29 décembre 2018

Danse avec les loups

Il y a mille choses à dire sur ce petit classique des fêtes de fin d'année. J'ai déjà dit mon admiration pour Kevin Costner et pour ce film en particulier dans un article consacré à Swing Vote (article sur lequel personne au monde n'est jamais tombé, même en faisant une quelconque recherche Google et par pur hasard). Nous avons même évoqué notre goût pour cette affiche de cinéma mille fois imitée, jamais égalée (crève Philippe Lioret). Je ne vais pas recommencer et me répéter. On peut ergoter cent ans sur chaque scène de cette fresque humaniste qui sent bon le fétu de paille et qui a tout dit du génocide amérindien. Dès la première séquence le génie de son metteur en scène et acteur vedette s'exprime, où l'on voit toute une armée de nordistes et toute une armée de sudistes rater un seul homme chevauchant au ralenti et les bras en croix à portée de tir, comme à la parade, séquence qui explique en quelques minutes et sans détour les cinq années que dura la guerre de sécession et le nombre de ses victimes = zéro. On peut aussi trouver à redire sur ce film (les pisse-vinaigre s'en donneront à cœur joie), et dénoncer avec la meute le massacre, orchestré par Costner et sa bande, de 90% de la population survivante des bisons d'Amérique pour les besoins d'une scène d'anthologie où les Sioux font ce qu'on appelle un carton plein sur des bestiaux plus du tout habitués à se faire cribler de balles par tout un safari géant de malades sanguinaires armés jusqu'aux dents et perchés sur des Jeeps Renegade déguisées en chevaux.




Mais ce qui me touche, moi, dans ce film, ce sont les relations qu'il tisse entre ses personnages. Je suis toujours sensible, à la vie comme à l'écran, aux relations homme-mec, et ce film en foisonne. De belles rencontres et de grandes amitiés, voilà ce que filme avant tout Kevin Costner. Et je n'oublierai jamais, outre la danse du bellâtre autour d'un feu de camp, outre la mort tragique de son cheval et de son leup, outre celle, flamboyante, de Wes Studi, farouche Pawnee, je n'oublierai jamais les adieux que s'adressent John G. Dunbar et ses amis indiens, à la fin des 4h30 de la version longue du film (l'équivalent de l'entracte du documentaire de 500 heures consacré par sieur Costner aux natifs du continent austral : 500 Nations, à raison d'une heure par nation indienne chérie). C'est d'abord Oiseau Bondissant, qui, en gage de souvenir impérissable, propose à son homologue blanc une "bonne pipe". Puis Cheveux Aux Vents, qui hurle son nom indien à Dunbar, aka Šuŋgmánitu Tȟáŋka Ób Wačhí, sis sur son canasson, au sommet d'une montagne enneigée, à une plaque de verglas du trépas, rameutant par le fait toute l'armée Yankee qui n'a qu'à suivre ses cris pour venir décimer les derniers dignes représentants du peuple des plaines. "Sais-tu que tu es mon ami ? Sais-tu que tu seras toujours mon ami ?" Les larmes... Une par nation...


Danse avec les loups de Kevin Costner avec Kevin Costner, Wes Studi, Graham Greene et Mary McDonnell (1990)

26 décembre 2018

Hitman & Bodyguard

Il n'y a franchement pas grand chose à dire sur ce film, nouvel essai non concluant de buddy movie comme les américains savaient en produire dans les années 80 et 90 mais dont ils ont depuis longtemps oublié la recette. Ryan Reynolds et Samuel L. Jackson sont supposés faire la paire dans ce film d'action au scénario en roues libres dont on se contrefiche du début à la fin. En gros, Ryan Reynolds est ici une sorte de garde du corps qui a pour mission d'escorter un tueur à gages, Samuel L. Jackson, jusqu'au tribunal de La Haye afin que celui-ci puisse témoigner sur les exactions d'un dictateur biélorusse sanguinaire joué par un très triste Gary Odlman. Alors que le script devrait nous proposer une course contre la montre trépidante, puisque nos deux hommes sont pourchassés à la fois par Interpol et les agents du dictateur tandis qu'ils doivent arriver au tribunal en un temps limité, nous sommes en présence d'un gloubiboulga indigeste, sans queue ni tête, dont les scènes d'action, qui veulent pourtant nous en mettre plein la vue, sont particulièrement pénibles. A aucun moment nous ne nous intéressons à ces deux personnages inexistants qui pourraient tout à fait être de nouveaux super-héros tant ils ont les mêmes pouvoirs (illimités) et le même sens de l'humour (très limité). Infaillibles, invincibles, ils accumulent les cadavres de pauv' types anonymes sur leur passage lors de fusillades et de poursuites sans aucun enjeu ni suspense.




C'est quand même dommage de voir la trajectoire qu'a pris la carrière de Patrick Hughes, ce cinéaste australien qui avait débuté par un western plutôt prometteur, Red Hill, avant de devenir un yes man lamentable à Hollywood. Si sa réalisation n'a pas d'âme, les acteurs ne parviennent jamais à donner le moindre intérêt à ce foutoir hideux. Ryan Reynolds est dénué de tout charisme et fait preuve d'un potentiel comique proche du zéro absolu. C'est un véritable boulet, à peine bon pour pavaner dans des pubs pour fringues ou parfums minables. Quant à Samuel L. Jackson, s'il est, je crois, la vedette qui cumule le plus de millions de dollars de recette au box office, il serait intéressant d'analyser sa filmographie de près pour en dresser un bilan qualitatif et non quantitatif. Il y aurait de quoi chialer des jours entiers. Et puis l'on retrouve donc Gary Oldman, qui tourne comme on pointe à l'usine et ne sera décidément jamais fatigué de faire le guignol dans de telles daubes. Lui aussi, tel Samuel L. Jackson, il a beau être "cool", son crédit va finir par s'épuiser totalement à force d'aligner les immondices de cet acabit. Enfin, sachez que l'on croise également Salma Hayek, dans un second rôle se voulant comique, qui prouve ici que le ridicule ne tue pas. 




Face à un spectacle si lassant et semblant s'attacher coûte que coûte à laisser nos neurones au repos, notre esprit divague et se focalise sur des détails inhabituels. Détail ? Peut-être pas. Devant Hitman & Bodyguard, j'ai été particulièrement sensible à la laideur absolue de la photographie, de la lumière. Comment peut-on encore supporter de tels films ? Lors des scènes supposées se dérouler la nuit, on devine des spots énormes, hors cadre (de justesse !), éclairer les acteurs, pratiquement comme en plein jour, sous une lumière blanche irréelle. Quand ils sont en voiture, nos deux zigotos ont toujours les tronches qui baignent dans un halo de lumière jaunâtre provenant d'on ne sait où (d'autant plus que l'un des gimmicks du film est que Ryan Reynolds choisit systématiquement des carrosses jugés lamentables par son compète - en réalité des bagnoles tout à fait recommandables). Lors de l'affrontement final entre Samuel L. Jackson et Gary Oldman sur le toit d'un immeuble, le premier est filmé en légère contre-plongée et nous le voyons alors enveloppé d'une lumière crémeuse abominable qui mange sa silhouette. C'est tout bonnement dégueulasse. Pratiquement toutes les grosses productions américaines actuelles ont ces couleurs, ces lumières, comme la plupart des séries télé, et on ne les remarque même plus tant c'est devenu la norme. Quelle tristesse. Hitman & Bodyguard nous offre seulement une nouvelle occasion de faire cet accablant constat et de nous apitoyer encore sur le triste sort d'un certain cinéma de divertissement US, porté disparu.


Hitman & Bodyguard de Patrick Hughes avec Ryan Reynolds, Samuel L. Jackson et Gary Oldman (2017)

23 décembre 2018

Searching : portée disparue

Searching a été un véritable phénomène outre-Atlantique : un petit million de dollars de budget pour plus de soixante-dix millions amassés au box-office, le premier long métrage d'Aneesh Chaganty a également remporté quelques prix au festival de Sundance et a été littéralement couvert d'éloges par la critique US. J'ai donc regardé d'un œil curieux ce thriller conceptuel à haut risque qui choisit de tout nous montrer par l'intermédiaire d'écrans d'ordinateurs, de téléphones ou de caméras de surveillance. Searching est en effet ce que les spécialistes américains appellent un "computer screen film" ou "dekstop film", sous-genre issu du found footage qui s'est développé durant les années 2010. Pour nous raconter l'histoire de ce père esseulé qui enquête sur la disparition mystérieuse de sa fille, Aneesh Chaganty ne dévie à aucun moment de ce concept, pourtant très restrictif et dangereux.


"La perfection absolue" selon Slash Films

Comme si nous avions la tête toujours vissée au-dessus de l'épaule de ce papa aux abois, on suit donc le curseur de sa souris au grès de ses allées et venues sur différentes sessions Windows ou sur Google, ses conversations Face Time avec les potes de sa fille ou son frère, ses errances sur les réseaux sociaux, etc. Heureusement, le gars est plutôt débrouillard et a du matos solide. Avec ma mère dans le rôle principal, cela aurait été un vrai supplice. A l'écran, le résultat est forcément assez laid et manque parfois de crédibilité : pour que l'on garde en vue la tronche du papa, campé par un John Cho convaincant, celui-ci laisse quasi constamment tourner son Face Time, une façon assez grossière de parer à l'interdit du contre-champ.


"Digne de Hitchcock" selon The Playlist

Force est de constater que, malgré ce concept très limité, on est assez rapidement accroché par le scénario d'Aneesh Chaganty, bien rythmé et si riche en rebondissements que l'on arrive à dépasser la laideur esthétique du film et à suivre cela sans souci. Le jeune réalisateur (tout juste 28 ans) réussit donc son coup en visant le divertissement avant tout, quitte à désamorcer un moment de suspense par une pirouette humoristique bien sentie (le fan de Justin Bieber !). En fin de compte, Searching est un tout petit film plutôt malin et assez divertissant, mais qui ne mérite en rien les dithyrambes et qui prouve peut-être que le grand public se fiche désormais pas mal de la tronche du produit proposé tant que celui-ci lui permet de s'évader pendant 90 minutes. Un assez triste constat.


Searching : portée disparue d'Aneesh Chaganty avec John Cho et son ordi (2018)

17 décembre 2018

500 Nations

Marre de la dictature du 16/9 ! Kevin Costner, dans son formidable documentaire 500 Nations (prononcez tou saouzande néchyeuns), a décidé de prendre tout le monde à contre-pied : il a choisi de nous présenter des "native americans" en format 4/3 ! A l'aube du dernier millénaire, suite à la course aux armements, avec 10 dollars en poche et une grande histoire à raconter, muni d'une caméra DV dernier cri et de son courage porté en bandoulière, avec l'assurance des gens qui savent dire "non !" au moment crucial, suite aux débordements de Tien-Han-Men et à quelques encablures du Viet-Nam, les deux pieds bien plantés dans son assurance, les mains fermement agrippées à sa détermination et, surtout, par dessus tout, au delà de tout, la peur au ventre, Kevin Costner a décidé de retourner danser avec les leups pour rendre hommage à la peuplade qui l'a mené au sommet d'Hollywood ! L'acteur vedette nous donne sa version de l'Histoire des indiens d'Amérique du Nord, de la période précolombienne jusqu'à la fin du XIXe siècle, et il prend son temps : 385 minutes réparties sur 8 galettes dvd ! Costner déblatère à en perdre le souffle et on l'écoute les larmes aux yeux. Ce documentaire fleuve est disponible à la fnac pour la bagatelle de 85 euros.





500 Nations de Kevin Costner avec Kevin Costner et Wes Studi (1995)

13 décembre 2018

Mon Garçon

Le gamin de Guillaume Canet et Mélanie Laurent se fait enlever dans une réserve indienne alors qu'il était en colonie de vacances. A bout, Guillaume Canet décide de mener l'enquête lui-même et part, désespéré, à la recherche de son fils dans les beaux paysages enneigés du Vercors. Voici le pitch de Mon Garçon, le cinquième long métrage de Christian Carion à qui l'on doit également Une Hirondelle a fait le printemps, Joyeux Noël et En Mai, fais ce qu'il te plaît (du coup, moi, j'ai pas maté son film !). Bien qu'il ne sache pas monter à cheval, Christian Carion est Chevalier de la Légion d'honneur. Il fait partie de ces grands mystères du cinéma français, ces réalisateurs médiocres tout de même capables d'attirer dans leurs projets des "vedettes" (notez les guillemets). Guillaume Canet, Michel Serrault, Mathilde Seigner, Mélanie Laurent, Diane Krüger, Dany Boon, Emir Kusturica, Willem Dafoe, Alexandra Maria Lara, Niels Arestrup, Olivier Gourmet... tous ces gens ont défilé devant la caméra de Christian Carion, se mettant au service de ses scénarios minables, parfois même à plusieurs reprises. Comment est-ce possible ? Je laisse la question en suspend...





Mon Garçon nous propose donc d'assister à la détresse de Guillaume Canet. Bien décidé à gagner des oinps auprès de son ex-femme, sa rage lui ordonne de se faire justice lui-même. Nous le suivons donc dans son entreprise, très américaine, de vengeance. Après avoir repéré une voiture présente dans deux vidéos amateurs prises lors du départ en colonie du gamin, il retrouve immédiatement la piste des kidnappeurs à partir de la plaque d'immatriculation. Facile. Une fois arrivé au domicile du kidnappeur, nous avons droit à une scène mémorable de torture au chalumeau administrée par un Guillaume Canet enragé sur un pauv' type qui tient à garder le silence et ne livre aucune info, lui qui n'est qu'un maillon sans importance d'un vaste système de trafic de gosses. Cette scène-là vaut le coup car elle nous offre le spectacle d'un acteur poussé dans ses derniers retranchements. C'est la troisième collaboration entre Canet et Carion. Le réalisateur a demandé à son acteur d'improviser chacun de ses dialogues, chacune de ses réactions, selon le contexte et la situation. Quand Canet a vu ce poste de soudage équipé Oxyflam, son sang n'a donc fait qu'un tour : il s'est mis à menacer sa victime de lui cramer le ièp après lui avoir retiré, difficilement, sa godasse. Avant cela, l'acteur avait bien essayé de le faire causer par la menace verbale dans des interjections riches en insultes mais sans effet notable. "Enculé de ta race tu vas me dire où est mon garçon !" On remarque alors que Guillaume Canet insulte volontiers les races de ses semblables et qu'il est alors particulièrement ridicule.





Autre scène, plus tôt dans le film, autre performance de choix : celle de Mélanie Laurent qui, anéantie par la disparition de son fils et navrée par les agissements de son ex-mari, se met à hurler contre lui, après que celui-ci s'en soit pris à son nouveau compagnon (résultat des courses : deux côtes cassées et un séjour à l'hosto) qu'il accusait d'être dans le coup. Mélanie Laurent perd alors sa voix et se met à crier des dialogues infâmes en flirtant avec les ultrasons. Quiconque matera ce film avec son animal de compagnie au pied du canapé le verra fuir la pièce en toute hâte devant un spectacle aussi pénible pour leurs sensibles oreilles. Recherchant visiblement le réalisme à tout prix, Mélanie Laurent en oublie notre bien-être et prouve de nouveau toute sa bêtise. La dernière partie du film nous propose de voir Canet dégonfler un pneu de 4x4 (c'est long...) puis s'en prendre à chaque ravisseur à coups de club de golf. Quand il retrouve enfin son gosse, on se dit putain... tout ça pour ça ? Pour une telle erreur de la nature ? Pour cet avorton à peine humain ?





Alors que l'on croit avoir assisté au pire, Mon Garçon se conclut sur une scène surréaliste dans laquelle toute la petite famille est réunie au grand complet et joue ensemble au frisbee, dans un très joli décor immaculé et ensoleillé que Chris Carion croit embellir encore en filmant à contre-jour, le soleil inondant le cadre. Plus ridicule encore : Mélanie Laurent et Guillaume Canet commentent chacun de leurs lancers via des dialogues improbables ! "Oh, de la main gauche, joliiiii !", dit un Canet débordant d'un enthousiasme très forcé à son fils si problématique, heureux qu'il soit atteint de la même pathologie que lui. "Magnifique échange... C'est ce qu'on appelle un magnifique échange" ajoute Laurent, hilare sans motif valable, et Canet de répondre un incompréhensible "Elle va écrire des bouquins ta mère maintenant...". Ça laisse vraiment sans voix ! "J'ai eu un peu peur quand même..." précise ensuite Canet après avoir manqué de recevoir le frisbee en travers la gueule. C'est surréaliste !





Cette scène finale échappe aux mots. La légende raconte que la petite troupe devait initialement jouer au cerf-volant mais, face à l'absence total du moindre courant d'air le jour du tournage, le gamin a proposé le frisbee ! Quand on voit le résultat à l'écran, nous ne pouvons que nous réjouir que les éléments se soient mobilisés contre ce film. L'arrivée des flics vient conclure ce douloureux épilogue comme pour nous rappeler que nous sommes devant un film français et non américain : ils embarquent Guillaume Canet, qui a tout de même laissé trois ou quatre cadavres dans son sillage pour récupérer son morbac... Dans la catégorie "film français avec un acteur constamment à cran et en roue libre cherchant à se faire justice lui-même", Mon Garçon se pose là mais n'arrive tout de même pas à la cheville de Blanc Comme Neige, ce sommet d'humour involontaire porté par la frénésie d'un François Cluzet au top de sa forme.


Mon Garçon de Christian Carion avec Guillaume Canet et Mélanie Laurent (2017)

8 décembre 2018

Cinderella Liberty

Titre plutôt méconnu du cinéma américain des années 70, Cinderella Liberty, platement transformé en Permission d'aimer en VF, est tiré d'un scénario écrit par Darryl Poniscan et adapté de son propre roman. Cet auteur est la personne idéale quand il s'agit de nous raconter de poignantes histoires de marins de l'US Navy puisqu'il avait également inspiré l'inoubliable The Last Detail de Hal Ashby ainsi que sa suite spirituelle, Last Flag Flying, transposé avec nettement moins de bonheur à l'écran l'an passé par Richard Linklater. Le film de Mark Rydell se présente comme un très beau compagnon au chef d'œuvre de Hal Ashby sorti la même année. Il se concentre non pas sur une nouvelle histoire d'amitié entre marines mais sur une très belle et simple romance, celle que vont vivre deux personnages attachants campés par des acteurs au meilleur de leur forme, James Caan et Marsha Mason.





Immobilisé à la base navale de Seattle à cause d'un souci de santé peu glorieux (un kyste pilonidal), John Baggs (James Caan) fait la rencontre de la jolie Maggie (Marsha Mason) dans un bar des quartiers animés de la ville lors d'une "cinderella liberty" (dans le jargon militaire, une permission de sortie s'achevant à minuit). Après avoir passé un premier bout de nuit avec elle, John tombe rapidement amoureux de cette femme sans le sou, prostituée aux mœurs légères et mère d'un garçon noir de 13 ans qui aurait bien besoin d'être un peu recadré. Nous suivons avec plaisir cette jolie histoire d'amour, contrariée par la malchance et parasitée par les péripéties de Baggs (dossier perdu par l'administration militaire, corvées pénibles à effectuer en binôme avec un collègue pot-de-colle trop causant, etc).





Le film fonctionne à plein régime car nous croyons à la sincérité des sentiments qu'éprouve John pour Maggie. Comme face à un film romantique réussi, nous avons juste envie de voir les deux personnages heureux ensemble. James Caan donne subtilement vie à cet officier de l'US Navy qui cherche simplement à s'occuper de la femme dont il est tombé amoureux mais aussi de son garçon, par pure bienveillance, prenant leurs problèmes à bras le corps et essayant de les aider autant qu'il peut, sans doute animé par le noble désir de fonder une famille et de réussir ce que sa vie militaire lui a jusque-là rendu impossible. L'acteur reconnaît avoir fait quelques mauvais choix suite à sa consécration dans Le Parrain mais il n'oublie jamais de mentionner le film de Mark Rydell comme une exception, il en est très fier et l'on comprend aisément pourquoi. Il y trouve à l'évidence l'un de ses plus beaux rôles.





Cinderella Liberty apparaît également comme une conjugaison de talents particulièrement harmonieuse puisque le générique est l'étonnante réunion de quelques grands noms, au-delà des acteurs comme Burt Young et Eli Wallach que nous retrouvons avec joie dans des seconds rôles sympathiques. La musique est ainsi signée John Williams, dans un registre inhabituel loin de ses envolées lyriques spielberguiennes. Surtout, le grand Vilmos Zsgimond, au sommet de son art, officie au poste de directeur photo et ce dernier y est sans doute pour beaucoup dans l'allure du film, un vrai régal pour les yeux, magnifiant notamment les couleurs de la ville la nuit. Quant à Mark Rydell, dont je n'avais vu que La Maison du Lac sans en garder le souvenir d'un film esthétiquement très marquant mais plutôt de belles performances d'acteurs, il s'avère ici très inspiré et nous offre quelques beaux moments où sa mise en scène est d'une fluidité bluffante.





Évidemment, on retrouve un peu le même ton que dans The Last Detail et son doux voile mélancolique, avec quelques scènes assez amusantes mêlées à des événements bien plus douloureux, mais on ne pense pas vraiment à cette petite cuisine tant tout paraît naturel, à la différence des films indé actuels qui donnent cette désagréable impression d'alterner mécaniquement ces registres pour forcer l'adhésion du spectateur, sans le moindre effet si ce n'est de nous agacer. Tout est ici cohérent et juste, Mark Rydell semble simplement saisir la vie de ses personnages dans ce qu'elle peut tour à tour avoir d'heureux ou de triste. Le second rôle joué par Eli Wallach cristallise bien ces nuances et ces différentes facettes. Sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, John Baggs passe une longue partie du film à la recherche d'un dénommé Forshay (Eli Wallach donc), il demande régulièrement aux secrétaires de sa base où il pourrait se trouver, etc. On s'imagine qu'il s'agit d'un ami qu'il espère retrouver bientôt ou quelque chose comme ça. Mais quand il tombe enfin dessus, tout à fait par hasard, Baggs veut immédiatement lui faire la peau ! On comprend alors que Forshay était le sergent-instructeur de Baggs lors de ses premières années dans l'armée et qu'il lui a rendu la vie impossible.





Après leurs retrouvailles tendues, une chouette scène nous montre James Caan l'interroger, le sourire crispé aux lèvres, au sujet de leur passé commun. "Tu te souviens de cette fois où tu m'as fait passer la nuit dehors par moins 15 ? A surveiller des poubelles sans raison ? J'ai fini par m'y planquer pour avoir un peu chaud, une nuit à me les geler dans une poubelle, pour des conneries...", on sent qu'il est prêt à exploser. Les deux hommes finissent par se lier d'amitié dans une relation émouvante ou l'un et l'autre échangeront à propos de ce à côté de quoi ils sont passés, de la vie qu'ils ont choisie, etc. Forshay aura même un rôle décisif à la toute fin, nous quittant sur une dernière pirouette qui permet à son acolyte de voir le futur avec un plus grand optimisme. Bref, vous l'aurez compris : tous les ingrédients sont réunis pour faire de Cinderella Liberty l'une de ces pépites du Nouvel Hollywood qui valent vraiment le coup d’œil.


Cinderella Liberty (Permission d'aimer) de Mark Rydell avec James Caan et Marsha Mason (1973)

4 décembre 2018

Certaines femmes

Kelly Reichardt continue son petit bonhomme de chemin, en nous emportant dans son sillage. Certain Women réunit un casting d'exception, la fine fleur du cinéma indépendant américain : Kristen Stewart, Laura Dern, Michelle Williams. Ces actrices sont toutes passées par les douleurs du cinéma hollywoodien à grand spectacle et se blottissent l'une contre l'autre sous le bras bienveillant de la papesse du cinéma indépendant US actuel. Nous avons vu ce film il y a dix mois, et nous n'avons aucune envie irrépressible de le revoir, mais à la sortie de la séance, nous affirmions sans ciller avoir vu un grand film, à la hauteur de l'estime que nous portons depuis ses débuts à la cinéaste. Depuis, il y a eu de nombreux débats au sein de la réaction (c'est-à-dire entre nous deux, entre quatre yeux et deux murs), quant à la vraie valeur de ce film. L'un de nous a cru clore le débat en demandant tout haut quelle eût été notre réaction face au même film réalisé par David Gordon Green (ce fumier qui, entre nous soit dit, serait totalement infoutu de tourner ce film, n'étant du reste capable que de chier des merdes). Or, on ne s'en tirera pas comme ça, Certain Women est un film de Kelly Reichardt et de personne d'autre. Elle a quand même une sacrée patte, une pasta con leche.





Certain Women est à ranger dans la catégorie des films à sketchs, même si le terme "sketch", habituellement relié à l'idée d'humour, n'est pas tellement de mise. Nous suivons trois histoires, quatre femmes, cinq répliques (film peu bavard). Nous avons vraiment adoré ce film sur le coup. A nos yeux, Kelly Reichardt est une très grande cinéaste, digne de tous les éloges. Les actrices du film sont irréprochables, extrêmement douées pour donner vie à quatre très beaux personnages, bien travaillés, bien écrits : de beaux portraits de femmes. Mais dix mois après c'est un peu le trou noir, et on en vient à douter de la qualité intrinsèque du film quand il ne nous en reste pas grand chose, rien qui donne envie d'en parler, de le raconter, d'écrire dessus... Là, tout de suite, on ne le reverrait pour rien au monde. Si on nous proposait de passer la soirée devant ou de choper une gastro fulgurante pour passer deux heures sur le bidet à gerber, on répondrait peut-être qu'une petite purge nous ferait le plus grand bien... Ars longa vita brevis. On a déjà donné. Bravo quand même. Superbe film. Merci Richard. Courez le voir.


Certain Women (Certaines femmes) de Kelly Reichard avec Laura Dern, Kristen Stewart, Michelle Williams et Lily Gladstone (2017)

2 décembre 2018

Sous le même toit

Dominique Farrugia est le véritable Richard Linklater du cinéma français. Il nous propose un nouvel épisode de la vie de son fameux couple, Delphine et Yvan. Delphine est cette fois-ci incarnée par Louise Bourgoin dont on jurerait qu'elle a "fait quelque chose à ses seins" comme le lui répète son ex-mari Yvan, qui a ici les traits disgracieux de Gilles Lellouche. Parents de deux enfants, Delphine et Yvan sont fraîchement divorcés et restent en très mauvais termes. Yvan se retrouve même à la rue, SDF, jusqu'à ce qu'il se souvienne qu'il possède 20% de la maison conjugale. Le voilà donc revenu dans les baskets de Delphine, pour une colocation infernale. Le film de Dominique Farrugia reprend ainsi un thème cher au cinéma français actuel : les couples divorcés amenés à devoir rester sous le même toit, souvent pour des raisons financières. C'était déjà l'idée de départ du beaucoup plus sérieux L'Economie du Couple, de Joachim Lafosse, dans lequel Bérénice Béjo passait son temps à s'engueuler avec Cédric Kahn. Un film plombant et assez pénible, puisqu'il consistait en une série de coups de sang et de disputes gênantes, tout comme l'est, mais dans un autre registre, le dernier méfait du désolant Dominique Farrugia.




Le plus grand problème du film réside dans le personnage incarné par l'ignoble Gilles Lellouche qui devrait tout de même se poser des questions quant à ce qu'il dégage et inspire naturellement, puisqu'il incarne encore une fois une sorte de rebut de l'humanité, un personnage totalement haïssable, méprisé par sa femme, sa fille et par pratiquement tous ses "amis", à l'exception de Manu Payet. Comment peut-on croire à cet homme qui, après avoir été critiqué par son ex-belle-mère, débarque à poil dans le salon pour la provoquer en agitant sa teub sous ses yeux et ceux de ses vieilles amies ? Il pourrait finir en taule pour agression sexuelle pour moins que ça. C'est d'une finesse... Ce personnage accumule les tares et les erreurs, c'est une sorte de beauf XXL, un adolescent attardé complètement immature qui sort des remarques lourdes, sexistes et vulgaires toutes les 20 secondes et qui se comporte comme le dernier des cons. Il n'est pas crédible une seconde. Comment Dominigue Farrugia peut-il croire que l'on pourra rire face aux exactions de ce si méprisable énergumène ? On finit simplement par associer encore davantage Gilles Lellouche à l'abruti profond auquel il prête de nouveau son allure bovine...




Soyons honnête, relevons tout de même la seule bonne idée du film : le fils de Bourgoin et Lellouche, un gamin d'une dizaine d'années complètement fan des orques. Une affiche d'Orca est placardée sur la porte de sa chambre, un film dont il est un fan absolu et qu'il regarde en boucle. Toute sa piaule est recouverte de posters à l'effigie des cousins de Tilikum et remplie d'accessoires du même ordre. C'est une chouette idée, il faut le reconnaître. C'est totalement débile mais c'est sympa. D'ailleurs, ce personnage-là est réussi, c'est bien le seul qui soit à peu près aimable, que l'on aimerait saluer, voir davantage à l'écran, croiser dans la rue. Le jeune acteur, Kolia Abiteboul, est très bon. Chacune de ses apparitions est une éclaircie dans cette comédie ridicule et laborieuse, proposant une série de scènes grotesques et jamais drôles. Il faut aussi reconnaître que la dernière saloperie de Farrugia est tristement accrocheuse. Le rythme est tel que l'on regarde ça bêtement, en se laissant faire, curieux de découvrir quel niveau de nullité et de débilité sera atteint par la scène suivante. J'ai tout de même stoppé net alors que l'affichage de mon lecteur indiquait 1:10, sans doute juste avant que cette horreur reprenne le schéma classique de la romcom de bas étage, qui voudrait ici que Delphine et Yvan se rabibochent, pour le meilleur et surtout pour le pire...


Sous le même toit de Dominique Farrugia avec Louise Bourgoin et Gilles Lellouche (2017)

27 novembre 2018

Drinking Buddies

Toujours dans l’espoir de découvrir des pépites méconnues du cinéma indépendant américain, c’est avec une réelle et vive curiosité que je lançais Drinking Buddies, quatorzième film de l'acteur-réalisateur Joe Swanberg, que l'on avait déjà croisé sans le savoir dans You're Next et The Sacrament. Joe Swanberg est, si j'en crois sa page Wikipédia, une "figure de proue du mouvement mumblecore". Le mumblecore désigne ces "films caractérisés principalement par une production « fauchée » (souvent tournés en numérique), des sujets tournant autour des relations entre personnes de vingt à trente ans, des dialogues en partie improvisés et des acteurs non professionnels". Drinking Buddies ne paraît pas spécialement fauché, son sujet tourne effectivement autour des relations sentimentales pénibles de personnages méprisables dont l'âge est bel et bien compris entre 25 et 35 ans, et les dialogues semblent naturels tant ils sont anodins et tant les acteurs, professionnels mais très mauvais, ne font que répéter bêtement des formules gonflantes. Surtout, Drinking Buddies est un sacré film de merde, comme la plupart des longs-métrages de la veine mumblecore ; je le rangerai donc sans souci dans cette si triste catégorie, symbole de l'état de putréfaction avancé du ciné indé américain.




Olivia Wilde incarne une zonarde qui bosse dans une brasserie et entretient des rapports amicaux ambigus avec son collègue, le barbu Jack Johnson. Ils aiment se taquiner, se coller de la nourriture sur le visage, jouer aux cartes ou au billard tout en buvant, toujours, des bières. Bien que les deux individus soient déjà en couple, ils se rapprochent encore davantage quand ils partent en week-end avec leurs compagnons respectifs. Ces derniers, campés par Ron Livingston et Anna Kendrick, sont également attirés l'un vers l'autre, ce qui met donc à mal tous les couples ici présents et nous promet un chassé croisé amoureux de derrière les fagots. Finalement, le film n'opte pas pour cette voie-là. Parce que le mumblecore s'attache aussi à filmer la réalité, vous savez, la vraie. Et dans la vraie vie, tout ne se passe pas toujours comme prévu et ça, Joe Swanberg et sa tronche de cake l'ont bien compris.




Suite à leur week-end au grand air, Olivia Wilde se fait larguer par son mec. Pour avaler la pilule, elle décide d'arroser ça avec ses collègues autour de quelques verres de bières dans le bar miteux du coin. Ti West (!) profite de l'état d'ébriété avancée de la jeune femme pour passer la nuit avec elle, au grand dam de Jack Johnson, qui donne alors l'impression de mesurer enfin ses sentiments pour Olivia Wilde, d'autant plus qu'il évite constamment le sujet du mariage que sa compagne Anna Kendrick remet régulièrement sur le tapis, quand bien même celle-ci vient de lui être infidèle buccalement avec Ron Livingston. Malgré leur attirance réciproque évidente et après s'être tourné autour durant tout le film, Olivia Wilde et Jack Johnson ne finiront donc jamais ensemble (spoiler). Car la vie est ainsi faite : parfois, des personnes qui semblent faites l'une pour l'autre ne finissent pas l'une dans l'autre. La fin, ouverte, donne tout de même espoir qu'ils se déglinguent bientôt. Génial.




Vous l'aurez compris, ce film est une pure malédiction, terriblement agaçante du début à la fin. Seuls des fans hardcore d'Olivia Wilde, s'ils existent, pourraient y trouver leur compte. L'actrice née à Roswell (Nouveau-Mexique) apparaît ici très naturelle et donc un peu moins moche qu'à l'accoutumée. Elle retire le haut, puis le bas, révélant une poitrine timide mais 100% naturel et un séant en bonne forme qui repose sur deux solides poteaux. Face à elle, Jack Johnson accomplit l'exploit étonnant de passer tout le film avec les cheveux gras comme c'est pas permis. En plus d'avoir le physique désagréable d'un vieux bouc mal fagoté, c'est-à-dire de Satan himself, il a l'air de sortir la gueule d'un bain d'huile, ce qui expliquerait aussi sa si vilaine peau.




A leurs côtés, nous sommes surpris de retrouver Ron Livingston, le goéland, et nous déclarons officiellement Anna Kendrick sourire le plus ignoble de l'histoire du cinéma. Avec ses dents de quatre centimètres de longs et sa mâchoire avancée, on croirait un cheval agressif et laid. Si elle avait pu répondre présente pour le tournage des Jaws, cela aurait pu épargner bien des problèmes à Steven Spielberg et son fameux Bruce. Ce casting 2 étoiles est complété par Jason Sudeikis, Monsieur Olivia Wilde à la ville, qui était sans doute là pour surveiller sa compagne, toujours sujette aux effets de la boisson et prête à toutes les dérives. On n'aime pas cet acteur. Il n'y a rien à faire, il nous est très antipathique. Pour couronner le tout, Ti West, voisin horrifique du mumblecore, fait ici figure de guest star opportuniste, là pour profiter d'un moment de faiblesse de la vedette au visage si plat et large. Bref, que du beau monde je vous dis !




Tous ces gens éructent des dialogues iniques du début à la fin, rendant leurs personnages encore plus haïssables. Que les américains sont fatigants à s'émerveiller de tout et à remercier pour un rien ! "Oh it's so great, thank you, I love that, that's so great, oh God, thanks, it's perfect, it's just so perfect, I like it a lot, thank you" dit Ron Livingston quand Anna Kendrick sort un verre à pied en plastique pour déguster le vin dégueulasse que l'autre con a pensé à apporter pour le pique-nique. On a envie de les étrangler ! Et, en dehors de cet écart de conduite champêtre, pourquoi boiraient-ils constamment des bières ? A l'exception de la scène dite du pique-nique, les acteurs ont en permanence une pinte ou une bouteille de bière à la main ! Un viticulteur passe-t-il ses journées à vider ses fûts ? Un pharmacien lambda se gave-t-il de dolipranes à chacune de ses pauses ?




Olivia Wilde raconte qu'à force d'aligner les bières, tout le monde était torché sur le tournage. Il faut croire que l'alcool n'a pas des effets toujours positifs sur l'esprit créatif, l'inventivité, l'intelligence et l'humour. Wikipédia nous apprend aussi que Drinking Buddies figure dans le top 2013 de Quentin Tarantino. Les grands esprits se rencontrent...


Drinking Buddies (Ivresse entre amis) de Joe Swanberg avec Olivia Wilde, Jack Johnson, Anna Kendrick et Ron Livingston (2013)

24 novembre 2018

Petulia

Quel chouette film de Dick Lester ! Il faut dire que lorsqu'on dispose de Julie Christie et George C. Scott en tête d'affiche, Nicolas Roeg en chef op' et John Barry à la musique, on met toutes les chances de son côté ! Petulia donne en effet l'impression d'être la conjugaison du talent de tout ce beau petit monde et un fruit bien de son époque, encore délicieux aujourd'hui. Richard Lester nous narre la rencontre et l'histoire d'amour compliquée qui s'ensuit entre la jeune, pétillante et ravissante Petulia (Julie Christie) et le calme et beau docteur Archie Bolen (George C. Scott). Tous deux appartiennent à la bonne société de San Francisco, tous deux sont plus ou moins en instance de divorce. Pour Archie, ça n'est plus qu'une histoire de papiers à signer, mais c'est acté : il vit désormais seul dans un appartement hi-tech à l'agencement très étrange, s'occupe un week-end sur deux de ses gamins et, quand il revoit sa femme, ça fait souvent des étincelles... Mais du côté de Petulia, ça n'est pas encore ça : elle clame sa passion pour Archie alors que tout reste à faire avec son actuel mari (Richard Chamberlain), encore bien accroché à elle... Nous suivons donc avec plaisir ces deux personnages dans leurs vies désordonnées, cherchant peut-être un équilibre et un peu de tranquillité dans l'agitation ambiante.





Comment, en effet, ne pas s'intéresser au récit d'une romance contrariée quand celle-ci concerne deux superbes personnages incarnés par de tels acteurs ? Julie Christie magnétise littéralement la caméra avec son si grand regard d'un bleu foncé hypnotisant, elle prête ses traits délicats à ce qui peut d'abord apparaître comme un personnage léger, farfelu ("a kook" comme le dira Archie), qui deviendra petit à petit une figure tragique réellement poignante. Quant à George C. Scott, ici particulièrement classe et dans un registre que je lui connaissais peu, il impressionne encore une fois en héros romantique, tout en sobriété. L'alchimie entre les deux acteurs fonctionne à plein régime et ceux qui les entourent semblent contaminés par leur charisme et leur intensité, à l'image de l'élégante et gracile Shirley Knight, dans le rôle de l'ex-femme d'Archie, qui nous offre quelques scènes marquantes elle aussi. Cerise sur le gâteau, la musique de John Barry est superbe, à commencer par son thème principal (samplé par The Cinematic Orchestra, il me disait bien quelque chose !), vecteur dès le générique d'ouverture d'un spleen qui ira comme un gant à l'histoire contée.





Richard Lester, qui avait fait ses preuves sur les films des Beatles (A Hard Day's Night et Help !), se montre ici très inspiré et adopte un style qui n'est pas sans rappeler celui que choisira plus tard son directeur photo du moment, Nicolas Roeg (entre autres pour Don't Look Now, Walkabout et Bad Timing). Le cinéaste fait preuve d'une inventivité formelle de chaque instant et met en place une narration déroutante, menée à un rythme plutôt soutenu, régulièrement ponctuée par des inserts de flashbacks ou de flashforwards qui ont toujours du sens. Richard Lester renforce ainsi un sentiment, en replaçant un bref moment passé, ou glisse des images quasiment subliminales qui préparent et provoqueront de drôles d'impressions de déjà-vu. Ces tours de passe-passe agréables et déconcertants participent au pouvoir de fascination évident d'un film qui prend les allures d'un puzzle très simple à suivre et progressivement doté d'une vraie envergure. Car si Richard Lester et toute sa bande ont l'air de s'être bien amusés, parvenant notamment à capter une des facettes de leur époque (on note également les apparitions de Janis Joplin et du groupe The Grateful Dead), ils n'en ont pas moins oublié de nous émouvoir, de nous toucher pour de bon. La dernière scène empreigne même durablement nos esprits, nous restons pendus à la destinée indécise de ces deux êtres.





Au-delà de leur histoire personnelle, c'est aussi l'air du temps saisi, ce parfum si propre à la fin des années soixante, lourd de ses questionnements et de ses remises en cause, qui réussit à nous emplir d'émotions contradictoires, nimbées d'amertume. Petulia a un ton vraiment étonnant, tour à tour léger et amusant ou grave et acerbe. Pendant que les personnages se débattent dans leurs relations tumultueuses et leurs logements chics et confortables, la télé ou la radio diffusent en arrière-plan des infos sur la guerre du Vietnam qui, de l'autre côté du monde, bat son plein. Et que cachent la frivolité séduisante, la fantaisie permanente et les extravagances surprenantes de la si belle Petulia ? Nous découvrons peu à peu la véritable nature du lien qui l'unit à son mari et tout n'est pas si rose... Tout à fait à l'image de ses deux acteurs principaux, à leur zénith, le film de Richard Lester possède donc un charme fou. Plein de couleurs, de détails tantôt comiques tantôt sordides, d'idées de mise en scène et de montage en veux-tu en voilà toujours pleinement au service du récit, Petulia déborde de vie et s'impose finalement comme un puissant mélodrame.


Petulia de Richard Lester avec Julie Christie, George C. Scott et Richard Chamberlain (1968)