terrifiante parenthèse enchantée durant laquelle François Civil découvre les plaisirs d'avoir un petit chat chez lui. Il s'amuse à le surprendre en se cachant derrière la porte, lui fait des papouilles sur le lit, lui court après dans l'appartement, et ça dure, et ça dure. On le voit faire mumuse avec son chat pendant cinq minutes qui en paraissent vingt. C'est très embarrassant. Comment peut-on sérieusement filmer ça ? Le filmer, bon d'accord, admettons... Mais comment peut-on ensuite décider de garder ces scènes-là au sein d'un long métrage dont on sait qu'il sera diffusé en salles et proposé à un public constitué en écrasante majorité d'inconnus ? Qui cela peut bien amuser de payer pour assister à un si désolant spectacle ? On en vient nous-même à se sentir très seul, à se poser des questions existentielles, à s'interroger sur le sens de la vie et plus précisément sur la nature exacte du cinéma. Art ? Industrie ? Commerce ? Foutage de gueule ? Évidemment, dans un Klapisch, qui dit "chat" dit "chat perdu". L'idylle entre François Civil et son greffier ne dure pas bien longtemps. Une fenêtre restée ouverte et, hop, Nugget (c'est son p'tit nom) a disparu. On croit alors que les recherches vont être lancées dans tout le quartier par un Civil anéanti, avant que notre cinéaste fétiche ne se souvienne qu'il a déjà filmé ça il y a vingt ans. Il essaie de repousser le moment où il n'aura plus rien à dire, rappelez-vous !


Deux moi de Cédric Klapisch avec François Civil, Ana Girardot, Camille Cottin et François Berléand (2019)

22 septembre 2019

Une Intime conviction

Pour son premier long métrage, le réalisateur Antoine Raimbault s'est intéressé à l'affaire Suzanne Viguier, une disparition non élucidée qui donna lieu à deux procès, en 2009 et 2010, ayant à chaque fois abouti à l'acquittement du mari de la disparue, Jacques Viguier, soupçonné sans preuve solide à l'appui. Plus particulièrement, le cinéaste dépeint l'obsession d'une femme, Nora, personnage fictif, incarnée par Marina Foïs, jurée lors du premier procès et bien déterminée à démontrer l'innocence de l'accusé. Cuisinière de son état et mère célibataire d'un garçon d'une dizaine d'années, Nora va sacrifier vie professionnelle et familiale pour s'impliquer à fond dans le deuxième procès, en réussissant d'abord à convaincre l'avocat Eric Dupond-Moretti, joué par Olivier Gourmet, de défendre Jacques Viguier, quant à lui campé par Laurent Lucas. Sur un rythme soutenu et sans temps mort, nous suivons le combat clandestin de Nora dans sa quête de justice qui vire progressivement à l'obsession pure et dure. Proposant son aide à l'avocat, celui-ci n'hésite pas à la solliciter et à s'appuyer essentiellement sur ses trouvailles, réalisées au cours de ses longues écoutes d'enregistrements téléphoniques, mais leur travail en tandem ne se fera pas sans accrocs...





Antoine Raimbault parvient rapidement à nous captiver pour cette histoire, sans jamais user des viles ficelles d'émissions de télé racoleuses consacrées à ce type d'affaires judiciaires. Nous collons aux basques de Nora, nous sommes entraînés par son énergie et sa détermination hors norme. La mise en scène est simple et sans chichi, elle se consacre à l'essentiel et a surtout le grand mérite de ne pas tomber dans cet autre piège qui tendait les bras au réalisateur : une reconstitution par flashbacks des événements antérieurs marquants de cette affaire, comme le jour de la fameuse disparition ou le verdict du premier procès, qui aurait forcément nuit au dynamisme du récit. Le cinéaste fait preuve d'une certaine intelligence en donnant tout l'espace nécessaire à la parole et à ses acteurs, tous en grande forme.





On a rarement vu Marina Foïs aussi convaincante, on oublie complètement ses autres rôles et on ne voit qu'une bonne femme résolue, totalement absorbée par son enquête, prête à se mettre en danger pour que la vérité fasse jour, quitte à basculer dans le fantasme et à finir par désigner un autre coupable trop facilement. Face à elle, Olivier Gourmet est impressionnant, notamment lors de scènes de plaidoiries très réussies où nous sommes littéralement pendus à ses lèvres. Eric Dupond-Moretti peut se sentir sacrément honoré d'avoir été ainsi représenté à l'écran. Dans un rôle diamétralement opposé puisqu'il doit avoir trois petites lignes de dialogues en tout et pour tout, Laurent Lucas est impeccable, sa présence, son attitude, son regard trouble et perdu ont quelque chose de fascinant, d'insaisissable, tout ce qu'il fallait pour interpréter un tel personnage.





On suit tout ça avec entrain et on en ressort agréablement surpris d'avoir vu un film de procès français à l'efficacité indéniable. Après coup, on s'interrogera toutefois sur certains aspects du scénario, dont la morale n'est peut-être pas tout à fait irréprochable quand il jette le doute sur le personnage de l'amant à travers les conclusions d'une Nora devenue trop excessive et qui sera d'ailleurs violemment recadrée par Dupond-Moretti. On peut également se demander quel est l'intérêt d'avoir absolument voulu fabriquer un lien entre Nora et l'accusé, par l'intermédiaire du personnage de la jeune nounou, fille de Jacques Viguier. Ça ne sert pas à grand chose, le désir de justice du personnage principal paraissant avant tout gratuit, chevillé au corps suite à son implication dans le premier procès. Ces détails un peu gênants sont évidemment liés à la difficulté inhérente à l'adaptation d'une affaire judiciaire réelle, qui plus est récente, et aux écueils d'autant plus nombreux que cela induit. Par ailleurs, Antoine Raimbault s'en sort plutôt avec les honneurs et si son premier film ne marquera peut-être pas l'année cinématographique, il offre un regard assez intéressant sur les coulisses de la justice et nous maintient en haleine de bout en bout. 


Une Intime conviction d'Antoine Raimbault avec Marina Foïs, Olivier Gourmet et Laurent Lucas (2019)

17 septembre 2019

La Grande muraille

J'en ai vu une partie hier soir sur une chaîne merdique. C'était ignoble. Peut-être aurais-je dû découvrir cette énorme merde filmique sur grande lucarne (la muraille appelle la grande). J'aurais aimé découvrir cette fumisterie cinématographie, cette escroquerie audiovisuelle sur un écran 16000/9, pour vraiment kiffer toute l'horizontalité de la muraille. C'est peut-être la plus impressionnante bâtisse humaine, visible depuis la face cachée de la lune. Ce que l'homme a fait de plus ouf : un mur. Tristement d'actualité. Vous allez me dire qu'un écran 16000/9, ça fait du 16m sur 9mm, que j'aurais vu que dalle... En termes de verticalité peut-être, mais je vous rappelle que la muraille est horizontale. Et d'un autre côté elle suit le relief pas du tout à l'équerre de la montagne.... un pur casse-tête chinois !


La Grande muraille de Zhang Yimou avec Matt Damon (2017)

15 septembre 2019

The Meyerowitz Stories

En tant que blogueurs ciné professionnels, nous carburons au rythme infernal de 2,5 voire 3 films vus par mois. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours critiquer tout ce que nous regardons. Ars longa, vita brevis, comme l'aurait dit Jules César en 45. Certains films passent ainsi à la trappe, nous les avons bel et bien vus, mais nous vous en disons mot. The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach fait hélas partie du lot : il est passé entre les mailles, ou plutôt, il a su éviter les balles. L'un de nos plus fidèles lecteurs, au courant de la chose car suivant de très près notre activité sur les réseaux sociaux, vient de nous envoyer ce mail édifiant que je vous copie-colle tel quel :

"Bonjour,
J'ai appris que vous aviez vu The MEYEROWITZ Stories de Yannick Noah BAUMBACH.
Pouvez-vous, s'il vous plaît, me faire parvenir la méthode qui vous a permis de tenir plus de 20 minutes devant ce film sans (réponses à choix multiple) :
- casser votre téléviseur dernier cri ?
- subir des violences de la part des personnes qui vont ont fait confiance lorsque vous avez annoncé, en début de soirée, "j'ai un bon p'tit film à regarder ensemble, ça vous dirait ?"
- rompre avec votre compagne/compagnon ?
- vous désabonner immédiatement de Netflix ?
Merci par avance de vos réponses."




Nous notons beaucoup de colère entre ces lignes, et une certaine sagacité... Notre réponse ne fait pas partie des choix proposés, cher lecteur. Blogueur ciné est un métier et nous devons savoir garder notre sang froid, même devant un film de Noah Baumbach. Il s'agissait, il est vrai, d'une véritable épreuve, mais nous avons su la surmonter dans le calme, sans fracas. Je précise toutefois que nous n'avons pas d'abonnement Netflix, ni de téléviseur à proprement parler, ni de compagnon et encore moins d'amis avec lesquels nous aurions pu voir cet outrage au 7ème Art. Voici notre conseil : après un tel film, une telle épreuve, vous vous trouvez dans une situation de Syndrôme de Stress Post-Traumatique (PTSD en anglais). Bref, c'est comme si vous reveniez d'une illégitime invasion de l'Irak, des souvenirs plus morbides les uns que les autres plein la tronche... Par conséquent, nous ne saurions que trop vous conseiller de faire une coupure nette vis à vis du médium cinéma/télévision et de vous consacrer à la boustifaille, voire aux jeux de plateau.


The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach avec Adam Sandler, Ben Stiller et Dustin Hoffman (2017)

11 septembre 2019

L'Épée Bijomaru

Petit film, parce que court, à peine plus d'une heure, restrictions par temps de guère obligent ; même le générique d'ouverture est expédié. Parce que contraint, pour la même raison, le cinéma japonais de 1945 devant louer les avantages de la guerre et les mérites des mâles guerriers, ce que Mizoguchi ne peut se résoudre à faire puisque les nobles hommes de sabre de son film sont orgueilleux et stupides et que l'épée parfaite trouve son inspiration chez une femme qui règle ses comptes elle-même et choisit finalement son amant. Parce que reposant sur un scénario relativement maigre, aussi : un apprenti-forgeron, Kiyone, façonne un sabre pour son maître, Onoda, mais ce dernier se voit déshonoré par son seigneur lorsque ledit sabre se brise à la première échauffourée, puis se fait tuer par Naito, qui exigeait la main de sa fille Sasae ; alors le forgeron, avec l'aide d'un ami, n'aura de cesse que de fabriquer le sabre parfait qui servira à venger son seigneur, le père de Sasae, celle qu'il aime.




Et si le combat final, tout en travelling latéral, contrastant avec un film jusqu'alors composé de plans larges très fixes, et opposant la jeune Sasae, aidée des deux forgerons, à Naito, l'assassin de son père, fait office de morceau de bravoure (sans trop s'arrêter sur des effets spéciaux à l'image du budget), c'est la longue séquence de la fabrication du sabre, divisée en multiples tentatives, qui fait la beauté du film. Mizoguchi enchaîne plusieurs série de plans répétitifs dans une boucle qui répond aux gestes alternés du forgeron (plonger la lame dans le four et actionner plusieurs fois le soufflet, sortir la lame et la poser sur l'enclume, frapper dessus à tour de rôle et en rythme avec son associé, retirer la lame de l'enclume, la replonger dans le four, actionner le soufflet plusieurs fois, sortir la lame, la poser sur l'enclume, frapper dessus à tour de rôle... et au bout de l'épreuve de force, sortir, tester la résistance et le tranchant de la lame sur un casque). La quête de perfection du forgeron peut bien sûr renvoyer à celle de Mizoguchi lui-même, que ses collaborateurs lui reprochaient souvent, ce qui avait le don de l'irriter, et qui a de toute évidence contribué à l'extrême beauté de nombre de ses films. Mais c'est surtout le temps prêté par le cinéaste à la précision des gestes de celui qui travaille son objet avec patience et acharnement qui me touche, et me fait penser au labeur du couple de paysans dans L'île nue de Kaneto Shindō (qui fut assistant et grand admirateur de Mizoguchi).




Cette longue séquence trouve aussi sa puissance dans le mélange des genres qu'elle opère. Elle relève a priori du documentaire, la caméra tâchant de restituer dans la durée la vérité des gestes d'un artisan et son savoir-faire. Pourtant c'est dans cette séquence, où la fiction est presque oubliée, que Mizoguchi introduit l'élément le plus fantastique qui soit, et le seul du film : une apparition. Il n'est sans doute pas si commun, au cinéma, qu'apparaisse le fantôme d'un personnage bien vivant. C'est ce qui se passe ici. Au moment où, alors que le résultat tant espéré se profilait, l'assistant du forgeron flanche et s'écroule, épuisé, le fantôme translucide de la vaillante Sasae apparaît et prend sa place, frappant du marteau sur l'acier incandescent en cadence avec le forgeron. Ce mélange des genres, qui surprend un bref instant mais se veut réalisé avec une telle simplicité que bientôt la notion de genre elle-même tend à s'effacer, sera plus tard au cœur du plus grand film de Kenji Mizoguchi, Les Contes de la lune vague après la pluie, où le récit terriblement réaliste de la destruction d'une famille par la guerre est troué par une bulle fantastique, une histoire de fantôme, là encore. Mais dans L'épée Bijomaru, le fantôme n'est pas une sorcière, n'est pas Calypso, c'est l'esprit de la femme aimée qui vient contribuer au labeur qu'elle inspire, et qui bientôt s'incarnera dans un objet libérateur et permettra aux deux amants de s'en aller sur les eaux, en paix et amoureux.


L'épée Bijomaru de Kenji Mizoguchi avec Isuzu Yamada et Shôtarô Hanayagi (1945)

8 septembre 2019

Across 110th Street

Dès les premières secondes, on est dans le bain ! Nous suivons une petite bande de truands parcourant les rues délaissés des quartiers noirs de New York dans une vieille bagnole amochée. Tout cela sur le rythme entraînant de la superbe chanson-titre de Bobby Womack, dont la notoriété a depuis dépassé celle du film puisqu'elle figure également sur la bande originale du Jackie Brown de Quentin Tarantino. La réalisation de Barry Shear est nerveuse, sèche, énergique et a le don de nous scotcher d'entrée de jeu. Déguisés en policiers, trois jeunes voleurs dérobent une somme astronomique à la Mafia, laissant derrière eux de nombreux cadavres, dont quelques flics. Une course contre la montre s'engage alors entre la Mafia et les forces de l'ordre, chaque partie étant tout ce qu'il a de plus déterminée à mettre le grappin sur les trois cambrioleurs. William Pope (Yaphet Kotto), jeune lieutenant noir de la police new-yorkaise, est engagé sur l'affaire. Il est amené à travailler avec le capitaine Mattelli (Anthony Quinn), un vieux flic chevronné un brin raciste et aux méthodes assez douteuses...




Across 110th Street, souvent considéré comme l'un des meilleurs films de la blaxploitation des années 70, dépasse allègrement la mouvance dans laquelle il s'inscrit. Barry Shear, dont nous constatons avec stupeur qu'il s'est consacré à travailler pour le petit écran et qu'il n'a visiblement rien signé de marquant par la suite, nous livre un polar racé, d'une efficacité redoutable, qui n'a même pas pris une ride. Le rythme est parfaitement calculé, tout s'enchaîne superbement. Nous prenons un malin plaisir à voir le scénario se dérouler de manière implacable sous nos yeux, nous proposant un défilé de tronches réjouissant (les acteurs sont parfaits) et faisant fi d'un budget que l'on imagine très réduit. Il y a même quelque chose de très actuel dans cette façon, si directe et limpide, de filmer une histoire aussi simple, dont nous comprenons parfaitement les enjeux, tout en nous montrant sans détour la réalité des quartiers pauvres de New York. La conclusion, une course-poursuite sur les toits de Harlem, est terriblement haletante. Et la dernière image, particulièrement cruelle, laisse même une impression durable. En bref, un film réussi de bout en bout, qui gagne à être redécouvert !


Across 110th Street (Meurtres dans la 110ème rue) de Barry Shear avec Yaphet Kotto, Anthony Quinn et Anthony Franciosa (1972)

3 septembre 2019

Criminal Squad

Criminal Squad est long (2h30 !), se passe à Los Angeles et oppose une petite équipe de flics à cran à une bande de braqueurs de banques particulièrement méthodiques. Devinez donc à quel autre film policier américain celui-ci est systématiquement comparé ? Facile ! Heat, bien sûr ! Le film de Michael Mann est clairement la plus grande source d'inspiration de Christian Gudegast, qui cherche aussi à s'intéresser aux vies intimes et familiales de ses personnages, qu'ils se situent du bon ou du mauvais côté de la loi (la frontière est mince, nous apprend le cinéaste, merci pour ce scoop d'enfer, a-t-on envie de lui répondre). A la tête de la team de la LAPD, nous retrouvons le gros Gerad Butler en flic alcoolo, au visage plus buriné que jamais. Le mec est en plein divorce et traverse une bien mauvaise passe. L'acteur écossais trouve peut-être là son meilleur rôle, ce qui en dit très long sur sa brillante carrière...





Curieusement, les meilleures scènes du film sont justement celles qui nous proposent d'assister à quelques épisodes glaçants de la vie de ces hommes, des vrais durs. Chris Gudegast nous offre alors quelques beaux moments d'un humour (plus ou moins volontaire) réjouissant. Je repense par exemple à ce gangster (auquel un énorme Fifty Cent prête ses traits délicats) qui surveille sa fille de très près et met en garde son nouveau petit-copain aux dangers auxquels il s'expose en cas de mauvaise conduite en lui présentant ses potes ultra baraqués. C'est d'un niveau... Bien entendu, la femme est toujours réduite à un rôle merveilleux, là-dedans. Elles compliquent seulement la vie de ces types absorbés par leur tâches et qui ont des problèmes bien plus sérieux à régler. Dans un registre plus grave mais tout aussi amusant, les altercations entre Gerard Butler et sa femme sont de purs moments de bonheur. Butler fout tout le monde mal à l'aise, toujours à deux doigts d'exploser, de péter les plombs pour de bon !





Côté action, le film déçoit lourdement. Le climax de ces 2h30 laborieuses est une pauvre fusillade sur le périph', en plein bouchon, très statique et pauvre en tension. Assez peu à l'aise quand il s'agit de faire autre chose que des plans aériens de la cité des anges, Chris Gudegast se contente alors de nous montrer un tireur vider son chargeur, puis un autre, et ainsi de suite, sans le moindre effet sur le spectateur. En revanche, côté sonore, il n'y va pas de main morte ! Ça pétarade sec, les bruitages sont soignés, on sent qu'il s'agit des détonations propres à chaque type de flingue. Les experts pourront confirmer ! Ça participera peut-être à contenter les moins exigeants... Le film a longtemps flirté avec le 8/10 sur IMDb !





Criminal Squad se veut ample, épique, réaliste, dur. Christian Gudegast, pour son premier long métrage, a beau s'appliquer par intermittence, en filmant notamment Los Angeles avec une certaine fascination, il ne parvient pas bien longtemps à faire illusion, faute à un scénario finalement très mince et à de trop nombreux plot holes. Un twist assez crétin vient même transformer tout ça en une simple histoire d'arnaque à la con. Au bout du compte, on est plus proche d'un Fast & Furious moins cylindré et plus urbain, voire d'un Triple Nine de sinistre mémoire, que d'un digne rejeton du sacro-saint Heat. Le film ayant toutefois bien marché, une suite est d'ores et déjà en chantier. Je ne répondrai sans doute pas présent. J'ai eu la désagréable sensation d'avoir perdu beaucoup de temps devant ça. Je suis un cinéphage, je me nourris littéralement de films, j'en suis accro, et Christian Gudegast a réussi à me mettre à la diète pendant deux jours.


Criminal Squad (Den of Thieves) de Christian Gudegast avec Gerad Butler, Pablo Schreiber, O'Shea Jackson Jr. et 50 Cent (2018)