29 novembre 2014

La Liste de mes envies

- Ne plus jamais mater un film dont je sais par avance qu'il va chlinguer la mort à ce point.

- Ne plus jamais mater un film dont le cinéaste s'appelle Didier Le Pêcheur.

- Ne plus jamais mater un film avec Mathilde Seigner.

- En règle générale, ne plus jamais mater un film. En tout cas pendant quelques heures, quelques jours, pour me remettre en forme. Les vertus du jeûne sont bien connues, surtout après avoir ingéré des ordures.


Mathilde Seigner, après vingt ans de carrière déjà, joue ici la tristesse ou un truc comme ça.

- Ne plus jamais mater un film, et ce même après le terme du jeûne, où Julien Boisselier, Julien Boisselier, joue les tombeurs.

- Me repasser plusieurs fois les deux scènes de ce film où Julien Boisselier, dans le rôle du tombeur, de l'homme parfait, irrésistible, à se foutre par terre, du haut de ses 32 kilos tout mouillé, avec son air de souffre-douleur et sa triste moustache de collabo mesquin, débarque dans le dos de Mathilde Seigner et lui sort des phrases de dragueur invétéré mais trépané d'une voix éraillée de vieillarde sénile en bout de course. Me repasser ces deux scènes plusieurs fois donc, pour me marrer, en parvenant à ne rien propulser sur mon poste de télévision, ni godasses, ni table basse.


Elle entend une voix dans son dos, la voix de Gollum, ni plus ni moins, qui lui susurre à l'oreille : "Laissez-moi vous aider...", elle se retourne, et elle voit ça. Scène d'après : elle est dans son pieu. Pige pas.

- Pour rester dans les acteurs : ne plus jamais mater un film où Patrick Chesnais (se prononce "chaise-nez", on ne le dira jamais assez) est malade. Je ne parle pas des films dans lesquels il jouerait en étant lui-même malade, victime d'un rhume malgré ses trois pulls et sous-pulls quotidiens par exemple, un de ces rhumes des foins auxquels il est tant sujet alors qu'il n'a jamais vu une meule de foin de sa vie, mais qui lui donnent somme toute cet air vaguement fatigué, qui lui font paumer encore plus de syllabes dans sa moustache, et poussent encore un peu plus sa petite voix dans les basses, toutes choses qui font son charme inégalable. Non, je parle de films où il incarne un souffrant. Dans cette enflure de film, Chesnais joue un malade d'Alzheimer. Je n'aime pas le voir comme ça, réduit à ça, pas lui. Une preuve de plus de la bassesse des gens qui ont organisé ce projet cinématographique  méphistophélique.


On souhaiterait presque que Pat' Chesnais souffre réellement d'Alzheimer, ça lui permettrait d'oublier qu'il a joué dans cette infamie.

- Chercher en revanche tous les films où Marc Lavoine souffre comme un iench et m'en faire une to watch with un putain de smiley Cyrus list.

- Chercher également s'il existe un film où Marc Lavoine ne joue ni un connard, ni un queutard, ni les deux à la fois.

- Chercher, de manière plus générale et encore plus désespérée, s'il existe un film où Marc Lavoine joue un connard doublé d'un queutard mais le joue bien.

- En parlant de Marc Lavoine : piger pourquoi les scénaristes français contemporains truffent leurs films de personnages de sous-enculés, et me convaincre que ce n'est pas parce qu'ils se projettent un max dans leurs créations. Lavoine interprète une belle ordure dans ce film (avant de se barrer avec tout le fric de sa femme, on le voit, dans une scène d'anthologie, la traiter de "poubelle" (sic.) et de "grosse truie" (re sic.), parce qu'elle vient d'accoucher d'un bébé mort-né...), mais il n'est pas le seul. Les connards pullulent. On pourrait mater ce film avec le détecteur de mouvements que les marines du deuxième opus de la saga Alien n'ont de cesse d'utiliser pour repérer les xénomorphes, sauf que ce serait un détecteur de fumiers. Pendant tout le film, le truc n'arrêterait pas de sonner et de clignoter. On se retrouverait, tel Bill Paxton, aka Hudson, dans Aliens le retour, à reculer dans son canapé, les yeux vissés tour à tour au détecteur et à l'écran de la télé, à moitié en train de chialer, les yeux écarquillés, incrédule, flippé : "Y'en a partout, ils sont lààààààà je vous dis..."


Des connards, ils sont partout. 4 mètres... 3 mètres... 2 mètres... ça se rapproche...

- Là pour le coup c'est moins une envie qu'un souhait, une recommandation pour moi-même, un mémo : si je rencontre un jour une meuf, ou un type, qui s'amuse à raconter n'importe quoi à son père souffrant d’Alzheimer, à lui "réinventer sa vie" à chaque visite, profitant de sa crédulité pour lui faire croire qu'il était un type génial, qu'il a marché sur la lune, que sa femme était Tabatha Cash en personne et qu'il a joué le rôle de Legola dans Le Seigneur des anneaux, quitte à le perturber encore plus qu'il ne l'est déjà et à aggraver sa maladie (c'est ce que fait Mathilde Seigner avec Pat' Chesnais dans ce film, vous l'aurez deviné), surtout garder mon self-control, rester cool, ne pas fondre un plomb et finir à Montfavet, chez les tarés, avec une camisole sur le dos et le masque d'Hannibal Lecter sur la tronche.

- En parlant de Lecter, puisque Mathilde Seigner prétend dans ce film qu'elle lit, première nouvelle, mais mieux, qu'elle adore plus que tout l'énorme pavé d'Albert Cohen, Belle du seigneur : me rendre un jour à une avant-première en sa présence et lui demander de me dédicacer mon exemplaire dans l'édition blanche Gallimard de 7 kilos, en lui "passant" mon bouquin depuis le fond surélevé de la salle d'un moulinet du bras doublé d'une triple-pirouette du corpus façon Gabriele Reinsch, record du monde de lancer de disque avec 76,80 mètres à Neubrandenburg, Allemagne de l'Est, le 7 juillet 1988, soit en droite ligne, chemin le plus court entre deux points.


Quelle personne normale ne fait pas de tirets pour établir une liste ? Ce film vous foutra les glandes jusque dans les moindres détails.

- A chaque fois que j'entrerai dans une librairie à compter de ce jour, me taper tous les rayons dont je me fous comme d'une guigne (cuisine, jardin, développement personnel, parapsychologie, nature, voyage, sport, politique, charcuterie) pour éviter de croiser le roman méga best-seller signé Grégoire Delacourt dont ce film est adapté. Peut-être qu'il vaut mieux que son adaptation, ça arrive, mais là j'ai un grooooooos doute.

- Consacrer dès demain une partie de ce blog au macramé, au point de croix, au scrapbooking (?) et à la tarte tatin, histoire de toucher en trois jours des milliards de lecteurs, comme le personnage de Seigner dans cette daube, et d'avoir l'impression de palper les bourses du CNOUS, comme au bon vieux temps, mais multipliées par 1000.

- Ou, plus simple, gagner 18 millions d'euros à la loterie, comme l'héroïne de ce film en bois vermoulu, voire beaucoup plus, infiniment plus, puis aller voir les gens qui produisent ce genre de film — qui font du cinéma comme on gratte un ticket de jeu ou comme on remplit une grille de loto, très rapidement, en faisant le moins d'efforts possibles, tout en espérant ramasser le pactole — et leur filer du pognon, ce qu'ils veulent, pour leur éviter la peine de réaliser de telles saloperies et de les soumettre sans honte au public. Un peu comme ce vieux type, dans le prologue de Rasta Rockett, qui va voir Sanka en train de chanter comme une chèvre assis dans la rue, et lui dit avec son accent jamaïquain de malade : "Tiens, je te donne un dollar pour que tu la fermes".

- Gober tout rond un gros kefta sauce samouraï roulé façon Calzone. En preums sur toutes les listes de les envies du monde, logiquement. Mais je ne devrais pas le noter dans ma liste perso parce qu'aussitôt dit aussitôt assouvi. Je trace au Chawarma le plus proche.


La Liste de mes envies de Didier Le Pêcheur avec Mathilde Seigner, Marc Lavoine, Virginie Hocq, Frédérique Bel et Patrick Chesnais (2013)

27 novembre 2014

Osterman Week-end

Osterman Week-end, dernier film de Sam Peckinpah. Adapté d'un roman de Robert Ludlum en 1983, le film raconte l'histoire de John Tanner (Rutger Hauer), présentateur vedette d'un show télévisé d'investigation consistant à mettre en difficulté des personnalités politique en "face à face" (c'est le titre de son émission). Après une interview particulièrement sensationnelle, Tanner est convoqué par Maxwell Danforth (Burt Lancaster), un ponte de la CIA bien décidé à le convaincre de la culpabilité de ses trois meilleurs amis, des traitres à la solde du KGB. Avec l'aide de l'agent Lawrence Fassett (John Hurt), Danforth prouve images volées à l'appui au présentateur vedette John Tanner que ses anciens collègues de chambrée, Richard Tremayne (Dennis Hopper), Joseph Cardone (Chris Sarandon) et Bernard Osterman (Craig T. Nelson), ses amis de longue date, qu'il est justement censé recevoir bientôt chez lui comme chaque année pour un de ces "Osterman Week-end" (du nom de leur instigateur) où les trois camarades et leurs épouses se réunissent de façon rituelle, sont des agents soviétiques infiltrés. Tanner se laisse persuader qu'il doit laisser le bras droit de Danforth, l'agent Fassett, intégrer sa demeure et la truffer de caméras et de micros pour mieux piéger ses futurs ex-amis, en échange bien entendu d'une bonne interview de Danforth dans son émission.




Sauf qu'évidemment le futur manipulateur est lui-même manipulé, et le spectateur avec, même s'il ne tarde pas à se douter de l'entourloupe. D'autant que Peckinpah nous montre la voie dès l'arrivée du personnage principal, John Tanner, dans le parking étrange où les pointures de la CIA lui donnent rendez-vous : déjà piégé derrière les barreaux de la cage d'ascenseur qui dessinent leurs ombres sur son visage, Rutger Hauer monte les étages en apercevant à chaque niveau un agent qui le dévisage, jusqu'à atteindre la tanière de Fassett, obscur bureau truffé d'écrans sur lesquels ce dernier diffusera bientôt les images volées des amis du journaliste. Et quand Tanner s'apprête à quitter les lieux, pas encore gagné à la cause de Fassett, Maxwell Danforth apparaît en personne dans la noirceur de l'ascenseur pour prendre le relai du jeu de persuasion. Entre deux changements de pièce, Fassett, resté à son poste de commande, allume un écran pour observer son supérieur en train de travailler le journaliste, ne ratant rien de l'événement grâce à ses caméras cachées dans tous les recoins, et l'on pressent déjà aussi que ce simple agent aura plus d'influence que prévu.




Le film a pourtant commencé par nous présenter l'agent Fassett comme une victime, un agent trahi par son patron (qui a fait assassiner son épouse) et supposé l'ignorer. La première séquence annonce la couleur par une mise en abyme qui nous montre cette trahison mise sur le dos du KGB : Fassett, au lit avec sa femme, va prendre une douche quand des hommes entrent dans la chambre et tuent la fille en toute discrétion, lui injectant un poison mortel dans le visage. La scène est filmée en vidéo, avec une image de basse résolution, assez sale. Nous découvrons quand elle s'achève que Maxwell Danforth et un collègue à lui sont comme nous en train de regarder cette bande, montée à partir d'images volées, prises au moment des faits par des caméras planquées dans la chambre de l'agent Fassett par ses propres soins (car l'agent est un malade de l'image, du contrôle et de la surveillance). Sauf que la scène est filmée comme au cinéma, avec des changements de cadre, des zooms et un montage impeccable que de simples caméras de surveillance incrustées dans le mobilier ne pourraient sans doute pas permettre. Peckinpah brouille ainsi la frontière entre le film et le film dans le film, et il faut bien un changement brutal de régime d'image pour qu'on s'aperçoive du basculement, la médiocre qualité d'image de la vidéo de la scène du meurtre inaugural cédant la place à une photographie précise et à une image très définie, qui fait saillir jusqu'à la trame du tissu des vestes des conspirateurs de la CIA. Mais la manipulation ne s'arrête pas aux frontières d'un changement de régime d'image puisque Fassett, contrairement à ce que croient ses employeurs, sait parfaitement qu'ils sont coupables du meurtre de sa femme, et leur tend à son tour un piège redoutable.




Toutes les images mentent aussi bien nous dit Peckinpah, et surtout celles de la télévision. Le film s'en prend évidemment à toutes les hautes instances américaines, dans la lignée de The Parallax View ou des Hommes du Président, mais aussi et surtout aux médias, qui montent les individus les uns contre les autres, à l'image d'un Tanner poussé à confondre ses plus vieux amis sous la simple influence d'un montage vidéo. Le week-end Osterman, filmé sous toutes les coutures par Fassett et littéralement organisé, scénarisé, découpé, monté par lui, va bien entendu dégénérer quand les quatre couples seront poussés — manipulés par l'agent caché dans un fourgon et surveillant toutes les parties de la maison en même temps, tel un Big Brother dégénéré — à un affrontement de plus en plus rude dans un huis-clos terrible. Peckinpah fait directement référence au déferlement de violence au sein du foyer modèle de l'américain moyen des Chiens de paille quand le fils Tanner découvre la tête du chien dans le frigo, en lieu et place du chat pendu dans le placard de Dustin Hoffman et Susan George dans l'un des scènes les plus frappantes de son chef-d’œuvre de 71. Le déchaînement de folie est assez semblable ici sauf que la lutte intestine n'a plus lieu pour préserver un territoire conquis en terre étrangère, et menacé par l'Autre, mais pour la sauvegarde de cet ultime foyer, légitime, familier, amical et intime, face à une invasion du cercle depuis l'intérieur, par une force soi-disant bienveillante pénétrant directement les esprits pour les forcer à agir selon son bon vouloir. Et l'outil de l'invasion, c'est l'image, qui attaque sournoisement, en douceur, dans le dos, à l'image des assassins de la femme de Fassett. C'est le montage, architecture du mensonge : le différé qu'on fait passer pour du direct par exemple, puisque c'est ainsi que Tanner retournera leurs propres armes contre Danforth et Fassett à la fin du film. C'est la télévision enfin, agent direct de cette infaillible manipulation de masse.




Dans une Amérique des années 80 qui venait de tirer un trait sur le Nouvel Hollywood, de suicider ses plus grands auteurs, à commencer par Michael Cimino, de sacrer George Lucas et Steven Spielberg vainqueurs et maîtres d'Hollywood à la sauce blockbuster et de réduire le cinéma à ces grands spectacles soi-disant seuls capables de concurrencer la toute-puissante télé, Peckinpah visait directement son ennemi juré, même si se dégage de son film la désillusion consommée de ceux qui savent qu'il ont perdu la bataille depuis longtemps. Après quatre ou cinq ans d'inactivité et après une crise cardiaque qui l'avait considérablement affaibli, le cinéaste accepta de tourner ce film complexe et éprouvant qui lui échappa en grande partie (comme la plupart de ses précédents chefs-d’œuvre déjà), puisque les studios passèrent par là et décidèrent pour lui de ce à quoi l'objet fini devait ressembler. Néanmoins le film est d'une grande force aujourd'hui encore, à mi-chemin entre le Délivrance de John Boorman (après que sa femme, jouée par Meg Foster, liquide un ennemi au tir à l'arc, il y a ce plan génial lors de la bataille finale où Rutger Hauer jaillit de la piscine familiale en flammes, arbalète au poing, pour abattre un ses assaillants) et le Network de Sidney Lumet, brûlot admirable sur le cancer de la télévision et des mass medias. Osterman Week-end se termine, Peckinpah oblige, sur un massacre surdécoupé au ralenti, moins grandiose qu'autrefois mais d'une efficacité au beau fixe, et, un peu plus loin, comme Jean-Baptiste Thoret l'a écrit, sur une chaise vide dans le studio de télévision de Tanner signant l'adieu d'un grand maître, qui fut l'un des plus grands cinéastes américains.


Osterman Week-end de Sam Peckinpah avec Rutger Hauer, John Hurt, Meg Foster, Burt Lancaster, Dennis Hopper, Craig T. Nelson et Chris Sarandon (1983)

25 novembre 2014

Cartel

Où s'arrête la passion et où commence le professionnalisme ? A chacun de ses nouveaux films, Ridley Scott pose la question et nous pousse dans nos derniers retranchements de blogueur ciné animé par notre seule cinéphilie. Comment pouvait-on d'abord juger Prometheus vierge de toute idée préconçue, sans le considérer comme un prequel à Alien, sans le comparer aux glorieux films de la saga, en faisant fi de l'attente et de l'espoir suscités ? Impossible. Il aurait fallu venir d'une autre planète pour regarder Prometheus sans penser à tout ça, pour uniquement le voir comme un simple nouveau film de SF. Nous sommes pourtant persuadés que même en tant que tel, Prometheus schlingue à mort des pieds. Mais, il y a un mais, nous ne pourrons jamais savoir ce qu'on en aurait pensé avec l'esprit totalement nu, neutre et ignorant. On a notre petite idée, notre grosse conviction, mais en réalité, on ne saura jamais. C'est comme ça. En ce qui concerne Cartel, c'est une autre affaire. Ridley Scott nous teste encore une fois, mais tout à fait différemment.




Le vieillard ouvre son film sur une scène plutôt alléchante, littéralement, puisqu'elle nous propose un moment d'intimité entre Michael Fassbender et Penélope Cruz, sous les draps, s'adonnant à quelques pratiques peu catholiques, le bellâtre caressant la bombe espagnole et l'incitant à prononcer d'inoffensives vulgarités. Devant ça, on regarde, forcément, Cruz reste Cruz, on mord à l'hameçon. Nous sommes piégés... Le test à proprement parler survient quelques minutes après, avec cette scène interminable où Micha Fassbender se rend chez un bijoutier néerlandais en vue d'effectuer une onéreuse acquisition. Pendant une demi plombe, le vieux commerçant vend sa camelote à Fassbender, qui devrait décidément mieux choisir ses cinéastes fétiches. Nous avons ainsi droit à une description extrêmement détaillée et riche en termes techniques propres à la joaillerie de quelques diamants dont on se fout éperdument, chacun inspectés à la loupe. On est comme aspirés dans un gouffre temporel où plus rien ne compte en dehors de sauver sa peau et s'extirper de la situation de n'importe quelle façon. Ça paraît pensé et conçu pour flinguer des soirées, pour achever des journées, même les plus belles. C'est assommant, étouffant et filmé comme s'il s'agissait des transactions cruciales entre d'infréquentables mafieux usant de leur droit de vie ou de morts sur leurs sujets, ou d'éminents dirigeants sur le point de décider d'une prochaine guerre nucléaire.




Ce que j'ai vu de Cartel est vraisemblablement un hommage visuel appuyé au frère disparu de Ridley, Tony, puisque la photographie semble directement emprunté à Domino ou une saloperie du genre. C'est un défi, une vraie expérience de cinéma. J'ai fini par couper net. Pur réflexe d'autodéfense. C'est mon système immunitaire qui a pris le dessus. Je suis désolé. Ma passion s'arrête là, à la 18ème minute de Cartel, et je défie tout cinéphage de faire mieux que moi.


Cartel de Ridley Scott avec Fassbender, Cruz, Diaz, Bardem et Pitt (2013)

23 novembre 2014

Le Convoi

Le Convoi de Sam Peckinpah (à ne pas confondre avec les géniaux Le Convoi sauvage de Richard C. Sarafian, ou le Convoi de la peur de William Friedkin), suit le parcours de Rubber Duck, routier incarné par le magnifique Kris Kristofferson. Harcelé par un vieux flic hargneux et raciste, Lyle Wallace (génial Ernest Borgnine, proche ici du Vic Morrow de Dirty Mary, Crazy Larry), Rubber Duck, idole de la communauté des chauffeurs poids-lourds, trouve immédiatement du soutien auprès, d'abord, de quelques fidèles, tels Love Machine (Burt Young) ou Spider Mike (Franklyn Ajaye), puis très vite de toute une armée de camionneurs remontés. Le convoi du titre va alors prendre une dimension hallucinante, visible dans quelques plans où la colonne de camions s'étend à perte de vue sur les routes longilignes de la vieille Amérique. Et le flic revanchard comme ses collègues devront redoubler d'efforts pour parvenir à stopper cette marche en avant solidaire et entêtée.




En 1978, Sam Peckinpah, déjà gravement malade, tourne son avant-dernier film. Le cinéaste n’a pas perdu grand chose de son panache et de son talent. Il cède certes à la facilité avec cet énième recours forcé aux ralentis dilatés dans une scène de baston générale dans un bar, poussive quoique allégée par sa part de cartoon, et on le sent bien en roues libres sur sa table de montage dans la séquence tout en fondus et surimpressions où les camions et les bagnoles de police s'égarent dans la poussière sur un chemin de terre, mais le film n'en est pas moins solide.




Le plaisir qu'il y a à embarquer dans ce Convoi tient d'abord aux acteurs en présence : le Kris Kristofferson de Pat Garrett et Billy le kid, le Ernest Borgnine de La Horde Sauvage, mais aussi Seymour Cassel, fidèle de Cassavetes, ou ce bon vieux Burt Young. L'humour du film leur doit évidemment beaucoup. On se régale aussi du mélange des genres opéré par Peckinpah, qui mêle western et road movie - le second descendant en droite ligne du premier - avec brio, notamment dans la scène mémorable où Rubber Duck s'apprête à affronter le shérif Wallace, qui retient son ami noir prisonnier dans un petit bled du Texas. Après avoir quitté le convoi pour aller retrouver sa femme sur le point d'accoucher, Spider Mike s'est fait arrêter dans un État pas spécialement réputé pour sa tendresse envers les noirs, et le shérif local l'a évidemment passé à tabac comme un sauvage. Pour aller aider son ami, Rubber Duck a donc interrompu ses négociations avec le gouverneur Haskins (Seymour Cassel), prêt à parlementer avec ces satanés routiers soutenus à travers tout le pays par la population histoire de gagner quelques voix. Mais alors qu'il croyait y aller seul, ses camarades l'ont suivi, et Peckinpah filme le camion de Rubber Duck rejoint par une foule d'autre poids-lourds sur les starting blocks face à la petite bourgade texane dans un mexican stand-off qui oppose une troupe de semi-remorques, alignés sur l'asphalte tels les héros de La Horde sauvage s'avançant vers l'armée du général mexicain Mapache, et le pauvre Ernest Borgnine retranché dans son bastion. Pas de coups de feu dans ce duel, mais des camions lancés à toute berzingue sur les murs de la prison.




La part la plus intéressante de ce film tient dans ce qu'il fait la jonction entre le cinéma américain des années 70 et celui des années 80. Peckinpah ne se refait pas totalement, et son Convoy évoque le Vanishing Point de Richard C. Sarafian, avec son routier pourchassé qui devient un mythe grâce aux communications radio, sans parler de la gratuité initiale de l’opération lancée par les camionneurs (Duck lance un définitif : « Un convoi, c’est fait pour avancer ») et de sa récupération politique tardive tous azimuts (combat des noirs, conflit au Vietnam, etc.). Mais, deux ans avant son avènement, Peckinpah a déjà un pied dans la décennie suivante, dont l’avatar le plus visible est le look terrible que trimbale Ali McGraw, avec son bronzage forcé et sa permanente à la garçonne, la fameuse et horrible coupe « Starsky » des années 80. Ces années-là seront aussi celle d’un ringardisme achevé dont le film n’est pas exempt, et surtout celles des gros bras (comment défoncer une ville entière avec de gros bahuts). On trouve aussi la marque des 80s dans le happy end qui tache, là où n’importe quel film du Nouvel Hollywood des années 70, et surtout n’importe quel film de Peckinpah, se serait jusqu’alors conclu par la mort du héros, si possible dans une explosion inutile et tragique. C’est cet enjambement, d’une décennie l’autre, entre les mains d’un cinéaste presque fini mais encore à l’affût et toujours aussi enthousiasmant, qui fait tout le sel d’un film inégal mais véritablement généreux. Inégal tout de même, disons-le, parce que Peckinpah, à travers ce finale notamment, n'est pas tout à fait lui-même. Le cinéaste tournera son dernier film, Osterman week-end, cinq ans plus tard, en 1983, et si on y retrouve un Craig T. Nelson affublé de la moustache de Tom "Magnum" Selleck, il s'agit bien là d'un pur film du Nouvel Hollywood, testament d'un auteur des années 70 ayant achevé son œuvre dans une décennie définitivement pas faite pour lui.


Le Convoi de Sam Peckinpah avec Kris Kristofferson, Ali MacGraw, Burt Young, Ernest Borgnine et Seymour Cassel (1978)

17 novembre 2014

Le Havre

C'est le premier film que je voyais (vraiment) d'Aki Kaurismaki, et j'avoue qu'il ne m'a pas spécialement motivé à découvrir les autres opus de la filmographie du plus célèbre cinéaste finlandais. Si l'on commence par se sentir à l'aise dans ce Havre, il faut quand même avouer qu'on a rapidement envie de tracer la route et, pire, que quelques heures après l'avoir vu il n'en reste pas grand chose. Heureusement, dans un premier temps, les influences de Bresson (les voix blanches, les gros plans sur les pieds ou les mains), ou de Fassbinder (l'anti-racisme sur fond de vieux bars pourris, de regards moisis et de corps meurtris, comme dirait l'autre) donnent au film une certaine saveur et le sauvent in extremis du pur anecdotique. Parce qu'on pense aussi parfois à Jeunet devant Le Havre, même si l'aspect vieille France rance (à coups de vieux bistrots, de vieux boulots, de petits chapeaux, de petits manteaux et de petites autos, comme dirait presque un autre autre) et le portrait folklorique nostalgique sont infiniment moins déprimants que chez le réalisateur français daltonien auteur d'Amélie Poulain. On y pense quand même, sinon par l'esthétique, du moins par le propos qui, en voulant rendre hommage au réalisme poétique des années 40, flirte dangereusement avec les pires travers de la qualité française.




Le problème du film c'est qu'il commence par lorgner très fort du côté des deux premières influences citées pour ensuite foutre le camp avec la troisième, et après un long pamphlet anti-sarkoziste écrit à la truelle, la fin déballe l'air de rien sa morale, noble morale certes, mais qui ainsi déballée vaut deux sous (faites le bien autour de vous, aidez les sans-papiers et votre vie sera plus belle, vous serez sauvé, y compris d'un cancer en phase terminale, qui sait...), plombant volontiers et carrément l'ensemble. Je n'ai pas détesté donc, mais il s'en est fallu de peu, et de la même manière que le film s'enfonce dans sa nostalgie, il aura fallu que je m'enfonce dans la mienne (envie de revoir Pickpocket et Tous les autres s'appellent Ali) pour sauver les meubles.


Le Havre d'Aki Kaurismaki avec André Wilms, Kati Outinen et Jean-Pierre Darroussin (2011)

16 novembre 2014

Sécurité Rapprochée

Il n'y a strictement rien de particulier à dire sur ce film qui ressemble à s'y méprendre à un mauvais épisode de 24 Heures Chrono, orphelin de tout ce que les aficionados de la série en temps réel aiment y retrouver : la voix rocailleuse de Kiefer Sutherland, les pétages de plombs récurrents de son personnage, l'humour involontaire de certaines situations à prendre au second degré, les méchants très très méchants, les interjections systématiques de type "Drop your weapon now !" ou "Copy that !?!", les scènes de torture gratuites, les gros lolos rebondissant de la blonde Elisha Cuthbert, etc. Oubliez tout ça, et ne conservez que les travers, et notamment les pires tics de mise en scène chers à cette série : caméra tremblotante, gros plans constants et excités, montage à coups de hâche... Mais aussi la bande son ! Sur ce point, on n'insistera jamais assez sur l'influence décisive de la musique du jeu vidéo d'infiltration Project IGI sur les BOs de séries et films d'action hollywoodiens. C'est frappant ! Sécurité Rapprochée est donc un triste thriller, taillé pour le petit écran, qui se veut tendu, nerveux et haletant mais qui ne parvient qu'à rendre le spectateur chaud bouillant, énervé et à cran, même quand celui-ci n'a pas déboursé le moindre centime pour le voir et garde sa télécommande à portée de main pour couper net à chaque instant.




Puisqu'il n'y a rien d'autre à ajouter, profitons donc de ce film pour dire quelques mots sur ses deux acteurs principaux, j'ai nommé Denzel Washington et Ryan Reynolds. Commençons par le premier, celui qui, curieusement, est bien trop souvent à l'abri des critiques. Il est temps pour nous de régler nos comptes avec lui et de remettre les points sur les i. Regarder Sécurité Rapprochée en ayant toute connaissance de la carrière en chute libre de la star donne tout simplement envie de crier haut et fort qu'on tient là une belle et grosse enflure. Ok, il a l'air cool et il a une bonne tronche sympathique qui fait que tout le monde l'apprécie, mais il faut vraiment zieuter sa filmographie de plus près ! Unstoppable, Le Livre d'Eli, L'Attaque du métro 123, Déjà Vu... On ne peut pas avoir pour meilleur ami Tony Scott (RIF), produire des films d'action minables à la chaîne, et passer à travers les balles toute sa vie sous prétexte qu'on a un sourire irrésistible, une classe certaine et un blase du tonnerre... Et puis il joue tout le temps le même rôle, et toujours de la même façon ! Il est systématiquement ce bon américain lambda, intègre, contraint à devenir un héros et doté d'un vieil humour pince-sans-rire insupportable, quand il ne campe pas un personnage de vilain aux capacités cognitives hors normes, ce qui lui permet de se faire plaisir en cabotinant à mort (rappelons que cela lui a tout de même permis de décrocher un Oscar...). Dans Sécurité Rapprochée, on est plutôt dans le second cas de figure : Denzel en fait des tonnes dans la peau d'un ex-agent de la CIA devenu l'ennemi public numéro 1. On apprendra à la fin du film qu'il n'est pas si mauvais que ça, évidemment, ce qui permet à l'acteur de retrouver son registre fétiche. Sécurité Rapprochée (quel titre à la con au fait !) fut pour moi le film de trop et je profite d'être derrière l'écran de mon ordinateur pour déblatérer tout ça sur Denzel car si je l'avais en face de moi, je sais bien que je serais le premier à lui taper sur l'épaule. Je finirais peut-être même par faire fi de mon hétérosexualité si l'occasion se présentait.




Passons moins de temps sur le cas Ryan Reynolds. Il y a de toute façon si peu à dire sur cet homme-là... Ryan Reynolds... RYAN REYNOLDS. Regardez sa tronche, son allure... Il n'est bon à plaire qu'à des tocardes comme Scarlett Johansson ou Blake Lively... Si ma dulcinée me quittait pour les bras d'un tel tocard, nul doute que tout mon amour, aussi ardent soit-il, se transformerait en un bloc de mépris glacial dans la seconde où j'apprendrais la sale nouvelle. Comment peut-on penser une seconde que ce type-là a les épaules et le charisme adéquats pour être le héros d'un film d'action, ou d'un film tout court ? Comment peut-on ? Dans Buried, il parvenait tout juste à faire illusion, sa transparence totale n'apportait certes aucune valeur ajoutée mais elle n'était pas trop embarrassante, calfeutrée dans 1m² d'acajou et l'obscurité quasi complète. Il incarne ici un bleu du CIA dont la mission est de surveiller Denzel et de le maintenir dans une safe house (résidence sécurisée et titre original de ce film en carton). S'il réussit, il pourra suivre sa petite amie et être muté en France. Pour vous rassurer, car vous non plus vous n'avez pas envie de voir le QI moyen de notre beau pays diminuer d'un seul coup, répétez-vous la phrase "It's only a movie, it's only a movie, it's only a movie !". Plus simple encore : ne matez pas ce film, simple conseil amical !


Sécurité Rapprochée de Daniel Espinosa avec Denzel Washington, Ryan Reynolds, Vera Farmiga, Brendan Gleeson, Sam Shepard et Robert Patrick (2012)

15 novembre 2014

Little Buddha

Little Buddha, film de Bernardo Bertolucci, raconte l'histoire du grand Bouddha et celle d'un little bouddha qui s'ignore. Le petit bouddha est un des dix petits enfants issus des quatre coins du monde que la Maison Bouddha invite à venir en Inde au moment où la réincarnation du grand Lama doit avoir lieu, et l'un d'eux sera l'élu. Ne demandez pas comment ils ont choisi les petits bouddhas potentiels, les voix du Buddha sont impénétrables. Moi par exemple, avec mon air con et ma vue basse, je ferais un beau buddha, mais manque de bol il ne doit pas être en période de réincarnation en ce moment. Si je me propose c'est que la ressemblance physique n'est pas un critère de sélection à en juger par le petit américain blond comme les blés et maigre comme un estoquefiche qui sera in fine le bouddha en herbe.


 Où est Charlie ?

Tout un tas d'enfants sont donc réunis dans la grande Maison Bouddha et vont suivre une initiation au bouddhisme, ce qui est bien évidemment l'occasion pour Bernardo Bouddhalucci de nous tenir tout un discours pompant sur les différences entre les cultures, à base de un gros vaut mieux que deux maigres, un tiens vaut mieux que deux tu l'auras, l'argent ne fait pas le boner, et compagnie. On a droit à mille poncifs sur les valeurs bouddhistes, servis dans une tambouille qu'on nous a déjà servie cent fois. Rappelons que le film a été réalisé dans une période un peu bouddha sur les bords, et surtout très grunge, où les occidentaux n'avaient que le mot "nirvana" à la bouche, d'où la tentation d'aller fricoter du côté des indiens et du bouddhisme pour choper le marbre à tout jamais.


La sexualité de Gros Bouddha expliquée aux enfants en travaux pratiques. Tout simplement dégueu.

Entre-temps nous est racontée l'histoire du grand Bouddha, ou plutôt du prince Siddârtha, avant qu'il n'atteigne l'éveil et devienne ainsi Das Gros Bouddha pur et parfait. A l'époque Richard Gere était au top de sa forme, il pétait les flammes, ce rôle était fait pour lui, malheureusement il n'est pas dans le film. C'est Keanu Reeves qui incarne Siddârtha. Pourtant l'acteur eurasien le plus nul de sa génération ne ressemble pas franchement à un sumo, mais un Gros Bouddha souriant et obèse aux grandes oreilles qui traînent par terre n'ameute pas les foules, tandis qu'un playboy aux yeux légèrement bridés et au teint halé, oui. Donc Siddhârta est beau gosse, svelte, émacié, épilé et bronzé. C'est un surfer gay. On apprend dans ce film que si Bouddha avait souvent les jambes croisées, ce n'était pas pour prier mais pour se détendre les valises. Car Keanu Reeves tire tout ce qui bouge à l'écran, et il se fait littéralement liposucer dans ce film, d'où le nom de la position dite du "tailleur". La sexualité n'est pas que suggérée puisque le scénario nous apprend que la mère de Siddârtha a été fécondée par un grand éléphant blanc à six trompes. Malheureusement la scène n'apparaît pas dans ce softcore flick.

On peut quand même émettre quelques doutes sur un casting où Reeves est rejoint par le chanteur à minettes Chris Isaak dans le rôle du papa du futur petit bouddha. Le crooner à belle gueule joue cependant mieux la comédie que l'élu, qui après avoir déjà craché entre les pieds du mot "interprétation" dans le Dracula de Coppola l'année précédente, massacre le mot "comédie" dans chaque scène de ce film, et pourtant il y a des scènes extra dans Little Buddha : celle où Reeves est abrité de la pluie par un serpent cobra en latex qui élargit sa crête façon parapluie, celle où l'acteur galope sur des nénuphars, et tant d'autres. Quand on le découvre à 13 ans, le film a de quoi séduire en nous présentant une religion basée sur un mysticisme transcendantal loin de nos monothéismes répressifs et punitifs, mais Little Bouddha, comme la plupart des films de Bertolucci, consiste néanmoins en un clip indigeste pseudo-séduisant de touriste définitivement occidental aux inspirations esthétiques en berne. Little Bouddha, le supo qui fond dans le cul, pas dans les doigts, est un film Télé 7 Jours du dimanche soir encore inédit à la télévision.


Little buddha de Bernardo Bertolucci avec Keanu Reeves et Chris Isaak (1993)

12 novembre 2014

Chroniques de Tchernobyl

S'il y avait une logique en ce bas monde, un film comme Chroniques de Tchernobyl aurait dû marquer la fin définitive d'une bien triste mode dans le cinéma d'horreur actuel : celle de ce que l'on a appelé les "found footage", ces films censés nous confronter à des enregistrements vidéos, amateurs ou non, retrouvés sur les lieux d'un massacre cannibale, d'une possession démoniaque ou, que sais-je, de l'apparition d'une bande de fantômes belliqueux. Initié par Cannibal Holocaust, popularisé par le succès phénoménal du Projet Blair Witch, puis relancé plus récemment par [Rec] et Paranormal Activity, le found footage vise systématiquement à proposer au spectateur désireux de se faire peur une immersion très facile dans une situation de panique, une ambiance et un décor angoissants, particulièrement propices aux sursauts. Il s'agit presque toujours de films aux budgets microscopiques qui rapportent souvent très gros. Un found footage ne représente donc jamais un pari risqué, on peut le réaliser avec trois fois rien (une petite caméra DV bon marché suffit amplement et participera même à l'aspect amateur et donc "réaliste" du film) et décrocher le jackpot sans forcer, d'où leur multiplication ces dernières années. Parmi ces films, rares sont ceux qui passent par la case "cinéma", mais une exploitation en VOD ou DTV permet à elle seule de dégager des profits largement satisfaisants, alors pourquoi s'embêter ? A ma connaissance, aucun chef d’œuvre n'a émergé de ce sous-genre en putréfaction et, au milieu de tant de nullités, un long métrage aussi médiocre que Cloverfield fait quasiment office de franche réussite (même si l'on s'éloigne du pur film d'horreur et que l'on est davantage dans le film catastrophe), c'est dire...




L'exemple le plus représentatif de ce que le found footage peut proposer de pire est sans aucun doute l'interminable saga Paranormal Activity, que le pétochard Steven Spielberg a cru bon d'imposer au monde entier après avoir fait dans son pantalon en regardant le premier épisode un soir de grande solitude (soit dit en passant, et sans pour autant vouloir en rajouter une couche sur ce sujet sensible, on tient là l'une des preuves les plus affligeantes de la sénilité et de la dégénérescence manifeste de celui que beaucoup considèrent comme un membre à part entière de leur famille...). Mais Chroniques de Tchernobyl, que l'on doit au même Oren Peli (ici producteur et scénariste, la tâche de réalisateur pouvant être confiée à n'importe quel animal sachant à peu près tenir une caméra), est bien le film qui symbolise le mieux la profonde vacuité du found footage. Surfant avec opportunisme sur la vague de peur provoquée par la catastrophe de Fukushima, ce film choisit a priori plutôt intelligemment de situer son action à Pripyat, la ville-fantôme d'Ukraine, abandonnée suite à l'accident nucléaire de 1986. De ce décor unique dont de nombreuses photographies visibles sur internet donnent une idée assez précise du très fort potentiel cinégénique, le film produit par Oren Peli ne tire absolument rien. On ne nous laisse qu'à peine entrevoir le petit effort de reconstitution, sans doute réalisé par une bande de décorateurs payés au noir, lors d'une ou deux scènes diurnes dans les rues de la ville déserte.




Pour le reste, on suit simplement les prises de bec fatigantes d'une bande d'abrutis congénitaux adeptes du "tourisme noir" qui finissent par disparaître un à un dans l'obscurité, au rythme de leurs escapades à l'extérieur du 4x4 où ils ont donc décidé de trouver refuge pour ne pas dévoiler que le tournage s'est réalisé à L.A., dans le garage du pavillon de banlieue d'Oren Peli. Mais ce qu'il y a de plus énervant dans Chroniques de Tchernobyl, c'est sa réalisation, qui bafoue totalement l'idée de point de vue, un principe fragile mais pourtant indispensable pour qu'un film de cette nature puisse au moins tenir la route et respecter son audience. Ici, on se moque du spectateur du début à la fin en le considérant simplement comme une bestiole imbécile à la recherche du frisson à tout prix. Le film n'est même pas présenté comme les restes d'un enregistrement retrouvé, il est simplement filmé exactement comme tel et, quand cela l'arrange, il abandonne un instant ce principe pour mieux s'y réfugier mochement dans la seconde suivante. C'est un foutage de gueule permanent, une insulte continue à l'amateur de trouille. Avec un tel film, Oren Peli flingue et enterre le sous-genre qu'il a lui-même amené vers une impasse fatale. C'est un attentat, un règlement de compte abject, qui aura rapporté une somme astronomique à son détestable auteur, tout en révélant aux yeux du monde entier la nature véritable de sa personnalité dangereuse et dénuée du moindre talent. 
 

Chroniques de Tchernobyl de Bradley Parker avec Devin Kelley, Ingrid Bolsø Berdal, Jesse McCartney et Olivia Dudley (2012)

9 novembre 2014

Deux hommes dans l'ouest (Wild Rovers)

Contrairement à ce que peut laisser penser la cependant très belle affiche américaine de ce film, il ne s’agit pas d'un Brokeback Mountain avant l’heure. Non, Wild Rovers (littéralement « les vagabonds sauvages », excellent titre de porno gay il est vrai) se contente de raconter l’amitié particulièrement touchante de deux cowboys (au sens le plus strict, ce sont des garçons vachers), l’un assez jeune, l’autre sur le retour, harassés par la morosité de leur condition et bien décidés à monter un casse pour aller se la couler douce loin du bétail. Il s’agit du seul et unique western signé Blake Edwards, et mieux vaut le savoir avant de le découvrir, car on pourrait facilement l’attribuer à Sam Peckinpah. Outre la présence en tête d’affiche de l’immense William Holden, meneur, deux ans plus tôt, de La Horde sauvage, on trouve tout un tas d’éléments dans ce film qui font penser aux westerns du vieux Sam.




D’abord le fait que le scénario soit avant tout centré sur l’amitié entre les deux bonhommes, qui compte bien plus au fond que leurs aventures. Ensuite le fait qu’ils tentent le diable pour échapper à un sort minable. Chez Peckinpah, les deux cowboys seraient probablement des vieux de la vieille, comme dans Coups de feu dans la Sierra, alors qu’ici l'excellent Ryan O’Neal incarne le jeunot de notre duo, mais Holden correspond bien à la figure, qu'il campait donc déjà dans La Horde sauvage, du vieux briscard prêt à se laisser embrigader par un jeune ami fougueux pour une dernière valse qui s’annonce mal.




On peut aussi penser à ces quelques scènes filmées au ralenti, quand William Holden (disons sa doublure, et Edwards a quelque mal à le cacher) dresse un cheval sauvage, ou lors des fusillades, quand des types se font descendre pour pas pas grand chose, comme dans la scène où le vieil éleveur et ancien patron des deux cowboys (qu’ils ont volé bien malgré eux), se fait descendre en allant au devant d’un voleur de bétail sans intérêt. Ce vieux propriétaire rigoureux, qui meurt pour ses convictions, pourrait d’ailleurs faire partie du panel de personnages typiques du cinéma de Peckinpah. Idem pour les deux fils dudit vieil homme, qui se lancent, l’un par principe, l’autre pour suivre son aîné, à la poursuite de nos deux braqueurs afin de sauver l’honneur d'un paternel enterré.




Et puis on a l’impression de sentir le fantôme de Peckinpah jusque dans le ton général, dans l’ambiance du bar où les deux cowboys fêtent leur réussite en prenant un bain (Holden rejouant là en mode mineur une fameuse scène de La Horde sauvage), avant que Ryan O’Neal, séparé pour une fois de son vieux complice abandonné dans les bras d'une pute, n’aille faire tout foirer en défiant un abruti à une table de poker, au cours d’une séquence qui se termine en fusillade générale dans un accès de violence inattendu, avec dommages collatéraux et vols planés au ralenti typiques de chez Peck' à la clé, là encore. Une mort stupide, comme toute mort chez Peckinpah, sur fond d'un de ces crépuscules qui ont donné leur nom aux westerns désabusés des années 70, vient bientôt mettre un terme au tour de piste. Blake Edwards nous gratifie alors d’un final bouleversant qui n’a pas grand chose à envier aux grands westerns de celui auquel on ne cesse de penser durant tout le film, et qui leur répond par un petit supplément d’amertume.


Deux hommes dans l'ouest (Wild Rovers) de Blake Edwards avec William Holden, Ryan O'Neal, Karl Malden, Victor French, Tom Skerritt et Joe Don Baker (1971)

8 novembre 2014

La Femme-guêpe

Dans cette série-B de Roger Corman, que certains ont prise à sa sortie pour un mockumentaire sur les femmes blanches, anglo-saxonnes et protestantes, la directrice et égérie d’une agence de cosmétiques, Janice Starlin (Susan Cabot), ayant atteint la quarantaine, recrute un savant de premier choix (il est allé jusqu’en classe de troisième avec accent allemand troisième langue) qui vient de mettre au point un vaccin de jouvence à base de gelée royale de guêpe ("wasp" en anglais, donc). Starlin teste le miel rajeunissant sur elle-même (un ptit déj lambda où les Cheerios habituels sont remplacés au pied levé par des tartines de miel miraculeux), et avec succès ! Grisée de retrouver ses vingt ans, notre Dorian Gray du pauvre et au féminin s’injecte des doses de plus en plus importantes de la solution miracle et en découvre peu à peu les effets secondaires, lorsqu’elle commence à méchamment ressembler à Jeff Goldblum période mid 80s.


Ce type a vu le film, aucun doute là-dessus.

Le film tire sur la corde pour durer ses 73 minutes alors qu’il n’a, au fond, rien à dire. La patronne vieillissante de la boîte de cosmétiques, entre deux regrets amers, se transforme régulièrement en guêpe humaine et tue les quelques gêneurs qui rôdent autour d’elle. Tout est là. Vu son budget, Corman a eu raison de ne pas transformer entièrement Susan Cabot en guêpe géante, préférant l’affubler d’un masque d’insecte et de collants noirs. On aurait préféré que l’actrice porte une guêpière : le résultat eût été couillon mais plus amusant, et Corman aurait ainsi pu jouer sur le côté femme fatale de son héroïne à taille de guêpe (j'enchaîne !), ce qu’il ne fait jamais, sans non plus opter pour l’option inverse, tendre vers l’horreur répugnante pure façon Cronenberg, puisque la métamorphose est passagère et peu douloureuse, tandis que les scènes d’action ne montrent pratiquement rien et échouent à faire naître la moindre tension. Une piqûre de moustique. (Je suis en feu, moi et mes trois jeux de mots nous frelons le génie).


La Femme-guêpe de Roger Corman et Jack Hill (II), avec Susan Cabot, Anthony Eisley et Barboura Morris (1960)

6 novembre 2014

Les Frères Solomon

Si j'avais découvert ce film à l'âge de 10 ans, j'aurais certainement été très emballé, j'en garderais encore un souvenir ému, je serais président du fan-club français. Hélas, je l'ai maté presque 20 ans trop tard... Les Frères Solomon est une petite comédie américaine pratiquement de et avec Will Forte : l'acteur en a signé le scénario et a sans doute embauché un simple et sympathique faiseur derrière la caméra pour en assurer la mise en image. Will Forte, on l'aime bien. On l'a aimé en second couteau auprès d'Adam Sandler, il nous a enchantés en MacGruber et il nous a plutôt convaincus dans Nebraska, même si nous le préférons dans un autre registre, le registre comique où on le sent peut-être plus à l'aise. Il forme ici un duo avec Will Arnett, un autre acteur que l'on apprécie et dont on se rappelle surtout des coups d'éclats mémorables dans Hot Rod et Semi-Pro. Autant dire que l'idée de retrouver ces deux zigotos en tête d'affiche d'un film au pitch très simple, propice à tous les écarts comiques, nous mettait l'eau à la bouche.




Dean (Will Forte) et John (Will Arnett) sont deux frères inséparables, totalement débiles et socialement handicapés. Quand leur vieux père tombe gravement malade, ils se donnent pour grand objectif d'accomplir son dernier souhait : lui offrir un petit-fils. C'est ainsi que les deux frères, prêts à tout, se lancent à la recherche d'une femme qui accepterait de devenir la mère de leur enfant... Immédiatement, le film rappelle le grand classique des frères Farrelly, Dumb & Dumber, dont on attend la suite avec la gorge serrée. On sent bien qu'il s'agit de la principale inspiration de Will Forte, qui reproduit parfois des situations tout à fait similaires, par exemple lorsque l'un des deux personnages annonce fièrement avoir accompli un exploit particulièrement idiot et que l'autre réagit en redoublant d'enthousiasme, là où la logique voudrait qu'il l'engueule ou se désespère de sa bêtise.




Le duo formé par Forte et Arnett est, reconnaissons-le, d'une puissance comique incomparable à celle générée par Jim Carrey et Jeff Daniels en son temps, et la sensation de déjà-vu, si elle n'est pas vraiment gênante, annule quelques fois l'effet de surprise. Ces frères Solomon n'en restent pas moins assez attachants et l'on suit sans déplaisir leurs petites mésaventures, ponctuées par une paire de gags bien sentis. Tout cela est très léger, très sympathique, plutôt bien rythmé, ça dure 1h20 et on ne s'ennuie pas. Les acteurs secondaires font bien leur boulot, Kristen Wiig est égale à elle-même et on apprécie tout particulièrement Chi McBride dans la peau d'un gros costaud au physique de nounours mais au langage pas vraiment des plus châtiés... Il faut toutefois bien avouer qu'il manque systématiquement un petit quelque chose pour que le film soit réellement tordant et on se dit que c'est bien dommage, car avec ce petit quelque chose, on aurait pu tenir-là une petite bombe de drôlerie. Tel quel, les frères Solomon plairont surtout aux plus jeunes, aux moins exigeants, découvrant ce film par hasard et ravis de passer un bon petit moment, mais n'attendant pas grand chose de plus.


Les Frères Solomon de Bob Odenkirk avec Will Forte, Will Arnett, Chi McBride et Kristen Wiig (2007)

4 novembre 2014

Chef

Jon Favreau. Jon Favreau. Je l'écris en même temps que je le répète à voix haute... JON FAVREAU. "T'es allé voir le dernier Jon Favreau ?". "Alors, c'est un bon Favreau celui-ci ou un Favreau mineur ?". "On attend le prochain film de Jon Favreau !". "Il déboîte, ce Favreau-là, je te le recommande !". "Costaud le nouveau Favreau !". Je pourrais en trouver d'autres, des dizaines d'autres, et dans toutes ces phrases, quelque chose clocherait ou sonnerait faux. Ce blaze... Jon Favreau ! Et je parle du blaze, mais pas vraiment à cause du fait qu'il soit disgracieux en tant que tel. Aucun nom n'irait mieux à cet homme-là. J'associe ce blaze à tout ce que représente cet homme. Cet acteur raté, ce réalisateur raté, cet acteur-réalisateur raté. Même son physique est parfait. Sa tronche si banale, si vide. Son allure déplorable. Ce type-là pourrait être votre voisin, vous le croisez sans doute tous les jours sans jamais le remarquer.




Jon Favreau, c'est typiquement ce triste énergumène qu'on a tous connu : il était dans notre classe de 3ème, c'était un vrai cancre, pris en pitié par les professeurs, devant toujours lutter pour accrocher la moyenne malgré les cours particuliers intensifs que lui payaient ses parents plein aux as. Le genre de type qui harcelait les délégués après chaque conseil de classe pour connaître sa misérable moyenne en pleurant : "Je suis dedans, hein ? Dîtes-moi si je suis dedans !". C'est ce gros zonard adipeux qu'on finit par recroiser au détour d'une rue dix ans plus tard. Un attaché-case à la main, le costard taillé sur mesures, la grosse montre qui dépasse, le sourire qui veut tout dire... On se rend alors compte qu'il a réussi, on ne sait pas comment ni pourquoi, mais il a réussi, et sa réussite totalement incompréhensible énerve au plus haut point. Une réussite relative, cependant, sur le plan de la finance peut-être, mais sur le plan affectif, le triste individu reste un clochard. D'ailleurs Jon Favreau, en guest star nauséabonde, jouait son propre rôle dans la série Friends, celui d'un vieux mec qui essayait de cacher qu'il était gros sous une immense veste en cuir et qui s'achetait l'amour de Monica en allongeant les billets, un personnage qui faisait, avouons-le, particulièrement pitié.




Pour moi, ce Jon Favreau représente beaucoup de choses à lui seul, à commencer par la déchéance du cinéma à fric américain, mais pas seulement. Quand je vois écrit, en gros, tout en bas d'une affiche, "Par le réalisateur d'Iron Man", sachant l'abomination qu'est Iron Man, je me dis qu'un truc ne tourne pas rond. Que l'on confie à Jon Favreau, et pas à un autre, des budgets de plusieurs centaines de millions de dollars, c'est plus qu'un signe, c'est un symptôme sans remède possible. Jon Favreau est une impasse. Il symbolise le mur terrible vers lequel fonce tout droit le cinéma à grand spectacle hollywoodien depuis des années. Son avant-dernier film, l'abominable Cowboys & Envahisseurs, a marqué son apogée personnelle. Il a voulu faire "son" western et "son" film de SF. Malheur ! Le résultat est une horreur absolue, tout simplement insoutenable. Une ride de plus sur le visage de tonton Harrison ! Avec Chef, son nouveau film, Jon Favreau souhaitait retourner vers plus de simplicité et enfin combiner ses deux grandes passions : la cuisine mexicaine et le cinéma...




Que dis-je, ses trois passions : la cuisine chicanos, le cinéma et Twitter. Car si Chef s'intitule très exactement #Chef en version française, c'est parce que notre homme interprète un cuistot qui cherche à se faire une belle e-réputation pour relancer son commerce en se créant un compte Twitter associé à son resto en ruine (et vous n'êtes bien sûr pas sans savoir que le dièse permet d'associer un mot à un fil de discussion...). Chaque film a désormais son "hashtag" (car ça s'appelle comme ça), souvent précisé sur l'affiche et parfois mal choisi. Pour celui-ci, ils ne se sont pas embêtés, sauf que je ne rentrerai pas dans ce jeu-là. Jon Favreau n'y est sans doute pour rien, mais ça ne doit pas lui déplaire, lui qui tente piteusement de mener une double-carrière en produisant aléatoirement blockbusters et films "indé" (notez les guillemets). #Chef est supposé appartenir à la deuxième catégorie et vient prouver que Favreau est médiocre quoiqu'il fasse. On présume cependant qu'il doit être un excellent cuistot, ça expliquerait ce casting 4 étoiles (Sofia Vergara et Scarlett Johansson sont bien connues pour ne pas savoir dire "non" à un bon burrito) et cela lui accorderait, au moins, une qualité. C'est déjà ça.


Chef de Jon Favreau avec Jon Favreau, Sofia Vergara, John Leguizamo et Scarlett Johansson (2014)

1 novembre 2014

The House of Usher / L'Enterré vivant

Deux Corman, deux adaptations de Poe, et deux œuvres bénéficiant, comme la plupart des épisodes de la série de films consacrés à l’écrivain de Baltimore par le cinéaste qui murmurait à l'oreille des chevaux (ne parle-t-on pas toujours de l'écurie Corman ?), d'une sublime affiche, déjà, mais surtout d’un soin tout à fait délectable apporté aux décors, aux costumes, aux petits détails en même temps qu’à l’ambiance générale. Deux films surtout que leurs sujets rapprochent immédiatement. Les histoires que nous raconte Corman (sous le patronage de Poe) dans The House of Usher et L’Enterré vivant, bien que très différentes, se rejoignent sur quelques points essentiels.



 Les deux films s'ouvrent pratiquement avec la visite des caveaux de famille, rappelant le poids du passé et associant d'emblée les noms des personnages à des tombes.

Dans les deux films, au cœur d’une scène particulièrement mémorable du premier, et au centre de l’intrigue même du second, il est question d’un personnage victime d’une crise de tachycardie que l’on croit mort et que par conséquent l’on enterre vivant. Le premier film, qui date de 1960, est adapté de l'une des plus fameuses nouvelles d'Edgar Allan Poe, The Fall of the House of Usher, à laquelle Jean Epstein s'est déjà attelé en 1928 et que Jess Franco portera à son tour à l'écran en 1982. On y suit le personnage de Philip Withrop (Mark Damon), qui se rend à la maison Usher pour y retrouver sa fiancée Madeline, mais se trouve confronté au frère de sa bienaimée, Roderick (interprété par un Vincent Price blond et chétif), qui s'oppose à leur mariage au prétexte que la lignée des Usher est condamnée, leur maison hantée et le domaine alentour contaminé, jusqu'aux sols, par la mort. Afin d'accomplir la funeste destinée qui semble réservée aux siens, sans pour autant mettre fin à ses propres et précieux jours, Roderick Usher finit par profiter d'une crise de tachycardie de sa sœur pour la faire passer pour morte et lui offrir des funérailles prématurées, croyant mettre ainsi fin aux rêves de mariage du pauvre Philip.


 Comment ne pas être traumatisé quand on a Francis Huster pour aïeul ?

Dans le second film, tourné deux ans plus tard, en 1962, point de Vincent Price, une fois n'est pas coutume, mais, pour le remplacer, un acteur de premier plan, Ray Milland, génial notamment chez Billy Wilder, dans Uniformes et jupons courts ou Le Poison, mais aussi chez Fritz Lang ou Hitchcock, par exemple dans Le Crime était presque parfait. Il incarne ici Guy Carrell, un chercheur en médecine qui, pour le coup, n'empêche personne de se marier sinon lui-même, à la jeune Emily Gault (Hazel Court), venue le débusquer à domicile pour obtenir sa main. Mais son promis a autre chose en tête, et pas des moindres, puisqu'il est jour et nuit obsédé par l'idée qu'il sera un jour enterré vivant, comme le fut son père, qui souffrait avant lui de tachycardie. Et malgré toutes les précautions prises par un Carrell monomaniaque, adviendra ce qu'il redoutait par-dessus tout.


Dix-sept ans après avoir obtenu, en 1945, l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle d'alcoolique dans l'excellent Le Poison de Billy Wilder (qui obtint lui-même les Oscar du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario pour ce film), Ray Milland fête encore ça !

Outre cet élément de scénario crucial, on retrouve aussi dans les deux films le thème, déjà présent chez Corman dans La Malédiction d’Arkham (pseudo-adaptation de Poe, mais en fait de Lovecraft), de l’hérédité du mal. Dans les deux films des êtres psychotiques, prisonniers de leur névrose et physiquement épuisés par elle, Usher d’un côté, fragile dans sa perpétuelle robe de chambre, allergique au bruit tel un Proust en fin de vie, obsédé par la volonté de scier le tronc de son arbre généalogique, et Guy Carrell de l’autre, reclus chez lui, persuadé qu’il sera tôt ou tard enterré vivant et mettant au point toute une série de stratagèmes (on retrouve le Ray Milland ô combien calculateur de Dial M for Murder) pour s’en sortir le jour où cette inévitable méprise sera venue, présentent à leurs invités la galerie de portraits de leurs effrayants ancêtres, qui pèsent de tout leur poids sur une descendance viciée par leurs trajectoires monstrueuses, chez les Usher, ou morbide, chez les Carrell. On retrouve ainsi la présence persistante et écrasante du tableau à l’effigie de Curwen, le grand-père et bientôt double de Charles Dexter Ward dans La Malédiction d’Arkham.



Les tableaux peints respectivement par Roderick Usher et Guy Carrell.

Mais qui dit portrait dit peinture, et on renoue aussi avec l’importance capitale de la couleur comme manifestation et vecteur de la mort à l’œuvre dans Le Masque de la mort rouge, puisque les portraits macabres peints par Roderick Usher et par Guy Carrell sont systématiquement des œuvres décadentes et sur-colorées, où les figures se dessinent par petites touches de couleurs vives contrastées se mêlant les unes aux autres dans des figures que l'on peut imaginer en cours de mutation. Et dans les deux films, le héros, souffreteux et monomaniaque (on pourrait par ailleurs parler d'eux en tant que purs personnages dépressifs), dans des scènes de délires oniriques plus ou moins muettes (et par conséquent d’une grande picturalité), semble pénétrer dans ces tableaux, navigue dans des espaces de couleurs pures et mouvantes (via des filtres bleus, violets ou verts d'un kitsch consommé), qui évoquent, là encore, la séquence finale du Masque de la mort rouge, avec sa contamination de la peste plan par plan, vague de rouge par vague de sang.



En haut, Philip Withrop, l'amant de Madeline, ici en plein cauchemar et bientôt fréquenté par les ancêtres maléfiques un rien grotesques de la dynastie Usher. En bas, Ray Milland dans la peau de Guy Carrell, victime de ses fantasmagories, s'imaginant pris au piège de son propre système de survie en cas de mise en bière inopinée.

Sauf qu’ici ce n’est pas une maladie qui contamine les êtres, mais la mort elle-même. Une fois passés sous terre, et quand bien même les deux personnages enterrés n’ont cessé d’être vivants - et pour cause -, la mort semble être passée en eux et les avoir transformés en semi-zombies aux visages cireux, aux cernes creusées (tels les serviteurs immortels de Curwen dans La Malédiction d'Arkham), aux regards perçants, presque venus d’ailleurs, avides de vengeance et prêts à envoyer ad patres tous ceux qui auront croisé leur route. 



Madeline Usher, libérée de sa tombe, en pleine crise meurtrière.

Myrna Fahey, qui interprète Madeline, la sœur de Roderick Usher, comme Ray Milland dans L’Enterré vivant, sortent de leur cercueil complètement fous, comme assoiffés de mort. Leurs yeux sont éclatés pour mieux avaler de la lumière et du vivant. Ils avancent dans l'ombre à toute vitesse, déterminés, le pas dicté par une volonté de tuer. Les ongles de Madeline, défoncés contre le bois de sa tombe, sont prêts à s’enfoncer dans tout corps passant à sa portée, tandis que le regard de Carrell défie ses proches et se délecte de leur souffrance (alors qu'il était encore prisonnier de sa bière et sur le point d'être mis en terre, retrouvant alors progressivement l'usage de ses yeux après une violente crise de tachycardie, Carrell n'était-il pas en quête d'un regard, à travers le - surprenant - hublot de son cercueil, pour être libéré ?). 



 Guy Carrell, sorti de terre pour enterrer ceux qui l'y ont mis.

Madeline Usher est à ce titre plus terrifiante encore que Carrell, d'abord parce que son personnage, jusqu'alors très effacé, se pare soudain d'une forme d'hystérie (on la croirait prête à s'arracher le visage) et de bestialité déconcertante (quand elle se cache dans les recoins sombres des pièces du manoir puis saute sur ses victimes telle une féline enragée), là où le personnage de Ray Milland, une fois libéré de la terre, se montre plus réfléchi et plus pernicieux dans ses crimes. Mais aussi parce que Corman la met sublimement en scène, jouant sur la profondeur de champ, le flou de l'image, les décadrages et de très gros plans sur les yeux de la belle Myrna Fahey pour rendre son personnage absolument démoniaque. Le machiavélisme de Guy Carrell, s'il est moins fulgurant et moins terrifiant, reste cependant pour le moins frappant, et ces personnages fascinants, deux enterrés vivants mus par la mort, viennent conclure de façon particulièrement mémorable deux films qui, de fait, le deviennent à leur tour.


The House of Usher de Roger Corman avec Vincent Price, Mark Damon, Myrna Fahey et Harry Ellerbe (1960)
L'Enterré vivant de Roger Corman avec Ray Milland, Hazel Court, Richard Ney, Heather Angel et Alan Napier (1962)