29 août 2019

Une femme dont on parle

L'ultime séquence de Une femme dont on parle est aussi magistrale que suffocante. Trois geishas mettent leurs geta, chaussures traditionnelles à dents en bois, et quittent leur maison pour se rendre chez des clients. L'une des trois, la favorite de ces messieurs, porte les geta les plus extraordinaires de la troupe, dotées de trois énormes dents biseautées vertigineuses sur lesquelles elle avance forcément au ralenti, nécessitant presque d'être soutenue par ses deux comparses. C'est elle qui prononce l'ultime réplique du film, que je vais certainement mal retranscrire, mais qui dit quelque chose comme : « Cessera-t-on un jour de voir des femmes comme nous ? Il y en aura toujours... ». Et de s'éloigner dans la rue sur ces souliers qui pèsent autant que deux boulets.




Une fois de plus, après Les Musiciens de Gion et avant La Rue de la honte, Kenji Mizoguchi dénonce le statut des geishas sans détour, avec finesse et intelligence, dans un film certes de sobre facture mais emprunt de la justesse et de la précision qui font l'immense qualité des films les moins virtuoses du cinéaste. Tout se joue ici dans la rencontre entre deux mondes et le conflit de deux générations. Une jeune femme, Yukiko (Yoshiko Kuga, présente les premiers temps chez Naruse, géniale chez Ozu, et que Mizoguchi retrouvera pour son avant-dernier film, Le Héros sacrilège), ayant quitté Tokyo, où elle apprenait la musique, après un chagrin d'amour et une tentative de suicide, rentre chez sa mère, Hatsuko (Kinuyo Tanaka, inséparable de la filmographie de Mizoguchi), qui tient une maison de geishas à Kyoto. De prime abord, et au-delà de son dégoût pour la profession de sa mère, tout sépare Yukiko de ce lieu et de ses habitantes : ses tenues occidentales, sa coiffure, avec cette petite frange minuscule sur le front qui contraste avec les chignons bouffants des geishas, son air mélancolique et son silence quand elle erre dans cette maison toujours en mouvement et saturée des rires criards des clients alcoolisés.




Mais les relations entre Yukiko et les filles de l'établissement changent dans l'une des plus belles scènes du film, celle où l'une des geishas tombe malade. Yukiko s'empresse alors de se rendre à son chevet pour prendre soin d'elle, et les autres filles s'aperçoivent que Yukiko, si elle méprise leur condition, ne les méprise pas, elles. Alors, assise auprès de la convalescente, entourée des visages de toutes les geishas dans un plan rapproché qui les réunit au lieu de les opposer (comme c'était encore le cas une minute avant, quand Yukiko, debout dans la partie gauche d'un plan d'ensemble distant, demandait des nouvelles de la malade face aux autres filles assises et prenant leur repas dans la partie droite de l'image), Yukiko les écoute parler de ce qu'elles font, qui n'a rien d'agréable pour elles mais qui est leur seule chance de s'en sortir, et de leurs propres chagrins d'amour, dans une scène de confidence qui bouleverse par sa simplicité. 




Évidemment le récit ne s'arrête pas à cette complicité nouvelle et à cette libération de la parole entre des femmes que leurs conditions semblaient séparer. C'est entre Yukiko et sa mère Hatsuko que tout va ensuite se jouer, car les deux femmes sont amoureuses du même homme, le médecin du quartier, depuis longtemps promis à la mère mais très sensible au charme de la fille. Et ce n'est plus dans la largeur du plan que le drame s'opère, mais dans sa profondeur, par exemple dans la séquence, au sortir du théâtre nô, où la mère surprendra les promesses amoureuses de son amant et de sa fille.




La grande élégance de Mizoguchi, c'est, comme souvent (avec tout de même quelques petits ratés, à l'image de Miss Oyu), de construire de beaux personnages (le scénario est écrit par Yoshitaka Yoda, scénariste favori de Mizoguchi, auteur d'un très beau livre sur lui), sans se laisser aller à s'essuyer les pieds sur aucun d'entre eux. Le médecin, qui n'a de cesse, aux prémices de sa relation avec Yukiko, de dénoncer les travers des hommes, et le fait peut-être par calcul pour lui plaire, et qui, certes, se définit comme "mesquin" quand les deux femmes, l'une après l'autre, le confrontent à son double-jeu et à ses mensonges, n'en est pas un personnage punching-ball pour autant, simplement un type qui se laisse guider par des désirs contradictoires sans suffisamment réfléchir aux conséquences. Et sans que le cinéaste nous invite à le détester, on se réjouit de voir que les deux héroïnes finissent par le rejeter (formidable regard noir de Yoshiko Kuga en direction de l'homme, hors-champ, avec, au premier plan, la main de sa mère tenant la paire de ciseaux avec laquelle un instant plus tôt la fille le menaçait), non seulement pour le mal qu'il leur a fait mais pour celui qu'il a fait à l'autre. 




Et la fille, juste avant la pessimiste conclusion du film évoquée en début d'article, décide de prendre soin de sa mère comme sa mère avait pris soin d'elle, en dirigeant à sa place, en tenue occidentale, la maison des geishas, détestant toujours ce métier mais ne le confondant pas avec celles qui le pratiquent, et sachant très bien que la meilleure chose à faire à ce stade, en attendant le jour où le métier n'existera plus, est d'aimer celles qui s'éloignent dans la nuit avec des boulets aux pieds.


Une femme dont on parle de Kenji Mizoguchi avec Yoshiko Kuga et Kinuyo Tanaka (1954)

19 août 2019

Les Musiciens de Gion

On ne le citerait pas parmi les plus grands films de son auteur. Les Musiciens de Gion n'est pas de la trempe des Contes de la lune vague après la pluie, de L'intendant Sansho, des Amants crucifiés ou de L'impératrice Yang Kwei-Fei, dont chaque plan sont autant de phénomènes de virtuosité sidérants. C'est néanmoins un très beau film qui, comme la plupart des films de Kenji Mizoguchi, prend le parti des femmes et, comme d'autres (on pense à Une femme dont on parle, ou à son dernier, La Rue de la honte) s'attache à lever le voile sur le mythe de la geisha au fil de la prise de conscience de l'une de ses héroïnes, Eiko (Ayako Wakao), 16 ans, dont la mère est morte et dont le père refuse de financer ses études, et qui décide d'y remédier en étant formée pour devenir maïko (geisha en herbe) par Miyoharu (Michiyo Kogure), une geisha jadis fréquentée par... son père.




Ce personnage du père est intéressant : il est vieux, a une main crispée et tremblante (détail si présent à l'image qu'on se demande si le personnage, et non l'acteur, ne le surjoue pas), et se plaint constamment de sa pauvreté. Il apparaît trois fois dans le film : la première quand Eiko vient lui demander de l'aider, il n'a alors pas un regard pour elle et fait la sourde oreille ; la deuxième dans un train où, voyant sa fille richement vêtue, il semble soudain s'intéresser à elle, mais Eiko, alors en fin d'apprentissage, refuse de lui parler ; et la dernière quand il vient mendier auprès de Miyoharu, qui n'a pas d'argent à lui donner mais se déleste d'une paire d'objets de valeur pour l'aider. Cette figure masculine est au fond la plus importante du film, et c'est un homme certes pauvre mais surtout lâche que ce père qui laisse sa fille bien naïve devenir l'une de ces geishas qu'il connait bien pour les avoir fréquentées dans sa jeunesse, et tente ensuite de l'exploiter.




Les deux autres personnages masculins sont deux riches hommes d'affaires méprisants qui s'entichent l'un de Miyoharu et l'autre d'Eiko, et que le film réunit dans une séquence centrale terrible où les deux femmes sont sur le point d'être violées, jusqu'à ce que la jeune apprentie morde la langue de son agresseur. Eiko, que nous avons vue dans plusieurs scènes apprenant à maîtriser son maintien de danseuse et son rythme de musicienne, est soudain violemment secouée par un homme, renversée sur le sol (la caméra semble tomber avec elle), et ne maîtrise plus rien ; elle que nous avons vue s'apprêter, revêtue avec soin de son kimono de luxe et de ses socques, maquillée patiemment par sa marraine, est maintenant débraillée, dépeignée, son maquillage blanc taché par le sang de son violeur ; elle dont le regard était si vif quand elle essayait d'étudier le visage de son futur agresseur, a les yeux dans le vide quand sa protectrice la rejoint. Terrible aussi la non-réaction de l'autre homme, le financier à lunettes, l'indifférent, celui qui ne dit rien mais profite de son statut en toute tranquillité.




Que Miyoharu cède aux commandements de sa patronne pour ne pas froisser ces messieurs et leurs arragements financiers ou que Eiko finisse par couper la langue de cet agresseur qu'elle n'avait pas vu venir, le film montre bien le véritable statut des geishas, que la société pare de prestige et hausse de tout un décorum (la danse, la musique, la conversation, les banquets : le "plaisir") alors qu'il ne s'agit que de prostitution et de femmes contraintes à se soumettre aux désirs de ces messieurs, de gré ou de force. Tout est dit dans une des premières séquences, où Eiko, curieuse d'en savoir plus sa future condition, demande confirmation à sa patronne qu'une geisha n'a nulle obligation de se soumettre à un homme, et que la constitution la protège bel et bien de ce point de vue. L'autre l'envoie plus ou moins valser tandis que dans le fond du cadre les autres filles pouffent et se rient de la naïveté de leur consœur. 




A cette scène répond celle, bien plus tard, où Eiko, seule dans une ruelle toute en profondeur de champ, est rejointe par des camarades qui l'assurent de leur soutien avant de vite rebrousser chemin. L'hypocrisie totale est la seule loi en vigueur. Mizoguchi la met, comme toujours, brillamment en scène, par tout un jeu de voiles dissimulant à demi le visage de certains personnages (en particulier les deux hommes d'affaire) et de surcadrages qui cloisonnent l'espace et resserrent l'étau sur les geishas, notamment dans la grande séquence de l'agression, mais aussi dans une très belle scène de confession entre la maîtresse, qui a fini par abdiquer, et son apprentie.




La fin du film confirme que la solidarité féminine est une des rares réponses dans cette société certes moderne mais qui, dans sa façon de traiter les femmes, est encore parfaitement archaïque. Seule consolation permise, la tutelle offerte par sa maîtresse à la jeune fille, qui nous laisse sur une note d'espoir, mais bien ténue, tandis que les deux femmes, toute apprêtées, s'éloignent côte à côte dans l'écho de leurs sandales en bois, vers une énième "fête" nocturne...


Les Musiciens de Gion de Kenji Mizoguchi avec Ayako Wakao et Michiyo Kogure (1953)

10 août 2019

Midsommar

Ari Aster est un cinéaste très doué, ça ne fait désormais plus aucun doute. Il est l'une des meilleures choses qui soient arrivées au cinéma d'horreur américain ces dernières années, je suis également d'accord là-dessus, bien qu'il faille lourdement relativiser cette affirmation en prenant en compte la faiblesse de la concurrence. Jordan Peele, par exemple, autre américain porté aux nues par la critique après seulement deux films aux thématiques similaires, ne lui arrive pas à la cheville ; en attendant aussi de découvrir The Lighthouse de Robert Eggers. Très peu de réalisateurs spécialisés dans le genre affichent aujourd'hui la même maîtrise et attestent d'une telle inventivité formelle, la plaçant au service de scénarios qui portent une vraie signature personnelle. Parce qu'Ari Aster a déjà une patte bien reconnaissable, des thèmes récurrents et un style remarquable, tout plein d'atouts qui expliquent une reconnaissance critique acquise en l'espace d'un an à peine et une place de choix aussitôt gagnée dans le cœur de la plupart des amateurs de frissons exigeants. Midsommar est son deuxième long métrage, après le déjà très remarqué Hérédité sorti en 2018, et il vient, pour beaucoup d'observateurs comme pour moi, confirmer tout son talent.




Ari Aster fait preuve d'une ambition rare et réjouissante, élevant un genre qu'il prend très au sérieux sans jamais toutefois manquer de le colorer d'un humour noir et pince-sans-rire bienvenu, qui a pour effet salvateur d'alléger un peu la barque dramatique conséquente de ses scénarios. Le bonhomme, qui nous décrivait dans son précédent opus l'explosion d'une famille ultra dysfonctionnelle, ravagée par la maladie mentale, le deuil et la dépression, a en effet toujours la main particulièrement lourde. Ici, l'introduction nous propose rien de moins qu'un suicide collectif familial impactant de plein fouet le personnage principal, Dani (Florence Pugh), une jeune femme bientôt amenée à suivre son compagnon (Jack Reynor) et ses trois potes dans la campagne du nord de la Suède, à la découverte d'une étrange communauté et de son culte religieux célébrant le solstice d'été. Elle ignore que ce petit séjour scandinave mettra à rude épreuve son couple déjà en sursis, menaçant ainsi le seul semblant de noyau familial qui lui reste...




Nous sommes d'emblée intrigués par la manière qu'a Aster de planter le décor et de nous plonger dans le bain. On pourrait se croire en terrain archi connu et rebattu, l'horreur sectaire étant très en vogue ces derniers temps, mais le cinéaste parvient toujours à trouver un ton légèrement en décalage, à surprendre juste ce qu'il faut, pour nous maintenir curieux et alerte, tout en ravissant régulièrement nos rétines avec le choix de cadrages judicieux, souvent déconcertants, et un montage étonnant, accompagné d'un travail saisissant sur le son. En pleine cohérence avec son œuvre antérieure, Ari Aster aborde les mêmes thèmes : le deuil, les névroses familiales, la dépression, le délitement du couple et l'embrigadement religieux. Ce coup-ci, il vise plus directement le trip hallucinatoire, le pur cauchemar filmé, distillant quelques moments chocs d'une morbidité insolite, des images gores très frontales, et cherchant à instaurer une ambiance bizarre par la description précise et patiente des rituels païens et des coutumes cheloues de cette communauté aux croyances ancestrales fort bien ancrées. Midsommar s'inscrit pleinement dans la veine de l'horreur sectaire et folklorique, en digne héritier du film culte de Robin Hardy, The Wicker Man, dont il ne cache jamais sa filiation directe et s'amuse même du fameux twist final. Son intelligence est de nous dépeindre cette joyeuse petite communauté de manière presque neutre, et non bêtement négative comme l'aurait fait un réalisateur quelconque. Cela a le mérite de nous amener à nous questionner sur notre rapport aux religions, aux traditions et aux croyances, avec un regard nouveau.




Une fois débarqué en Suède, Ari Aster nous saisit de jolie manière avec de belles promesses d'horreur en plein air, en plein soleil, là où d'ordinaire elle ne surgit jamais avec un tel éclat. L'atmosphère est plutôt réussie, s'appuyant notamment sur des décors très soignés, où le souci du détail s'observe dans chaque recoin de l'image, et des effets spéciaux simples, efficaces et réussis. Ça fait plaisir à voir et on aimerait pouvoir s'emballer complètement, que tout cela décolle pour de bon. Hélas, malgré toutes ces qualités qui sautent littéralement au yeux, force est de constater qu'il manque encore quelque chose... Ça coince quelque part. Il manque un truc pour que je ressorte totalement convaincu et emballé par ce film si séducteur. J'en viens à penser qu'Ari Aster est parfois trop ostensiblement à la recherche du cadrage bizarre et déconcertant, du plan séquence ou du mouvement de caméra qui en met plein la vue et nous fout sur le cul, là où il ferait peut-être mieux de se montrer plus mesuré, de mettre de côté son style et sa virtuosité, pour se concentrer davantage à faire vivre son récit et, surtout, ses personnages. Ari Aster ne se focalise pas assez sur son héroïne, il ne choisit pas de nous faire vivre ce séjour à travers ses seuls yeux et son unique point de vue, il s'éparpille beaucoup trop et c'est sûrement ça le plus gros problème de Midsommar.




Nous ne ressentons aucune espèce de compassion pour cette bande de jeunes étudiants, des garçons assez détestables et fort peu intéressants, dont la bêtise et la lâcheté machistes servent le propos du film mais nuisent à notre implication. En fait, c'est tout juste si nous partageons les tourments terribles que traverse la pauvre Dani, incarnée par une Florence Pugh irréprochable mais peut-être trop naturellement radieuse pour un tel rôle. Will Poulter, l'obsédé sexuel de la troupe, avec sa tronche impossible et ses quelques répliques amusantes, est très bien aussi là-dedans, mais on se contrefout de ce qui pourra bien lui arriver, à lui comme aux autres. Ils disparaissent un à un, et alors ?! Mais le plus gros boulet de Midsommar s'appelle Jack Reynor, un acteur effroyablement lisse et fade, dont on pourrait trouver mille clones dans les séries US actuelles, qui joue donc le boyfriend de Dani. C'est une erreur de casting manifeste ! Il faut cependant préciser que son personnage n'a aucun intérêt non plus, seulement condamné à être un petit-ami pourri, fantomatique, aux bras ballants et aux t-shirts informes, oubliant l'anniversaire de sa compagne et essayant pitoyablement de sauver les meubles. Le boulet du film c'est lui, je vous le dis ! Son personnage est si peu incarné que cela parasite les scènes dont il est l'élément central, comme par exemple lors de cette insensée cérémonie d'accouplement. Dommage...




Si, grâce à son charme visuel incontestable et sa mise en scène flamboyante, Midsommar n'ennuie jamais malgré les 2h27 qu'il affiche au compteur, son rythme s'avère progressivement défaillant, sans la réelle montée en régime attendue et espérée, à tel point qu'il semble manquer un dernier acte. Par ailleurs, il faudra dire à Ari Aster qu'il ne suffit pas d'accumuler les horreurs et les bizarreries pour entretenir le mystère et développer une véritable tension anxiogène. La surenchère qu'il applique ici, et qui était aussi de mise dans Hérédité, s'avère encore une fois trop peu opérante. Paradoxalement : plus court, plus condensé, délesté de quelques scènes où l'on est uniquement dans la redite et où l'on suit des personnages dont on se fiche pas mal, le film aurait sans doute été bien plus percutant et mémorable. L'effet recherché paraît ici dissout et on ne ressort pas KO ni sonné de la drôle d'expérience proposée par le cinéaste. Avouons tout de même que Midsommar fait du bien dans le paysage cinématographique actuel et qu'il est plaisant de voir débarquer en salles une telle curiosité, intelligente et si éloignée des clichés habituels. Il y a de très belles choses dans Midsommar et ce film, riche et retors, s'il ne vise pas la peur immédiate, ne manque pas complètement de nous interroger, générant un malaise léger et diffus. Il n'y arrive cependant pas autant qu'espéré et ses faiblesses m'ont encore l'air assez criantes, me plongeant dans des sentiments partagés qui doivent expliquer aussi cet article un brin indigeste. Un jour peut-être, Ari Aster trouvera enfin l'équilibre idéal et nous proposera un film aussi brillant que lui. 


Midsommar d'Ari Aster avec Florence Pugh, Jack Reynor, William Jackson Harper et Vilhelm Blomgren (2019)

4 août 2019

Les Faussaires de Manhattan

Je n'attendais vraiment rien de ce film que j’ai regardé sans trop y croire, je craignais surtout d'y retrouver une Melissa McCarthy en quête de reconnaissance critique dans un rôle dramatique inhabituel, méconnaissable et transformée pour les besoins d'un énième biopic sans grand intérêt. Il n'en est rien ! Dès la première scène, où l'insolence bien connue de McCarthy s'exprime déjà, mes doutes ont été dissipés. L'actrice, appréciée pour son abattage comique hélas bien mal mis en valeur par ses dernières comédies, incarne ici Lee Israel, une écrivaine sans le sou qui se lance dans une vaste entreprise de contrefaçon pour boucler ses fins de mois. S'appuyant sur ses talents de biographe et sa capacité hors norme à se fondre dans les personnalités qu’elle imite, Lee Israel va produire un très grand nombre de lettres falsifiées d'écrivains et d’acteurs décédés pour les revendre ensuite au prix fort à des collectionneurs. Elle sera aidée dans son activité par son ami Jack Hock (Richard E. Grant), un cocaïnomane homosexuel excentrique d’agréable compagnie.




Contrairement à ce que la transformation physique de McCarthy et sa nomination (méritée !) pour l’Oscar de la meilleure actrice pouvaient laisser penser, Can you ever forgive me ? n’est pas un fade biopic comme Hollywood en produit à la chaîne ces dernières années. Si le film de Marielle Heller ne se distingue pas par l’inventivité de sa mise en scène, il surprend agréablement par son ton, très léger, et sa façon assez humble de s’inscrire d’emblée dans le registre de la comédie dramatique. On suit avec plaisir les exactions de Lee Israel, un personnage attachant que Melissa McCarthy parvient à faire pleinement exister sans toutefois oublier de nous gratifier de ces quelques saillies comiques dont elle a le secret. L’actrice réussit à nous faire rire une paire de fois et porte le film à bout de bras, sans jamais en faire des caisses, en étant impeccable et juste dans la peau de cette drôle de femme à la morale somme toute défendable et compréhensible. Son duo avec Richard E. Grant fonctionne très bien et la réalisatrice porte un regard simple et délicat sur ces deux marginaux qui, entre d'autres mains, auraient pu servir de prétexte à aborder lourdement des sujets plus en vogue. Contre toute attente, Can you ever forgive me ?, très platement réintitulé Les Faussaires de Manhattan pour sa sortie française, est donc un petit film très agréable qui certes ne laissera pas une trace indélébile mais fait passer un bon moment. 


Les Faussaires de Manhattan (Can you ever forgive me ?) de Marielle Heller avec Melissa McCarthy et Richard E. Grant (2018)